[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [U janvier 1790.] 185 La Constitution nationale a voulu faire de tous les Français un peuple de frères, leur donner des droits égaux à la chose commune; faire succéder à l’égoïsme l’esprit de justice et d’égalité. C'est pour répartir une surveillance de protection amie des convenances locales, que l’Assemblée a permis de porter les départements depuis soixante-quinze jusqu’à quatre-vingt-cinq: c’est par cette sage précaution que les terres fertiles, que les landes et les montagnes seront administrées et conservées. La ville de Saint-Malo a fait deux pétitions à l’Assemblée, pour être chef-lieu d’un département, pour jouir d’une administration appropriée à ses besoins, à son commerce important et à la marine nationale. « Quoi de plus absurde, disent les habitants de cette ville, que de réunir sous un même tribunal des hommes qni ne s’entendront pas : Fera-t-on oublier à ceux des deux côtés de la Basse-Bretagne des langues existantes avant la conquête de César? Il leur, faudra des interprètes pour transmettre leurs pétitions. » Les députés de Saint-Malo demandent en conséquence une division en six départements, dont celte ville serait le chef-lieu. Les députés de la Bretagne, après avoir réfuté ces différents moyens tirés du mélange des idiomes, regardent comme nuisible pour la province la division en six départements. Les considérations, tirées de la surveillance que donnerait le département de Saint-Malo contre les ennemis de l’Etat, n’ont pas touché les députés de la Bretagne ; ils ont trouvé qu’elles n’avaient aucun poids, et que les forces de l’Empire agiraient pour la conservation commune. Le comité, après avoir approfondi les objections des députés de Saint-Malo, applaudit à la division eu cinq départements, comme étant le vœu presque unanime de la députation de Bretagne ; en second lieu, parce que six départements seraient trop faibles ; enfin, parce que la province, prévenue du partage en cinq départements, l’a approuvé par des adresses multipliées. Le comité adopte une division combinée avec sagesse, qui doit, en assurant à jamais une bonne administration dans cette province, récompenser par sa prospérité le patriotisme qui la distingue. La division en cinq départements est décrétée. Il s’élève de grandes contestations sur la division de la Basse-Guyenne. MM. de Sèze, Mau-riet de Flory et Lavenue, combattent cette division ; M. Charles de Lameth et M. d’ Aiguillon en demandent l’ajournement. il est prononcé. On allait s’occuper de l’affaire de Toulon ; plusieurs membres en demandent l’ajournement à aujourd’hui. M. Prieur. Je demande qu’on la renvoie après la constitution. L’Assemblée l’ajourne à la séance de demain, à une heure. La séance est levée. ASSEMBLEE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DÉMEUNIER, ANCIEN PRÉSIDENT. Séance du jeudi 14 janvier 1790, au soir. Les députés des six corps de Paris présentent à l’Assemblée nationale une adresse concernant l’extrême rareté du numéraire, et les précautions à prendre pour y remédier. Ils observent que tous les négociants et fournisseurs, qui envoient à Paris des denrées ou des marchandises, se plaignent de ce que leurs payements ne se réalisentqu’en billets de caisse; que ces billets, n’ayant point un cours forcé hors de la capitale, ne peuvent être pour le commerce des provinces des effets négociables; que par conséquent ces négociants ne peuvent plus acheter ni rapporter à Paris de nouvelles denrées, n’ayant reçu en payement que des billets avec lesquels on ne peut solder le laboureur, ni le fournisseur, ni le manufacturier; que bientôt Paris, dans cette disette absolue d’espèces, manquerait de subsistance ; que, par un contre-coup très-fâcheux, le négociant de province, n’ayant que des crédits sur Paris dans son actif, serait, au milieu même de son opulence, obligé de suspendre le cours de ses payements, ce qui bouleverserait le commerce et causerait des maux incalculables; qu’il était nécessaire d’imposer aux grandes villes la même obligation qu’à la capitale, de prendre pour comptant les billets de caisse ; que, par un heureux effet, les billets, répandus sur une plus grande surface, seraient moins sensibles dans la circulation, et forceraient par leur plus grande rareté les capitalistes à faire en nature l’émission de leurs deniers. Les députés proposent le projet de décret suivant: « Art. 1er. Que la caisse d’escompte sera tenue de convertir en écus, par chaque jour, jusqu’au 1er juillet 1790, une quantité de billets montant au moins à 300,000 livres, sous l’inspection de quatre commissaires nommés à cet effet, et pris dans la classe des citoyens autres que des financiers ou banquiers. « Art. 2. Que toutes personnes, convaincues d’avoir vendu à un bénéfice quelconque le numéraire, en échange des billets de caisse, seront condamnées à 600 livres d’amende, dont un tiers applicable au dénonciateur, et le reste au profit des pauvres du domicile du coupable. « Art. 3. Qu’à compter du jour du présent décret, jusqu’au 1er juillet 1790, tous les billets de caissed’escompteserontprisetreçus dans toutes les caisses publiques des principales vil les du royaume conformément au vœu déjà manifesté parquelques grandes villes. » On demande la question préalable. L’Assemblée renvoie l’adresse et le projet de décret aux comités des finances et du commerce. Sur la proposition de M. Duport, il est décrété que le pouvoir exécutif fera traduire dans tous les idiomes de la France les décrets de l’Assemblée nationale. M. Régnault d’Epercy, au nom du comité des rapports, fait la lecture d’une proclamation du Roi, destinée à arrêter l’exportation des grains, et propose un projet de décret en quatre articles, tendant à introduire la formalité des acquits-à-caution.