605 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 février 1790.] administratifs; mais dépositaire, avec le chef du pouvoir exécutif, de la Majesté nationale, il ne doit pas souffrir qu’aucun ordre impérial puisse être donné que par ses décrets, ou par leroi, pour leur exécution. Cette dignité des deux pouvoirs principaux, est Tunique garant de la liberté du peuple, l’unique préservatif contre les conflits d’autorité dont le peuple pourrait être la victime ; Tunique assurance que Tordre régnera dans la société, et qu’elle sera gouvernée, comme l’univers, par des lois uniformes et cohérentes. Lorsque vous avez décrété, Messieurs, que les électeurs, assemblés dans les départements ou dans les districts, détermineraient le lieu, soit de leurs séances subséquentes, soit de l’emplacement de tel ou tel établissement public, quel a été votre but? De ne pas vous décider encore, parce que les informations ne vous paraissaient point présenter un résultat assez constant, d’attendre en conséquence les lumières ultérieures que l’intérêt des administrés et des juridiciables, et la connaissance du pays qu’ils habitent, pourraient vous procurer. Vous avez donc ordonné qu’ils délibéreraient pour savoir où il leur paraîtrait le plus convenable de placer les différents établissements sur lesquels yous consultez leur vœu. Vous avez déclaré que vous auriez égard à leur délibération, et aux propositions qui en seraient la suite; mais vous n’avez pas pu entendre qu’ils seraient dispensés de prendre votre attache ou celle des législatures qui vous succéderont. Vous leur avez donné la plus puissante des voix consultatives, et vous avez bienfait, puisqu’elle sera la plus éclairée sur les localités ; mais vous ne pouviez pas, sans manquer à leur confiance même, leur donner rien de plus. Ainsi, Messieurs, votre comité pense que vous approuverez que, dans le décret général où vous relaterez l’intention que vous avez, que le vœu des assemblées de département ou de district soit le motif déterminant , cette intention soit exprimée de manière à ne laisser aucune équivoque sur les principes constitutionnels, qui font que ce soit vous qui ordonniez, conformément à l’intérêt du peuple, après avoir été éclairés par la manifestation de son désir, par la preuve de son avantage. C’est son plus grand avantage qui est Tunique but de vos travaux ; vous avez cru le voir quelquefois dans des dispositions d'alternat pour les sessions des différentes assemblées , et de leur directoire entre différentes villes ; et l’on ne peut nier, en effet, qu’il ne doive souvent en résulter, pour l’administration, une connaissance plus approfondie de tous les différents intérêts locaux, et vraisemblablement une plus grande variété dans le choix des personnes qui composeront le directoire. Mais il est sensible aussi que cette disposition rendra beaucoup moins facile le bon ordre et la conservation des papiers; qu’elle pourra quelquefois exposer ceux-ci à des risqués inévitables dans les transports et que comme il est à peu près impossible que plusieurs villes soient également centrales, il ne puisse y avoir un inconvénient très réel à ranger tous les citoyens d’un département ou d’un district , à faire cesser pendant un temps leurs principales relations avec la ville qui était la plus à leur portée, pour aller en former de nouvelles, plus embarrassantes, moins naturelles, plus dispendieuses, avec une ville située vers une des extrémités du district ou du département. Il n’y a en France qu’environ les deux septièmes de la population qui habitent les villes , et ce n’est pas pour leur intérêt spécial, c’est pour l’intérêt commun que vous avez divisé le royaume. Les villes avaient des représentants qui savaient très bien parler ; mais vous étiez , vous, les représentants de la nation entière, obligés de penser pour les citoyens qui ne vous parlaient pas. Vous n’avez donc pu accorder aux villes aucune faveur particulière que sous la condition sacrée que leurs demandes ne seraient pas contraires à l'intérêt du pays ; vous n’avez donc pu enlever aux assemblées de district et de département le pouvoir et le droit d’éclairer les législatures suivantes sur les avantages et les inconvénients de ce que vous avez décrété relativement à l’établissement alternatif ou stable des chefs-lieux de départements ou de districts, et vos décrets à cet égard n’emportent que l’exécution provisoire que la prochaine législature rendra définitive, ou dan? laquelle, sur la demande des provinces , elle pourra faire des améliorations. Quant à ce que votre comité vous a proposé plusieurs fois , relativement aux tribunaux de justice, il est sensible que les villes qu’il vous a indiquées, ne peuvent y trouver qu’un motif - légitime d’espérance dans le cas de cet établissement; et que les autres villes où vous avez placé des établissements différents, ne doivent y voir qu’un avertissement de ne se pas flatter d’une cumulation qui ne vous a pas paru dans leur province conforme à l’intérêt public. Mais , n’ayant encore rien statué sur Tordre judiciaire, n’ayant même pas discuté les propositions qui vous ont été faites à cet égard par votre comité, il serait prématuré et susceptible de beaucoup d’inconvénients que vous prissiez, par votre décret général, des engagements positifs que vous n’êtes pas certains de pouvoir réaliser. Ces différentes observations, Messieurs, ont déterminé votre comité à rendre dans le décret général votre pensée, par des dispositions qui ne fussent pas trop affirmatives; à vous proposer de commencer ce décret qui rassemblera toutes les dispo-sitionsparliculièresauxdépartementsparquelques articles généraux, propres à prévenir toutes méprises dans le sens de vos décrets antérieurs, et dans celui des articles particuliers qui vont vous être proposés. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale a décrété et décrète ce qui suit : TITRE PREMIER. Articles generaux. Art. 1er. La liberté réservée aux électeurs de plusieurs départements ou districts, par les différents décrets de l’Assemblée nationale, pour le choix des chefs-lieux et remplacement de divers établissements, est celle d’en délibérer, et de proposer à l’Assemblée nationale, ou aux législatures qui suivront, ce qui paraîtra le plus conforme à l’intérêt général aes administrés et des juridiciables. Art. 2. Toutes les Assemblées de départements pourront en tout temps proposer aux législatures tous les changements qui paraîtront utiles quant 606 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 février 1790.J aux chefs-lieux des départements et des districts, comme aussi le3 échanges de territoire entre les départements et les districts qui pourraient convenir à l’intérêt des administrés. Art. 3. Dans toutes les démarcations fixées entre les départements et les districts, il est entendu que li s villes emportent le territoire soumis à l’administration directe de leurs municipalités, et que les paroisses de campagne comprennent de même tout le territoire, tous les hameaux, toutes les maisons isolées, dont les habitants sont cotisés sur les rôles d’imposition du chef-lieu, et tous ceux qui sont soumis à l’administration spirituelle de la paroisse. Art. 4. Lorsqu’une rivière est indiquée comme limite entre deux départements ou deux districts, il est entendu que les deux départements, ou les deux districts, ne sont bornés que par le fil de l’eau, et que les deux directoires doivent concourir à l’administration de la rivière, sans préjudice du droit provisoirement conservé par l’article précédent, aux villes, paroisses et communautés sur le territoire, les hann aux ou les maisons situés de l’autre côté de la rivière, et qui ont dépendu jusqu’à présent de l’administration directe de leur municipalité, ou de l’administration religieuse de leur paroisse. Art. 5. Les administrations de département et de district feront faire, le plus promptement qu’il sera possible, l’arpentage et la carte topographique des paroisses situées sur les limites, et enverront copie certifiée de ces cartes et du procès-verbal des arpentages à l’Assemblée nationale, ou aux législaturesquiluisuecèderont, pour être déposée aux archives nationales, et pour que la véritable configuration des limites de chaque département et de chaque district puisse être tracée sur les cartes autographes de la nation. Art. 6. Il sera libre à toutes les villes, paroisses et communautés, dont le clocher ne sera pas à plus de 500 toises des limites des districts, dans l’intérieur de chaque département, et à toutes les villes, paroisses et communautés dont le clocher ne sera pas à plus de 1,200 toises des limites du département, de présenter requête à la prochaine législature, pour passer d’un district ou d’un département dans un autre; et, sur le vu des observations respectives des départements et des districts intéressés, la prochaine législature prononcera définitivement. Art. 7. Ladivision du royaume en départements et en districts n’est décrétée, quant à présent, que pour l’exercice du pouvoir administratif; et les anciennes divisions, relatives au pouvoir judiciaire, subsisteront jusqu’à lanouyelleet prochaine organisation de ce pouvoir. Les dispositions relatives aux villes, qui ont été désignées comme pouvant être sièges de tribunaux, sont subordonnées à ce qui sera décrété pour l’ordre judiciaire. ANNEXE ait rapport relatif aux départements du royaume . Observations sur les principes qui doivent déterminer le nombre des districts et celui des tribunaux dans les départem nts, par M. Dupont, député de Nemours, membre-adjoint du Comité de constitution (1). Toutes les villes du royaume ont envoyé à Paris fl) Ce document n'a pas été inséré au Moniteur. des députés extraordinaires, pour demander à être chefs-lieux de district. Dix-huit-cent-vingt-quatre de ces députés environnent déjà le comité de constitution, et il en arrive tous les jours de nouveaux. Il n’y a pas un d’entre eux qui n’allègue des raisons très plausibles. Si la ville pour laquelle on sollicite est grande, peuplée, riche, commerçante, on appuie sur tous ces motifs de considération, et l’on demaude : Comment est-il possible de refuser un district à une ville si importante ? Si au contraire il s’agit d’une petite ville mal peuplée, sans commerce, sans industrie, on-dit qu’il n'y a d’autre moyen de la vivifier et meme ae la soutenir, que de lui accorder un district ; et l’on demande: comment refuser cette faveur à une ville si malheureuse, qui sera ruinée, perdue , anéantie, si on n'en fait pas un chef-lieu de district ? Toutes les villes réclament ainsi à la fois, on est inévitablement ému des discours, des délibérations, des allégations, des raisonnements que leurs députés accumulent: on se dit, il faudrait partager les avantages, il faudrait autant que l’on pourrait contenter tout le monde; et ce qu’on appellein volontairement tout le monde, c’est toutes les personnes qu’on entend. Mais ce sont celles qu’on n’entend pas, c’est le peuple, et particulièrement celui des campagnes, qui paiera toujours aux villes les frais de l’administration et de la juridiction; c’est le peuple qui a intérêt que l’administration, que la justice soient bonnes, intègres, éclairées, et s’il est possible peu coûteuses; c’est le peuple enfin qu’il faudrait servir et contenter. L’intérêt des villes n’est donc ici que secondaire ; c’est celui de l’Etat, c’est celui des campagnes, où vivent les cinq septièmes des populations du royaume, dont il est question. L’intérêt des villes est d’être un impôt sur les campagnes, d’appeler dans leurs murs beaucoup de dépenses, et de multiplier à cet effet toutes leurs relations. L’intérêt des campagnes est d’être administrées avec lumières, d’être jugées avec capacité, et de payer pour tout cela suffisamment, sans doute, afin que le service soit bien fait, mais cependant de payer le moins qu’il soit possible. Il y a, dans les rapportsd’administrationet de ju-dicature, que les campagnes ne peuvent éviter d’avoir avec les villes, un terme de perfection indiqué parla uaturedes choses et par les positions locales. Il ne faut pas que les administrateurs et les juges soient trop loin des administrés et des justiciables; il ne faut donc pas donner aux districts un ressort trop étendu. Mais il faut aussi que les administrateurs et les juges soient des hommes d’élite, choisis parmi les citoyens les plus habiles, et les plus estimables. Les hommes habiles, ét d’une vertu complètement pure, ne sont nulle part très communs; ils ne peuvent qu’être rares dans un royaume où l’éducation publique a été constamment mauvaise. Il faut donc se réserver le eiioix sur un nombre de sujets qui puisse donner lieu d’espérer que ce choix sera bon; il ne faut donc pas trop multiplier les districts. Il ne le faut pas non plus, parce qu'il ne faut pas multiplier sans nécessité les dépenses de l’administration, ni celle de la justice qu’ou ne paie qu’avec des impôts. Il est clair que, si l’on voulait que trois districts, trois directoires, trois tribunaux fissent ce qui pourrait être fait avec une commodité presque égale pour le peuple par un district, par un direc-