[9 février 4790.} 530 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. à la défense commune, en respectant les droits de chacun. Si les enrôlements à prix d’argent ont pu donner lieu à de grands abus, les plaintes multipliées les ont fait connaître : cette connaissance vous suffit pour exiger des lois propres à les détruire et à les empêcher de reparaître. L’Assemblée doit prendre dans toute sa sollicitude le rétablissement et le maintien de la discipline. Sans discipline, vous aurez des soldats, mais vous n’aurez jamais d’armée. Ce que vous croirez dépenser pour votre sûreté, pourrait tourner contre vous-mêmes. On supposerait, sans fondement, que la subor-dination militaire pourrait porter atteinte à la liberté publique, et comprendre des devoirs contraires aux droits du citoyen. La discipline n’est que le maintien de l’ordre jugé nécessaire. L’imperfection du commandement, qui ordonnerait ce que le soldat aurait droit de ne pas faire, ne peut être regardée comme faisant partie de la subordination militaire; mais les objets sur lesquels elle s’élève sont sacrés ; le salut de la République en dépend, et, dès lors, ils deviennent les premiers devoirs du citoyen. Le rétablissement de la discipline dans l’armée, si essentiel pour le salut de tous, doit être une loi de l’Etat, émanée de l’Assemblée nationale, et sanctionnée par le roi. Revêtue de ce grand caractère, elle fera, sur tous les individus de l’armée, une impression profonde qui ne pourra laisser douter du succès. Ainsi les fautes contre la discipline et la subordination deviendront un délit national; la subordination et la discipline, des vertus vraiment patriotiques ; et Farinée, attachée à l’observation de ses devoirs par les sentiments de citoyen, les remplira dans tous ses détails avec plus de dévouement et de patriotisme. Pour écarter tout arbitraire dans la punition des crimes et délits militaires, l’Assemblée nationale croira sans doute devoir établir les points essentiels d’un code pénal bien précis, où les peines proportionnées aux fautes ne seraient point arbitrairement ordonnées, où tout moyen de justification serait donné à l’accusé, et tout moyen d’équitable application de la loi, au juge. Ainsi, vous compléterez, par la certitude de la justice, le bonheur du soldat. L’Assemblée doit encore indiquer ses vues sur les règles à établir pour l’avancement. Il est temps, sans doute, de détruire les barrières insurmontables que la classe la plus nombreuse voyait opposer à son avancement, soit par les ordonnances qui lui interdisaient l’accès de certains grades, soit par la faveur qui l’en repoussait. Mais en voulant reconnaître et servir les droits de l’ancienneté, on ne saurait perdre de vue qu’une armée n’est pas seulement instituée pour assurer le bien-être de ceux qui la composent, qu’elle l’est plus particulièrement encore pour futilité de l’empire. Cet important objet serait mal rempli, si les lois militaires assuraient les mêmes avantages à l’homme incapable, à l’homme inappliqué, inassidu à ses devoirs, et à l’homme que ses talents, sa conduite et son intelligence feraient distinguer par l’opinion publique. Ainsi, si vous croyez devoir adopter, pour règle générale de l’avancement, le système de Fancienneté, vous croirez sans doute aussi devoir laisser place à des exceptions pour le mérite distingué et l’incapacité reconnue; et comme aucune loi précise ne peut fixer ni l’étendue, ni l’occasion de ces exceptions nécessaires; comme le mérite d’un chacun, toujours considérable à son propre sens, ne peut être justement apprécié par des règles constantes, vous laisserez l’exercice de ces exceptions au roi, à qui la conduite, la direction, la disposition de rarmée doivent être confiées sans réserve, sous la condition des lois constitutionnelles du royaume et du militaire. Tels sont, Messieurs, les points sur lesquels il semble essentiel que l’Assemblée nationale pose des bases, parce que ces points, intéressant essentiellement la constitution de l’armée, ne peuvent pas être laissés à l’arbitraire. Tels sont aussi les points sur lesquels elle doit se borner à prononcer, parce qu’elle n’a pas en elle les moyens d!entrer, ainsi qu’il a déjà été dit, dans tous les détails multipliés fde l’organisation de l’armée, et que cette organisation, cette direction appartiennent sans aucun doute au roi, chef suprême de toutes les forces militaires. Ces bases posées, et l’Assemblée ayant décrété, sur la demande du roi, quelle somme doit être affectée à l’entretien de l’armée et de combien d’hommes elle doit être composée, le soin du reste doit être entièrement abandonné au pouvoir exécutif. C’est au ministre à bien mériter de la nation, en proposant la formation d’armée qui réunisse au plus grand nombre d’avantages l’économie la plus sage; c’est à lui à calculer dans la plus grande perfection possible la combinaison et la division des armes, la formation des corps, l’équipement et l’armure, toutes les ordonnances auxquelles vos principes connus serviront de bases, enfin, tous les détails de l’armée. Il considérera que la France a besoin d’une nombreuse cavalerie, pour agir au delà du Rhin, ou pour défendre les pays ouverts qui nous servent de frontières depuis Dunkerque jusqu’à Bâle; que les armées, dont nous avons à craindre l’approche de ces côtés, sont fortes d’une cavalerie considérable, et mènent à leur suite une formidable artillerie de campagne. 11 examinera si le projet d’entretenir sous les armes un moins grand nombre de troupes pendant un long temps de l’année, pour en réunir un nombre plus considérable pendant un temps suffisant, et pour augmenter ainsi la force de l’armée prête à marcher au premier signal, ne pourrait pas présenter des vues utiles à la force, à la bonne composition de l’armée et au maintien de la constitution. Sa science et son habileté s’exerceront à former une armée qui rassemble dans une bonne proportion tous les moyens de défense que notre position nous rend nécessaires; et s’il résout ce grand problème en se renfermant exactement pour les dépenses dans la somme assignée au département, peut-être, malgré l’augmentation de paye du soldat, inférieure encore à celle indiquée par le comité militaire. il aura rempli le but qu’il doit se proposer. Alors l’Assemblée donnera par son décret une existence constitutionnelle à l’armée; et la réunion de tous ces moyens assurant la liberté des citoyens, la jouissance naturelle de leurs droits et le maintien de la constitution, assurant sous tous les rapports le bien-être de tous les individus de l’armée, assurant enfin, par l’existence d’une force formidable bien organisée, la liberté politique de la France, remplira toutes les conditions que la nation a droit d’attendre de la sagesse de ses représentants. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale décrète, comme loi constitutionnelle du royaume: (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (9 février 1790.] 531 1* Que chaque législature, dans les premières séances de la première session, devra, sur la présentation du ministre du roi, décréter les sommes affectées au service de l’arméq, et l’emploi de ces sommes ; 2° Que la force de l’armée, arrêtée par un décret de l’Assemblée, ne pourra être, d’une législature à l’autre, modifiée par le pouvoir exécutif au delà de la latitude que lui laissera ce même décret ; 3° Qu’il ne sera jamais introduit dans le royaume aucun corps de troupes étrangères, sans un décret de l’Assemblée nationale, qui devra prononcer sur les conditions de leur admission ; 4° Que les troupes ne pourront être employées dans l’intérieur du [royaume que d’après le mode et les formes ordonnées par la constitution ; 5° Que le ministre de la guerre et tous les agents du pouvoir militaire, seront et demeureront responsables de toute violation des droits du citoyen, de tout acte ou ordre attentatoire aux lois constitutionnelles et autres du royaume, de toute infidélité ou négligence en gestion d’argent, en marchés, en entreprises, qui ne pourront pas, sans un décret de l'Assemblée, s’étendre au deià du terme de la législature oü ils auront été faits, le tout conformément aux lois qui seront promulguées à cet effet ; 6° Que le défaut de discipline dans l’armée est un délit contraire aux vœux et à l’intérêt national. L’Assemblée décrète, en outre, qu’à l’avenir et à commencer du premier janvier dernier, la solde du soldat, cavalier, dragon, hussard, sera augmentée de trente-deux deniers, et portés à dix sois. L’Assemblée charge son comité militaire et son comité de constitution réunis de lui présenter incessammeqt des projets de lois : 1° Sur les moyens de porter promptement l’armée à la force que les circonstances pourront rendre nécessaire* 2? Sur l’organisation des tribunaux militaires et sur la forme des jugements ; 3� Sur le rapport des gardes nationales et de l’armée. Enfin, l’Assemblée décrète que, quand elle aura, sur la demande du roi, fixé la somme affectée au département de la guerre, et le nombre d’hommes dont l’armée doit être composée, le soin de la formation et organisation de l’armée dans tous ses détails sera remis au pouvoir exécutif, qui devra prendre, pour hases des ordonnances et des règlements qui la constitueront, les principes suivants : 1° Que les engagements soient préservés de toutes les fraudes, surprises et violences dont l’expérience a fait reconnaître le vice ; 2° Qu’il soit fait une augmentation dans le traitement des officiers, et particulièrement des grades inférieurs ; 3° Que d’après les principes universellement reconnus d’admissibilité pour toutes les classes des citoyens aux places militaires comme à toutes autres, les règles d’admission soient posées de manière à ce que la faveur ne puisse plus en disposer ; 4° Que les règles d’avancement satisfassent aux droits de l’ancienneté, en ménageant les ressorts de l’émulation, sans laquelle une armée perdrait promptement de son activité et de ses ressources ; 5° Qu’une proportion quelconque dans les places de l’officier soit assignée à la classe des bas-officiers, pour, par cette perspective, prévenir en eux le découragement, et entretenir l’amour de leur état ; 6° Qu’up Gode pénal soit établi, qui, préservant les coupables de l’arbitraire, leur donne les moyens possibles de justification, et aux juges les moyens surs et faciles d’appliquer la loi ; 7° Qu’il soit pourvu à la retraite des officiers et soldats, de manière à remplir à la fois les intentions, de les attacher plus constamment au service, de les préserver de l’arbitraire des supérieurs, et enfin de diminuer les charges du Trésor puhlic. Il me semble que çe] ordre de travail nous promet, dans un court délai, les résultats qu’il est si instant d’opérer. Divers membres demandent l’impression du discours de M. le duc de Liancourt. Cette proposition est mise aux voix et adoptée, M. le Président annoqce que la séance du soir s’ouvrira à 6 heures. La séance est levée, ASSEMBLÉE NATIONALE, PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Séance du mardi 9 février 1790, au soir (1), M. le baron de Marguerites, l'un de MM. les secrétaires, donne lecture des adresses ainsi qu’il suit : Adresse de félicitation, adhésion et dévouement des habitants de la commune de Gensac, près de Gannat en Bourbonnais : après avoir formé leur nouvelle municipalité, ils ont tous juré de mourir, s’il le fallait, pour le maintien de la constitution et la défense de notre bon roi. Adresse du comité permanent et de la garde nationale de Périgueux ; ils portent plainte contre la prévôté de cette ville. Adresse de la nouvelle municipalité de Bour-goin en Dauphiné, et de celle de Chef-Boutonne en Poitou ; elles sollicitent avec instance l’établissement d’une assemblée de district, et d’un siège royal. Adresse du président et des commissaires du district de Porte-Froc de la ville de Lyon, nouvellement constitué. Lettres de M. du Petit-Bois, commandant le régiment de dragons d’Orléans, en garnison à Rennes ; de M. de Bardon, commandant le régiment de Bassigny, en garnison à Lorient, et de M. La-roque, commandant le régiment d’infànterie de Bourgogne, en garnison à Arles, par lesquels ils annoncent que c’est avec la plus grande satisfaction que ces régiments ont entendu la lecture de la lettre qui leur a été adressée par l’Assemblée nationale, et qu’ils lui présentent l’assurance de la soumission la plus entière à ses décrets sanctionnés par le roi. Adresse de félicitation, adhésion et dévouement de la communauté de Contigny en Bourbonnais ; « elle supplie l’Assemblée nationale de décréter que provisoirement la ville de Saint-Pourçain sera chef-iieu de district, sauf à la seconde législature de décider s’il doit être conservé. » (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.