76 [États gén. 1789. Cahiers.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Morlaix.] CAHIER Des doléances du tiers-état de la sénéchaussée de Tréguier et Lannion arrêté à l’assemblée du 10 avril 1789. tenue en vertu des ordres clu Roi pour les Etats généraux (1). Un Roi bienfaisant demande à ses sujets ce qui peut contribuer à leur bonheur, il les interroge avec bonté, ils répondent avec confiance : sûreté pour les personnes et les biens, justice dans les impôts, régularité dans l’administration. Sûreté . La vraie sûreté consiste dans la liberté légale des personnes ; elle s’élève contre les abus des lettres de cachet qui incarcèrent souvent l’innocence ou soustraient le crime des coupables distingués à la punition. Elle sollicite au contraire la liberté de la presse, qui produit tant de bien ailleurs, et l’établissement d’une imprimerie près de chaque siège royal. L’usement de quevaise enchaîne la liberté des personnes et nuit au progrès de l’agriculture ; tout réclame la conversion en féages d’une censure qui tient de l’antique servitude. 11 existe encore en plusieurs endroits des usages _ avilissants pour l’humanité, transformés en droits féodaux par les seigneurs, tels sont les droits de quintaine, de jeter la sonde, de faire sauter dans l’eau, de faire chanter en public, etc., etc.; nul seigneur ne peut s’opposer à l’anéantissement de pareils droits, à moins qu’il ne place l’honneur dans l’humiliation de ses semblables. Chaque citoyen devrait être libre pour la préparation de ses aliments; cependant la banalité de four et de moulins accable les détraignables; il convient de les autoriser à rembourser ces sujétions. La mendicité trouble la sûreté publique et entretient la fainéantise. L’établissement de bureaux de charité et d’ateliers de travail subviendrait aux besoins des nécessiteux et occuperait les bras oisifs des fainéants; à ces établissements devrait être dévolue la succession des bâtards, à moins que les seigneurs de fief qui en profitent ne se soumettent aux termes de notre règlement et ne continuent l’entretien des enfants exposés et des bâtards sans secours. La sûreté des propriétés, qui consiste dans la possession paisible, entraîne : 1° La réforme de la procédure civile et criminelle, qui compromet les droits les plus certains par un chaos de formalités compliquées. 2° La suppression des justices seigneuriales, des officiers seigneuriaux quelconques, des tribunaux d’attributions, qui ruinent le peuple, surtout les campagnes. 3° L’érection des sièges royaux avec arrondissement et des magistrats nombreux qui connaissent de toutes matières, même bénéficiâtes, jugeant en dernier ressort pour une somme modérée et au surplus ressortissent par appel au parlement ou aux présidiaux, suivant les règles de compétence déjà établies. Création de simple prévôté dans les lieux où la police l’exigera. ¥ Il serait également avantageux de former un tribunal, plutôt économique que contentieux, de simples jurés qui connaîtraient sans frais des (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l'Empire. servitudes, des cours d’eau, chemins de voisinage, gages domestiques, dommage de bestiaux et autres matières de ce genre si fréquents dans les campagnes. et donneraient leurs décisions en forme d’avis avant que l’on puisse procéder dans les tribunaux de justice, les condamneraient par corps à une amende particulière réfractaire quand ils succomberaient. 5° L’assujettissement des priseurs experts à des études et épreuves sans ériger leurs fonctions en titre d’office. 6° L’abolition de la foi et hommage tant au Roi qu’aux seigneurs particuliers; cette formalité dispendieuse est inutile pour un Roi chéri de ses sujets, et indécente à l’égard des seigneurs particuliers ; le fournissement des aveux par enrôlement au greffe de l’arrondissement, sans frais et après bannies du seigneur de vingt ans en vingt ans. 7° Modération de la rigueur des lois bursales surprises au détriment public par les receveurs des consignations. 8° L’extinction du centième denier sur les offices qui, faute de payement, tombent aux parties casuelles et sont perdus pour les familles ; remplacement par un vingtième annuel et fixe imposé dans les rôles du lieu de l’exercice de l’of-licier qui serait contraint au payement par les voies ordinaires ; l’équité veut que ce vingtième soit modéré. 9° La faculté aux seigneurs d’afféager leurs domaines congéables et métairies et de prendre des deniers d’entrée avec augmentation ou diminution de rente, sans perdre la mouvance; il serait même plus avantageux de supprimer et abolir tous osements convenanciers. Justice dans les impôts. L’impôt, pour être juste, doit être proportionnellement supporté par tous les citoyens avec les autres charges publiques, ainsi : 1° Abolition des francs-fiefs, fouages, corvées de grands chemins et de tous subsides distinctifs des ordres de citoyens. 2° Assujettissement général de toute personne actuellement privilégiée au logement des troupes, casernement, charrois, patrouilles, milices de terre et de mer par contribution en argent, suppression de toute exemption pécuniaire. 3° Egale et proportionnelle répartition des impôts en raison de la fortune, sans distinction de naissance et de profession, sur des rôles communs aux trois ordres, égalisés sur les lieux. 4° Défense d’établir et lever des droits additionnels de sous pour livres et autres pareils, ni aucun subside, même d’altérer le titre des monnaies sous quelque prétexte que ce soit, sans le consentement de la nation asssemblée ; mais il ne suffit pas de lever des impôts justes destinés aux besoins de l’Etat, ils doivent y être employés. De là naissent : En premier lieu, la nécessité que les fonds levés pour l’Etat soient directement versés au trésor royal, sans tant de cascades intermédiaires, tant de diminutions qui aggravent le fardeau des peuples. En second lieu, la suppression des pensions, dons et gratifications qui déprédent le trésor royal et la caisse des Etats de Bretagne. En troisième lieu, la renonciation formelle à l’avenir du gouvernement à tout emprunt et anticipation. En quatrième lieu, la simplification des impositions, surtout de contrôle, par un tarif clair et 77 [États gén. 1789. Cahiers.] précis-, modération et réduction des droits actuels sur la procédure, au surplus attribution des recouvrements aux Etats de la province ainsi que le règlement des comptes des villes. En cinquième lieu, la réduction des places de gouverneurs-commandants, lieutenants de Roi, agents généraux des finances, dont la graduation et multiplicité sont si coûteux aux provinces. Régularité dans V administration. Une bonne administration est nécessaire pour la régénération de la France , si elle doit embrasser l’empire français dans son ensemble, elle arrêtera aussi ses "regards sur une grande province telle que la Bretagne, sur les villes et sur les paroisses. 1° L’objet capital pour le royaume entier est d’établir i’émulation parmi ses citoyens et de profiter du mérite en les élevant sans acception de naissance. Ainsi le tiers-état doit être admis aux emplois militaires, aux bénéfices, à la magistrature, sans exclusion, sous prétexte de l’éminence de ces places; il est même de l’intérêt public et dans la vraie constitution de la province que les offices du parlement soient remplis par les membres des trois ordres. Il serait également à désirer que, pour entretenir l’émulation entre les citoyens des villes, les maires en titre d’office soient supprimés. 2° 11. importe que les ressorts du gouvernement soient souvent retrempés, que les abus qui les relâchent soient solennellement déférés; l’unique voie d’y parvenir est de réunir la nation en Etats généraux à des termes fixes et périodiques. 3° Il importe de favoriser le commerce et l’agriculture, et les premières faveurs à leur accorder sont : l’abolition de l’impôt, l’industrie, le recule-ment des douanes intérieures aux frontières du royaume, l’extinction des péages seigneuriaux et domaniaux, l’uniformité des poids et mesures, la circulation libre tant en détail qu’en gros des objets fabriqués dans le royaume, une surveillance de la part du gouvernement à la boulée des graines de lin et à obvier aux fraudes qui se commettent tant dans le Nord qu’en France. Dans une partie importante, une loi pour obliger les seigneurs qui ont des redevances en grains à les recevoir durant le mois d’octobre, et faute de les avoir exigées, de se réduire à l’ap-précis de justice, que les mêmes seigneurs soient obligés d’abandonner les bois blancs aux colons, sur lesquels ils en ont usurpé la propriété, que les dîmes sur les défrichements faits depuis 1758 et ceux à faire à l’avenir, soient, même en cas de concours de dîmes, réduites à la trente-sixième gerbe, que même les dîmes existantes sur les autres terres cultivées soient également modérées à la même quotité, sauf à indemniser les seigneurs de l’excédant actuel. Si les commerces de grains doivent être favorisés dans cette province, il faut aussi pourvoir à la subsistance du peuple lorsque le prix du froment excède 8 livres le quintal; aussi prohibition d'exportation dès qu’il sera parvenu à ce prix, et de cet instant, obligation aux possesseurs des grains dans les villes et campagnes d’en fournir un état à la police. Au surplus il se lève sur les denrées et marchandises plusieurs coutumes et droits locaux tant aux foires et marchés que dans les ports et havres ; ils gênent la subsistance et le commerce : ainsi, abolition. L’administration publique de la province est surtout très-vicieuse et contribue à l’oppression du tiers. [Sénéchaussée de Morlaix.] Les campagnes ne sont pas représentées aux Etats ; elles doivent l’être par des députés librement élus, non nobles ni anoblis. Le tiers-état n’a maintenant que quarante-deux députés, nombre insuffisant qui devrait monter jusqu’à la concurrence des deux autres ordres réunis. Les pasteurs des villes et des campagnes n’y sont pas admis; ils méritent cette confiance de la nation. La Bretagne est couverte d’abbayes et de communautés inutiles : suppression et emploi des revenus à des établissements d’utilité publique, suivant les indications qu’en feront des Etats. Les places intéressantes de procureur général syndic et de greffier des Etats sont jusqu’ici réservées à la noblesse ; le tiers a le droit naturel de les partager. L’on y vote par ordre, et l’intérêt public veut que l’on y vote par tête. Administration des vins. Des villes sont aujourd’hui ruinées et leurs fonds absorbés par les frais immenses de l’adjudication de leurs octrois ; demander qu’elles soient faites en présence des subdélégués par les officiers municipaux sans le concours dispendieux des officiers de la chambre des comptes. On se plaint généralement de la formation actuelle des municipalités et de ce que les corps et corporations n’y sont pas représentés par des députés librement élus. Dans tes paroisses, les réparations des presbytères écrasent souvent les paroissiens ; elles devraient être faites des fonds d’une caisse benéfi-ciale et diocésaine, où chaque année se verserait une somme levée sur la cure pour y frayer à la diligence du recteur sans recours vers les paroissiens. Les rentes des églises et fabriques leur sont onéreuses par leur modicité et les frais immenses qu’occasionne leur conservation ; elles gênent d’ailleurs le commerce des biens ; il serait intéressant d’autoriser les agents généraux à en recevoir le remboursement ; qu’ils ne pouvaient refuser de recevoir au denier 30, à la charge de colloquer le principal en autre bien d’un ou deux tenants, sans indemnité, amortissement ni lods et ventes, vu que les rentes aliénées auront déjà produit ces droits. L’abus est presque général que les chapellenies et autres fondations se desservent par les pourvus ailleurs que dans les paroisses, ce qui enlève aux prêtres de campagne une partie de leur subsistance. Il est conforme à la religion comme à la politique que le service s’en fasse dans les paroisses auxquelles les fondations sont attachées par les titres. Au surplus l’assemblée déclare persister dans les arrêtés pris par le tiers-état de Bretagne assemblé à Rennes au mois de décembre et de février dernier, et en outre, elle arrête que Sa Majesté sera suppliée 1° de vouloir bien rendre les offices de juges non vénaux en autorisant les provinces, les villes et tous les corps même à les rembourser à leur commodité ; 2° de n’accorder aucune lettre de noblesse à ceux qui auront été députés aux Etats généraux. Fait et arrêté à l’assemblée générale de la sénéchaussée royale deTréguier etLannion, lesdils jour, mois et an que dessus, par triple, dont un exemplaire sera remis aux députés nommés en ladite assemblée et un autre déposé au greffe, et ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 78 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Morlaix.] le troisième adressé à M. le garde-des-sceaux Signé Riva-Cellan-Savidau, Morvan, Yves Le Ru-bec, Allain Le Roué, Pierre Le Cabec, Lassel, Le Lavier, Le Meleder, Rotenzou, Pierre-François Annotne, Le Rroezie, Yves Derrien, Le Moutréer-Anthoin, LeBrigant, Le Zolie, LeRonien,Kgomar, Fabien Adam-Tugnal, Savidan, Yves Le Glas, Pasquion, maire de Tréguier; Yves Le Thomas, Vincent Nicol, Henri Le Bever, Joseph Le Pou-méllec, Brichet, Lannier, Tremel, Yves Lannir, Kneau, Le Bever, Yves Le Bar, Gadiou, Alloué, Baudouin de Maison-Blanche, Henri Le Beaudour, Le Roux de Chef-Dubois. Les soussigné, greffier du siège royal de Tréguier à Lannion certifie le présent conforme à l’original desdits jour et an. Signé LeTerst, greffier.