[Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. pas authentique? Je demande doue que, sans avoir égard à la motion de M. de Mirabeau, l’Assemblée décrète que demain elle continuera de s’occuper des moyens de résister à la ligue de nos ennemis. M. de Cazalès. Je n’ajoute qu’une seule observation; c’est que dans le cas où le prince de Gondé se serait égaré jusqu’à former des projets contre sa patrie, ce serait le confirmer dans cette intention que de le traiter avec tant de rigueur. Je répondrai à M. de Mirabeau, qui trouve que c’est un moven de le faire rentrer sans danger dans sa patrie, qu’il est libre d’y rentrer quand il voudra ; que ce n’est pas par des expressions iujurieuses à son patriotisme qu’on le ramènera. Ce n’est point en prenant de tels moyens que nous devons espérer de réunir tous les Français dans les mêmes sentiments. Je demande la question préalable sur la motion de M. de Mirabeau. M. de Mirabeau l'aîné. Je répondrai avec simplicité aux véhémentes interpellations de M. Robespierre. Les talents militaires qui rendent redoutable M. de Bourbon, dit Coudé, sont le premier objet de l’animadversion que j’ai cherché à provoquer contre lui. Lorsque M. Robespierre m’accuse de l’avoir choisi parmi tant d’autres, il ne se rappelle pas que le zèle des préopinants m’avait devancé sur d’autres objets. Si j’ai gardé un profond silence relativement à l’improbation du ministre, c’est que j’ai trouvé qu’on avait raison dans le fond et non pas dans la forme. Les ministres ne doivent pas être improuvés, mais jugés. J’ai présenté une motion moins emphatique que les longues ou courtes observations dont M. Robespierre a bien voulu l’honorer. Il m’a semblé qu’il était de la justice d’ouvrir à un absent l’entrée de sa patrie, et de prendre les voies de rigueur s’il se refusait à profiter de cette ouverture. Peut-être aussi y a-t-il autant de gloire à l’avoir attaqué, qu’à présenter sur les ministres des motions tant de fois répétées. M. Charles de Lameth. M. Condé est l’ennemi de ma famille; mais il me semble qu’il y a moins de courage à l’attaquer absent, qu’à attaquer un ministre en place. En un mot, la motion de M.de Mirabeau, toute belle qu’elle paraît aux autres et à lui-même, n’est rien du tout; carM. de Gondé n’a qu’à répondre: je n’ai pas écrit cela, et il est justifié. M. de Mirabeau l'aîné. En effet, cette motion n’est rien pour ceux qui ne veulent qu’un pendu; mais elle est tout pour ceux qui veulent un justifié. M. Robespierre. Je ne veux ni accuser ni justifier M. de Bourbon; mais je pense qu’il ne faut pas détourner l’attention de dessus les coupables, pour l’attacher à un seul individu. M. Ce Pelletier ( ci-devant de Saint-Far geau). Si je voulais rendre un service important à Louis-Joseph de Bourbon, si je voulais en faire un citoyen très redoutable, et l’envelopper de toute la faveur que donne la proscription à un personnage distingué et à une réputation éclatante, j’appuierais la motion qui vous a été présentée. Si je voulais porter sur les décrets de l’Assemblée nationale, dont l’opinion publique fait toute la force, la défaveur et le discrédit qui accompagnent une délibération peu réfléchie, je vous proposerais [28 juillet 1790.] 39g d’adopter cette décision sévère, sur la simple dénonciation d un manifeste qui ne nous a pas même été lu. Coriolan, aigri par les Romains, se retira chez les Volsques, et il en obtint des secours qui mirent sa patrie à deux doigts de sa perte... Ge ne sera pas chez les Volsques que Louis-Joseph de Bourbon prendra sa retraite ; mais des peuples puissants de l’Europe sont gouvernés par des Bourbons; voilà l’hospitalité qui l’attend; et je ne veux pas lui prêter l’intérêt que ses malheurs mêmes lui donneraient, lorsqu’il se présenterait devant ses propres parents, tout couvert de blessures morales que lui auraient faites vos décrets, Je pense que nous devons au plus tôt nous occuper de l’ensemble des dangers dont la France est environnée. Sur la motion présente, je ne suis d’avis ni de la question préalable, ni de l'ajournement; mais je demande que l’on passe à l’ordre du jour. (L’Assemblée décide qu’elle passera à l’ordre du jour.) (La séance est levée à quatre heures et demie.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 28 JUILLET 1790. Opinion DE M. Rabaud ( ci-devant de Saint-Étienne) au sujet des mouvements de plusieurs princes de l'Europe (1). Messieurs, vous n’avez pas été étonnés des objets qui soudainement ont été soumis à votre délibération. Il y avait longtemps que chacun de vous recevait des avis particuliers sur les mouvements et les intrigues préparés contre notre liberté auprès de diverses cours de l’Europe. Depuis longtemps vous entendez dire que c’est ici îa cause des rois, et que tous devraient se réunir pour venger ce que l’on appelle leur querelle. Vous vous êtes entendu menacer de la ligue dp tous les princes contre l’humanité et de vingt potentats européens contre trois ou quatre cents millions d’hommes. Vous avez entendu parler de grands préparatifs de guerre, de flottes armées, d’une rupture entre deux puissances voisines, d’une guerre où vous ne pouviez éviter d’entrer comme alliés ou comme ennemis, de l’alliance soudaine entre deux autres puissances qui menaçait votre liberté, d’invasion de nos colonies, du siège de nos ports, et de tout ce que pouvait réunir contre nous la fureur et la vengeance. Vous avez vu, dans le même temps, des troubles suscités dans l’intérieur du royaume, des brigands étrangers répandus dans nos provinces, des hommes soudoyés pour semer la discorde, des (1) J’avais demandé la parole sur la discussion élevée au sujet du passage des troupes étrangères sur le territoire de France, et au sujet des divers mouvements de l’Europe que j’attribue aux intrigues de nos ennemis intérieurs et que je crois exister en projets plus qu’eu réalité. L’Assemblée, suffisamment éclairée, voulut aller aux voix. J’ai cru cependant devoir imprimer ce que je m’étais proposé de dire et quelques amis me l’ont conseillé. Les écrits incendiaires qu’on répand dans toute l’Europe demandent une réponse, et s’il est encore des Français timides qui se laissent étonner des jactances et des menaces dont ces libelles sont remplis, ils ont besoin d’être rassurés. ( Note de l’auteur.) 396 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 juillet 1790.] préparatifs pour embraser des pays entiers afin d’y attirer des forces étrangères. Votre courage et la vigueur d’une nation gui veut être libre, ont écarté, jusqu’aujourd’hui, ces périls, et les périls n’ont servi qu’à rendre triomphante la cause de la liberté. Maintenant, Messieurs, on redouble d’efforts pour renouer un projet déconcerté en partie. Des brigands étrangers, égarant, quelques jours le peuple de Lyon, l’ont porté à des violences qui pouvaient faire de Lyon un rendez-vous de mécontents, et le centre d’une guerre particulière. Des hommes armés dans le Comtat-Venaissin, et dont l’argent des étrangers peut aisément grossir le nombre, menacent les provinces voisines. La ville de Montauban peut aussi devenir une place forte, et un rendez-vous des ennemis de la liberté. Dans le même temps circulent des écrits incendiaires, annonce infaillible d’un projet que l’on ne publie avec tant d’audace que dans le dessein d’en répandre partout les insinuations. On y invite tous les princes de l’Europe à se réunir dans un congrès (1); on leur peint la France comme un pays sans armée , sans marine , sans finances, sans religion , sans mœurs, sans lois, et qui déjà est absent de l’univers; on leur montre déjà nos dépouilles, et pour les inviter à se répandre comme des brigands dans cet Empire, on leur peint la France hors d'état désormais de maintenir les traités, et les Français, comme une nation féroce , indigne de la liberté , et qui ne compte pour rien la perfidie. De quoi s’agit-il maintenant, Messieurs, et quel parti devons-nous prendre? Tranquilles sur votre morale publiquement énoncée, et sur vos principes connus, fiers de cette conscience nationale que vos décrets ont formée, vous offrez à l’Europe, l’exemple, le premier exemple d’un grand peuple qui renonce au brigandage des conquêtes, et qui fait de la modération et de la justice une loi constitutionnelle de l'Etat. Vous annoncez ainsi à vos voisins que, si l’esprit de vertige ne les saisit, vous êtes nécessairement leurs plus sûrs alliés. Vous apprenez aux peuples que leurs amis, ce sont ceux qui épargnent le sang humain, et que leurs ennemis, ce sont leurs tyrans qui le versent, qui le répandent, qui le prodiguent pour leurs intérêts personnels. Vous apprenez aux têtes couronnées, à vingt mortels auxquels l’Europe obéit, que la France est uq empire dont ils n’ont rien à redouter, tant qu'ils ne cherchent pas à s’en faire redouter eux-mêmes. Vous leur donnez un grand exemple, et l’Europe entière leur dira que cet exemple est une leçon. Vous avez dit à l’univers ces paroles simples et sublimes : jamais nous n'attaquerons personne. Croyez, Messieurs, que ces paroles ne sont pas perdues, elles ont retenti dans tous les cœurs ; la nation qui se constitue sur la justice, doit être un jour l’admiration et le modèle de toutes les autres. Vous avez donc fait votre déclaration de paix; qui nous menacera maintenant d’une déclaration de guerre? Quels monarques de l’Europe avez-vous offensés? Quelles barrières avez-vous franchies? Quelles insultes ont-ils reçues? Où seraient leurs droits et leurs titres ? Quels prétextes les cabinets ministériels pourraient-ils donc imaginer, et quel serait Je style de leurs manifestes? Et leurs peuples, et leurs sujets, que diraient-ils en se voyant traîner sur nos frouiières? « Ce peuple veut "être « libre, et nos maîtres nous ordonnent de l’égor-« ger. La liberté des peuples est donc le tourment « et l’effroi de nos souverains. » Vous ne voulez plus tenir vos traités (1) ! Qui le leur a dit? Vous ne pourrez plus les tenir! Ah! sans doute, l’Europe avait jadis plus de confiance en nos ministres! Sans doute, un gouvernement despotique et conquérant est un infaillible garant de la fidélité ! Sans doute, on ne pourra pas se fier à un peuple qui commence par annoncer qu’il respectera toujours les possessions des autres peuples ! Et les rois ont toujours été fidèles observateurs des traités 1 Il faut que, sur-le-champ, vous fassiez raison à V Europe du prix des cessions qui vous ont été faites , ou que la nation soit dépouillée même de ses droits légitimes (2). Langage de cannibales, vrai manifeste de brigands! Tels sont les conseils que des brouillons incendiaires osent donner à des rois, tant les ennemis de la liberté cherchent à dégrader la majesté des princes, pour servir leurs intérêts particuliers. Mais qu’ils sachent que la nation a tout ce qu’il faut de justice et de force pour maintenir et même pour faire exécuter les clauses des traités; que nous ne serons plus gouvernés par l’astuce des cabinets ni par les mystères diplomatiques; que la probité sera notre politique; qu’une grande nation ne prend conseil que de la générosité; que les intérêts de tous seront pesés dans une juste balance quand nous serons sortis des déblais de notre antique constitution, et que, si nous avons quelque confiance dans la justice des souverains, nous en avons encore plus dans la nôtre. Non, Messieurs, ce n’est qu’un vain prétexte dont se servent ceux qui se croient assurés d'avoir gagné les rois, quand ils ont intrigué dans les cabinets. Non, cette ligue dont on nous menace, ce congrès de tous les souverains, ces couronnes réunies, des troupes à nos portes, ces vaisseaux armés, cet appareil dont on veut nous effrayer dans de prétendus manifestes, et cette suite de conspirations intérieures que nous avons successivement découvertes; tout cela n’est que le fruit de la vengeance et du désespoir de nos anciens oppresseurs. Ils disent que nous sommes sans armée ; nous l’avons encore cette armée, mais une armée citoyenne, et digne plus que jamais de combattre pour nous. Que nous sommes sans vaisseaux! Eh bien! nous avons trois millions d’hommes prêts à défendre leurs foyers. Que nous -sommes sans finances! Oui maintenant; mais nous avons appris à être pauvres, et quel peuple que celui qui a perdu tous ses besoins et qui ne regarde point en arrière! Que nous sommes sans lois! Ils se trompent, nous en avons une loi puissante et qui donne de grands conseils, la loi de la nécessité! La France, disent-ils, a disparu de l’univers ! S’ils en étaient bien convaincus, ils ne prendraient pas tant de soin de de le dire. Cependant, Messieurs, ces objets ont dû exciter votre vigilance. S’il existe un projet de guerre contre la France pour venger la querelle de nos oppresseurs, vous n’y verrez qu’une violation du droit des gens; et les Français ne verront dans ceux qui violeraient leur territoire que des brigands et des assassins. Si les faiseurs de com plots se sont flattés de persuader aux princes étrangers qu’ils se partageraient nos provinces; s’ils leur montrent sur la carte la portion de (1) Dénonciation à toutes les puissances de l’Europe d’un plan de conjuration contre sa tranquillité générale. (1) Dénonciation, etc. \2) Ibid. |Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. )28 juillet 1790.) 397 chacun d’eux, s’ils ont conspiré de partager� la France, comme on fit jadis de la Pologne, s’ils appellent cela rétablir l’équilibre de l’Europe, les princes éclairés ne verront, dans ces brigandages, qu’une atteinte portée à leurs droits. L’Allemagne ne verra pas, sans une juste jalousie, l’agrandissement de son futur empereur; la triple faction du Brabant s’apercevra que ses divisions lui ont préparé des fers communs; les princes de l’Empire verront leur influence diminuée de tout ce que la Prusse et l'Autriche pourraient gagner; l’Italie, qui a aussi sa balance, ne devra pas supporter avec patience l’agrandissement du souverain du Piémont. Et l’Angleterre, cette puissance dont la politique en Europe est d’y conserver un ascendant digne d'elle, de quel œil verrait-elle l’occident envahi par l’orient, une puissance pondérante disparaître de la terre ferme, le Hanovre entouré de voisins agrandi, et l’Ile Britannique se rapetisser et se resserrer devant les masses continentales? L’Angleterre, dont la jalousie envers nous est peut-être de l’estime, dont la rivalité n’est qu’une concurrence, dont le commerce, assuré sur des bases solides, l’emportera toujours sur celui d’une nation désormais agricole par constitution, verra-t-elle de sang-froid une ligue européenne dont les progrès et le désordre ne pourraient être calculés et qui dérangerait l’équilibre actuel, si convenable à cette puissance? Je comprends, Messieurs, que quelques princes du Nord peuvent être séduits par la fureur d’agrandir leurs Etats, car leurs Etats sont leur bien, et vous savez qu’en Allemagne les hommes sont la propriété des souverains. L’intérêt des princes conquérantset par conséquentleurs principes sont de s’agrandir, de conquérir, de verser le sang de leurs sujets pour acquérir d’autres sujets; comme, dans le négoce, on acquiert l’argent avec de l’argent. Leur commerce est un commerce d’hommes, une spéculation de sang humain. Mais leurs fantaisies seraient-elles des titres? El le reste de l’Europe n’ouvrirait-ü pas les yeux sur leur dévorante ambition? Et cependant une autre puissance, dont le corps est, pour ainsi dire, démembré, dont la tête est à Madrid, le cœur au Mexique et les membres dans les deux mondes ; dont le sang, par une circulation difficile, n’alimente que faiblement tant de parties dispersées : l’Espagne a-t-elle vraiment intérêt à troubler une puissance dont toute la force est concentrée, et dont la liberté vient d’augmenter le ressort? Sait-elle où l’engageraient des hostilités, et ce qu’est une guerre commencée? Est-elle assez forte pour ne rien risquer à s’affaiblir? Est-elle assez puissante pour étendre les bras sur les deux mondes, assez agile pour couvrir à la fois toutes ses possessions? Quoi qu’il en soit, Messieurs, on vous annonce de partout des projets conspirateurs, et vous ne. devez pas attendre, pour les confondre, qu’ils aient été réalisés. Votre roi, qu’inutilement on a cherché à séparer de sa nation; qui s’est identifié avec elle parce que des hommes vulgaires auraient appelé des sacrifices ; qui, quoiqu’on en dise, est déjà, qui doit être une pièce essentielle de votre Constitution achevée et la clé de tout l’édifice ; qui, plus que jamais, a intérêt de s’unir avec son peuple et avec ses représentants : votre roi voit annoncer sous ses yeux le projet de démembrer ses Etats, et c’est en feignant de le servir qu’on porte une main coupable sur sa couronne. Le roi de Pologne ne fut point soutenu de ses sujets. Je le crois bien, ses sujets étaient esclaves ; mais le roi d’un peuple libre a autant de défenseurs qu’il y a de citoyens. Le roi de Pologne fut réduit à un noyau de royaume. Que les Français soient rassurés: aucun d’eux ne deviendra la proie d’une puissance étrangère. Ils l’ont juré, et cette fédération universelle, comme par une inspiration céleste, a réuni tous les Français en un seul corps. Tout est royaume, tout est frontière. Il n’y a plus de partie, il n’y a qu’un tout. Et si une grande puissance, si une grande volonté, si une grande population, doivent êire comptées dans le calcul des forces humaines, c’est celui que nous présenterons à l’étrange et prétendue ligue dont on nous menace. Et, sans doute, ce nouvel obstacle qu’on nous suscite, ne servira, comme tous ceux que nous avons vaincus, qu’à nous rendre notre liberté plus chère à nous en assurer la conquête. Que les princes de l’Europe nous observent; nous n’avons point de secrets, et, comme la maison du plus vertueux des Romains, la salle nationale est ouverte à tout le monde. Qu’ils exa-miment s’il leur convient d’avoir pour amie une nation qui a juré la paix à ses voisins, et qui brûle de la conquérir pour l’univers, par les armes dignes d’elle : la raison, la justice et la bonne foi. On leur dit que nous n’avons pas ratifié les traités, mais on leur dit eu même temps que nous n’existons plus. Que peut-on demander à un peuple anéanti, disparu de dessus le globe? Mais si cette prophétie est mensongère, si votre persévérance, Messieurs, qu’inutilement on s’efforcera de fatiguer, si l’énergie de la nation, si cette puissance de volonté dont les hommes faibles n’ont aucune idée, vous permettent d’achever votre ouvrage, l’Europe apprendra que si la vertu fait nécessairement la Constitution d’un peuple libre, les traités sont désormais, entre ses mains, un dépôt inviolable et sacré. Vous veillerez cependant, Messieurs, avec une inquiétude continuelle, sur les mouvements intérieurs qu’on chercherait encore à exciter dans l’intérieur du royaume; car c’est du dedans que nous viennent tous les obstacles. Ce ne sont que les divisions intestines qui sont à craindre. Vous ne pouvez avoir la guerre du dehors si vous ne l’avez pas au dedans : et si les Français savent être unis entre eux, nul peuple n’osera frahchir leurs fontières. Vous éclairerez ce peuple que l’on cherche à abuser. Il apprendra de vous qu’on ne l’excite à la licence que pour lui faire perdre le fruit de vos bienfaits; qu’on lui suggère de ne pas payer les impôts, que pour nous empêcher de rétablir nos finances; qu’on ne l’invite à égorger ses frères que pour engager ceux-ci à la vengeance et pour exciter à une guerre civile; qu’on ne veut une guerre civile que pour avoir le prétexte de faire entrer chez nous des chefs et des armées étrangers; qu’on ne veut introduire des troupes étrangères que pour mettre en lambeau le plus beau royaume de l’Europe et pour satisfaire la vengeance de nos anciens oppressants. Le silence tranquille vous convenait peut-être, Messieurs, quand, malgré tant d’obstacles, vous vous occupiez nuit et jour à avancer votre Constitution. Maintenant, il faut crier à haute voix, et opposer toute la force nationale au complot contre la nation et contre le trône. Ils veulent nous ôter la liberté, nous crierons: Liberté! Et ce cri, répété par vingt-cinq millions de Français, sera la sauvegarde de nos frontières et fera tressaillir de joie toute l’Europe. Bientôt on vous présentera, Messieurs, le plan d’organisation des gardes nationales, les moyens 398 [Assemblée nationale.] de soutenir la force de l’armée par la force de la nation. Les soldats citoyens n’attendent que ce moyen pour prendre les rangs et les formes que vous leur indiquerez. En attendant, tout le monde se convaincra de celte grande vérité, que la nation et le roi n’ont qu’un même intérêt ; vou3 méditerez avec sagesse les principes politiques qui naissent de nos relations avec l’Europe-, et, en éclairant le peuple sur les suggestions dont on l’entoure, et sur les pièges qu’on lui tend, vous entretiendrez, vous rallumerez le feu sacré dont il brûle pour la liberté, et qui doit le rendre un des premiers peuples du monde. Je concluais à demander qu’il fût décrété : 1° La nomination d’un comité déjà demandé pour prendre communication des traités; 2° Que le roi serait supplié de donner les ordres nécessaires pour envoyer un nombre suffisant de troupes sur les fontières voisines des lieux où les princes étrangers ont rassemblé des armes et des soldats et pour garnir les forteresses; 3° Que les Français absents du royaume, pour quelque cause que ce soit, et qui n’ont pas prêté le serment civique, seraient tenus de déclarer, dans un terme fixé, s’ils adhérent ou non à ce serment; et qu’en cas de non adhésion, ils seraient déchus du droit de citoyen actif. Ce dernier article était fondé sur ce principe: qu’une société qui se constitue doit savoir quels sont les membres qui consentent ou ne consentent pas au droit commun, et que ceux qui n’y consentent pas n’ont aucun droit aux bénéfices de la cité. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. TRElLHARD. Séance du 29 juillet 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. de Mascon, député du Puy-de-Dôme, demande un congé pour aller prendre les eaux du Mont-Dore. Ce congé est accordé. M. de La Luzerne envoie un mémoire pour faire connaître les dépenses du département de la marine et des colonies pendant l’année 1790. Ce mémoire est renvoyé au comité de la marine. M. le Président rend compte qu’il a présenté à la sanction du roi, sept décrets, savoir : Du 26 juillet. « Décret qui autorise la ville de Douzy à emprunter la somme de 10,000 livres. » Dudit jour . « Décret qui autorise les officiers municipaux de la ville d’Annonay à un emprunt de 4,000 livres. » ]29 juillet 1790.] Dudit jour . « Décret qui autorise les officiers municipaux de Saint-André de Vaiborgne à imposer la somme de 800 livres. » Dudit jour. « Décret qui autorise les officiers municipaux de Vignan, département du Gard, à imposer eu une ou deux années, à leur choix, la somme de 6,000 livres. » Dudit jour. « Décret sur les droits de voirie et plantation d’arbres dans les chemins publics. » Dudit jour. « Décret portant réduction des traitements accordés pour la table des officiers généraux de la marine. » Du 28 juillet . « Décret qui ordonne qu’en exécution de celui du 28 février, aucunes troupes étrangères ne pourront entrer dans le royaume qu’en vertu d’un décret du pouvoir législatif; annulle les ordres émanés du secrétariat de la guerre, et porte différentes dispositions relatives à la police des frontières, à la liberté du commerce français, et à la fabrication de canons, fusils, et à la distribution des armes aux citoyens, partout où la défense du royaume rend cette précaution nécessaire. » M. le Président présente à l’Assemblée une note de M. le garde des sceaux, qui envoie un mémoire de M. le bailli de Virieu, chargé des affaires de V ordre de Malte. Un de MM. ies secrétaires fait lecture de ce mémoire qui a pour objet le décret du 3 juillet présent mois, par lequel il est ordonné que le produit du rachat des droits féodaux appartenant à cet Ordre, sera versé dans la caisse de l’extraordinaire, jusqu’à ce que l’Assemblée ait pris ua parti définitif. Cette disposition est regardée par M. le bailli de Yirieu comme une sorte d’expropriation provisoire ; il pense cependant que l’Assemblée nationale ne peut être raisonnablement soupçonnée de vouloir dépouiller un Ordre dont Je droit de propriété est reconnu par toutes les puissances de l’Europe, et pour lequel il réclame la protection du roi. M. Camus. Déjà les réclamations de cet Ordre sont venues traverser la marche de l’Assemblée nationale; j’ai alors demandé que l’ou s’occupât de savoir si les ordres de Malte, de Saint-Lazare, du Saint-Esprit et d’autres, peuvent subsister dans la Constitution, je propose aujourd’hui de renvoyer cette question à l’examen du comité de Constitution, auquel seraient adjoints deux membres du comité ecclésiastique, deux du comité militaire et deux de celui des pensions. Cette motion est adoptée, et le décret rendu en ces termes : ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.