156 . [Convention nationale. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES j 2 nivôse an H I 22 décembre 1793 Suit la lettre du ministre de la justice (1). « Paris, 2 nivôse, l’an II de la Répu¬ blique française, une et indivi¬ sible. « Citoyen Président, « Je ne puis me dispenser de t’adresser un mémoire qui m’a été présenté par le gendre de Gaudon,. marchand de vins en gros, accusé d’accaparement et condamné à mort par le tribunal criminel du département de Paris, comme étant contrevenu à la loi du 26 juillet dernier contre les accaparements. « Cette loi, citoyen Président, exige une décla¬ ration des marchandises réputées de première nécessité et une affiche à la porte, de la quantité et de la qualité de ces marchandises ; Gaudon a fait, dans le temps prescrit, sa déclaration qui a été trouvée exacte; son fils (car Gaudon était alors absent), a mis une affiche portant : magasin de vins en gros. Mais on n’a exprimé dans cette affiche ni la quantité, ni la qualité des vins déclarés. « Le condamné observe que cette omission ne provient pas de son fait, mais de l’inexpé¬ rience de son fils qui ignorait toute l’étendue des obligations imposées par la loi. « La déclaration du juré porte : « qu’il a été « tenu en dépôt des vins et eaux-de-vie déclarés « marchandises de première nécessité par « l’article 4 de la loi du 26 juillet contre les « accapareurs; que Pierre Gaudon, marchand, « est convaincu d’avoir ainsi] tenu en dépôt « ces marchandises de première nécessité; qu’il « les a ainsi tenues en dépôt dans des maga-« sins ouverts aux acheteurs, sans avoir mis « à Vextérieur de ses magasins une inscription « qui annonce la nature et la quantité de ces « marchandises. » « Le tribunal criminel, citoyen Président, a pensé qu’il n’y avait pas lieu de présenter la question intentionnelle quand il s’agissait d’une loi où, par le seul fait de l’omission des forma¬ lités prescrites, l’on était réputé accapareur, et il a cru qii’une seule de ces formalités omises emportait la peine de mort. « La Convention mat ion ale seule, citoyen Président, peut concilier le juste intérêt que doit inspirer en faveur du condamné, et la cir¬ constance de son absence, et sa bonne foi que fait présumer une déclaration exacte, avec la nécessité de maintenir l’exécution d’une loi aussi importante pour le salut public. « Le ministre de la justice, « Gohier. ,» Précis pour le citoyen Pierre Gaudon, marchand de vins en gros, accusé d’accaparement (2). Pierre Gaudon fait un commerce assez con¬ sidérable de vins avec différents départements -de la République, autres que celui de Paris, a cru salutaire à ses opérations l’établissement particulier d’un entrepôt qu’il a formé, il y a environ dix-huit mois, rue Saint-Paul, n° 35, section de l’Arsenal. (1) Archives nationales, carton Dm 263. (2) Archives nationales, carton Dm 263. Rien n’altéra la pureté ni la tranquillité de son commerce jusqu’au mois d’août dernier, époque à laquelle la loi salutaire du 26 juillet précédent l’assujettit à des formalités d’autant moins pénibles pour lui qu’elles ne changeaient en rien ni la nature du commerce ni la pureté de ses spéculations. L’article 5 de cette loi voulant qu’il fît à sa section sa déclaration exacte des marchandises qui existaient dans ses magasins de Paris, et tout absent qu’il était alors et courant les cam¬ pagnes, suivant son usage, il fut assez heureux pour être instruit des dispositions de la loi assez tôt pour s’y soumettre en entier, au moyen de l’ordre par écrit qu’il envoya à un de ses enfants en y ajoutant même une précaution à laquelle il n’était pas astreint, celle de faire ins¬ crire sur sa porte et en assez gros caractères, ces mots : Gaudon, marchand de vins en gros, Le même article 5 voulant que, d’après cette déclaration, la section fît vérifier l’existence, la nature et la quantité des objets déclarés, fidèle à son mandat, la section de l’Arsenal envoya ses commissaires le 19 août dernier, les¬ quels, en rendant hommage à l’exactitude de la déclaration, trouvèrent, par un excès de zèle, sans doute, que Gaudon n’avait pas rempli en entier le vœu de la loi en ce qu’il n’avait pas apposé sur sa porte une affiche indicative des quantité et qualité de vin qu’il avait déclarées, ils s’appuyèrent à cet égard de l’article 10 de la loi du 26 juillet et il fut ordonné que Gaudon serait constitué prisonnier, ce qui fut à l’instant exécuté. Telle est la nature du procès sur laquelle le juré de jugement va prononcer. Gaudon a-t-il, par l’exactitude de sa déclara¬ tion, exécuté tout ce que la loi lui ordonnait? lre question. En supposant, contre toute vérité, la négative de cette proposition, Gaudon aurait-il commis cette erreur sciemment et dans l'intention de nuire f 2e question. Nous allons examiner en peu de mots ces deux questions qui vont également se résoudre en sa faveur. lre question. Les livres et journaux du citoyen Gaudon attestent qu’il n’a jamais fait le moindre com¬ merce de vin ni d’eau-de-vie pour la consom¬ mation des citoyens de Paris, et que, notam¬ ment, il y a plus d’un an qu’il n’en a vendu une seule pièce à qui que ce soit de cette ville, tan¬ dis qu’ils constatent, au contraire, qu’il n’a dis¬ continué d’en faire des envois dans les départe¬ ments étrangers et notamment dans ceux du nord. D’où suit la conséquence nécessaire qu’il n’avait à Paris que des entrepôts qui, aux termes de l’article 5 de la loi citée, ne l’assujettissaient qu’â une déclaration exacte, et sa section à une vérification scrupuleuse. Or, l’une et l’autre ont été faites avec une franchise qui ne laisse rien à désirer, donc sous ce premier rapport, Gaudon aurait dû être à l’abri d’être inquiété, donc ce [Convention nationale. 1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j *57 jugement qu’il attend avec sécurité ne peut que le rendre à la société et à son commerce aux¬ quels il n’aurait jamais dû être soustrait. En vain, la fausse application de l’article 5 de la même loi et l’obéissance pleine et entière que lui a portée le citoyen Gaudon, comme cet article 10 est totalement étranger à la position de ce dernier, il prie seulement les jurés et le tribunal de confronter ces deux articles entre eux et de s’assurer d’avance que le premier seul détermine la condition de Gaudon ; que Gaudon l’a observé strictement et complètement, que Gaudon, enfin, est parfaitement au pas et que nulle puissance n’aurait dû l’inquiéter. 2e question. Mais supposons, pour un moment, et contre toute vraisemblance, que le citoyen Gaudon ait péché contre le vœu de l’article 10 qui ne peut évidemment peser sur lui, et examinons s’il est possible de supposer qu’il ait commis la réti¬ cence dont il est accusé sciemment et à dessein de nuire. D’abord, Gaudon ne peut être soupçonné de l’intention de nuire : 1° parce qu’il est pur dans sa déclaration; 2° parce qu’il a affiché à sa porte, et en gros caractères, son nom et sa profession double; opération qui caractérise sa bonne foi et sa volonté d’exécuter la loi; on pourrait, tout au plus, lui reprocher de s’être trop légèrement laissé séduire à la lecture de l’article 5 et de n’avoir pas approfondi assez sérieusement l’article 10 qui lui imposait une obligation plus étendue. Mais dans cette hypo¬ thèse même, il y aurait loin de ce reproche, bien excusable sans doute, au crime vraiment punis¬ sable d’avoir désobéi à une loi aussi indispen¬ sable que salutaire. Et effectivement, toujours en suivant la même hypothèse, de combien de complices ne serait-il pas enveloppé, il compterait parmi eux, et le corps municipal qui, par son arrêté du 3 septembre dernier, a ordonné qu’il serait mis en liberté et que les scellés apposés sur ses mar¬ chandises et magasins seraient levés et le juré d’accusation du tribunal du 4e arrondissement qui, en pareille circonstance et dans la même espèce, a déclaré que Isaac Gaudon, frère de Pierre, demeurant même maison, faisant le même commerce et n’ayant rempli que les mêmes formalités était parfaitement en règle, en s’étant borné à ce qu’exigeait de lui l’article 5 et, qu’en conséquence, il n’y avait pas lieu à accusation contre lui.- Si donc, il était permis de soupçonner que ces deux autorités constituées se fussent trom¬ pées aussi grossièrement, combien serait excu¬ sable un citoyen qui fut toujours étranger aux affaires et qui, séduit par une première disposi¬ tion de la loi, a pu croire que l’autre ne l’attei¬ gnait pas, ainsi que l’ont estimé le corps muni¬ cipal et le directeur du juré dont nous avons parlé. Tout démontre donc la vérité des deux pro¬ positions développées dans ce précis. Que Gaudon a absolument rempli le vœu de la loi en se soumettant à l’article 5. Et que, quand on n’admettrait pas cette pre¬ mière vérité, il est constant même d’après ces citations qui ne sortent pas de la cause, qu’il y aurait tout au plus de sa part erreur, très excu¬ sable, et nullement intention de nuire, ni même ’ de se soustraire à l’empire de la loi. Gaudon sera donc évidemment acquitté de l’ accusation contre lui intentée, et sa confiance à cet égard, a toujours été si parfaite que, lui-même, il s’est rendu en prison et qu’il n’a jamais redouté un seul instant le jugement solennel qui doit lui rendre à la fois son repos, son état et sa liberté. Le Kay, gendre du citoyen Gaudon. Extrait des minutes du greffe du, tribunal criminel du département de Paris (1). Ce jourd’hui, dix-neuf août mil sept cent quatre-vingt-treize, l’an deuxième de la Répu¬ blique française, une et indivisible, nous, com¬ missaire Leclert, nous ayant transporté chez le citoyen Gaudon, l’ainé, marchand de vins en gros, demeurant rue Saint-Paul, numéro trente-cinq, accompagné du citoyen Boncour, mon pro¬ posé (sic), lui ayant demandé, en vertu de la loi du 26 juillet, même année, concernant l’acca¬ parement. Le citoyen ayant fait sa déclaration au comité de sûreté générale de la section de l’Arsenal, de la quantité des vins et eau-de-vie qu’il tient dans ses magasins, dont le premier en son domicile, rue Saint-Paul, n° 35, ayant remarqué, qu’à sa porte, il n’avait seulement mis que son nom comme occupant un magasin, mais n’avait pas mis la quantité et qualité du vin à lui appartenant. Après nous avoir trans¬ porté dans une de ses cours, nous n’avons trouvé que 34 pièces de vin évaluées Orléans (sic), et nous étant transportés de suite dans une de ses salles à manger nous avons trouvé 16 pièces Orléans et un quart de vinaigre, et de suite dans la cour, vingt et une pièces et demie Orléans, plus trois pipes eau-de-vie un peu en vidange. Nous nous transportâmes de suite dans une cave où nous avons trouvé treize pièces demi-Orléans, et dans une seconde cave appartenant au boulanger, quatre-vingt pièces de vin de Poitou. De suite, dans un magasin rue Saint-Paul, n° 26, y avons trouvé trois pipes de Roussillon, de même rue des Lions, n° 21, nous avons trouvé 18 pièces de vin de Mâcon. Dans un magasin rue des Jardins, n° 37, il y avait quatre-vingt-douze pièces de vin d’Anjou. Et de suite, rue de la Mortellerie, hôtel de Sens, nous y avons trouvé quatre-vingt-quinze pièces de vin, tant de Poitou que Saintonge. Après visite faite, ayant lu l’article 10 de ladite loi, nous avons observé que tous négo¬ ciants qui tiennent des marchands (sic) en gros, sous corde, en balles ou en tonneaux, et les marchands débitants en détail, connus pour avoir des magasins, boutiques ou entrepôts ouverts sont tenus, huit jours après la publica¬ tion de la loi, d’afficher sur leur porte par chaque magasin la quantité et la qualité de ;eurs mar¬ chandises et denrées de première nécessité. Et, après lui avoir fait remarquer qu’il ne s’était point conformé à la loi, puisque aucun de ses magasins n’indiquait la quantité de ce qu’ils contenaient. En conséquence, nous l’avons déclaré en contravention suivant l’article 10 (1) Archives nationales, carton Dm 263.