[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er août 1789-1 325 devenir extrêmes et peut-être injustes, les autres, s’ils en sortent, paraîtront disparates, quoique souvent utiles et nécessaires. Une pareille dé-clarationdoitdoncêtremûrementréflécnie;etpour Ja méditer, nous avons devant nous tout le temps que nous allons employer à l'établissement de nos principes constitutionnels et de nos lois. Pourquoi transporter, dit un publiciste, les hommes sur le haut d’une montagne, et de là leur montrer tout le domaine de leurs droits, puis-u’on est obligé ensuite de les en faire redescen-re pour les placer dans l’ordre politique où ils doivent trouver des limites à chaque pas ? Dans le grand nombre d’excellents articles produits dans les projets de déclaration, il en est plusieurs qui appartiennent directement et doivent servir de hases aux droits des peuples et du souverain ; ce sont ces articles dont il faut sur-le-champ faire des lois, puisque ce sont ces droits qu’il faut fixer. Une division plus simple que toutes celles qui nous ont été offertes, une division adoptée par le plus grand nombre des publicistes, et dont on n’aurait peut-être pas dû s’écarter, faciliterait le travail, et présenterait un rapprochement plus aisé dans la discussion et les opinions. Cette division serait : 1° l’examen des droits de la nation, antérieurs à tout autre, et dont tout autre émane ; des droits de la nation, c’est-à-dire des citoyens qui la composent, et qui marchent égaux devant la loi qu’ils ont volontairement et librement consentie ; 2° L’examen des droits du monarque qui fait exécuter cette loi, et dont le pouvoir, à cet égard, doit être libre et indépendant; 3° L’examen des droits de ceux qui l’exécutent et qui tirent leur pouvoir et de la nation et du souverain. Telles sont les trois branches de l’arbre social, et tels sont les trois et uniques points de notre travail, et le plan dans lequel il faudrait nous circonscrire : dans le peuple assemblé la puissance législative; dans le Roi, le pouvoir exécutif; dans ceux qu’il emploie, la force militaire et judiciaire, l’une et l’autre déterminées d’après le consentement général. Voilà notre tâche, elle est assez grande, assez importante, pour nous occuper sans distraction à la bien remplir. En me résumant, je répète que nous ne sommes pas venus établir des principes que nous devons connaître, mais en promulguer les résultats ; travailler, non à des préliminaires de lois, mais-à la formation même des lois. Le dix-huitième siècle a éclairé les sciences et les arts ; 11 n’a rien fait pour la législation. Le moment est arrivé de la créer. Que la loi soit concise, pour qu’elle puisse se fixer dans le souvenir même de nos enfants ; qu’elle soit simple, pour qu’elle soit entendue de tous. Gardons pour nous l’élude des principes, les bases du travail, et faisons-en cueillir aux peuples les fruits. Ainsi se cachent au sein de la terre les vastes fondements d’un palais, et l’œil du citoyen jouit seulement de l’ensemble et de la majesté de l’édifice. Hâtons-nous de l’élever, cet édifice, et puisse-t-il mériter la contemplation des sages et les regards de la postérité ! Plusieurs membres observent que l’attention est déjà fatiguée d’avoir suivi tant d’orateurs, et demandent l’ajournement de la discussion. M. le Président observe qu’il y a encore quarante-sept membres inscrits pour la parole, et qu’il est déjà très-tard. D’après ces observations, la discussion est renvoyée à lundi prochain. M. le Président invite les bureaux à s’assembler ce soir pour élire son successeur et trois secrétaires, pour remplacer les trois qui sortiront en tirant au sort. La séance est levée. ANNEXE h la séance de l'Assemblée nationale du samedi 1er août 1789. Analyse des idées principales sur la reconnaissance des droits de l'homme en société , cl sur les bases de la constitution présentées au comité de constitution, par M. Tkouret, député de Rouen. g Ier. La nature a mis dans le cœur de l’homme le besoin et le désir impérieux du bonheur. L’état de société politique le conduit vers ce but, en réunissant les forces individuelles pour assurer le bonheur commun. Le gouvernement est le mode d’activité choisi par chaque société, pour diriger l’emploi de la force publique vers son objet. Le gouvernement doit donc être constitué de manière qu’il ne puisse jamais blesser les droits de l’homme et du citoyen, puisqu’il n’est établi que pour les protéger. g U. Le premier droit de l’homme est celui de la propriété et de la liberté de sa personne. De ce droit primitif et inaliénable dérivent; 1° Celui de ne pouvoir être contraint ou empêché dans ses actions, arrêté ni détenu, si ce n’est en vertu des lois publiques, et d’un jugement régulier qui en ait prononcé l’application. 2° Celui de penser, de converser, et d'écrire , sans pouvoir être repris pour ses opinions , ses discours et ses écrits, si ce n’est en vertu des lois publiques, et d’un jugement régulier. De là: 1° la liberté de conscience et d’opinion religieuse; 2° La liberté des actions et du travail ; 3° La liberté de la presse ; 4° La liberté inviolable du commerce épisto-laire ; 5° L’abolition absolue des lettres de cachet. §111. C’est un droit de l’homme libre, d’acquérir des propriétés, de les posséder, et de les protéger. Du droit de propriété dérivent: 1° L’interdiction de déposséder un propriétaire hors le cas d’une nécessité publique constatée, et à charge de l’indemniser complètement; 2° Le droit de chaque citoyen de ne payer que les impôts consentis par les représentants de la nation. 3° Le droit de la nation de ne consentir par ses représentants, que ta quotité d’impôts reconnue nécessaire pour les besoins publics. 326 JAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i« aoiit 1789. g iv. L’égalité de tous les droits naturels et civils est elle-même un droit dont le régime social ne peut priver aucun individu, Dans l’ordre naturel , tous les hommes étant égaux, chacun d’eux a au même titre tout ce qui appartient à la nature de l’homme. Aucun ne peut être ni autrement libre, ni autrement propriétaire qu’un autre. Dans l’ordre social , les citoyens étant égaux, puisque nul ne peut être plus ou moins citoyen qu’un autre, tous ont le même droit à tous les avantages de l’état de société, — à la possession de toutes les places, emplois et fonctions de l’établissement public; — et nul ne doit contribuer plus qu’un autre aux charges communes de l’association. Dans l’ordre légal, les citoyens étant égaux devant la loi, elle les oblige tous également ; — elle doit aussi punir également les coupables ; — les punir tous du même genre de peine, pour les mêmes fautes; — et fidèle à l’intérêt commun, n’accorder à qui que ce soit ni faveurs ni privilèges. §V. De l’obligation de garantir la liberté , la propriété et V égalité individuelles, résultent en faveur de la nation les droits suivants: 1° Celui de faire les lois conjointement avec le Roi, et de ne se soumettre qu’à celles qu’elle aurait librement consenties; 2° Celui de connaître et de régler les dépenses publiques, d’inspecter l’emploi des fonds, et de s’en faire rendre compte; 3° Celui de surveiller l’exercice du pouvoir exécutif, et d’en rendre tous les agents responsables, en cas de prévarication. Sans le droit du corps social à la législature, le pouvoir du chef deviendrait arbitraire. Sans la surveillance, la nation pourrait être trompée, et la constitution se dénaturer. Sans la responsabilité, rien ne préviendrait la déprédation des finances, ou les abus d’autorité. g VI. Le moyen de mettre la société en état de remplir ses lins, est de bien organiser les pouvoirs publics. Les pouvoirs publics émanent tous du peuple : ils ne peuvent ni se constituer eux-mêmes, ni changer la constitution qu'ils, ont reçue. C’est dans la nation que réside essentiellement le pouvoir constituant. La nation a le droit indubitable et imprescriptible d’exercer ce pouvoir toutes les fois que sa sûreté, sa propriété et son bonheur exigent que la constitution de son gouvernement soit éclaircie, réformée ou régénérée. Elle peut l’exercer par ses représentants aussi bien que par elle-même. Les représentants actuels ont reçu complètement ce pouvoir de leurs commettants. g VII. Les pouvoirs publics se divisent en quatre classes, ou espèces différentes : 1° Pour faire les lois, régler les dépenses publiques, octroyer l’impôt, et maintenir la constitution, la nation a besoin d’un corps de représentants, chargé de ses pouvoirs, et les exerçant pour elle. De là l’Assemblée nationale, en qui réside le pouvoir législatif. 2° L’obligation de faire exécuter les lois, de mettre la force publique en activité, tant au dedans qu’au dehors du royaume, et de diriger l’administration générale d’une manière uniforme, exige dans les grands Etats un chef qui soit le principe et le centre de tous les mouvements du corps politique. — Cette unité de chef chargé de gouverner suivant les lois est le caractère distinctif de la monarchie. De là le Roi, en qui réside le pouvoir exécutif. 3° Pour l’exécution locale des lois relatives à l’administration générale du royaume, il faut dans chaque province des administrateurs subordonnés, chargés des détails de cette exécution. De là les assemblées provinciales et municipales, en qui réside le pouvoir administratif. 4° L’exécution des lois qui ont pour objet les actions et les propriétés des citoyens nécessite l’établissement des juges. De là les tribunaux de justice , en qui réside le pouvoir judiciaire. C’est de l’organisation régulière, de la correspondance, de la séparation et de l’indépendance de ces quatre pouvoirs, que résultera une bonne constitution. SECTION PREMIÈRE. DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE. g Ier. De sa composition. 1° Il paraît nécessaire de réduire pour l’avenir le nombre des députés ou représentants. 2° Ils seront tous élus librement, et suivant une règle de proportion combinée en raison composée de la population et de la contribution de chaque district électeur. 3° Aucun des officiers, agents et employés du pouvoir exécutif, y compris les juges et magistrats chargés du pouvoir judiciaire, ne doit être éligible. 4° 11 paraît bon de statuer que, pour être député, il ne sera pas nécessaire de posséder une propriété foncière. 5° Il serait juste d’assurer, relativement aux districts électeurs qui comprendront quelque ville importante, qu’il/y aura un ou plusieurs députés pris dans la population de cette ville. 6° Il ést essentiel qu’à l’avenir les élections soient faites en commun, par les citoyens de toutes les classes réunies. — Il reste à opter entre le parti de laisser les élections parfaitement libres sur les citoyens de toutes les classes indifféremment, et celui d’assurer à chaque classe une part lixe et proportionnelle dans la représentation. — Si l’on prend ce dernier parti, il faudrait ordonner que chaque députation soit composée de six membres, dont un du clergé, deux de la noblesse, trois des communes. 7° La formalité des assignations personnelles aux possesseurs de fiefs, aux bénéficiers et aux communautés, doit être supprimée. Il suffit des convocations publiques aux prônes des paroisses, et par affiches. 8° Il faut abolir aussi l’usage dangereux des procurations pour élire au droit d’un absent. 9° Par cette raison, et attendu que la propriété d’un fief ne donne pas plus de part au droit de cité que celle de tout autre bien, les mineurs, les veuves et les tilles qui posséderont des tiefs, 327 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Il« août 1789.] ne pourront plus à l’avenir se faire représenter aux élections. 10° La constitution étant faite, les pouvoirs des députés devront être à l’avenir illimités et absolus: ou pourrait même ordonner qu’ils résulteront suffisamment du seul acte de l’élection, sans qu’il soit nécessaire de les énoncer expressément; à la seule exception de ce qui sera dit ci-après, pour le cas d’un changement à provoquer dans la constitution. 11° Il serait bon qu’il ne fût plus remis de cahiers aux représentants, et que si le district électeur voulait proposer quelques vues, ou former quelques demandes à l’Assemblée nationale, il les adressât directement à l’Assemblée par requête ou pétition. — Cette forme ferait mieux sentir que l’élection rend le député représentant, non du district, mais de la nation entière. 12° 11 n’v aura plus à l’avenir dans l’Assemblée nationale 'de distinction d’ordres en chambres séparées : les députés, de quelque rang ou classe qu’ils soient, continueront de siéger, délibérer et voter en commun. § II. V Assemblée nationale sera-t-elle composée d’une seule Chambre, ou divisée en deux? La raison indique que le Corps représentatif doit être un, comme la nation représentée est une. L’Assemblée nationale est instituée pour former, recueillir et proclamer la volonté générale. Cette volonté est une et indivisible. Il est donc inconséquent de diviser le Corps législatif en deux sections, pour en faire sortir une seule volonté. Si l’une des Ghambres n’a pas le veto sur l’autre. les inconvénients de la division ne sont rachetés par aucun prétexte d’utilité. Si l’une des Chambres a le veto, le Corps législatif, constitué pour agir, se trouve organisé pour ne rien faire : ce corps, à qui l’harmonie intérieure et la méditation paisible sont si essentielles, est livré aux agitations de la dissension et de la discorde; et, en dernière analyse, le droit de législature attribué au corps entier reste exclusivement à une seule de ses parties ; car la législature suprême appartiendra toujours à la seule Chambre qui aura le droit d'empêcher tout ce qu’elle ne voudra pas permettre. La Chambre haute serait-elle composée de députés des trois ordres dans la proportion établie? En ce cas, cette Chambre formée des mêmes éléments, et animée du même esprit que la Chambre basse, n’aurait aucun motif, aucun intérêt de penser autrement qu’elle. Elle ne présenterait aucune garantie raisonnable de son utilité particulière. La Chambre haute serait-elle composée d’un certain nombre de nobles, soit électifs, soit désignés à raison de leurs titres ou de leurs emplois? — Dans le cas des nobles électifs, la noblesse se trouverait maintenue en ordre séparé par l’ef-fel de la représentation de l’ordre entier dans les membres qu’il aurait élus pour la Chambre haute. Elle acquerrait même une double influence, et par ceux de ses représentants qui siégeraient dans la Chambre basse, et par ceux dont elle aurait rempli la Chambre supérieure. — Dans le cas des nobles titrés non élus, les mêmes inconvénients subsisteraient par l’identité d’intérêts, de prétentions et de préjugés qui unit presque tous les nobles, et par cet esprit de corps si difficile à fondre dans l’esprit national, tant qu'il subsiste quelques illusions dont il peut se repaître et s’entretenir. — De quelque manière que les nobles formassent une Chambre séparée, cette Chambre assurerait toute la classe noble, avec la prérogative qui détacherait ses affections de l’état commun de la nation, une influence politique beaucoup trop puissante. Cet état de choses se rapprocherait de si près de l’abus de la séparation et du veto des ordres, que la prudence ne permet pas d’en courir le danger. Si le gouvernement d’Angleterre a réalisé le système des trois pouvoirs en opposition , cet exemple, outre qu’il est inapplicable en France à la position relative des communes et de la noblesse, n’est pas tellement imposant qu’il ait empêché plusieurs bons publicistes de dévoiler l’illusion de sa théorie, celle de la plupart des effets qu’on lui attribue, et de montrer que la réussite de la législature anglaise tient à d’autres causes. 11 est assez évident par la nature des choses qu’il ne peut y avoir essentiellement que deux puissances en paraljèle, celle de la nation et celle du Roi. La troisième redonde, complique, et produit des chocs, ou augmente les causes d’inertie. Le système des deux puissances principales balancées par une troisième est malfaisant, par cela seul que la troisième, armée du droit de tout empêcher, peut empêcher autant le bien que le mal, et qu’elle facilite et nécessite la corruption, comme en Angleterre, soit pour arrêter, soit pour diriger l’action du Corps législatif au gré du gouvernement. L’unité de l’Assemblée ne présente aucun danger pour l’exercice de la législature sur tous les objets communs et ordinaires, qui ne touchent point aux bases de la constitution. Alors l’intérêt de tous, celui d’obtenir les meilleures lois, est simple, uniforme, et ne produit aucun motif de commotion ou d’esprit de parti. Il suffit d’assurer la maturité des arrêtés sur ces matières, en statuant qu’ils ne pourront être pris qu’après que l’objet en aura été exposé trois fois à la discussion et à la délibération par intervalles de huitaine. C’est pour la sûreté de la constitution, que les mouvements partiaux et précipités d’une Assemblée unique sont réellement à craindre ; mais le moyen exposé dans le paragraphe suivant ne peut-il pas y remédier aussi solidement que la double Ghambre, sans avoir aucun de ses inconvénients? § III. Moyen de garantir la constitution maigre l’unité de l'Assemblée nationale. La stabilité de la constitution importe autant à la nation pour le maintien de sa liberté, qu’au Roi pour la conservation de sa prérogative. Les deux intérêts se réunissent ainsi pour prévenir l’abus que les représentants pourraient faire de leurs pouvoirs, en altérant la constitution, soit au détriment de la nation, soit au préjudice de l’autorité royale. D’autre part, la nation conserve le droit inaliénable de faire à la constitution les réformes que de grands changements moraux ou politiques pourraient rendre nécessaires. Ce double but se trouverait rempli en statuant comme clauses essentielles de fa constitution même : 1° Que la constitution est mise par la nation sous la garde des futures Assemblées nationales, uniquement chargées de la maintenir, et décla- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 328 [Assemblée nationale.) rées impuissantes et incompétentes pour y faire aucun changement sans le mandat de la nation le plus exprès ; 2° Que la constitution est mise aussi sous la garde du Roi, et que Sa Majesté est spécialement autorisée d’employer pour sa conservation le moyen exprimé ci-après dans l'article 5; 3° Que pour toute espèce de changement à faire à la constitution, l’existence du mandat de la nation ne pourra être reconnu que quand la moitié au moins de3 districts élémentaires et électeurs l’aura énoncé formellement dans les pouvoirs des députés; 4° Que dans toute Assemblée nationale où il ne se trouvera pas la moitié des pouvoirs uniformes pour demander un changement à la constitution, aucun membre ne pourra faire la motion du changement, à peine d’être déclaré déchu de toute espèce de voix à l’instant même, et incapable d’être député à l’avenir; 5° Que dans le même cas, si l’Assemblée nationale se permettait de délibérer sur la motion, et de l’adopter par un arrêté, le Roi, usant de l’autorité que la nation lui remet pour réprimer cette entreprise, pourrait casser l’arrêté et dissoudre l'Assemblée, qui serait convoquée de nouveau et sans délai ; 6° Que, quand il aura été vérifié que la moitié au moins des pouvoirs provoque un changement à la constitution, l'Assemblée nationale pourra le délibérer, mais avec une pleine liberté de suffrages, comme si le vœu n’en était pas exprimé, et à la charge de ne prendre son arrêté qu’après que la matière, mûrement examinée par bureaux, aura été discutée trois fois en séance générale, à huit jours de distance; 7° Que l’arrêté qui sera pris dans cette première session n’aura aucune exécution, même provisoire; qu’il sera cependant imprimé avec le précis exact des débats qui l’auront précédé, et publié dans tout le royaume, pour être examiné par les districts électeurs, qui en diront leur avis, et révisé par l’Assemblée nationale; 8° Que cette Assemblée nationale subséquente, chargée de la révision, sera formée extraordinairement au nombre de 1,200 représentants, comme l’Assemblée actuelle, et mettra trois fois la matière en délibération, à quinze jours d’intervalle, avant de prononcer définitivement; 9° Que, dans toutes les délibérations qui auront pour objet un changement à faire à la constitution, l’arrêté ne pourra passer qu’à la pluralité des deux tiers des suffrages. g IV. Permanence ou périodicité des sessions de r Assemblée nationale. 11 faut entendre par permanence que les députés nommés pour un temps déterminé puissent être rassemblés en toute occasion ; que le retour des sessions se fasse comme par continuation des séances, et que ce retour ait lieu au moins une fois l’an. Plusieurs raisons obligent de préférer, pour le plus grand bien de la nation, le parti de la permanence à celui de la simple périodicité par intervalles de plusieurs années. 1° Le pouvoir législatif, étant l’âme et la volonté du corps politique, ne peut pas être longtemps absent ou privé d’exercice, sans donner lieu aux plus grands inconvénients. Il n’y en aurait pas de moindres à le faire suppléer, soit par le pouvoir exécutif, soit par les corps chargés du pouvoir judiciaire. [1« août 1789.] 2° La trop longue suspension de la surveillance sur les dépenses et sur les autres objets confiés aux agents du pouvoir exécutif enhardirait au renouvellement des abus. 3° La régénération qui s’opère, contrariant plusieurs préjugés et blessant quelques intérêts particuliers, la présence et l’activité du Corps législatif sont nécessaires pour déconcerter les résistances et prévenir les entreprises funestes. La permanence de l'Assemblée nationale est donc indispensable d’abord pour son affermissement, ensuite pour l’assiduité du service qu’exigeront les besoins de l’Etat et les détails secondaires de sa parfaite régénération. On ne pourrait faire d’objections que celles : 1° de la dépense; 2<> de l’embarras et du grand mouvement que les élections occasionnent. Sur la première, il faut considérer que le nombre de députés pouvant être diminué, la dépense ainsi réduite et comparée aux facultés de la nation n’est rien au prix des avantages politiques, civils et même pécuniaires qu’elle retirera de la permanence de l’Assemblée. Quant à la seconde objection, il faut convenir de la nécessité de simplifier le mode des élections. On peut adopter un plan qui, en produisant ce premier avantage, aurait de plus l’utilité de lier par un régime commun les divers ordres d’ Assemblées, d’imprimer à tous ces corps politiques un mouvement simple, uniforme et gradué, de composer enfin l’Assemblée nationale de sujets déjà initiés à l’administration et expérimentés aux affaires. Les assemblées de paroisse, de district et de province, étant composées de sujets élus pour trois ans et se régénérant par tiers, pourquoi n’en serait-il pas de même de l’Assemblée nationale rendue permanente? Les sujets passant des assemblées de paroisse à celles de district, et de là aux assemblées provinciales, pourquoi ne passeraient-ils pas de même de celles-ci à l’Assemblée nationale? Rendre les membres des assemblées provinciales électeurs de droit, y ajouter un égal nombre d’électeurs choisis librement par chaque province, et tirer du tiers des sujets sortant annuellement des assemblées provinciales ceux qui régénéreront l’Assemblée nationale; ce plan doit paraître le plus simple, le mieux lié, et le plus propre tant à faciliter le service qu’à produire le bien. § V. Droits et fonctions de l'Assemblée nationale. Ils sont : 1° De proposer au Roi et de concerter avec lui toutes les lois; 2° D’obliger par ces lois toutes les provinces et tous les corps, comme les simples particuliers de quelque rang et état qu’ils soient, sans que l’exécution de ces lois puisse être empêchée, modifiée ni retardée par aucune cour ou tribunal de justice, sous prétexte de vérification ou enregistrement; 3° De régler le service des différents départements de l’administration et d’en fixer les dépenses; 4° D’octroyer les impôts nécessaires pour l’acquit de ces dépenses, d’en fixer la nature et le mode de perception, et d’assurer l’égalité de la répartition entre les provinces; 5° De prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’il ne puisse être fait aucun divertissement ni dissipation de deniers publics ; 6° De se faire rendre compte tous les ans de ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 329 [Assemblée nationale.] toutes les recettes et dépenses de l’Etat dans les divers départements, et de publier ces comptes par la voie de l’impression ; 7° De réformer successivement toutes les parties de la législation civile et criminelle pour donner à la nation un code analogue à ses mœurs actuelles et digne de ses lumières; 8° De régler suivant les vrais principes de l’ordre public, et conformément à l’intérêt des justiciables, la nature, la hiérarchie, la composition et le ressort territorial des tribunaux judiciaires; 9° De dénoncer à la nation les ministres qui auraient encouru la responsabilité et de les faire juger. — Idem des cours supérieures de justice qui auraient porté atteinte soit à la constitution, soit à la puissance administrative, ou qui auraient vexé leurs justiciables. SECTION II. DU ROI OU DU POUVOIR EXÉCUTIF. La nation doit reconnaître et confirmer que le Gouvernement français est monarchique et que la légitime possession du trône appartient à la famille régnante. Elle doit confirmer le droit et l’ordre d’hérédité à la couronne; Prononcer sur le cas de la régence et sur l’âge de la majorité des rois ; Déclarer que la personne du Roi est sacrée, inviolable, et irréprochable ; Que le Roi fait partie du Corps législatif; que sa sanction est nécessaire pour l’établissement des lois ; qu’elles doivent être revêtues de son sceau et publiées en son nom ; Qu’au Roi seul appartient sans réserve et dans toute sa plénitude, l’exercice du pouvoir exécutif; Qu’il est le chef des tribunaux, que la justice doit y être rendue en son nom, et sous son inspection; mais qu’il ne peut en aucun cas, dispenser de la loi ; Qu’il a l’administration, le commandement et la disposition de l’armée tant de terre que de mer, pour la défense du royaume ; mais que les troupes ne peuvent être employées contre le peuple, même en cas d’émeute, si ce n’est sur la réquisition signée d’un magistrat civil; Qu’il a l’administration du département des affaires étrangères , le droit tant de recevoir et d’envoyer les ambassadeurs, que d’arrêter et de signer les traités de paix et d’alliance; qu’il peut aussi faire des traités de commerce, mais à condition de consulter les chambresde commerce avant de les accorder et de les faire ratifier ensuite par l’Assemblée nationale s’ils produisent de nouveaux assujettissements à la charge du peuple ; Que le Roi a seul le droit de faire battre monnaie et d’y mettre son effigie, mais sans pouvoir en changer le titre qu’avec le consentement de l’Assemblée nationale ; Qu’il a seul le droit d’anoblir les citoyens qui méritent cette distinction par leurs services publics ; Qu’il a seul le droit d’accorder les lettres de grâce dans les cas prévus par la loi ; Qu’à lui seul appartient le choix de ses ministres et la composition de son conseil ; Qu’il a seul le droit de nommer à tous les emplois civils et militaires relatifs à l’exercice du pouvoir exécutif ; — aux bénéfices dont la nomi-[Ie’’ août 1789.] nation appartient à la couronne, — et aux places de la magistrature, mais sur la présentation qui lui sera faite de trois sujets pour chaque place, par les assemblées provinciales; Qu’il ne peut accorder de récompenses pécuniaires sur le trésor public que jusqu’à concurrence du fonds qui pourrait être destiné à cet emploi par l’Assemblée nationale. SECTION 111. DES ASSEMBLÉES MUNICIPALES ET PROVINCIALES OU DU POUVOIR ADMINISTRATIF. § I. Des assemblées municipales. Ces assemblées sont très-importantes à conserver ou à établir en chaque paroisse de campagne. Celles de la plupart des villes ont besoin d’être réformées ou perfectionnées. Il faut en établir partout où il n’y en a pas, et les rendre partout librement électives. Elles sont indispensables comme bases élémentaires de la représentation et de l’organisation générales, elles le sont encore pour éclairer l’administration intérieure, pour assurer la précision et l’efficacité du service dans les plus petits détails; enfin pour propager l’esprit public et former des sujets à la régénération des assemblées supérieures. On peut conserver provisoirement l’ordre établi dans la composition actuelle des municipalités de campagne, jusqu’à ce que l’expérience des assemblées provinciales ait éclairé sur la meilleure manière d’y faire les réformes qui paraîtront nécessaires. Ces assemblées seront chargées : 1° De la répartition des impôts entre les individus et sur les fonds dans l’étendue de chaque communauté; 2° De la direction des affaires, travaux et dépenses delà communauté; 3° De la surveillance sur tous les ouvrages publics et ateliers de charité qui seront ordonnés dans la paroisse; 4° De la police simple, mais nécessaire, qu’il convient d’établir dans les villages; 5° Du soin de concilier ou de décider sommairement, comme tribunaux de paix, toutes les contestations légères entre les membres de la communauté, pour dommages de bestiaux, querelles et injures verbales, salaires de domestiques et gens de travail, livraisons, fournitures et autres objets minutieux de ce genre, consistant en fait, et de valeur moindre de cent livres. Ces assemblées seront encore chargées de correspondre avec l’assemblée supérieure, de lui faire parvenir les instructions qui leur seront demandées et d’exécuter les ordres qu’elles en recevront. § 2. Des assemblées provinciales. Le titre d'assemblée provinciale est substitué à celui d’Etats provinciaux, pour conserver l’analogie avec le titre d' Assemblée nationale qui remplace celui d’Etats généraux. 11 sera créé en chaque province une assemblée provinciale revêtue des mêmes droits, pouvoirs et fonctions qu’auraient eus les Etals provinciaux, dont elle ne différera que de nom. Les membres des assemblées provinciales doivent être élus librement par les trois ordres réunis en commun, mais de manière qu’il y eu ait 330 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [te* août 1789.] sur six, un du clergé, deux de la noblesse et trois des communes; si l’on aime mieux laisser la liberté des élections sur les citoyens de toutes les classes indifféremment. La base de la représentation dans les assemblées provinciales sera toutours prise plus ou moins médiatement dans les élections paroissiales ; mais il est très-difficile de fixer régulièrement le mécanisme des élections médiates, si on ne fait pas de nouvelles divisions de territoire. Dans les assemblées provinciales , les délibérations seront toujours prises en commun et les opinions comptées par tètes. Les membres seront élus pour trois ans et la régénération se fera chaque année par tiers. Une commission intermédiaire, dont les membres seront également nommés pour trois ans et régénérés par tiers, administrera les affaires pendant l’intervalle d’une tenue à l’autre et rendra compte de sa gestion. Si quelque province est tellement considérable en territoire et en population, qu’une seule commission intermédiaire ne puisse pas suffire, il en sera établi plusieurs. Il est essentiel, pour la sûreté et la facilité du service, de conserver entre lesassemblées provinciales et les municipalités le lien des assemblées de district ou de département , ou, du moins, un bureau de correspondance, composé de six membres et de deux procureurs-syndics. L’utilité très-marquée dont ces assemblées ont été en Haute - Normandie montre quels avantages on en peut retirer partout. On perdrait beaucoup en substituant à ces assemblées un simple délégué ou correspondant par district. Un corps dont les membres se surveillent, s’encouragent, et mettent en commun leur zèle et leurs efforts, présente à la chose publique plus de moyens d’activité et de motifs de confiance qu’un seul homme. Les connaissances sont plus étendues dans le corps, la surveillance partagée plus certaine et la masse du travail commun plus considérable. L’exactitude de la répartition des impôts établit seule la nécessité de ces assemblées intermédiaires dans les grandes provinces ; car l’assemblée provinciale ne pourrait répartir avec connaissance entre toutes les paroisses de son vaste ressort, et il ne serait pas proposable de confier à un seul homme la répartition entre les paroisses d’un arrondissement. Les assemblées provinciales à créer doivent être chargées de tous les objets d’administration déjà confiés à celles qui subsistent, savoir : De la répartition et assiette des impôts ; De la direction, exécution, et du payement des travaux publics ; De l’inspection sur les dépenses des communautés de paroisse ; De la manutention et de l’emploi des fonds destinés aux soulagements, encouragements et améliorations publiques dans la province. Elles doivent être chargées en outre : De la recette et du versement des deniers publics: De l’administration des hôpitaux, des prisons, des dépôts de mendicité, et des Enfants-Trou-vés; De l’inspection de la régie et des dépenses des hôtels de ville ; De la surveillance sur l’entretien des forêts, la garde et la vente des bois, sur l’amélioration des domaines et l’économie de leur administration, etc. 11 est essentiel d’assurer de la manière la plus solide que les assemblées provinciales ne pourront être troublées dans l’exercice de leur administration par les entreprises du pouvoir judiciaire. Réciproquement, elles ne pourront usurper aucune partie de ce pouvoir, ni de la puissance législative. Elles ne pourront octroyer aucun impôt pour quelque cause ni sous quelque dénomination que ce soit, Elles n’en pourront répartir aucun que jusqu’à concurrence de la quotité accordée par l’Assemblée nationale et pour la durée seulement du temps qu’elle aura fixé. Elles ne pourront dans aucun cas contrevenir aux arrêtés de l’Assemblée nationale, en troubler ni en suspendre l’exécution. Elles seront chargées au contraire d’en maintenir l’effet et de dénoncer les infractions qui pourraient y être faites. Toutes les lois qui seront promulguées à chaque session de l’Assemblée nationale leur seront envoyées ; elles en formeront dans leurs archives un dépôt pour la province, et les notifieront aux assemblées qui leur sont subordonnées. SECTION IV. DES TRIBUNAUX DE JUSTICE OU DU POUVOIR JUDICIAIRE. La Constitution doit déclarer : 1° Que le pouvoir judiciaire, faisant partie des pouvoirs publics, ne peut appartenir en propriété à aucun corps, ni à aucun individu ; 2° Que le pouvoir judiciaire, n’étant que constitué, reste toujours soumis au pouvoir constituant , qui peut en tout temps changer, réformer et modifier la constitution qu’il lui avait donnée; 3° Que le pouvoir judiciaire est essentiellement distinct du pouvoir législatif, et qu’il lui est subordonné: — qu’ainsi les tribunaux de justice ne peuvent faire aucunes lois ou règlements qui en aient la force; — qu’ils ne peuvent, par l’enregistrement et la publication, conférer le caractère légal aux actes qui leur seraient proposés par le Roi sans le consentement de l’Assemblée nationale, ou par cette Assemblée sans la sanction du Roi; — qu’enfin ils doivent se soumettre aux actes de la puissance législative portés sur eux-mêmes, et faire exécuter ceux qui obligent les justiciables; 4° Que le pouvoir judiciaire est essentiellement distinct du pouvoir exécutif suprême, et qu’il lui devient subordonné quand il viole les lois; — qu’ainsi nul tribunal ne peut ni usurper aucune des fonctions confiées à l’autorité du Roi, ni empêcher l’exercice de cette autorité, soit par des arrêts de défense, soit de toute autre manière ; — et que les actes du pouvoir judiciaire, contraires aux lois, peuvent être déférés au Roi, qui a le droit de les annuler en son conseil; 5° Que le pouvoir judiciaire est de sa part indépendant du pouvoir exécutif dans l’exercice légitime de ses fonctions; et que, pour assurer cette indépendance, aucun juge ne peut être arbitrairement dépouillé de son office; 6° Que le pouvoir judiciaire, également distinct du pouvoir administratif , est circonscrit dans les bornes de la justice distributive pour le jugement des contestations privées enfre les citoyens, et pour la punition des crimes ; 7° Que la fonction de juger ne pouvant être ni un droit, ni un domaine héréditaire, ni un effet [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1789.] 331 commerçable, l’odieuse vénalité des charges est abolie; et qu’il sera pourvu, par les moyens les plus prompts, au remboursement des offices vénaux, dès à présent supprimés ; 8° Que les tribunaux étant faits pour les justiciables, et non les justiciables pour les tribunaux, le ressort territorial de chaque juridiction doit être fixé relativement aux besoins et à la commodité des citoyens, et qu’il doit y avoir dans chaque province un tribunal souverain ; 9° Que par la même raison, la trop grande multiplicité des tribunaux est un désordre; et qu’il doit y être remédié par la suppression de tous ceux qui sont inutiles, notamment par celle des tribunaux d’exception ; 10° Que le pouvoir déjuger émanant du peuple, comme les autres pouvoirs publics, et le peuple étant seul intéressé à la bonne administration de la justice, c’est aux représentants du peuple qu’il appartient d’élire et de présenter au Roi les sujets qu’ils croient les plus dignes de celte importante fonction; 11° Que le peuple a le droit de conférer les magistratures pour un temps fixe et déterminé, aussi bien que pour la durée de la vie des officiers qu’il élit; 12° Que la fonction des juges n’est que d’appliquer la loi, et leur devoir de se conformer au sens littéral, sans s’en écarter, ni se permettre de l’interpréter; 13° Qu’en matière criminelle, le bien de la justice, le vœu d’une grande partie de la nation et l’intérêt de l’accusé étant qu’il soit avant tout déclaré par ses pairs coupable ou non coupable, il doit être dès à présent établi pour la recherche des crimes, un ordre de jugement préalable par jurés, avant que les tribunaux judiciaires puissent prononcer et appliquer la peine. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE DUC DE LIANCOURT. Séance du lundi 3 août 1789. La séance s’est ouverte à neuf heures. M. le Président a annoncé que le résultat du scrutin de samedi dernier, pour l’élection du nouveau président, s’était déclaré en faveur de M. Thouret. M. Tliouret a pris place au bureau, et il a adressé à l’Assemblée un discours par lequel, eu lui témoignant sa profonde et respectueuse reconnaissance, il s’est excusé d’accepter la place qu’on lui déférait. Dès Ipi surveille et à l’instant même où il avait appris sa nomination, il avait annoncé cette résolution dans une lettre qu’il avait écrite à M. le duc de Liancourt. Suivent la lettre et le discours de M. Thouret: * Versailles, le 1er août 1789. « Monsieur le duc, * J’apprends, en rentrant chez moi, l’honneur infini que l’Assemblée nationale a bien voulu me faire, en m élevant à la dignité de son président. Cet honneur était tellement au-dessus de mes espérances, que je ne m’étais pas permis d’y aspirer. Si j’eusse été présent lorsque l’élection a été déterminée, j’aurais, à l’instant même, supplié l’Assemblée d’agréer, avec l’hommage de ma respectueuse reconnaissance, les motifs d’excuse qui me portent à lui remettre l’honorable fonction qu’elle a daigné me confier. Je ne m’empresserai pas moins de concourir à ses importants travaux d’une manière moins éclatante, mais plus conforme à l’insuffisance de mes moyens. « J’ai l’honneur d’être avec respect, monsieur le duc, votre très-humble et très-obéissant serviteur. « Signé : Thouret. » Messieurs, lorsque vous avez daigné m’élever à l’honneur de vous présider, cette faveur inestimable était au-dessus de toutes mes espérances; je ne me serais pas cru permis de porter si haut des vœux dont rien n’aurait pu justifier à mes yeux la présomption; mon premier, mon plus vif sentiment fut, et est encore celui de la profonde et respectueuse reconnaissance dont j’ose vous supplier d’agréer l’hommage. Pressé par ce même sentiment, par l’obligation de vous en donner le plus utile et le plus digne témoignage, je cédai avec empressement au devoir que j’ai rempli par la lettre que j’eus l’honneur d’écrire, dès le soir même, à M. le duc de Liaucourt. G’est en sentant tout le prix de l’honneur que vous m’avez déféré, et qui ne pourrait pas m’être ravi, que j’ai le courage de me refuser à sa jouissance, quand, sous d’autres rapports, il eût été peut-être excusable de penser que le courage était de l’accepter. J’aurai encore assez de force en cet instant, je prendrai assez sur moi-même, pour sacrifier au majestueux intérêt de votre séance, des détails dont l’objet me serait personnel: je sens bien que l’individu doit disparaître où les soins de la cause publique ont seuls le droit de se montrer, et de dominer. Qu’il me soit seulement permis de dire que je suis capable et digne de faire à cette grande cause tous les sacrifices à la fois ; et que c’est à ce double titre que je viens vous demander de recevoir mes remercîments et ma démission. M. le duc de Liancourt, sur la démission de M. Thouret, a été invité par l’Assemblée à continuer de remplir la place de président, jusqu’à ce qu’il eût été procédé à un nouveau scrutin, qui a été renvoyé à deux heures après-midi. On a lu et annoncé à l’Assemblée plusieurs pièces, entre autres une délibération des habitants et corps commun de la ville de Salers, du 19 juillet 1789; une adresse des officiers municipaux de la ville d’Autun, du 29 juillet; une des citoyens de Vertus en Champagne, du 27 du même mois ; une de la ville d’Ernée au Maine, du 3U; toutes exprimant des sentiments de fidélité pour le Roi, d’attachement à la monarchie, de reconnaissance pour l’Assemblée nationale, d’adhésion à ses décrets, d’estime et de confiance pour le ministre vertueux que le Roi a rendu aux désirs de ses peuples. On a rendu compte d’une déclaration par laquelle la noblesse d’Anjou, en félicitant l’Assemblée nationale sur l’heureuse union qui la rend l’appui de la patrie, adhère à toutes ses décisions; d’une autre déclaration par laquelle la noblesse de Bar-sur-Seine a révoqué le mandat impératif qu’elle avait donné à M. le baron de Crussol, son député ; et l’on a annoncé qu’il avait été remis sur le bureau un ouvrage intitulé: Catéchisme du genre humain,