[3 mai 1790.] [Assemblée nationale.] Quant à l’intérêt des juges, les déclarer inamovibles, ce serait travailler uniquement pour l’intérêt des mauvais juges ; déterminer la durée de leurs fonctions et autoriser les réélections, c’est s’occuper de l’intérêt des bons juges: la confiance publique conservera ceux qui se seront montrés dignes de cette confiance; la réélection donnera aux bons juges la faculté d’entrer dans les assemblées administratives, si des intrigues et des cabales les avaient fait descendre du tribunal. Le dernier effet de cette amovibilité serait défaire rentrer des magistrats estimables dans l’ordre des avocats, dont la plupart seront nécessairement tirés, et c’est une vue très saine que celui qui, après avoir éclairé la justice, est devenu juge, ne se croie pas dégradé en rentrant dans l’état d’où il est sorti. D’autres intérêts plus pressants et plus sensibles vous demandent que les juges soient temporaires : le pouvoir de substituer la jurisprudence du tribunal à la jurisprudence nationale serait vraiment dangereux; des juges qui seraient toujours juges, les mêmes juges qui jugeraient toujours ensemble, et ne seraient remplacés que d’une manière lente et successive, auraient au plus haut degré ce pouvoir. Ils pourront mettre un code extra-législatif à côté du code des législateurs. Ils auraient donc une très grande autorité politique. Ce n’est pas tout : vous avez institué des corps administratifs dont les membres n’exerceront que pendant trois ans; si, auprès de ces administrations, vous placez des corps inamovibles, vous romprez l’équilibre de l’ordre politique... Je conclus à ce que les juges soient amovibles, et à ce que les élections pour les tribunaux se fassent en même temps que celles des assemblées administratives. (On demande à aller aux voix. — La discussion est fermée.) M. îe Président met la proposition aux voix. Elle est adoptée ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale décrète que les juges seront élus pour un temps déterminé. » M. le Président, sur la demande de plusieurs membres, propose alors de mettre d’abord en discussion la question de savoir pour combien d’années les juges seront élus. M. Rewbell demande qu’avant tout on décide si les juges pourront être réélus à chaque élection, ou s’ils seront obligés de vaquer pendant un temps. Cette question est mise à la discussion; après quoi elle est posée en ces termes ; « Les juges pourront-ils être réélus sans intervalle ? » M. Garai, l'aîné. Le décret que vous avez rendu vous donnera des juges sans fermeté et sans courage. Si vous décidez la possibilité des réélections, vous aurez des juges accessibles à l’intérêt personnel; ils chercheront à se concilier les hommes qui pourront avoir de l’influence dans les élections; ces hommes ne perdront jamais leurs procès : cet inconvénient, qui me paraît très alarmant, ne serait pas à craindre si, à l’expiration du terme de ses fonctions, le magistrat rentrait dans la société. Vous avez déjà décrété, pour les assemblées administratives, que la réélection était impossible. M. Barnave. Sans doute, l’influence des juges pour les grands serait très dangereuse, mais dans un sens différent. Au moment où le juge rentrera 371 dans la société, il sera exposé à la vengeance de ceux contre lesquels il aura fait parler la loi; en le réélisant on pourra le soustraire à cette oppression; on assurera la liberté du citoyen et l’impartialité du juge. Vous avez interdit les réélections pour les assemblées administratives, et vous avez dû le faire, car il était dangereux de confier longtemps à un citoyen le maniement de la fortune publique. L’hypocrisie peut, au premier choix, se concilier des suffrages; l’honneur du second choix ne tombera jamais que sur des citoyens vraiment dignes de confiance. Si les magistrats ne peuvent être réélus, vous n’aurez ni liberté publique, ni juges éclairés, ni même des juges pour la première élection . M. le comte de Vlrteu. J’avoue que j’ai vu avec étonnement un ami aussi connu de la liberté parler d’une manière aussi peu différente des gens puissants; j’avoue que je ne sais pas ce qu’on appelle homme puissant dans un gouvernement libre; je ne puis entendre que celui qui influe le plus sur l’opinion publique, que l’homme dont le suffrage est pour ainsi dire une loi, parce qu’il a gagné la confiance publique; tel est l’homme dont M. Garat a présenté le tableau. (On ferme la discussion.) Après quelques débats sur la manière de poser la question, on délibère : « L’Assemblée nationale décrète que les juges peuvent être réélus sans intervalle. » (La séance est levée à trois heures.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M-L’ABBÉ GOUTTES. Séance du lundi 3 mai 1790, au soir (1). La séance est ouverte à six heures précises. Un de MM. les secrétaires fait lecture des adresses suivantes : Adresses des nouvelles municipalités des communautés de la Noailles, renfermant un bourg et vingt-quatre villages ; de Prigny-en-Retz ; de la ville du Palais à Belle-Isle-en-Mer ; De la ville de Mareuil et de la communauté de la Neuville, Sire-Bernard, district de Mondidier ; elles font le don patriotique du produit des impositions sur les ci-devant privilégiés ; Des communautés d’Onge, de la Colle, de Phil londen, de Longe-Combe en Bugey, de Saint-Vincent-Sous-Sonpech, département de Lot-et-Garonne; de Saint-Sulpice en Bazadais; de La-meyze, département de la Haute-Vienne, district de Saint-Yrieux; et du bourg d’Oisemont. Toutes ces nouvelles municipalités, comme toutes celles qui les ont précédées, après avoir prêté, de concert avec les habitants, le serment civique, présentent à l’Assemblée nationale le tribut de leur admiralion et de leur dévouement. Adresses des communautésdeChandon, district de Roanne, et de l’Enclave-de-ia-Pallu, près de Cognac ; elles font le don patriotique du produit des impositions sur les ci-dèvant privilégiés. La communauté de l’Enclave sollicite de l’Assemblée un ARCHIVES PARLEMENTAIRES, (1) Cette séance est incomplète au Moniteur .