580 ‘|Assemhlée natioiaale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 avril 1791.] Domingue, où la sagesse de vos mesures a rétabli la tranquillité, et où cette même sagesse nous garantit qu’elle sera conservée ; c’est à vous, Messieurs, à puiser dans la connaissance des faits, dans les dispositions des individus, les motifs de la résolution que vous croirez devoir prendre; c’est à nous de l’attendre avec confiance. Nous n’avons que deux vœux à former: puisse la conduite de nos compatriotes n’être pas jugée rigoureusement! Puisse notre patrie n’être pas de nou-veaula victime de l’esprit de parti, de la résistance aux décrets, de la persévérance dans les prétentions qui y porteraient encore la discorde! La France jouit enfin de la paix, elle commence à peine pour nous; quelques mois vont décider de la destinée de la plus belle des colonies ; quelques mois y verront vos lois établies ou l’anarchie, et peut-être la guerre civile à la place des lois méprisées. Législateurs de la France, vous à qui sont confiés le bonheur et la tranquillité de tous les habitants de ce vaste empire, c’est à vous de yrononcer. « Nous sommes avec un profond respect... « Les députés extraordinaires de la province du nord de Saint-Domingue, « Signé : Auvray, Trémondrie, Destandau, Larivière, Brard, Ladebat. » Un membre: Je demande que cette lettre soit communiquée aux individus qui ont paru à la barre jeudi dernier et qui doivent s’y présenter ce soir; il n’est pas douteux que ceux qui ont signé soient les accusateurs de ces pétitionnaires ; par conséquent, c’est une défaveur que l’on a voulu donner de plus à ces individus. Avant de passer à leur audition, je demande qu’on leur en donne communication, M. Bégonen. Je ne m’oppose pas à la communication de la lettre, si l’Assemblée le juge à propos, mais je dois rectifier un fait. Les membres de la ci-devant assemblée coloniale de Saint-Domingue ne sont point accusés par l’assemblée du Gap ; mais ils ont été jugés par l’Assemblée nationale de Fiance. Voilà des faits exacts. Les députés du Cap ne sont point accusateurs. Il n’y a point ici d’accusation, l’Assemblée nationale a jugé. ( Interruptions .) Plusieurs membres : L’ordre du jour! M. Régnault. L’Assemblée nationale a déjà déciéte daus l’institution des jurés qu’on n’imprimerait et ne distribuerait neu avant que les accusés eussent justifié de leur innocence; les individus qui ont paru à la barre sont inculpés. Un membre : Ils ne sont pas accusés. M. Régnault. Ils le sont, car s’ils n’étaient pas inculpes ils auraient leur liberté et ils ne seraient pas à la suiie de l’Assemblée; en conséquence, je soutiens qu’on n’aurait pas dû interrompre la justification de ceux qui sont actuellement à la barre; et je demande qu’on passe à l’Instant à l’ordre du jour. (L’Assemulee décrète l’ordre du jour.) t Les membres de la ci-devant assemblée coloniale de la partie française de Saint-Domingue sont introduits a la barre (1). (1) La partie de la séance qui suit est très incomplète au Moniteur. M. Iilngnet, orateur de la députation. À la récédente séance j’ai posé, j’ai établi un fait ien essentiel dans la cause qui vous occupe, c’est que l’assemblée de Saint-Marc, légitimement élue par la colonie de Saint-Domingue, s’étant soumise en exécution de vos décrets à de nouveaux scrutins, a été confirmée par une constante, par une très grande majorité. C’est le 6 juillet que cette confirmation a été reconnue, et le 13 juillet elle a été consolidée, légalisée en quelque sorte, par la proclamation solennelle du gouverneur de Saint-Domingue, lequel n’était rieQ moins qu’arni de cette assemblée. J’en ai conclu, Messieurs, que tous les actes publics émanés de cette assemblée, antérieurs à cette époque, avaient dès lurs été ratifiés par la colonie, qu’ils étaient devenus propres à la colonie ; et que, quand les actes seraient répréhensibles, ceux qui, en les opérant, n’avaient fait que remplir les vœux du peuple, ne le seraient pas; qu’ils auraient rempli un devoir; que leur déférence serait louable, bien loin d’être criminelle. J’aurais pu borner là leur justification, mais je me suis attendu à une objection et c’est ce qui nécessite la seconde partie de ma défense. Vous avez, m’aura-t-on dit, primitivement égaré le peuple; son adhésion, postérieure à des actes dont on aurait su lui dérober le danger, ne peut les ratifier. Au contraire vo jS êtes les vrais auteurs de sa méprise, vous êtes doublement coupables. Son approbation étant la suite de la même erreur, ne peut couvrir les premiers écarts dans lesquels il ne fallait pas l'entraîûer. Peut-être, Messieurs, cette objection, surtout dans les circonstances actuelles, serait-elle infiniment plus dangereuse à élever, à discuter au fond qu’elle n’est importante en apparence. De quels troubles, de quels désordres, de quelle effrayante incertitude ne deviendrait-elle pas la source dans tout ce qui serait émané des représentant du peuple. Quand on ne pourrait pas inculper les faits, les actes, on interpréterait, on calomnierait, comme ici, les intentions; on trouverait toujours, au gré des factions triomphantes et dans le vœu du peuple, des motifs ou pour l’éluder, ou pour 1’unuuler, ou pour en faire un crime à ses organes. Heureusement, nous n’avons pas intérêt d’entrer ici dans cette discussion politique aussi délicate que sérieuse. Sans examiner s’il était bien légal, bien équitable de forcer l’assemblée de Saint-Marc à répondre de ses intentions, je me suis engagé à la justifier; et rien ne me sera plus facile, puisque ses actes ont été jusqu’au 6 juillet, jusqu’au 13, jusqu’au 22 juillet 1790, l’expression pure et simple, l’exécution littérale de vos propres décrets. Cette obéissance à vos lois a pu paraître un crime. Ce n’est pas à vos yeux, sans doute, qu’elle doit conserver ce funeste caractère. Quelle est la base de toutes les inculpations accumulées contre l’assemblée de Saint-Marc, au moins jusqu’à l’époque où notre soumission profonde pour vos décrets m’oblige de me renfermer, c’est-à-dire jusqu’au 22 juillet? C’est son décret du 28 mai précédent, appelé en effet par elle la base fondamentale et constitutionnelle des droits de la partie française de Saint-Domingue. En citant cette pièce je ne crois pas avoir besoin de justifier devant vous le mot de décret par lequel je la désigne; peut-être une dénomination moins [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 avril 1791.] 58i défectueuse aurait-elle mieux convenu ; mais il serait indigne de nous, à bien pins forte raison de vous, Messieurs, de métamorphoser une accusation en une subtilité grammaticale. (Murmures.) Ce sont les choses qui font le mal; et, si les actes auxquels l’assemblée de Saint-Marc, an commencement de l’année dernière, à 1,800 lieues d’ici, adaptait le mot de décret, n’étaient réellement que des plans qu’elle subordonnait aux vrais décrets nationaux, sans doute vous ne lui ferez pas aujourd’hui un crime de ce défaut de justesse dans son idiome. D’ailleurs, vous l’autorisez à prendre dans plusieurs cas des arrêtés exécutoires par provision : or des lois, mêmes provisoires, sont toujours des lois; celles-là étaient doncsusceptiblesdel’épithète dont il s’agit. Mais j’écarte de pareilles objections, elles sont indignes de la majesté de cette séance. Quand vous aurez rendu à ces braves gens, d’ailleurs bons citoyens, mais assez mauvais formalistes, l’existence civile dont la calomnie les prive en quelque sorte depuis 6 mois, il sera facile alors. Messieurs, de les déterminer à réformer leur idiome. (Murmures.) Cedécretdonc.ceplan, cet arrêté du 28 mai 1790 est leur grand crime. C’est là que l’on a prétendu trouver le germe de la rébellion, la preuve d’un système d’indépendance, de scission; et que porte-t-il donc? Le 8 mars, dans votre décret, dans votre vrai décret, Me-sieurs, sanctionné le 10, vous aviez dit : « L’Assemblée nationale déclare que, considérant les colonies comme une partie de l’Empire français, et désirant les faire jouir des fruits de l’heureuse régénération qui s’y est opérée, elle n’a cependant jamais entendu les comprendre dans la Constitution qu’elle a décrétée pour le royaume, ni les assujettir à des lois qui pourraient être incompatibles avec leurs convenai c.s locales et particulières. » Dans lus instructions du 28 du même mois, également décrétées, également sanctionnées, vous disiez : « Les assemblées coloniales, occupées du travail de la Constitution, apercevront la distinction des fonctions législatives de celles du pouvoir exécutif. » Exécution judiciaire, administration, rien n’est excepté par vous de leurs aperçus. « Elles examineront, dites-vous, comment il convient de les organiser dans la constitution delà colonie; les formes suivant lesquelles les pouvoirs législatif et exécutif doivent y être exercés; le nombre, la composition, là hiérarchie des tribunaux; en quelles mains doit être confiée l’administration ; le nombre, la formation, la subordination des différentes assemblées qui doivent y concourir; les qualités qui peuvent être exigées pour être citoyen actif, pour exercer les divers emplois ; en un mot, tout, Messieurs, tout , ce mot n’excepte rien, tout ce qui peut entrer dans la composition du gouvernement le plus propre à assurer le bonheur et la tranquillité des colonies. La nature de leurs intérêts, poursuiviez-vous, ne saurait jamais se confondre avec ceux de la métropole. Les notions locales et particulières que nécessitent la préparation de leurs lois, enfin la distance des lieux, et le temps nécessaire pour la parcourir établissent de grandes différences entre elles et les provinces françaises, nécessitent, par conséquent, des différences dans leur constitution. De ces différentes vues, continuiez-vous, il résulte, quant au pouvoir législatif, que les lois destinées à régir entièrement les colonies, indépendamment des relations qui existent entre elles et la métropole, peuvent et doivent, sans difficulté, se préparer dans leur sein. Quant aux rapports extérieurs et commerciaux, vous disiez : « Les colonies offrent à tous les peuples, par leurs richesses, l’objet d’une active industrie. Elles n’ont point une population assez nombreuse pour se procurer les forces maritimes et militaires qui leur sont nécessaires. II faut donc, qu’unies avec une grande puissance, elles trouvent, dans la disposition de ses forces, la garantie des biens qui leur seront acquis par une bonne constitution, par de bonnes lois intérieures, lesquelles bonnes lois intérieures doivent avoir de très grandes différences avec les bonnes lois intérieures faites pour les parties européennes de l’Empire. » 11 faut, continuez-vous, que cette puissance intéressée à leur conservation par les avantages qu’elle recueillera de ses transactions avec elles... transaction est le mot dont vous vous êtes servis, mot significatif... de ses transactions avec elles, mot qui exige le consentement des deux parties qui contractent. (Murmures prolongés.) Les personnes qui paraissent scandalisées de mon expression, ne s’aperçoivent pas peut-être que ce sont les termes purs et simples de yos décrets. Un membre : Non, c’est le commentaire. Plusieurs membres : Continuez votre pétition. M. Linguet, orateur de la députation. Il faut que cetie puissance, ce sont vos termcs, intéressée àleur conservation parlesavantagesqu’elle recueillera de ses transactions avec elles, se fasse un devoir envers elles de la plus constante équité ; qu’elle présente toujours une masse de force publique à leur protection, et que par sou industrie, par ses productions, par ses capitaux, elle ait en elle tous les moyens qui doivent préparer les rapports de commerce les plus avantageux. Vous ajoutez, Messieurs : « La France ne cherche point dans ses colonies un moyen de flatter la vanité, d’assouvir la cupidité de quelques hommes préposés à leur administration : des citoyens, des colons, doivent être gérés nar eux-mêmes ; et l’administration ne peut en être confiée qu’à ceux qu’ils ont librement élus. » Voilà votre texte. Enfin, Messieurs, en parlant du pouvoir exécutif désigné alors là-bas, comme ici, par le mot gouvernement, vous disiez : « Si le régime de leur gouvernement est oppressif, la réponse est dans la Révolution, la réponse est dans les décrets, la réponse est dans les instructions que nous envoyons aux colonies. » Ainsi, Messieurs, par vos instructions décrétées, sanctionnées, vous permettiez formellement, textuellement à vos colonies : 1° De faire chez elles au pouvoir exécutif qui les opprimait, la même réponse que vous lui aviez faite ici, où il était encore moins oppresseur ; c’est-à-dire que vous les engagiez à lui ôter, comme ici, la faculté d’abuser de sa force, de se rendre comme indépendant des lois. Vous contractiez l’engagement de soutenir contre lui ces lois, s’il osait les violer, et les représentants du peuple, s’il osait les méconnaître; et si cette section de l’empire, pour me servir du terme usité, éloignée par tant de mers, s’était déterminée tout d’un coup à exécuter elle-même votre promesse, si elle avait comme ici brisé des fers 582 [Assemblée nationale.! dont vous-mêmes reconnaissiez l’injustice et l’opprobre, quels reproches pourrait-on lui faire? En quoi serait criminelle l’assemblée coloniale qui vous dirait : « Ce gouvernement était oppressif, la réponse est la Révolution; vous J’avez décrété, nous vous avons épargné la peine de l’exécuter. » C'est cependant ce que cette assemblée n’a pas fait; elle a eu la sagesse, le ménagement de ne pas mettre, par cette promptitude, le complément à votre Ré\olution. Elle s’est contenté d’en préparer les matériaux, pour vous être soumis avec son arrêté du 28 mai, dont cet objet est un des principaux articles. Ce n’est pas là l’indice d’un penchant à la séparation, à la rébellion. 2° Dans la rédaction de tous les autres articles, elle s’est pénétrée de votre esprit, de la lettre de vos decrets. Elle a toujours eu sous les yeux que rien n’était exclus de son examen; qu’il s’agissait pour elle de rédiger la miuute d’une transaction entre la nation entière et une de ses plus essentielles parties ; qu’ede vous devait compte de sesi iées sur tout ce qui peut entrer dans la composition du gouvernement le plus propre à assurer le bonheur et la tranquillité des colonies, vu que les localités établissent de grandes différences entre elles et les provinces françaises, et nécessitent, par conséquent, de grandes différences dans leur constitution ; que les lois destinées à les régir intérieurement rie peuvent et ne doivent se préparer que dans les colonies ; que la Frai ce ne cherche point dans ses colonies le moyen d’assouvir la cupidité, et de flatter la tyrannie de quelques hommes préposés à leur administration, c’est-à-dire d’on gouverneur, d’un intendant, des états-majors multipliés, des tyrans de tous les uniformes, de toutes les robes, non plus que de leurs satellites; que les intérêts des citoyens ne peuvent être gérés que par eux-mêmes; que l’administration enfin des colonies ne peut être contiée qu a ceux que les colons eux-mêmes ont librement élus. Voilà, Messieurs, vos expressions littérales, et voici le fameux plan du 28 mai rédigé, ce qui est essentiel à vous observer, avant que l’assemblée de Saint-Marc eût reçu ia communication officielle de vos décrets, dont je viens de vous remettre le texte sous les yeux. Ce n’est que le 30 mai que cette communication a eu lieu. Ainsi vous devez être bien plus frappés de la conformité que vous avez trouvée dans toutes les dispositions de cette pièce, hors une, avec votre propre loi, que de quelques différences dans les expressions bien plus que dans les idées. Un des auteurs de ce décret va me rendre le service, et à ses collègues, de vous lire le décret tel qu’il a été rédigé, tel qu’il est déposé au comité colonial. Un membre de la députation donne lecture du décret qui est ainsi conçu : « L’assemblée générale : * Considérant que les droits de la partie française de Saint-Domingue, pour avoir été longtemps méconnus et oubliés, ne sont pas moins demeurés dans toute leur intégrité; « Considérant que l’époque d'une régénération générale dans l’Empire français est la seule où l’on puisse déterminer, d’une manière juste et variable, tous ses droits, dont les uns sont particuliers et les autres relatifs; « Considérant que les droits de statuer sur un régime intérieur appartient essentiellement à ta [5 avril 1791.) partie française de Saint-Domingue, trop peu connue de la France, dont elle est séparée par un intervalle immense; « Considérant que les représentants de Saint-Domingue ne peuvent renoncer à ce droit imprescriptible sans manquer à leur devoir le plus sacré, qui est de procurer à leurs commettants des lois sages et bienfaisantes; « Considérantque les lois ne peuvent être faites a’au sein même de cette île, d’abord à raison e la différence du climat, du genre de population, des mœurs et des habitudes, et ensuite parce que ceux-là seuls qui ont intérêt à la loi, peuvent la délibérer et la consentir; « Considérant que l’Assemblée nationale ne pourrait décréter les lois concernant le régime intérieur de Saint-Domingue sans renverser les principes qu’elle a éiablis par ses premiers décret�, et notamment par sa déclaration des droits de l’homme; « Considérant que les décrets émanés des représentants de Saint-D mrngue ne peuvent être soumis à d’antte sanction qu’à celle du roi, parce qu’à lui seul appartient cette prérogative inhérente au trône, et que nul autre, suivant la Constitution française, ne peut en être le dépositaire; qu’en conséquence le droit de sanctionner ne peut être accordé au gouverneur général, étranger à cette contrée, et n’y exerçant qu’une autorité précaire et subordonnée; « Considérant qu’en ce. qui concerne les rapports commerciaux entre Saint-Domingue et la France, le nouveau contrat doit être fermé d’après le vœu, les besoins et le consentement des deux parties contractantes; « Considérant que tout décret qui serait rendu par rA.-'Semblée nationale et qui contrarierait les principes qui viennent d’être exprimés, ne saurait lier la colonie de Saint-Domingue, qui n’aurait pas été consultée, et n’aurait point consenti à ces mêmes décrets. ( Murmures à gauche.) M. Boutteville-Dumetz. Monsieur le Président, je demande la parole; cela a déjà été lu. M. le Président. Je ne vous la donne pas, Monsieur; mettez-vous à l’ordre. Le même membre de la députation (continuant la lecture du décret) : « Considérant e; fin que l’Assemblée nationale, si constamment attachée aux principes de justice, et qui a manifesté le désir d’assurer la prospérité des îles françaises de l’Amérique, n’hésitera pas à reconnaître les droits de la colonie de Saint-Domingue par un décret solennel et authentique, après en avoir délibéré dans les séances des 22, 26, 27 et dans celle de ce jour; « A décrété et décrète ce qui suit : « Art. 1er. Le pouvoir législatif, en ce qui concerne le régime intérieur de Saint-Domingue, réside dans l’assemblée de ses représentants constitués en assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue. « Art. 2. Aucun acte du Corps législatif, en ce qui concerne le régime intérieur, ne pourra être considéré comme loi définitive, s’il n’est fait. par les représentants de ia partie française de Saint-Domingue, librement et légalement élus, et s’il u’est sanctionné par le roi. «Art. 3. Tout acte législatif, fait par l’assemblée générale, dans les cas de nécessité urgente en ce qui concerne le régime intérieur, sera considéré comme loi provisoire, et dans ce cas, ce décret ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [S avril 1791.J sera notifié au gouverneur général, qui dans les 6 premiers jours de la notification le fera promulguer et tiendra la main à sou exécution, ou remettra à l’assemblée générale ses observations sur le contenu audit décret. « Art. 4. L’urgence qui déterminera une loi provisoire sera décidée par un décret séparé, qui ne pourra être consiaté que par la majorité des deux tiers des voix prises par l’appel nominal. « Art. 5. Si le gouverneur général remet des observations, elles seront aussitôt inscrites sur les registres de l’assemblée. 11 sera alors procédé à la révision du décret. D’après les observations ui seront livrées à la discussion, dans 3 séances ilférentes, les voix seront données par oui ou par non pour maintenir ou annuler ce décret. «Le procès-verbal delà délibération sera signé par tous les membres présents et désignera la quantité de voix qui auront été pour l’une et l’autre opinion. « Si les deux tiers des voix maintiennent le décret, il sera promulgué par le gouverneur général et exécuté sur-le-champ. « Art. 6. La loi devant être le résultat du consentement de tous ceux pour qui elle est faite, la partie française de Saint-Domingue proposera les plans concernant les rapports commerciaux et autres rapports communs et les décrets qui seront rendus à cet égard par l’Assemblée nationale ne seront exécutés dans la partie française de Saint-Domingue, que lorsqu’ils auront été consentis par rassemblée générale des représentants de Saint-Domingue. (Murmures.) « Art. 7. Ne sont pas compris dans les rapports commerciaux de Saint-Domingue avec la France, les objets de subsistance que la nécessité forcera d’introduire; mais les décrets qui seront rendus à cet égard par l’assemblée générale seront aussi soumis à la révision du gouverneur général. Si le gouverneur général présente des observations sur le contenu audit décret, dans le délai fixé par l’article 3, toutes les formalités prescrites par l’article 5 seront observées. « Art. 8. Tout acte législatif, fait par l’assemblée générale et exécuté provisoirement dans le cas de nécessité urgente, n’en sera pas moins envoyé sur-le-champ à la sanction du roi, et si le roi refuse son acceptation audit acte, l’exécution en sera suspendue aussitôt que ce refus sera légalement connu à l’assemblée générale. « Art. 9. Chaque législature de l’assemblée sera de 2 ans, et le renouvellement de chaque législature sera fait en totalité. « Art. 10. L’Assemblée générale décrète que les articles ci-dessus, comme faisant partie de la Constitution de la partie française de Saint-Domingue, seront incessamment envoyés en France pour être présentés à l’acceptation de l’Assemblée nationale et du roi ; seront en outre envoyés à toutes les paroisses de district de la partie française de Saint-Domingue ; seront au surplus les-dits articles notifiés au gouverneur général. » M. Eânguet, orateur de la députation. Ce projet parait être susceptible de bien des critiques, comme elles ne nous ont pas été toutes communiquées d’une manière légale, je ne puis répondre qu’à celles qui sont parvenues légalement à notre connaissance. Or, celles-là sont consignées dans le rapport des 11 et 12 octobre qui vous a donné la première connaissance de ce plan de projet, et dans le rapport on vous observe que l’assemblée générale prenait, dans le projet, ce titre de législature, et 583 qu’elle se retenait la législation sur le régime intérieur. Je ne m’arrête pas à ce rapprochement, un peu singulier peut-être, des deux mots législature et législation. J’observerai simplement qu’il fallait un mot nouveau pour désigner une chose nouvelle. Celui d’assemblée coloniale n’étmt pas plus usité alors que celui de législature. Encore une fois, cette impropriété de termes n’est pas un crime. (Murmures prolongés.) Si les interruptions, si les marques de désapprobation que j’éprouve à chaque instant émanent des membres de l’Assemblée même, ceux qui se les permettent ne voudraient donc pas être juges dans la cause, car ils auraient manifesté leur opinion. (Applaudissements prolongés à droite.) Cette législature coloniale se retenait la législation; mais cette retenue était subordonnée à votre aveu; elle ne pouvait avoir lieu que quand vous l’auriez décrétée; le plan ou le projet s’en trouvait consigné, était, encore une fois, conforme à vos décisions, hors un point, celui qui concernait la sanction du gouverneur, sur lequel on pouvait aisément se concerter, et la totalité de l’acte, encore une fois, point important à remarquer, n’é!ait qu’un plan, un projet. On vous a bien dit un mot de ce plan prétendu décisif, en vous en donnant la première connaissance, mais on a gardé un silence absolu sur tout ce qui aurait fait une preuve irrésistible. On a produit, on a peut-être amplifié ce qui pouvait affaiblir celte objection, ce qui pouvait même vous empêcher de la remarquer. Ce décret, objet d’une inculpation si grave, vous a été présenté, s’il m’est permis de m’expliquer ainsi, tout nu. Mais cependant il vous avait été expédié de la colonie une enveloppe qui doit exister encore au dépôt de votre comité colonial, puisqu’elle y est constamment entrée, et qu’elle n’en est constamment pas sortie, du moins pour paraître ici. Cette enveloppe était une lettre officielle adressée à l’Assemblée nationale, et cette lettre était le commentaire, l’explication, la justification en tout sens du projet qu’elle renfermait, qu’elle annonçait comme un simple projet, et où était consignée l’explication formelle qu’il ne pourrait être exécuté que quand vous l’auriez décrété. Ce commentaire, cette justification, cette explication, les voici : Honorez, Messieurs, cette lecture d’une attention soutenue; ce n’est pas la seule soustraction de cette nature que j’ai à vous révéler; mais cette restitution seule suffirait pour jeter du jour sur toute cette malheureuse affaire, pour vous mettre en état d’apprécier dès à présent la conduite des citoyens généreux, qui le 10 juin 1790, vous adressaient les preuves de respect, de patriotisme, de soumission dont vous allez être instruits pour la première fois. Un membre de la députation fait lecture de la lettre qui est ainsi conçue : « Messieurs, « L’assemblée coloniale de la partie française de Saint-Domingue, composée de représentants librement élus et constituée par les décrets des 25 mars et 14 avril, me charge de vous présenter l’hommage de ses sentiments respectueux. Elle a reçu avec la plus grande satisfaction la lettre que vous avez bien voulu lui faire écrire par M. votre Président. Elle attendait avec impatience votre décret du 8 mars concernant les 584 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. colonies, qu’elle a reçu avec reconnaissance, et auquel étaient jointes les instructions, dont quelques articles sont incompatibles avec nos convenances locales et particulière'. L’un et l’autre, annoncés depuis longtemps, n’ont été officiellement connus que le 31 mai 1790. «Vous verrez, Messieurs, qu’animée du désir de bât1 t la régénération, l’Assemblée nationale avait déjà tourné ses regards vers les objets qui pèsent le plus sur les habitants de Saint-Domingue. La confirmation du conseil supérieur du Cap, déjà réintégré par la partie du Nord, dérivait de la nécessité que vous avez vous-mêmes reconnue, que, dans ce pays surtout, les justiciables ont besoin d’être rapprochés de leurs juges. La réforme de quelques abus dans les tribunaux ne ouvait manquer d’occuper sur-le-champ des ommes gémissant sous le joug d’une inquisition monstrueuse, étrangère à la France, dont cependant iis >ont enfants; et cette réforme, avouée nécessaire par le conseil supérieur du Port-au-Prince, trouve des obstacles de la part de ceux mêmes qui devaient donner la main à son exécution. « Les concessions des terres étaient le patrimoine des favoris des ministres et des administrateurs, et l’objet de l’agiotage des commis de leurs bureaux, tandis que leur juste distribution devait offrir les moyens d’occuper utilement une quantité d’Européens qui, ne pouvant exercer leur industrie, deviennent des plantes parasites et nuisibles à la colonie, l’assemblée a cru devoir arrêter une si vicieuse distribution. À l’égard de l’ordonnance criminelle, objet de la réclamation générale, on n’a eu besoin, pour adopter un nouvel ordre de choses, que de voir ce que vous avtz fad à cet égard. « L’établissement des municipalités, comme vous t’avez jugé vous-mêmes, est un rempart contre les troubles. L’assemblée à fixé l'organisation de celles qui conviennent à ce pays, et vous remarquerez, Messieurs, qu’il n’y a eu que peu d’additiuns à faire au planque vous avez décrété pour la France, et qui a été ici presque entièrement adopté. Conduite par ces réformes, jusqu’à l'époque du 22 juillet, l’assemblée a posé ses bases constitutionnelles, qui seules sont propres aux convenances et aux localités de Saint-Domingue. « Malheureusement ces décrets dictés pour le bonheur de Saint-Domingue ont éprouvé des obstacles dans l’exécution, de la part des dépositaires du pouvoir exécutif. Le 31 mars, votre décret nous fut officiellement notifié. Ce fut avec les mouvements de la plus vive sensibilité qu’il fut accueilli, en voyant que l’Assemblée nationale s’en rapportait à nous sur le plan de Constitution qu’il éiait le plus expédient d'admettre, pour remplir la somme de bonheur à laquelle, ainsi que les autres Français, nos frères, nous avons droit de prétendre. « L’assemblée, dans le décret du 8 mars, vit l’approbation de ses Lases constitutionnelles à quelques différences près que la localité exige, qui n’ont pu être jugées parnos frères d’Europe, placés à 2,000 lieues de nous, mais qui sont frappantes et palpables pour ceux qui arrosent de leurs sueurs cette terre brûlante qui ne devient fertde que par des moyens absolument étrangers à la France. Le décret du 8 mars fut donc adopté à l’unanimité, en ce qui ne blesse point les droits de Saint-Domingue qui sont en partie indiqués dans les bases constitutionnelles décrétées le 28 mars 1790. [5 avril 1791.) « Il n’y a pas un de ces décrets, Messieurs, qui ne porie avec lui le caractère du patriotisme qui anime chacun des habitants de la partie fran-çaisede Saint-Domingue; mais certainement vous verrez dans celui du 28 mai la preuve non équivoque de notre attachement à notre mère patrie, vous verrez que si nous réclamons le droit de régler nous-mêmes notre régime intérieur, qui en effet nous regarde seuls, nous ne nous souvenons de de notre aptitude au commerce que pour jurer de nouveau à la France que nous voulons lui demeurer à jamais inviolablement attachés, la faire jouir de toutes les ressources que nous lui offrons, et que la justice fixera toujours les règles sur lesquelles s’établiront nos rapports communs. « Demandez, Messieurs, avec confiance, ce que vous croirez utile à votre colonie, l’Assemblée et le roi vous y invitent. » « C’est ainsi que vous vous exprimiez par l’organe de M. l’abbé de Nontesquiou, alors votre Président. Eh bien! Messieurs, acceptez et décrétez; présentez à l’acceptation et àla sanction du roi b s bases constitutionnelles que nous avons l’honneur de vous adresser. Par là vous porterez la paix au milieu de nous, vous repousserez ces systèmes destructeurs qui, sous le voile d’une chimérique perfection, troublent toutes les propriétés et finir mt par tarir les sources de la prospérité publique. « Nous bornons là nos demandes actuelles, et nous le faisons avec d’autant plus de confiance, que c’est dans l’intérêt commun que l’assemblée générale a pris les bases qu’elle vous propose, pour seconder le sien et assurer sa prospérité de laquelle dépend celle que l’Empire français a acquise dans la balance (Olitique de l’Europe. « L’assemblée générale espère que vous voudra z bien lui faire parvenir le journal de vos précieux travaux dans lequel elle puisera les matériaux qui sont propres à compléter notre Constitution. « Attachement inviolable à la nation, soumission très respectueuse aux lois, amour pour le roi des Français, tels sont les sentiments que la partie française de Saint-Domingue dépose dans le sein des représentants de la nation entière. « Signé : Les membres de l’assemblée de Saint-Domingue. » M. Linguet, orateur de la députation. Eh bien I Messieurs, si cet accessoire qui, dans l’intention des membres de l’assemblée de Saint-Marc, devait être inséparable de son projet, vous était parvenu, vous serait-il resté l’ombre d’incertitude sur la véritable nature de ce prétendu décret? « Acceptez et décrétez, disait cette lettre, les bases constitutionnelles que nous vous présentons. » Et, en se soumettant ainsi à vos décrets, elle ajoutait:» Attachement inviolable à la nation, soumission respectueuse aux lois, amour pour le roi des Français, tels sont les sentiments que la colonie dépose dans le sein des représentants de la nation française. » Et ce sont ces hommes qui manifestaient un patriotisme si pur, un attachement si vrai, une soumission si sincère, dont on vous a dit, en vous laissant ignorer les preuves écrites de leurs sentiments, que leurs intentions étaient criminelles, leurs vues perfides, leurs projets tous tendant à la révolte. Peut-être dira-t-on, car il faut tout prévoir dans une position comme la nôtre, peut-être dira-t-on que ces sentiments étalés avec art, avec appa- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 avril 1791.] 585 reil,dans une pièce de cérémonie expédiée à 1,800 lieues, étaient démentis par la conduite effective des intéressés sur leur terrain, dans leur petit domaine; mais outre que cet art serait singulièrement rapproché de la vérité, voici, Messieurs, la preuve que l’assemblée de Saint-Marc tenait sur les lieux le même langage. Nos détracteurs avaient déjà inventé, propagé les inculpations répétées ici par tant d’échos : Que nous pensions à l’indépendance, que l’assemblée coloniale de Saint-Marc était flattée de ces systèmes de sépaiaiion. On avait tâché par là de la rendre suspecte à la colonie. En envoyant à toutes les paroisses le projet du 28 mai imprimé, les membres de l’assemblée de Saint-Marc y avaient joint une lettre imprimée aussi dans le temps, et communiquée également dans le temps à votre comité colonial. dans cet envoi, ils donnaient réponse à cette inculpation et y disaient à leurs constituants : « Quant au projet de scission qu’on a osé nous imputer, avec quelque réfleviou, vous n’y aurez pas sans d ule ajouté fui. En effet, l’euime et la conliance ont pu déterminer le choix de vos représentants. D’ailleurs quel est celui d’entre nous qui ne soit attaché à la France par djs liens de sentiments et d’intérêt? Quel eA celui d’entre nous qui ne soit lier de tenir à une nation dont l’énergie fait l’admiration de l’univers? Que! e?t celui d’entre nous qui ne soit pénétré d’amour et de vénération pour un roi restaurateur de la liberté française? Qmfl est cHui d’entre nous enfin qui, s’il avait le choix d’un gouvernement, ne préférerait celui de la France, comme le plus beau, le plus i onforme aux lois de la saine raison et de l’équité naturelle? Jugez donc, chers concitoyens, si jamais cet orgueilleux et chimérique projet a pu nous occ uper un seul instant. » Voilà, Messieurs, ce qu’ils disaient alors en mai 1790 à leurs concitoyens d’Amérique; ils ■vous le rappellent aujourd’hui par ma voix. Je vous ai dit que la soustraction, ou si l’on veut, l’oubli de cette pièce décisive n’était pas le seul tort de ce genre qui leur ait été fait. En voici une plus importante encore, s’il e.-t possible; en voici une d’autant plus remarquable que son éclipse a favorisé ou entraîné la disparition de 11 paquets tous essentiels les uns plus que les autres, de 11 comptes rendus qu’ils vous soumettaient, à chaque occasion importante, de leur conduite, de toutes leurs démarches, de tous leurs pas, de toutes leurs pensées. Ces prétendus rebelles, ces déserteurs que l’on vous a présentés comme uniquement occupés des moyens de préparer, de nécessiter entre eux et vous un système politique et irrévocable, c’est encore le résultat d’une lettre adressée à l’Assemblée nationale et constamment rendue au comité colonial. Elle était du 21 juillet 1790, date remarquable, parce qu’elle est précisément à une égale distance du 13 juillet, jour où le gouverneur, forcé par l’évidence, par la majorité irrésistible des suffrages, avait proclamé solennellement la légitimité de l’assemblée de Saint-Marc, et le 27 du même mois où il eu a proclamé la dissolution et ordonné le massacre. Dans l’intervalle du 8 juin au 21 juillet, les événements s’étaient presque accumulés, comme on vous l’a dit le 8 octobre dernier. L’assemblée de Saint-Marc, toujours fidèle à sa double mission qu’elle tenait de vous et de ses constituants, n’avait cessé de s’occuper ouvertement, publiquement des plans de réformes utiles et d’une amélioration générale. Le despotisme et ses complices toujours fidèles aussi, mais à leurs intérêts, à des impulsions secrètes peut-être, n’avaient cessé de lui susciter des obstacles, de la contrarier sans trop se compromettre, de préparer contre elle les matériaux de l’explosion dont ils calculaient les effets. Au moment même où ils semblaient rendra hommage à sa légitimité, les manoeuvres actives, les dispositions accumulées de ces ennemis implacables transpiraient, et c’est au milieu des périls qu’elle pronostiquait, que l’assemblée de Saint-Marc vous écrivait eu ces termes. Un membre de la députation donne lecture de cette lettre qui est ainsi conçue : « Messieurs, « Par notre lettre du 8 juin, nous avons eu l’honneur de vous présenter l’hommage de nos sentiments respectueux; nous avons déposé dans le sein des représentants de la nation entière, dont nous sommes si heureux de faire partie, le témoignage et l’attachement invincible que nous lui avons voués, ceux de notre soumission aux lois, et ceux de notre amour pour le roi des Français, pour le restaurateur de ta liberté; nous avons rendu compte de nos travaux jusqu’à cette époque. « De grands événements se sont passés depuis, et nous osons croire que vous voudrez sus pendre un instant vos importantes occupations, pour écouter les réclamations d’une aussi importante portion de l’E npire français, d’une portion de ce peuple magnanime que vous repousseriez tie voire sein, que vous n’avoueriez plus pour vos frères s’ils n’employaient tous les moyens que leur ont donné la nature, la raison et votre exemple pour briser les fers du despotisme. « L’assemblée générale, Messieurs, après avoir reçu avec respect et reconnaissance votre décret du 8 mars, concernant les colonies et les instructions nationales qui les ont suivis, y remarqua, comme elle a eu l’honneur de vous l’é> rire, quelques articles qui sont incompatibles avec les convenances locales et particulières de la partie française de Saint-Domingue. « Prenant l’esprit de votre décret qui porte expressément que vous n’avez pas entendu nous comprendre dans cette Constitution décrétée pour la France ni nous soumettre à des lois qui ne seraient pas compatibles avec nos convenances locales et particulières, et pleine de confiance dans cette vérité incontestable que le jour à jamais mémorable où vous avez décrété les droits de l’homme est celui où vous avez implicitement décrété que les îles françaises de l’Amérique se feraient des lois intérieures, parce que leur sol ne peut malheureusement se fertiliser que par des moyens absolument étrangers à la France. « A ce titre, disons-nous, l’as-emblée générale de la partie française de Saint-Domingue a persisté dans son décret du 28 mai, dont elle ne doute pas que vous n’approuviez la sagesse, et dont elle vous envoie le développement qu’elle a rédigé, pour mettre sous les yeux de ses constituants les motifs qui l’ont portée à déclarèr qu’elle adhère au décret du 8 mars de l’Assemblée nationale concernant les colonies et aux instructions qui l’accompagnent, en tout ce qui ne contredit pas les droits de la partie française de Saint-Domingue. « Ce développement, Messieurs, étant nécessaire pour éclairer une portion de nos consti- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 avril 1791.] tuants, si non considérable, au moins fort opiniâtre et abusée par des observations sur le décret du 28 mai, rédigées et publiées par l’assemblée provinciale du Nord, séant en la ville du Gap. « L’assemblée générale bien librement et légalement constituée, formée des représentants directs bien légalement et librement élus des 52 paroisses de la partie française de Saint-Domingue, avoués d’elle par le gouvernement général, a prévu les suites funestes que pouvaient avoir les manœuvres des ennemis du bien public, si on mettait en doute la légalité de sa constitution. « Elle a prévu que ceux intéressés à une contre-révolution feraient servir ce moyen en ces contrées pour opérer sa dissolution� parce que de cette dissolution devait naître l’anarchie, la dispersion des bons citoyens, la révolte de ceux auxquels les convenances locales commandent si impérieusement une distinction d’Etat : de cette subversion de tout ordre devait résulter, pour la mère patrie, la privation de ce puissant ressort que donnent les îles à sucre au commerce, aux manufactures, aux finances. n Dans cette terrible alternative, Messieurs, qu’avions-nous à faire lorsque le gouverneur général, agent direct d’un ministre justement dénoncé à votre auguste tribunal, lorsque les membres de l’assemblée provinciale du Nord publiaient dans tous leurs écrits que l’assemblée générale des représentants de la partie française de Saint-Domingue, entêtés d’un système extravagant d’indépendance, visaient à une scission avec la mère patrie. « Notre résistance à votre instruction n’eût-elle pas justifié les clameurs des agents du pouvoir exécutif, administratif et judiciaire qui dous accusaient de détruire tout fondement de gouvernement, parce que nous éclairions le peuple sur les attentais de leur despotisme? Cette résistance, enfin, Messieurs, n’eût-elle pas entraîné les suites funestes que nous avions à craindre d’une autre part? « Ges puissants motifs décidèrent l’assemblée générale à provoquer elle-même le vœu de ses constituants sur son maintien ou sa dissolution, et avec d’autant plus de raison que, connaissant les dispositions du gouverneur général si bien manifestées par ses lettres des 22 avril et 27 mai, qu’elle a été obligée de publier avec des observations, elle était assurée qu’il apporterait, pour parvenir à opérer la dissolution de 1 assemblée, et beaucoup de lenteurs et peut-être de l’inexactitude à faire connaître le vceu des paroisses, dont la majorité était pour son maintien. Ges craintes ont été suffisamment justifiées par les pièces que nous avons l’honneur de vous adresser n° 3. « Vous verrez, Messieurs, par l’inspection de ces pièces, quels ressorts ont fait agir le premier agent du pouvoir exécutif et ceux qui le conseillent, les agents du pouvoir administratif et judiciaire, et enfin nous le disons à regret, ceux des agents du commerce, qui ne veulent pas distinguer les intérêts du commerce national de ceux de quelques commerçants auxquels les lois prohibitives garantissent quelques privilèges qui tariront ince.-samment une source de prospérité. « Enfin, Messieurs, malgré les coupables insinuations, malgré les manœuvres sourdes et violentes, le nombre des bons citoyens a prévalu sur les malintentionnés et, quoique plusieurs paroisses, particulièrement celle du Cap, ne se soient pas assujetties au court délai accordé par vos insiructions , à l’observation desquelles le gouverneur général s’est dispensé de tenir la main, le plus grand nombre s’est déclaré et à une très grande majorité. L’assemblée générale est maintenue telle qu’elle est cousùtuée. « Vous êtes sans doute informés, Messieurs des procédés de l’assemblée provinciale du nord! Il en coûte à nos cœurs de remettre sous les yeux des illustres régénérateurs de l’Empire français les torts d’une portion de nos frères aveuglés par une insinuation perfide, suite d’une impulsion qu’ils repousseront sûrement, mais qui, dans ce moment de crise, porte le trouble et l’anarchie daûs cette riche et florissante portion de l’Empire français. Désavouée par la majorité des paroisses du Nord, qui en ont retiré leurs députés, cette assemblée provinciale conserve une telle influence sur la grande ville qui l’a formée et qui presque s ule la compose aujourd’hui, que les bons citoyens n’osent se montrer. « Nous avons envoyé en cette ville des porteurs de paroles de paix. Qui croira jamais l’accueil qu’ont reçu, d’une assemblée administrative et subordonnée, les représentants du peuple français de Saint-Domingue? Qui croira que, usurpant tous les pouvoirs, par un arrêté solennel, elle les ait proscrits et chassés de son territoire ? Qui croira enfin qu’elle ait déclaré criminel de lèse-nation quiconque conserverait quelque correspondance avec l’assemblée générale déjà bien légalement constituée et confirmée par la majorité de 153 paroisses sur 183. « Nous joignons ici, Messieurs, le rapport de nos commissaires avec toutes les pièces qui y sont relatives, et aussi un écrit publié de l’ordre de rassemblée provinciale du Nord, portant pour titre : Principes invariables , sur lesquels un des membres de l’assemblée générale a propo.-é des observations, et les objections qui ont été avouées et publiées par elle comme conformes à ses principes. Il s’est répandu, dans le public, un autre écrit portant pour titre : Adresse de l’assemblée provinciale du Nord à l'Assemblée nationale et au roi . Il nous a paru revêtu de toute l'authenticité qu’a pu y donner l’assemblée provinciale, puisqu’il est signé de ses officiers. Nous ne pensons pas qu’elle ait songé à se faire auprès de vous, Messieurs, et auprès du roi, un titre de réclamation contre vos principes. « Nous vous en faisons juges, Messieurs, et puisque nous sommes en quelque sorte réduits à cette justification, nous vous envoyons cette pièce avec nos observations marginales, n° 5. Ge que nous apprenons aujourd'hui des nouvelles entreprises de l’assemblée provinciale du Nord, sera sans doute pour vous, Messieurs, un surcroît d’étoDnement. Nous vous envoyons la pièce n° 7, qui vous prouvera comment cette assemblée provinciale, s’autorisant toujours de vos décrets, se fait un jeu d’y contrevenir. « D’après les lettres du gouverneur général, des 22 avril et 17 mai, vous aurez jugé quelles sont ses dispositions pour contribuer à opérer tout le bien que l’assemblée générale se propose de faire. Mais quel sera votre étonnement lorsque vous apprendrez que, simple agent du pouvoir exécutif, il proclame une déclaration et, donne son interprétation des décrets de l’Assemblée nationale, qu’il les modifie, les atténue, les interprète conformément à ses vues particulières et, se disant revêtu de la puissance suprême, il défend aux 587 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 avril 1791.] représentants libres du peuple français de Saint-Domingue, à une émanation de l’auguste assemblée de la nation, réunie pour modifier vos décrets conformément à leurs convenances locales et particulières; il leur défend d’y rien ajouter et déclare qu’il soutiendra cette étrange proclamation avec toutes les forces qui sont en ses mains. Nous vous l’envoyons, Messieurs, cette interprétation avec nos observations et le projet de’ décret auquel elles ont donné lieu, n° 8. Cet objet mérite toute votre attention. « Marchant à grands pas vers le despotisme le plus effréné, le gouverneur général a fait toutes les dispositions possibles pour porter la défiance dans les esprits, le trouble dans les villes et les campagnes. Les citoyens sont en armes, non pour attaquer, ils sont Français, ils ne démentiront point ce titre, mais pour défendre leurs personnes qui sont exposées ; ils voient le mépris des ordres de’ l’Assemblée nationale si bien manifesté à l’occasion des corporations des villes de Nîmes et de Montauban ; ils voient, disons-nous, le gouverneur général en former de semblables et recevoir d’elles un serment particulier ; ils le voient le publier et se refuser à la célébration de la fête nationale du 14 juillet, de même qu’à la prestation de serment, qu’à ceite époque, nous avons demandé aux troupes de ligne d’être tidèles à la nation, à la loi, au roi, à la partie française de Saint-Domingue. « Serait-il nécessaire, Messieurs, de vous expliquer le motif de ce serment, à la partie française de Saint-Domingue, mais vos lumières et votre justice vous ont déjà dit qu’il est une conséquence néce-sairede vosdécretspar lesquels vuusdéclarez n’avoir pas vou u nous assujettir à des lois incompatibles avec nos convenances locales et particulières. « Vous avez déjà senti que les convenances locales et particulières commandaient impérieusement le serment, non seulement à ceux qui habitent la partie française de Saint-Domingue, mais à ceux qui sont convaincus delà prépondérance que donne Saint-Domingue à la France dans la balance politique de l’Europe. Celte vérité importante pourrait-elle trouver des contradicteurs? « Ce n’est pas tout, Messieurs, des défenses formelles faites aux ol liciers de maréchaussée et autres agents de la police intérieure, d’obéir aux ordres qui leur seraient donnés par ceux que le peuple, en sa juste défiance des entreprises du pouvoir arbitraire, a choisis pour veiller à sa sûreté, des ordres formels donnés aux agents subalternes du pouvoir exécutif pour s’opposer à l’établissement des municipalités, après en avoir solennellement refusé l’exécution, les mouve-mentsdans lestroupes de ligne, les canons braqués sur toutes les issues de la ville, toutes les caisses des deniers publics sous la garde des soldats, des amas d’armes et de munitions, des poudres entassées dans les casernes de la ville de Port-au-Prince, qui, après avoir été presque anéantie par pn tremblement de terre, a senti les plus funestes effets du plus terrible incendie, craint d’être réservée à un fléau plus horrible encore de la guerre civile : Voilà par quelle voie le gouverneur général répond aux vues bienfaisantes du monarque dont il se dit le représentant. c Le colonel du régiment de Port-au-Prince, loin de se restreindre à ses fonctions de commandant d’un corps de troupes de ligne, loin de les réserver à la défense du peuple, seul but de leur institution, protège les corporations, reçoit leur serment, excite les malintentionnés contre les bons citoyens, et surtout contre les membres de rassemblée générale, deux desquels, à son instigation, ont été calomnieusement accusés d’avoir voulu séduire ce qu’il appelle son régiment. Rien mieux que les pièces que nous vous adressons, n° 9, ne manifestera combien le procédé du gouverneur général sont attentatoires à la liberté publique... » M. ILinguet, orateur de la députation. Je n’ai pas besoin, Messieurs, de vous faire remarquer qu’il n’y a pas jusqu’à présent un seul de ces paquets dont on vous aitrendu compte. Cependant je vous prie d’observer qu’il n’y en a pas un seul qui n’ait été fidèlement expédié avec la lettre qui en était l’annonce. Le membre de la députation (continuant la lecture de la ietire) : « La partie de l’ouest et la commune de Port-au-Prince nous ont fait remettre une adre-se apportée par des commissaires, pour nous faire part de leurs jusLs alarmes sur les entreprises que les ennemis de la Constitution lui préparent. Le jour de la réception deleur adresse, l’assemblée générale a décrété la nécessité de son rapprochement avec le premier agent du pouvoir exécutif, et a renvoyé 4 commissaires vers le gouverneur général pour opérer ce rapprochement, l’engager à se rapprocher du lien de ses séances, à Saint-Marc, et en même temps pour lui notifier son décret, qui casse cette corporation qu’il autorise. La première entrevue de ces commissaires avec le gouverneur général n’annonce rien de favorable pour ce rap rochement, et nous apprenons en ce moment, par un courrier envoyé exprès, le refus formel qu’en a fait le gouverneur général. Nous vous envoyons copie n° 10. « M. le comte de Pegnier insiste toujours sur la faculté législative que s’attribua l’assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, et ne vent pas distinguer que c’est seulement sur le régime intérieur toujours conformément au décret. Vous jugerez, Messieurs, par celui de l’assemblée générale de Saint-Domingue, n° 11, combien nous devons surveiller nos intérêts, particulièrement en ce qui concerne nos subsistances, et combien peu nous devons compter sur la surveillance du gouverneur général, toujours indifférent sur nos subsistances. « Nous sentons quelles peuvent être les suites funestes de ce refus obstiué, mais nous savons aussi ce que doivent faire de vrais Français pour soutenir les droits du peuple et le succès d’une révolution qui doit opérer la sûreté, la gloire et le bonheur de tout l’empire. « Convaincus que la modération et la prudence n’excluent point le courage et la fermeié, nous suivrons votre exemple, et comptez, Messieurs, sur la constance et sur la fidélité des représentants de la partie française de Saint-Domingue. » « Signé : Les membres de l’assemblée coloniale de Saint-Domingue. » M. Darnave, au nom du comité colonial. Je demande un mot seulement, Monsieur le Président; c’est un fait. Je ne veux pas interrompre la défense des pétitionnaires; je ne demande pas même à relever les différentes erreurs de faits et de citations qui ont été déjà fréquemment commises ; mais l’orateur vient de dire que des 9 paquets qui étaient joints à cette missive,