564 |Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 janvier 17 i dans celui de votre présente séance, et de charger M. votre président d’écrire au jeune Boude-villain, pour )ui témoigner que l’Assemblée nationale honore son action généreuse de ses justes éloges et qu’elle l’invite à continuer de servir l’humanité avec le même courage. Votre justice lui doit cette glorieuse récompense, qui est la seule qu’il doive ambitionner. En comblant le vœu le plus cher au cœur d’un citoyen français, vous exciterez les compagnons du jeune héros de Saint-Valéry à imiter son exemple et à mériter l’honneur de la même récompense. Je demande donc, Messieurs, qu’il plaise à l’Assemblée nationale de me permettre de déposer sur le bureau de ses secrétaires le procès-verbal de la municipalité de Saint-Valéry en Caux, d’en ordonner l’insertion dans celui de sa séance et de charger son président d’écrire à Jean Boudevillain, maître de bateau en ladite ville, que l’Assemblée nationale, pénétrée d’admiration pour son action généreuse, l’honore de ses justes éloges, et qu’elle l’invite à continuer de servir l’humanité avec le même courage. (Ces conclusions sont adoptées.) M. le Président. Une députation de la garde nationale de Paris, du bataillon de la section de Montmartre, demande à présenter à l’Assemblée le buste du brave et généreux Desiiles et à entrer dans l’Assemblée avec l’appareil militaire. L’Assemblée y consent-elle ? Voix nombreuses ; Oui ! oui I (La députation est introduite : la marche est ouverte par quatre sapeurs, la musique les suit en exécutant une marche militaire. Des grenadiers viennent, ensuite et précèdent le buste de Desiiles porté par des militaires de la troupe du centre sur un faisceau de lances, surmonté d’un bouclier et orné de trophées militaires; le buste est décoré de la croix de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis que le roi a envoyé à Desiiles, aussitôt qu’il a été instruit de son généreux dévouement.) Les membres de l'Assemblée se lèvent et applaudissent. (Le cortège arrive au milieu de la salle, s’arrête en face de M. le président; la musique exécute l’air : Un soldat par un coup funeste...-, de vifs applaudissements se font entendre.) M. de 4*ouy d’Arsy prend la parole et s’exprime ainsi : « Messieurs, le brave Desiiles avait versé son sang pour épargner celui de ses concitoyens; et un habitant de Saint-Domingue, son hôte, son ami, arrosait chaque jour des larmes du patriotisme et de l’amitié ses blessures honorables. « Il le voit descendre d'un œil serein dans le tombeau qui le rend immortel, et sa douleur lui inspire aussitôt le désir de perpétuer son intéressante image. D’un amateur elle fit un artiste, et la main qui avait soigné les plaies du héros, moula avec fidélité cette tête, ce buste qu’une grande âme venait à peine d’abandonner. « C’est donc à un créole citoyen qu’est dû, Messieurs, le modèle qui multipliera et qui transmettra d’âge en âge les traits de celui auquel, dans le moment u’un grand deuil, vous avez solennellement décerné, au nom de la patrie, la première couronne civique. « Ce buste, inviolable dépôt dont le département de la Meurthe reconnaît l’authenticité; ce buste unique, dont la ressemblance est attestée par les larmes que le père de Desiiles répand à sa vue, M. Mulnier, partant pour Saint-Domingue, n’a voulu le confier qu’à cet artiste célèbre, par la main duquel le pinceau de l’histoire a déjà consacré le généreux et sublime courage du même héros, et la lâcheté de ses assassins. « Ce tableau, dont l’Assemblée nationale a, le 23 décembre dernier, agréé i’offrande, a été couvert d’applaudissements qui honoreront à jamais le civisme et le talent de M. Le Barbier, son auteur. « Ces deux citoyens patriotes m’ont pressé, l’un de vive voix, l’autre par écrit, de présenter aux pères de la patrie l’image d’un héros qui s’est dévoué pour elle. « Je comptais remplir seul cette mission honorable: mais le bataillon citoyen dans l’arrondissement duquel le buste révéré avait été déposé, a déclaré qu’il regardait ce trésor comme une propriété nationale, dont il était responsable aux représentants de la nation. « Ces valeureux admirateurs d’une action magnanime, ont témoigné le vif désir de rendre à la représentation de leur frère d’armes, tous les honneurs que son héroïsme méritait. Interprètes des sentiments de toute l'armée parisienne, les membres du bataillon du faubourg Montmartre ont obtenu, sans peine, du commandant général, la permission d’accompagner la statue de Desiiles au temple de mémoire, comme ils auraient suivi sa personne dans les combats. « Ils se plaisent à l’honorer dans la capitale, comme ils se seraient piqués de l’imiter à Nancy. « 6Ü0 hommes ont pris les armes pour rendre plus éclatante cette cérémonie funèbre. C’était à qui soutiendrait le buste du jeune héros ; tous se pressaient autour de lui ; plusieurs citoyens soldats ont appuyé, et pour ainsi dire aimanté leur sabre sur cette terre durcie que le marbre imitera bientôt sans doute, et qui nous offre des traits si chers. « Jusqu’ici, cette espèce de culte, cette apothéose si désirée par la reconnaissance et l’admiration, avaient été réservées pour une autre classe de héros : c’était aux effigies consacrées par la fureur des conquêtes que se décernait cette pompe, que s’adressaient ces acclamations. 11 serait digne de l’humanité, de la liberté, d’y associer enfin les martyrs du patriotisme, de faire aujourd’hui de ces cérémonies rémunératrices le prix des sacritices civiques, dont les monuments viendront ici vivifier ce temple de la Constitution. Une suite d’images, comme celle qui reçoit aujourd’hui le tribut de vos larmes et de no*s respects, en seraient les gardiens les plus dignes ; et s’il était possible que cette Constitution régénératrice trouvât des ennemis, l’espoir d’occuper une place au nombre des demi-dieux, dont vous auriez ici canonisé le premier, suffirait pour lui donner des imitateurs. « Je n’insisterai point sur cette observation, si Desiiles existait encore. L’expérience a prouvé que les éloges n’étaient pas sans danger, même pour les grands hommes, pendant leur vie. Mais il n’est plus : il a péri, non seulement en héros, mais encore en citoyen et en patriote. Il ne reste à sa famille qui le regrette, à son père qui le pleure, à la France qui l’admire, il ne reste de lui que ce buste muet que nous vous offrons. « Eh bien, Messieurs 1 de cette terre inanimée il ne tient qu’à vous de créer des héros : c’est [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 129 janvier 1791.1 aux législateurs de l’Empire à féconder le germe qu’elle renferme dans son sein, et que vos soins seuls peuvent faire éclore. « Si la couronne civique, la plus honorable de toutes, ornait par vos ordres le front de la victime immolée au patriotisme, je ne doute pas que cet honneur suprême n’enflammât les cœurs des 500,000 Français que vos décrets appellent à la défense ou à la sûreté de nos frontières ; je ne doute pas qu’il ne devînt un bouclier inexpugnable contre les ennemis qui oseraient troubler nos utiles travaux, et qu’une récompense aussi magnifique ne fût le rempart le plus sûr contre les adversaires présents et futurs de la Constitution. « La nature fit un héros : le voilà. « Une couronne décernée par l’Assemblée nationale elle-même, à la vue de ces généreux patriotes, en produira 100,000. « La copie de ce modèle passera les mers; attendue, désirée à Saint-Domingue, elle y propagera un acte de civisme qui trouvera des émules dans les cœurs créoles, et le buste d’un héros obtiendra sans peine le culte des deux mondes. « Je demande donc, Messieurs, que l’Assemblée nationale, en agréant l’hommage que j’ai l’honneur de lui offrir au nom de MM. Mulnier, Le Barbier, et du bataillon du faubourg Montmartre, décrète : « Que le buste de M. Desilles, avec les pièces qui en constatent l’authenticité, soit déposé aux archives pour y être conservé, et que l’artiste soit autorisé à y joindre une couronne civique. » M. le Président répond par le discours suivant : « Le héros dont vous nous présentez l’image, réveille, dans Pâme de tous les patriotes, des sentiments d’admiration et de douleur. Son deuil, fut celui de la France entière qui s’empressa de lui donner des pleurs et d’essuyer ceux des auteurs de ses jours. Il est tombé, avec ses généreux compagnons, sous les murs de ma patrie (1), de cette cité où naguère les cyprès ont été plantés à côté des palmes civiques. « La Discorde, agitant son flambeau, voulait armer les citoyens contre les citoyens, étouffer la liberté dans son berceau, et ramener sous un joug avilissant une nation qui venait de briser ses fers ; mais entreprendre d’asservir un peuple fie: et magnanime, c’est assurer son triomphe. Non : les tyrans foudroyés ne souilleront plus cette terre, et nos ennemis ne recueilleront que la honte et le désespoir de leurs coupables tentatives. « L’Assemblée nationale applaudit aux talents du jeune artiste qui, des bords américains, des contrées du nouveau monde, transplanté parmi nous, fut le compagnon du héros dont il a retracé l’image ..... La France aussi est un nouveau monde : elle penchait vers sa ruine, et ses brillantes destinées allaient s’éteindre dans la servitude, quand tout à coup l’Empire dépérissant se relève du milieu des décombres, reparaît sur la scène du monde pour occuper le premier rang dans les fastes de l’univers, et préparer la révolution générale qui doit rajeunir le globe, opérer sa résurrection politique, et améliorer le sort de l’espèce humaine. « C’est avec un sentiment religieuxqueles vrais citoyens iront arroser sa cendre de leurs larmes; c’est là que mes co-députés et moi nous porterons nos premiers pas, en retournant vers les 56 o lieux qui nous ont vu naître. De ce monument s’élèvera toujours une voix qui retentira dans le cœur de tous les amis de la liberté. « L’histoire, qui s’empare des événements célèbres pour les raconter aux hommes de l’avenir, recueillera précieusement les faits glorieux de ce nouveau d’Assas, pour les redire à ceux qui dorment encore dans le néant, et qui n’arriveront à l’existence que quand nous dormirons dans la poussière. Il nous a légué un précieux héritage: son exemple, exemple fécond, qui enfantera de nouveaux héros. Adopté par la nation, il est désormais l’ami, le parent de tous ceux qui sont décidés à sacrifier leur vie pour défendre la Constitution ; et les braves militaires qui entourent ce buste, acquittent en ce moment un devoir de famille. « Tant que la liberté, le patriotisme et la valeur auront un prix, Desilles, à jamais cher aux Français, vivra dans leur souvenir, et trouvera parmi eux des admirateurs et des imitateurs. » (. Applaudissements prolongés.) (La musique exécute l’air : Ah ! ça ira.) (L’Assemblée vote à l’unanimité une couronne civique à Desilles et décrète que son buste sera déposé aux archives.) (Le buste est déposé sur le bureau des secrétaires et M. Le Barbier lui place sur la tête la couronne civique; la musique exécute l’air : Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille?) Un membre demande l’impression et l’insertion au procès-verbal du discours de M. de Gouy d’Arsy et de la réponse de M. le président. (Cette motion est adoptée). M. Camus. Je demande que le sieur Le Barbier, peintre de l’Académie, qui, dès le 23 décembre dernier, a présenté à l’Assemblée l’esquisse d’un tableau représentant le trait héroïque de M. Desilles, dessiné par lui-même sur les lieux, soit invité par l’Assemblée d’exécuter ce tableau en grand, aux frais de la nation, pour faire le pendant de celui que fait M. David, pour représenter le serment du Jeu de Paume. (Cette motion est décrétée.) (La députation se retire dans le même ordre que celui dans lequel elle était entrée.) M. le Président. Le résultat du scrutin pour l'élection du président et de trois secrétaires de l'Assemblée est le suivant : M. Riquetti de Mirabeau l’aîné, ayant obtenu une très grande majorité des suffrages, est élu président. ( Applaudissements .) MM. l’abbé Marol le, Boussion et Livré, ayant obtenu la pluralité des voix, sont élus secrétaires, en remplacement de MM. Leleu de La Ville-aux-Bois, Oudot et La Metherie. ( Applaudissements .) L’ordre du jour est un projet de décret du comité de Constitution relatif à l’installation des tribunaux de Paris. M. Ce Chapelier, rapporteur. Messieurs, vous vous rappelez qu’un de mes collègues du comité de Constitution vous proposa dernièrement un décret relatif à l’installation des tribunaux de Paris ; vous adoptâtes le premier article et vous ajournâtes les autres (1). (1) M. l’abbé Grégoire, président, est né en Lorraine. (1) Voy. ci-dessus, séance du 23 janvier 1791.