619 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 décembre 1789.] rendraient l’impôt plus onéreux pour lui ; car sous ce rapport, tous les gens riches et influents auraient tout avantage, toute préférence, même à prix égal; et l’homme pauvre serait ruiné, si, par la réjection ou la désertion de l’homme dont il serait tenu de répondre, on exigeait de lui une double, et peut-être triple contribution. D’ailleurs s’il est décidé, comme cela est probable, que l’établissement ordinaire de l’armée sera sur les frontières, ces recrues y viendront de toutes les parties du royaume; et l’inégalité des distances, dont quelques-unes sont fort grandes, nécessitera l’inégalité des charges; car celui qui aura une longue route à faire pour lui, ou pour son représentant, sera plus durement imposé que celui gui vivra dans les lieux voisins. Ainsi donc cette imposition onéreuse pour tout le monde, le serait incomparablement davantage pour la classe la plus indigente, et consommerait sa ruine lorsque les malheurs publics l’auraient commencée. Un des avantages que l’on trouve au service personnel, est, dit-on, de composer l’armée d’une meilleure espèce de soldats. D’une meilleure espèce de soldats! je ne croyais pas que sous ce rapport la France eût rien à désirer. Les grands hommes de tous les pays ont rendu plus de justice aux soldats français, ont envié le bonheur de servir avec eux, ont cru que rien ne devait être impossible à leur tête. Les soldats français ont constamment donné de grands exemples de courage, de patience, de générosité; ils ont assez mérité l’estime de tout l’univers pour que l’on ait toujours plus attribué leurs revers à leurs chefs qu’à leurs fautes. Lorsqu’un des préopinants a appelé l’espèce d’hommes qui composent maintenant l’armée, l’écume de la nation, il a oublié sans doute que, malgré les injustes privilèges qui ont si longtemps exclu là classe la plus nombreuse des emplois militaires, quelques noms à jamais fameux ont, à force de vertus et de talents, percé cette foule opprimée, sont sortis de cette écume pour vaincre à la tête de nos armées. Quoique j’aie moins d’expérience militaire que beaucoup de préopinants, j’ai cependant été assez heureux pour voir les troupes françaises donner des exemples respectables de bon ordre et de discipline, dans plusieurs parties du monde. Plus heureux, mieux traités, avec plus d’espoir d’un avancement mérité, les soldats français vaudront-ils moins? pourront-ils en rencontrer ailleurs qui vaillent mieux qu’eux? Quels défenseurs de la liberté pourront dans l’avenir montrer plus de courage et de patriotisme? Nous sommes entourés de monuments qui nous attestent leurs droits à leur confiance. Pouvons-nous raisonnablement espérer que les hommes, uniquement déterminés par le plus offrant, sans cesse marchandés, qui appartiendront incontestablement davantage au plus puissant et au plus riche, puissent remplacer dignement ceux dont l’honneur est toute la fortune, et la gloire tout l’espoir? Il serait facile de prouver que les hommes qui se destineraient à remplacer ceux qui ne voudraient pas marcher eux-mêmes, dont l’état serait de n’en pas avoir, deviendraient bientôt une classe dangereuse, toujours prête à se joindre aux insurrections, et ayant plus à espérer des troubles et des révolutions, que d’un bon ordre de choses. Je suis loin de croire que l’enrôlement volontaire nuise aux mœurs, autant que quelques-uns des préopinants ont paru le penser. Il est un âge où les passions entraînent, où les hommes ont besoin de mettre quelque intervalle entre la fougue de la jeunesse et les devoirs d’un âge plus mûr, où, pour sentir ensuite le bonheur de vivre dans sa famille, on a besoin d'en avoir été séparé, où la discipline fait un bon et respectable soldat, du jeune homme bouillant qui eût été un mauvais sujet dans son village. Je conclus donc à ce que l’Assemblée nationale décrète que le service personnel ne sera point exigé, que les enrôlements volontaires et à prix d’argent continueront à avoir lieu, et que les assemblées provinciales et municipales seront consultées sur les meilleurs moyens de rassembler promptement, en cas d’invasion, les citoyens en état de porter les armes, et d’augmenter rapidement la force de l’armée, si les circonstances l’exigeaient. M. le vicomte de Noailles propose les articles suivants : 1° La force publique sera divisée en deux parties : la première composée des milices nationales ; la seconde de troupes de ligne. 2° La formation des troupes nationales sera déterminée d’après le travail du comité militaire, combiné avec celui du comité de constitution; il sera joint à cette formation une instruction militaire destinée aux milices nationales. 3° Le recrutement des troupes de ligne se fera par des engagements volontaires. Le temps de service des soldats sera réglé par la loi. 4° Les régiments seront attachés à un ou à deux départements pour former leur recrutement. Les régiments conviendront avec les représentants des départements, des moyens qu’ils emploieront pour se recruter. M. le baron d’Harambure. Je pense que la conscription militaire ne peut être utile que dans deux cas : lorsque la liberté nationale est compromise, ou lorsque l’ennemi est entré dans le royaume. Je propose de remplacer l’ancienne milice, qui était composée de soixante mille hommes, par une milice nouvelle de quatre-vingt mille hommes. Chaque paroisse de quatre-vingts feux fournirait et entretiendrait deux soldats qui, en temps de paix, n’auraient qu’un service très-borné, et se réuniraient en temps de guerre aux troupes soldées. Ainsi, l’armée pourrait être réduite à cent vingt mille hommes. Cette armée continuerait à être recrutée par engagements volontaires. M. le baron d’Barambure propose des articles qui contiennent les détails de son projet. M. le vicomte de Toulongeon. En examinant les faits historiques, on voit que la conscription n’a jamais été adoptée que par les gouvernements despotiques ouïes républicains. Si l’on entend par ce mot le droit de prendre les armes, quand la patrie est en danger, c’est une loi nationale. Si ron entend que les hommes naissent soldats et marchent au premier appel, proposer la conscription, c’est demander le despotisme et l’esclavage. La conscription ne doit être autre chose qu’un règlement, par lequel les citoyens seront appelés de gré à gré à soutenir la force militaire. Dans ce sens, je l’adopterais pour les milices nationales. Mais elle est inapplicable aux troupes continuellement actives, et l’enrôlement volontaire est seul praticable. Je propose de décréter que l’armée française sera composée de soldats engagés volontairement, et dont le nombre ne sera ni de moins de cent mille