{04 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 août 1791. j dèrent pas à cumuler sur leurs tètes la plénitude de tous les pouvoirs. Rome se vit bientôt soumise à une tyrannie plus cruelle que celle de Tarquin. Des citoyens courageux, indignés de la puissance que ces magistrats avaient usurpée, osèrent censurer leur conduite, se plaindre de leurs injustices, dénoncer au peuple les vexations arbitraires qu’ils exerçaient, et les lois injustes qu’ils avaient proclamées. « Les décemvirs, dit Montesquieu, craignaient les écrits qui pouvaient rappeler l’idée de la liberté qu’ils profanaient. Sous le spécieux prétexte du respect pour la loi, ils voulurent étouffer la voix de ceux qui blâmaient hautement leurs entreprises et leur conduite ; ils prononcèrent une peine capitale contre quiconque se permettait d’écrire ou de parler contre eux. Cet excès d’audace leur servit utilement pour tendre des pièges à l’innocence et pour ouvrir des abîmes sous les pas de leurs concitoyens. » Que vous propose-t-on aujourd’hui? D’adopter une mesure plus atroce encore que celle des décemvirs. Par un abus coupable d’un pouvoir usurpé, ils n’avaient étendu leur autorité despotique que sur de simples citoyens qui ne pouvaient supporter le joug de la tyrannie. On vous propose de déployer la rigueur de la loi contre ceux-mêmes qui en sont les organes, contre ceux qui partagent avec vous la puissance législative; on vous propose d’imposer silence à ceux que la nation vous a donnés pour censeurs, qui, comme vous, dépositaires de sa confiance, lui doivent on compte rigoureux de tout le bien qu’ils n’ont pas fait, et de tout le mal qu’ils n’ont pû empêcher. À quoi se réduiraient donc nos fonctions de députés, si la majorité de l’Assemblée, après nous avoir empêché de parler, en fermant la discussion, pouvait encore s’arroger le droit de no 'S emi êcher d’écrire, en nous interdisant toute réclamation, toute protestation ? Que deviendrait la liberté publique, si, au milieu des convulsions qui nous agitent, nous ne pouvions pas même avertir nos eonoiloyens de la précipitation, de l’artifice ou de l’inconséquence qui auraient présidé à la formation d’une mauvaise toi, et leur faire connaître les dangers auxquels elle pourrait exposer le salut et la tranquillité de l’Empire? D'après cela, que penser de ces adresses insensées, de ces délibérations scandaleuses, dans lesquelles des citoyens téméraires ou des municipalités entreprenantes osent citer à leur tribunal les membres de la minorité, se rendre les arbitres suprêmes de leurs opinions, les dénoncer au peuple comme coupables de perfidie ou de trahison, et prononcer contre eux le blâme ou l’infamie? Une audace pareille ne peut être comparée qu’au scandale des applaudissements qu’elle excite. 11 est temps de mettre un terme à des attentats qui dégradent la dignité du ministère que vous exercez, et la majesté de la nation dont vous êtes les organes ; il est temps d'apprendre au peuple que ceux dont la vie a été sans tache et la conduite sans reproche, qui ne craignent ni les regards, ni la censure au public, ne sont point les ennemis de son bonheur; que 1< premier devoir de ses représentants est de l’éclairer sur ses véritables intérêts; que ce n'e* t que par le développement des principes, par le choc des opinions qu’il pourra distinguer la vérité d’avec l’imposture, le crime d’avec la vertu, la bassesse qui flatte ses passions, d’avec le noble courage qui combat ses erreurs. Il est temps enfin de lui faire connaître que l’instant où on cessera de lui parler avec franchise sera le terme fatal de sa liberté. Quant à moi je déclare que dévoué sans réserve à ma patrie, fidèle à mon roi, attaché à la religion de mes ; ères, aucune force humaine ne pourra briser les liens qui m’attachent à eux; que soumis, comme citoyen, aux lois de mon pays, je ne reconnais, comme député, au une puissance qui soit en droit d’étouffer ma voix, et de subjuguer n on opinion ; je déclare que je protesterai, que je m’élèverai constamment contre tout ce qui me paraîtra porter atteinte aux droits imprescriptibles de la nation, à l’autorité légitime du roi, à la stabilité de la monarchie et à la pureté des principes religieux, que j’ai été chargé de maintenir; je déclare enfin que toute loi qui tendrait à gêner la manifestation de mes opinions, à attaquer l’intégrité et l’indépendance des pouvoirs qui m’ont été confiés, serait, à mes yeux, un attentat contre l’autorité de mes commettants, auxquels je dois compte de ma conduite, et contre la liberté de la nation, qui a seule le droit de me juger. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. ALEXANDRE DE BEAUHARNA1S. Séance du mardi 2 août 1791, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. le Président. M. Paren, homme de loi, et l'un des vainqueurs de la Bastille , fait hommage à l’Assemblée d’une pièce de sa composition intitulée la Prise de la Bastille. L’Assemblée agrée cet hommage et ordonne qu’il en sera fait mention dans le procès-verbal. M. le Président. M. de Clermont-Tonnerre demande à l’Assemblée la permission do1 s’absenter pendant 4 jours pour se rendre à Meaux. (Ce congé est accordé.) M. le Président fait lecture d’une lettre de M. Aboville, qui observe que s’étant présenté avec M. de Rochambeau pour prêter le serment civique, son nom a été oublié dans le procès-verbal : il réitère et signe le serment prescrit avec demande qu’il en soit fait mention au procès-verbal. (L’Assemblée accueille la demande de M. Aboville.) M. le Président fait donner lecture, par un de MM. les secrétaires, d’un mémoire de M. Tur-lure-Dellecourt, ' commissaire ordonnateur des guerres , qui expose qu’inculpé d’avoir connu le projet de M. de Bouillé, il est dans le cas de prouver son innocence de la manière la plus satisfaisante. Ce mémoire est ainsi conçu : « Metz, le 21 juillet 1791. « Monsieur le Président. « Le commissaire ordonnateur des guerres (1) Celle séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 août 1791. J soussigné, a l’honneur de représenter que M. le rapporteur, en constatant que M. de Bouilié a reçu les ordres du roi à Stenay le 22 juin, et a confié son secret le 21 à ceux qui devaient le seconder, a démontré que le suppliant n’a pas vu M. de Ëouillé, et n’en a reçu aucun ordre depuis le 19. 11 était les 20 et 21 à Thionville, distant de Stenay de 20 lieues, ainsi qu’il est prouvé par les dispositions qui le concernent, n’a eu, ni pu avoir aucune connaissance du projet. « On lui impute d’avoir fait plusieurs voyages à Montmédy. Il y est arrivé pour la première fois le 18 juin, et le 19 M. de Bouilié ne l’y a pas retenu, preuve qu’il ne voulait ni lui confier son projet, ni même donner lieu à quelque conjecture. « Revenu le 22 à Montmédy, il est reparti en apprenant la marche de M.de Bouilié vers Varennes. « M. deBouillé avait voulu emmener avec lui M. La Salle, ordonnateur, qui n’a pu l'accompagner étant retenu à Metz par des détails urgents, et par l’envoi successif des effets de campement. « M. Moreau, chargé de Montmédy, était absent par congé. M. Duchesne de Ruviile, qui le suppléait, était rappelé de Longwi à Sedan et Bouillon. M. d’Hervilie, ordonnateur à Mézières, était trop éloigné pour être rendu sur-le-champ près de M. de Bouilié. « C’est donc faute de quatre autres commissaires, et non par l’effet d’une confiance particulière, que ce général a fait venir le suppliant. On lui impute d’avoir rempli des fonctions hors de son département. C’est une nécessité réciproque et presque continuelle de MM. La Salle, d’Herville (tle suppliant, et pour les commissaires aux ordres de ces 3 ordonnateurs, attendu la situation de leurs départements, le défaut de remplacement de deux commissaires qui y manquent depuis longtemps, et l’absence, maladie, on empêchement de plusieurs antres. Le suppliant est même chargé, hors desdits 3 départements, des équipages des vivres à Sampigny, près Commercy, où il a fait construire 1,200 caissons, des hangars et accessoires. « Il arrête en conséquence tous les mois deux états, l’un de dépenses, l’autrede situation, qui sont mis par le ministre de la guerre sous les yeux de l’Assemblée nationale. « O.i lui impute d’avoir fait des préparatifs pour un camp dont le projet était publié et paraissait approuvé. « Ses fonctions se sont bornées à la reconnaissance des établissements et approvisionnements de Montmédy, première opération de tout commissaire qui arrive dans une place de guerre, et et a l’ordre verbal de loger ou emmagasiner ce qui arrive. Les préparatifs ultérieurs ont été ordonnés et exécutés pendant son absence et à son insu. « Sa conduite dans les fonctions d’électeur et de président du district de Thionville, et l’acquisition d’un bien national de 17,000 livres, le mettent à l’abri de tout soupçon d’incivisme. . « Il supplie humblement l’Assemblée nationale de lui accorder une décision définitive sur son sort, et l’enceinte de Metz pour séjour d’arrestation. » « Signé : TüRLURE-DeLLECOURT. » « Commissaire ordonnateur des guerres. » (L’Assemblée ordonne le renvoi de ce mémoire aux comités des recherches et des rapports réunis.) M. le Président. En conséquence du décret 105 rendu hier par l’Assemblée et ordonnant l 'adjonction de 16 nouveaux membres au comité des monnaies , j’ai nommé MM. Millet de Mureau, Prieur, Rabaud-Saint-Etienne, Poulain de Bou-lancourt, Dnsers et Gaultier-Biauzat. J’ai également nommé membre do ce comité M. Rewbell, en remplacement de M. Poignot, décédé. M. Lecmiteulx de Canteleu. Messieurs, je suis chargé de vous donner connaissance d’un arrêté du département de la Seine-Inférieure , qui marque que l’article 4 du décret qui vient d’être rendu, relativement aux troubles du ci-devant pays de Caux, a porté le directoire du déparie-meot à rendre compte à l’Assemblée nationale des mesures qu’il a prises pour la résidence des fonctionnaires publics ecclésiastiques qui n’ont point prêté le serment pour être, par elle, statué ce qu’il appartiendra. Voici cet arrêté : « En conformité du décret du 23 juillet, nous, administrateurs composant le directoire du département de la Seine-Inférieure, pour l’exécution de l’article 4 du décret de l’Assemblée nationale dudit jour, le 29 de ce mois, le procureur général syndic entendu, avons arrêté ce qui suit : « 1° Tous les ci-devant fonctionnaires publics ecclésiastiques, séculiers et réguliers qui, n’ayant point prêté le serment prescrit par la lot du 26 décembre dernier, et qui, se trouvant dans ce moment remplaces, ont continué, depuis le remplacement, d’habiter les paroisse� dans lesquelles ils exerçaient précédemment leurs fonctions, seront tenus, dans le délai de huitaine, du jour de la signification du présent arrêté, de se retirer à la distance de 10 lieues au moins de leurs anciennes paroisses. « 2° Aucun desdits ecclésiastiques ne pourra choisir, pour lieu de retraite, même dans la distan ce ci-dt ssus déterminée, les paroisses dans lesquelles seseraientdéjà retirés 2 ecclésiastiques ci-devant fonctionnaires publics dans lescampagnes, et 6 dans les villes. 3° Les religieux qui ont renoncé à la vie commune et qui n’ont pas prêté le serment seront pareillement tenus, et dans le délai ci-dessu� prescrit, de se retirer à la distance de 10 lieues au moins de leur ancienne habitation conventuelle. Sera aussi exécuté à leur égard l’article 2 ci-dessus. Enjoignons itérativement aux religieux qui ont préféré la vie commune, de se retirer chacun, suivant la qualité religieuse de mendiaots ou non mendiants, dans les maisons qui leur ont été respectivement indiquées. « 4° Seront tenus lesdits ecclésiastiquss religieux de faire au secrétariat de leur district la déclaration du lieu où ils se proposent de fixer leur domicile, et dans le cas où ils se retireraient dans un autre district, ils seraient encore tenus de faire leur déclaration au secrétariat de celui dans le territoire duquel ils établiraient leur nouveau domicile. « 5° La distance de 10 lieues, portée dans l’article premier pourra, sur les attestations on observations des conseils généraux des communes, et sur l’avis du directoire de district, être changée par le directoire du département, en faveur des ci-devant fonctionnaires publics, et des ci-devant religieux qui déclareraient se retirer et s; retireraient en effet dans le sein de leur faon le, ou dans le lieu de leur naissance. « 6° Les conseils généraux des communes qui