589 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 février 1790.] connaître désormais ni père, ni famille, de n’être jamais époux, jamais citoyen ; il soumet sa volonté à la volonté d’un autre, son âme à celle d'un autre ; il renonce à toute sa liberté dans un âge où il ne pourrait se dessaisir de la propriété la plus modique ; son serment est un suicide civil. Y eut-il jamais d’époque plus déplorable pour la nature humaine, que celle où furent consacrées toutes ces barbaries?... Voici ma profession de foi. Je jure que je n’ai jamais pu concevoir comment l’homme peut aliéner ce qu’il tient de la nature, comment il pourrait attenter à la vie civile plutôt qu’à la vie naturelle. Je jure que jamais je n’ai conçu comment Dieu pourrait reprendre à l’homme les biens et la liberté qu’il lui a donnés. . . MM. de Bonnal, évêque de Clermont, de Juigné, l’abbé Maury, etc. crient au blasphème. M. Garat veut continuer ; le tumulte d’une partie de l’Assemblée l’en empêche: l’autre partie demande à aller aux voix. M. Garat. Enfin, je jure... M. de Fumel. On insulte l'Assemblée en disant je jure. M. Guillaume.il paraît, par les interruptions qu’éprouve M. Garat, que son discours a suffisamment instruit ces messieurs sur la question. Je demande en conséquence que la discussion soit fermée. Les membres placés à la droite du président se lèvent, s’agitent. MM. l’abbé d’Eymar, deBouville, de Juigné, de La Fare, évêque de Nancy, de Guil-hermy, Dufraisse-Duchev, de Foucault parlent tous à la fois. M. le Président annonce que ces messieurs font une motion tendant à ce qu’il soit préalablement reconnu que la religion catholique, apostolique et romaine. est la religion nationale. Mais, ajoute-t-il, il en a été fait une autre : elle a pour objet de fermer la discussion. M. de La Fare, évêque de Nancy. Je fais la motion formelle de décréter avant tout « que la religion catholique , apostoligue et romaine , est la religion de l'Etat. » M. de Fumel. Il n’y a plus de ménagements à arder, il faut que l’Assemblée prenne un parti écisif. M. de JLaTF&re, évêque de Nancy. Il est des circonstances impérieuses ; car pourquoi ai-je fait la motion de déclarer que la religion catholique est celle de l’Etat ? G’est parce que tous les cahiers nous obligent de demander avant tout cette déclaration. Quand nous assistons ici pour entendre à chaque instant outrager, et en ce moment blasphémer la religion, il n’est pas possible de ne pas réclamer. Un des membres a été accusé d’avoir manqué à l’Assemblée par des expressions très équivoques, et il a été censuré : lorsqu’il sera question de la religion de nos pères, souffrirez-vous que des idées philosophiques fermentent dans cette assemblée, et fasse éclipser cette religion? Voilà les motifs de ma motion : je demande qu’elle soit mise en délibération sur-le-champ. (Le tumulte augmente; les interruptions partent de tous les côtés de la salle ; le Président ne peut se faire entendre. — M. l’abbé Villebanois réclame la parole avec une vive insistance (voyez son Dire, annexé à la séance), elle lui est refusée. — M. Blin parle au milieu du bruit, mais n’est pas entendu. Enfin un calme relatif se produit.) M. le Président consulte l’Assemblée sur la question de savoir si une motion qui est hors de l’ordre du jour peut être mise en délibération. La partie droite interrompt avec tumulte. M. Dupont (de Nemours) obtient la parole; il est deux fois interrompu. M*** Une motion pareille à celle de M. l’évêque de Nancy ne doit pas être discutée. M. le Président. Le règlement défend la délibération par acclamation. M. Dupont (de Nemours). Il n’y a personne dans cette Assemblée qui ne soit convaincu que la religion catholique est la religion nationale. Ce serait offenser la religion, ce serait porter atteinte aux sentiments qui animent l’Assemblée, que de douter de cette vérité. On ne doit mettre en délibération que ce qui est douteux, il ne faut donc pas faire délibérer sur la motion de M. l’évêque de Nancy. M. Rœderer. M,. l’évêque de Nancy, en interrompant la délibération, pourrait faire croire que la religion périclite au milieu de nous, et que nous hésitons dans nos respects pour elle. C’est qualifier sans rigueur cette motion que de l’appeler injurieuse, et ce serait agir en citoyen infidèle que de ne pas relever cette injure. M. de Cazalès. Il n’est pas au pouvoir de l’Assemblée nationale de changer la religion; il n’était pas en son pouvoir de ne pas reconnaître que le royaume est monarchique, et cependant vous l’avez déclaré. Il ne faut que trois minutes pour faire la déclaration qu’on vous demande aujourd’hui. M. Le Rois-Desguays. Il n’est question que d’un vil intérêt personnel et temporel; et c’est faire une injure à la religion que de croire que cet intérêt peut, parmi nous, influer sur elle. M. Charles de Lameth. Je ne m’élève assurément pas contre la motion de M. l’évêque de Nancy ; mais je m’élève, autant qu’il est en moi, contre l’intention de l’apôtre qui l’a faite. Je ne vous rappellerai qu’une circonstance, je ne ferai qu’une comparaison qui, je crois, est frappante. Lorsque nous avons attaqué les ordres injustes, contraires au bonheur de la nation, on a dit que nous voulions porter atteinte à la puissance royale. G’est ici le sanctuaire de toutes les autorités , et si la religion était en péril, c’est ici qu’elle trouverait ses vrais défenseurs. Je poursuis ma comparaison. Dans cette circonstance, où il ne s’agit plus de détruire les ordres, mais les désordres religieux, quand il est question de vils intérêts temporels et d’argent, on vient nous parler de la divinité ..... Il s’agit de la suppression des ordres religieux : eh bien ! si l’on peut les rappeler à leur institution primitive, personne ne s’élèvera contre eux; mais, si pour sauver une opulence si ridicule aux yeux de la raison, si contraire à l’esprit de l’évangile, on appelle l'inquiétude des peuples sur nos sentiments religieux, si l’on fait naître, par une motion incidente à l’ordre du jour et très insidieuse, les moyens d’at- 590 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 février 1790.] taquer la confiance si légitimement due à cette Assemblée, si l’on a le projet absurde et criminel d’armer le fanatisme pour défendre les abus ..... {une partie de l’Assemblée interrompt par des murmures et par des cris); si jamais cette intention a pu être conçue, si elle a pu n’être pas aperçue, je la dénonce à la patrie. Je suis forcé de prophétiser à son auteur qu’elle n’aura pas le succès qu’il s’en promet. On veut détruire par le fanatisme l’ouvrage de la raison et de la justice; ces efforts coupables seront inutiles ..... Cette question est trop embarrassante : elle ne le sera pas, si vous reconnaissez à chacun de nous des sentiments profonds de religion-Nous ne pouvons opposer à cet objet sacré îa question préalable ; mais il faut ajourner ..... La religion catholique ne court aucun danger, pas plus que n’en a couru la royauté. Ce n’est pas au moment où nous avons décrété des actions de grâce à l’Etre suprême, qu’on peut élever des doutes. Demain l'Assemblée nationale, en se rendant au pied des autels avec les sentiments de piété qui l’animent, donnera à la France et à l’Europe entière une preuve frappante de son amour et de son respect pour la religion, que l’on prétend être en péril. Une grande partie de l’Assemblée applaudit et demande à revenir à l’ordre du jour. M. le Président. L'Assemblée a décrété hier qu’elle délibérerait aujourd’hui, sans désemparer, sur la question proposée : je déclare que je ne sortirai pas d’ici que le décret ne soit exécuté. Les uns, par respect pour la religion, veulent qu’on déclare la religion catholique religion nationale; d’autres, par le même respect, regardent cette motion incidente comme injurieuse à la religion. Je n’ai qu’une manière de terminer cette contestation : c’est de consulter l’Assemblée. M. de Ylrieu. Je veux qu’on prononce sur les deux motions sans désemparer. M. de Menou. La motion de M. l’évêque de Nancy ne tend à rien moins qu’à renouveler les guerres de religion. L’Assemblée nationale ne doit jamais délibérer sur une question de cette nature. Je demande en conséquence qu’on revienne à l’ordre du jour. On va aux voix. — L’Assemblée décide de passer à l’ordre du jour. M. l’évêque de Nancy persiste à vouloir parler hors de cet ordre. On demande qu’il soit rappelé à l’ordre et inscrit sur le procès-verbal. M. Duval d’Eprémesnil. M. Garat doit être mis à l’ordre pour ses discours; j’en fais la proposition, et je demande qu’on la discute. L’Assemblée consultée décide qu’il n’y a pas lieu à mettre M. Garat à l’ordre. M. Dufrai*se-Ducl»ey. Je réclame pour l’Etat, our la religion, que la motion de M. l’évêque de ancy soit délibérée dans celte séance. MM. l’évêque de Clermont, l’évêque de Nancy et tous leurs voisins appuient cette proposition. Le désordre recommence. M. Guillaume. Il faut fermer la discussion, dès qu’on ne veut passe conformer au décret par lequel l’Assemblée a arrêté de revenir à l’ordre du jour. On fait silence. M. Garat l'aîné. J’ai dù être surpris des soulèvements qu’a occasionnés une partie de mon discours; je soutiens de nouveau les sentiments que j’ai exprimés, et je me déclare aussi bon chrétien catholique-apostolique que personne ..... J’applaudis avec transport aux vœux pour la suppression des ordres religieux’. M. l’abbé de Montesquiou paraît à la tribune et reçoit de grands applaudissements. Avant de traiter la question qui vous occupe, j’oserai vous parler de la reconnaissance que m’inspirent les bontés dont vous m’honorez. La tâche que je me suis imposée est embarrassante; je sollicite votre indulgence, et je vous rappelle un axiome qui doit influer sur votre délibération; il faut rendre à César ce qui appartient à César, à Dieu ce qui appartient à Dieu. Examinons d’abord quel est le pouvoir de la société sur les ordres monastiques, quel est son pouvoir sur les vœux. Qu’est-ce que c’est qu’un vœu ? Le vœu n’est autre chose que les promesses d’un homme à l’Eternel et à sa conscience, de vivre constamment dans l’ordre religieux qu’il a choisi. Jusque-lâ il n’y a rien que de spirituel dans cet engagement sacré; mais dans les Etats catholiques, la loi a cru devoir marcher à côté du vœu ; elle a voulu que la société renonçât à l’homme qui renonçait à elle. Maintenant il existe des vœux. Pouvait-on, a-t-on dû faire des vœux? On a pu faire des vœux, puisque la loi reconnaissait et autorisait les vœux. Peut-on empêcher les vœux ? Oui, sans doute, parce que la société peut ce qu’elle veut. La société peut-elle rompre les vœux déjà faits? Non, parce qu’ils ont été faits sous la sauvegarde de la loi. On ne peut pas rompre les vœux. Je dirai donc aux religieux : Si vous voulez sortir, sortez; si vous ne le voulez pas, demeurez; car votre vœu est un contrat, et je n’ai pas le droit de rompre un contrat. La loi et le religieux, le religieux et la loi, voilà ce que nous devons respecter. Vous êtes hommes, tout ce qui est humain vous appartient; vous êtes hommes, tout ce qui est spirituel n’est pas de vous. Doit-on ouvrir les cloîtres dès à présent? Non : vous ne pouvez les ouvrir qu’à ceux qui veulent en sortir; et ceux-là même qui voudront en sortir doivent se retirer pardevant les supérieurs ecclésiastiques, qui seuls et les premiers peuvent rompre les engagements contractés avec l’Eternel. Ces principes vous ramènent à examiner quelles sont les propositions que vous devez décréter en ce moment. Vous devez décréter que ceux qui voudront être libres obtiendront leur liberté, et recevront une pension convenable. Vous devez indiquer des maisons commodes à ceux qui voudront être fidèles à leurs vœux. Il me reste à appeler votre attention, votre justice et votre clémence sur une portion monastique plus heureuse que riche, par cela même qu’elle est heureuse sans richesses, je veux dire les religieuses. Je n’ai reçu jusqu’ici que des lettres et des adresses de religieuses qui veulent rester dans leurs cloîtres. Vous ne pouvez ni ne devez les forcer à renoncer à leurs habitudes ; car il ne faut pas oublier que les habitudes font le bonheur, et vous ne voulez pas faire des malheureux. Je demande donc que les religieuses soient exceptées de l’article de votre décret qui ordonnera la réunion de plusieurs maisons dans une seule. Gagneriez-vous d’ailleurs beaucoup à vendre les