[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juillet 1791 ] g potisme. S’il est vrai que dans l’Europe il existe un monarque assez lâche pour stipendier des factieux, pour vous entourer d’émissaires, prédicateurs de la violence, du meurtre et de la rébellion , dénoncez-le à l’univers , dénoncez-le aux Français libres. Nous irons, tenant d’une main la déclaration des droits et le décret qui promet aux nations la paix perpétuelle, de l’autre le fer vengeur dont la liberté arme ses sectateurs, dire au peuple qu’il est indigne de régir : Frères, des amis se présentent ; ils n’en veulent qu’au despote qui vous déshonore. » (Applaudissements.) Un de Jl/JW. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance de dimanche, 24 juillet, qui est adopté. M. I�egïer, maréchal de camp et inspecteur au corps du génie , est admis à la barre et prête son serment. M. Abert est admis à la barre et fait hommage à l’Assemblée du buste de l’abbé de L’Epée. M. Aieil Saint-Meaux, architecte civil et militaire , fait hommage à l’Assemblée de ses recherches sur les monuments agricoles. (L’Assemblée accepte ces divers hommages et accorde à ces 3 citoyens les honneurs de la séance.) M. Delavignc, secrétaire , fait lecture d’une adresse de 1670 citoyens de Montauban. Cette adresse est ainsi conçue : « Les citoyens de Montauban, réunis autour de l’autel de la patrie, y célébraient l’anniversaire de la liberté conquise ; leurs cœurs se livraient à la joie pure que leur inspirait le souvenir des événements mémorables qui ont arraché un grand peuple à la servitude, lorsque les murmures sourds de quelques esclaves sont venus troubler un instant la sérénité de la fête. Une déclaration de 290 députés à l’Assemblée nationale nous a été remise ( Rires à gauche) ; elle a excité parmi nous une indignation mêlée du plus profond mépris. « Quel est donc le but de cet écrit coupable ? et quel est l’espoir de ses auteurs? Prédicateurs fanatiques de la guerre civile, veulent-ils diviser les Français, qui commençaient à se réunir, entretenir la haine et l’animosité des partis que chaque jour voyait éteindre, armer d’un poignard homicide le fils contre le père ( Applaudissements à gauche) et ne faire de ce vaste Empire qu’un théâtre de désolation et d’horreurs ? Depuis 2 ans ces hommes barbares ne cessent de souffler le feu de la discorde, tantôt au nom de Dieu, tantôt au nom du roi; ennemis déclarés de l’un et de l’autre, c’est sur des monceaux de cadavres qu’ils voudraient rétablir le règne à jamais odieux des tyrans et des prêtres. Sans doute, c’est ici le dernier effort de leur rage impuissante .* ne pouvant asservir la France, ils veulent l’ébranler; et cette dernière protestation, comme celles qui l’ont précédée, ne tend qu’à faire verser le sang des citoyens. « Avec quelle adresse perfide ils feignent de s’attendrir sur le sort du monarque ! Ils le représentent captif, enchaîné, dépouillé de la prérogative, livré à la merci de ses sujets révoltés; ils versent sur ses malheurs des larmes hypocrites ( Applaudissements à gauche), les traîtres 1 et ce sont eux-mêmes qui ont creusé l’abîme où ils l’ont précipité ; c’est par l’effet de leurs conseils, de leurs complots, de leurs manœuvres, que ce prince est devenu parjure et malheureux; leur sied-il de reprocher à la nation le crime qu’ils ont commis? « Oui, sans ces perturbateurs du repos public, que des choix peu réfléchis ont placés dans l'Assemblée de nos législateurs, où ils étaient si peu dignes de paraître... » ( Applaudissements à gauche.) M. Perdrix. 11 faut relire cela demain à deux heures; ils n’y sont pas. M. Delavîgne, secrétaire , continuant la lecture : «... la France eût joui du calme et de la paix; la plus belle révolution se fût opérée sans ébranlement, les peuples seraient heureux, et Louis XVI n’eût point affaibli, par de fausses démarches, le respect que tous les citoyens se plaisaient à lui témoigner. Mais si leurs protestations ne sont dictées que par le tendre attachement qu’ils ont pour la personne du roi, pourquoi ne font-ils pas le sacrifice de tout ce qui leur est personnel? On les eût crus, peut-être, si, renonçant à l’orgueil du rang et de la naissance, rentrant noblement dans la classe des citoyens, se dépouillant de ces richesses corruptrices qui si longtemps ont souillé l’autel et scandalisé l’Eglise ( Applaudissements à gauche ), ils se fussent montrés vraiment purs et désintéressés. Mais au moment où ils affectent de pousser des cris lamentables sur la perte de la royauté, ils s’obstinent à retenir des noms, des titres, des privilèges que la nation entière leur conteste et qu’elle ne veut plus reconnaître. » Qu’il nous soit permis de le dire, si l’on jugeait cet infâme écrit avec toute la rigueur qu’il mérite, on ne balancerait pas à invoquer contre les auteurs la juste sévérité des lois. Le respect dû à l’inviolabilité des représentants delà nation est grand sans doute; mais vous avez décidé qu’il existe des délits dont l’effet est de priver un représentant de la nation de son inviolabilité; et s’il en existe, le crime des 290 députés est incontestablement de ce nombre... » M. Malonet. Ali! c’est trop fort! Je demande la parole. M. Delavigne, secrétaire, continuant la lecture : «... Leur déclaration, qu’est-elle autre chose qu’un vrai manifeste, une déclaration de guerre contre la nation, une révolte de la minorité de l’Assemblée contre la majorité, un entassement d’injures contre le souverain; enfin, un projet de résistance à la loi, qui n’attend, pour se réaliser de la manière la plus effrayante, qu’un temps et des circonstances favorables ? Et nous pourrions souffrir que nos ennemis siégeassent encore parmi les législateurs, qu’ils insultassent à la sagesse de leurs décrets, qu’ils continuassent à présenter le scandaleux exemple de la désobéissance la plus séditieuse! « Ils veulent, disent-ils, rester à leurs places ; mais ils sont résolus à se renfermer dans le si-lence le plus absolu , et ils ne voient point que cette résolution est un crime de plus ! «Depuis quand, en effet, les députés d’une grande nation peuvent-ils séparer leurs devoirs de l’intérêt de leurs commettants, et dire que leur position leur impose des devoirs qui ne sont que 6g0 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (26 juillet 1791.1 pour eux ? Comment osent-ils se vanter d'avoir marché Les premiers dans la route que l'honneur leur indiquait, et prétendre néanmoins que l'honneur ne se trouve plus pour eux dans la route commune ? L’honneur peut-il indiquer 2 routes différentes? ne consiste-t-il pas, pour tous les hommes indistinctement, à remplir les engagements qu’ils ont contractés? Représentants infidèles, qu’ont attendu de vous les Français qui vous ont honorés, trop aveuglément, il est vrai, de leur confiance? que vous travailleriez au salut de l’Etat, que vous élèveriez votre voix pour la défense des droits de l’homme, que vous soutiendriez le trône, mais que vous abattriez le despotisme ; en un mot, c’est la cause des peuples opprimés qu’on vous a chargés de plaider, et l’on a surtout entendu que vous vous oublieriez vous-mêmes, pour ne voir que l’étendue et l’importance de vos obligations. « Et vous, lâches citoyens, égoïstes dangereux, qu’avez-vous fait ? Vous n’avez rêvé que privilège, exemptions, dignités, fortune pour vous-mêmes ; opprobre, avilissement, misère et servitude pour les autres. Vous vous êtes coalisés pour appesantir le joug dont vous deviez nous délivrer, et pour mieux remplir vos détestables vues, vous avez associé à votre ligne des hommes que l’expérience de leur état passé aurait dû rendre incorruptibles; mais qui, ne sachant pas résister à l’attrait de l’or, vous ont vendu leur réputation et l'estime de leurs concitoyens. Membres désormais inutiles de l’Assemblée nationale (Vifs applaudissements à gauche), en vous vouant à cette nullité dont vous nous menacez, recevrez-vous le salaire que la nation accorde à ceux qui la servent? ( Nouveaux applaudissements.) Après nous avoir fait payer une activité malheureusement trop funeste, exigerez-vous que nous payions aussi votre inaction, et joindrez-vous aussi l’injustice à la révolte? « Nous ne suivrons pas, Messieurs, les auteurs de la déclaration dans tous les détails que présente cette production si méprisable; nous n’examinerons point tous les reproches qu’ils ont prétendu vous faire; et qui sont, pour vous, autant de titres de gloire. « Oui, vous avez dû, et la raison, le bien public, l’expérience vous imposaient ce devoir, vous avez dû retirer l’héritier du trône des mains que le parjure avait souillées ; c’est l’enfant de la nation ; et puisqu’il doit être élevé pour elle, il fallait qu’elle l’adoptât. Au lieu de ne faire du roi et de la royautéqu’une seule choseindivisible,vousavez dû distinguer avec soin le trône du prince qui y est assis, le fonctionnaire de ses fonctions, l’homme de ses devoirs. « Vous avez dû veiller à la sûreté de l’Empire ; et lorsque le monarque fugitif abandonnait les rênes du gouvernement, vous avez dû vous en saisir. En un mot, tout ce que vous avez fait, vous l’avez dû faire. « Et ce peuple qu’on a l’insolente hardiesse d’accuser aveuglément, ce peuple à qui l’on reproche de recevoir vos principes sans examen, ce peuple ne vous a jamais vus plus grands que, lorsque environnés de difficultés qui semblaient insurmontables, vous avez de toutes parts fait tête à l’orage et éloigné de nous les maux incalculables de l'anarchie et de la guerre civile. « Recevez donc, Messieurs, le tribut de reconnaissance que nous vous devons. Les bons Français se plaisent à voir en vous leurs libérateurs. Ils n’oublieront jamais que, sans votre surveillance et vos soins, la France était destinée à s’engloutir pour jamais dans le gouffre dévorant du despotisme. Fiers d'être rendus à la liberté, nous sommes résolus de la défendre au prix de tout notre sang. « Nous renouvelons en vos mains le serment redoutable que nous avons fait de vivre libres ou mourir. Que les ennemis de la Constitution s’agitent autour de nous pour nous ravir la jouissance ries droits que nous avons recouvrés; qu’ils multiplient leurs efforts pour nous faire reprendre les chaînes honteuses que nous avons brisées; qu’ils protestent contre des lois bienfaisantes que nous chérissons ; rien n’ébranlera notre constance et notre fidélité. Que peuvent de vaines clameurs contre la volontéfortement prononcée d’un peuple immense! « Poursuivez donc votre ouvrage ; que votre âme soit inaccessible à la crainte. Pleins d’autant de confiance en votre sagesse que de mépris pour vos calomniateurs, nous déclarons que leurs sophismes ne sauraient faire aucune impression sur nous et que nous adhérons à tous vos décrets sans exception. Nous sommes loin de penser que les malveillants conservent sérieusement le fol espoir de bouleverser la France, et de faire rétrograder la Révolution; mais s’ils osaient le tenter, souvenez-vous que nos bras sont armés pour vous défendre et pour vous venger. ( Vifs applaudissements.) M. ülalouet. Je demande la parole. Plusieurs membres : A l’ordre du jour! M. Chabroud. Je crois que la pièce qui vient d’être lue ne doit être suivie d’aucune discussion. Plusieurs membres : L’impression ! M. ülalouet. Je m’oppose à ce que la pièce soit imprimée. Comment peut-on... (Tumulte.) M. Rewbell. Je fais la motion que les 290 membres qui ont signé la déclaration soient déclarés coupables et envoyés à Orléans pour y être jugés. (Murmures.) M. ülalouet. C’est une dénonciation ! (Murmures.) L’Assemblée ne peut pas... (Murmures .) (L’Assemblée passe à l’ordre du jour. — Les tribunes applaudissent.) M. ülalouet. C’est l’injustice la plus horrible l (Murmures.) Ce despotisme est insoutenable. Je déclare, Monsieur le Président... (Murmures prolongés.) M. Gaultier-Riauzat. L’Assemblée a passé à l’ordre du jour. Respectez le décret. M. ülalouet. Si nous sommes coupables, eh bien I faites-nous notre procès. Plusieurs membres : A l’ordre du jour ! M. ülalouet se retire. (Applaudissements dans les tribunes.) (Revenant dans la salle) Est-ce que nous venons ici pour être insubés? C’est abominable ! C’est une infamie ! (Il fait quelques pas vers la porte de la salle: les tribunes recommencent à applaudir. Il rentre en les fixant, elles se taisent. Il sort, elles applaudissent encore.) M. Rewbell. Je fais la motion, Monsieur le Président, que vous mettiez les tribunes à l’ordre.