282 [Assemblée nationale.] affranchis, en ce que c’est par l’effet de la bien-' veillance de ceux-ci que les affranchis arrivent à l’exercice des droits politiques. De pareils droits au contraire accordés aux uns par le Corps législatif contre la résistance des autres ne peuvent que les aigrir et les diviser. Ainsi, il est vrai de dire que l’amendement aurait tous les inconvénients du décret proposé, en ce qu’il serait toujours la rétractation d’un décret rendu; qu’il ne produirait pas les bons effets que l’on en attend, il empêcherait cette réunion de laquelle nous devons espérer la prompte progression des hommes de couleur à la partie des droits politiques qu’il est impossible de leur accorder. Quant au projet présenté par M. Blin, il ne me paraît pas de nature à pouvoir être adopté dans le moment actuel. Il n’y a que deux points constitutionnels dans les liens des colonies à la métropole : ces points sont la compétence sur les deux intérêts principaux qui forment la base du contrat entre la métropole et les colonies. L’intérêt de la métropole, dans la possession des colonies : c’est le commerce ; l’intérêt de la colonie, dans sa réunion à la métropole, c’est sa sûreté, la conservation de son existence et de sa tranquilité intérieure. Là sont les deux intérêts dominants, là sont les deux points qui doivent être immuablement décidés, si l’on veut que le contrat subsiste, si l’on veut que le contrat ne soit rompu ni par des inquiétudes ni par des espérances illégitimes. Tout le reste peut changer par l’expérience; tout le reste est simplement législatif. D’ailleurs, la délégation du régime intérieur aux assemblées coloniales, sous la sanction du roi, deviendrait un relâchement indéfinissable des liens qui unissent les colonies avec la métropole, si l’on ne statuait en mêmetemps sur les moyens de répression qui seraient accordés par la constitution coloniale tant au Corps législatif qu’au roi, sur les assemblées coloniales et sur leurs usurpations possibles. Je n’ai pas besoin de m’étendre à cet égard; j’ai déjà démontré hier, qu’attendu la différence du système de l’Angleterre, relativement aux pouvoirs administratifs et judiciaires, avec celui de la France, on ne peut pas admettre actuellement le même système législatif pour nos colonies. M. Dupont (de Nemours). Si la discussion est fermée, je demande ce que fait là monsieur? (Il montre M. Barnave.) M. le Président. Il me semble que M. Dupont est celui gui devrait le moins s’en plaindre; car c'est celui qui l’a rouverte de fait. M. Barnave, rapporteur. Comme vous avez chargé les colonies de vous présenter un plan de législation vous ne pouvez pas vous occuper aujourd’hui de ce qui sera législatif, avant d’avoir reçu ce même plan. Vous devez, pour la tranquillité nationale, fixer les deux points constitutionnels, parce que cela n’appartient qu’à vous, et parce que, quoi qu’on en puisse dire, vous en avez encore le droit. AV extrême gauche ; La Constitution est finie. M. Barnave, rapporteur. Vous avez formellement énoncé dans l’acte constitutionnel, que les colonies n’y étaient pas comprises : us;mt. donc actuellement de ce droit, décrétez ces deux bases et adoptez le projet des comités pour lequel je demande la priorité. (Applaudissements. y [24 septembre 1791. (L’Assemblée, consultée, accorde la priorité au projet de décret des comités.) M. Barnave, rapporteur, soumet à la délibération les articles 1 et 2 qui sont successivement mis aux voix, sans changements, comme suit : « L’Assemblée nationale constituante, voulant, avant de terminer ses travaux, assurer d’une manière invariable, la tranquillité intérieure des colonies et les avantages que la France retire de ces importantes possessions, décrète, comme articles constitutionnels pour les colonies, ce qui suit : Art. 1er. « L’Assemblée nationale législative statuera exclusivement, avec la sanction du roi, sur le régime extérieur des colonies; en conséquence, elle fera : 1° les lois qui règlent les relations commerciales des colonies, celles qui en assurent le maintien par l’établissement des moyens de surveillance; la poursuite, le jugement et la punition des contraven tions, et celles qui garantissen t l’exécution des engagements entre le commerce et les habitants des colonies; 2° les lois qui concernent la défense des colonies, les parties militaires et administratives de la guerre et de la marine. (Adopté.) Art. 2. « Les assemblées coloniales pourront faire sur les mêmes objets toutes demandes et représentations; mais elles ne seront considérées quecomme de simples pétitions, et ne pourront être converties dans les colonies en règlements provisoires, sauf néanmoins les exceptions extraordinaires et momentanées relatives à l’introduction des subsistances, lesquelles pourront avoir lieu à raison d’un besoin pressant légalement constaté, et d’après un arrêté des assemblées coloniales approuvé par les gouverneurs. (Adopté.) M. Barnave, rapporteur , soumet ensuite à la délibération l’article 3, ainsi conçu : « Les lois concernant l’état des personnes non libres et l’état politique des hommes de couleur et nègres libres, ainsi que les règlements relatifs à l’exécution de ces mêmes lois, seront faites par les assemblées coloniales, s’exécuteront provisoirement avec l’approbation des gouverneurs des colonies, et seront portées directement à la sanction du roi, sans qu’aucun décret antérieur puisse porter obstacle au plein exercice du droit conféré par le présent article aux assemblées coloniales. » A l'extrême gauche : La question préalable ! M-de lia Rochefoucauld-liiancourt. Il a été fait par M. Defermon, sur cet article, un amendement qui, tout en laissant aux assemblées coloniales, comme le porte le projet des comités, le droit de régler, sans la sanction du roi, les conditions d’éligibilité, a pour but de déclarer que, dans les colonies, tous les hommes libres jouiront du droit de citoyen actif; c’est cet amendement que je demande à soutenir. En effet, l’article 3 tel qu’il est rédigé laisse entière la question que vous avez tant discutée ; il est donc nécessaire, il est indispensable que vous disiez au moins quel est le premier germe des assemblées coloniales, sans quoi la question reste aussi enchevêtrée qu’elle vous a été présentée (Applaudissements.); vous ne pouvez donc ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.1 283 pas vous dispenser de dire, qu’elle sera la matière première de ces assemblées, quels seront les hommes qui pourront les composer; vous ne pouvez vous dispenser de dire, si, parmi les nombreux habitants des colonies, il y en aura qui, par leur nature, seront ou non privés de lu qualité de citoyens actifs. Vous ne pouvez pas ôter à un homme jouissant de sa liberté, l’aptitude à être citoyen actif d’après les conditions générales qui seront déterminées ; c’est à ce point que je m’attache. Quand vous l’aurez déterminé, alors les assemblées coloniales, formées d’après ce germe, détermineront les conditions générales pour être citoyen actif et pour être éligible. C’est alors que nous discuterons, sous la sanction du roi, les principes et les modifications qu’elles auront à établir. Je demande donc que l’amendement de M. Defermon soit mis aux voix. Voix diverses : Aux voix l’amendement! La question préalable! M. Briois-Beaumetz. Je crois que c’est avec raison que M. de La Rochefoucauld a observé que la rédactn n de l’article n’était pas complète; mais je ne pense pas que, pour cette raison, il faille admettre l’amendement de M. Defermon, qui détruit l’article sous prétexte de l’expliquer; car cet amendement a absolument pour objet de faire dérider à nous-mêmes ce que la majorité de l’Assemblée paraît déterminée à laisser décider par les colons eux-mêmes; ce serait perdre tous les avantages que nous attendons du décret soumis à votre discussion. Cependant, il est juste d’expliquer l’article, et voici comment on pourrait lui rendre toute la clarté que M. de La Rochefoucauld a observé qu’il lui manquait ; pour ne laisser aucun doute sur nos intentions, je pense que l’article pourrait être ainsi conçu : « Les lois concernant, etc... seront faites par les assemblées coloniales existantes et celles qui leur succéderont... » ( Murmures à l'extrême gauche ) ; le reste de l’article comme au projet des comités. M. Pétion. Avant d’attacher un amendement à cet article, il faut d’abord savoir si l’ariicle lui-même subsistera : je demande donc que la question préalable réclamée sur l’article 3 des comités soit mis aux voix. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il y a lieu à délibérer sur l’article.) Plusieurs membres : La question préalable sur la question de M. Defermon ! M. Defermon. Quand il s’agit de priver une classe de citoyens des droits de citoyen actif, sûrement on ne peut se rendre qu’à des raisons déterminantes, et je vous avoue que celles de M. le rapporteur ne m’ont pas convaincu. Les assemblées coloniales doivent, par l’article 3, être chargées de prononcer sur l’état des personnes non libr es et sur l’état politique des hommes de couleur et nègres libres. On a dit qu’il fallait le faire par les assemblées coloniales actuelles. Je réponds que ce ne serait pas résoudre la difficulté; car sûrement, celui qui a fait la proposition ne savait pas que, dans plusieurs colonies, il n’existe pas actuellement d’assemblée coloniale. Il faut donc former les assemblées coloniales; et il ne faut pas seulement qu’elles aient une initiative telle que, jusqu’à présent, on vous l’avait proposé; mais qu’elles fassent la loi, et qu’elles portent la loi à la sanction du chef du pouvoir exécutif. Vous voulez resserrer les liens de la métropole avec les colonies, vous voulez assurer la tranquillité et la prospérité de la colonie: je le veux, comme vous; mais je crois que, si vous voulez donner à tous les habitants de la colonie la confiance qu’il ne sera porté aucune atteinte à leur propriété, qu’elles seront sous la sauvegarde de la loi, il faut qu’elles aient tout l’espoir de coopérer à cette loi. il faut au moins que ceux qui ne pourront pas être élus, aient le droit d’espérer qu’ils parviendront à élire. Il faut donc mettre un terme indépendant de la volonté de ceux qui formeraient les assemblées coloniales, d’après lequel les hommes de couleur nés libres dans la colonie, puissent parvenir à l’exercice des droits de citoyen actif. Lorsque vous décrétez constitutionnellement, Messieurs, et que l’intérêt national et l’intérêt des colonies vous pressent de foire une loi constitutionnelle, afin que les législatures qui vuus suivront ne puissent y rien changer, il faut vous borner à faire ce qu’exige l’intérêt des colonies et faire en même temps justice. Pour ce qu'exige l’intérêt même de la colonie, vous savez, et l’on vous a dit, que le décret du 15 mai pouvait mettre la guerre civile dans la colonie, pouvait armer les gens de couleur contra les blancs ; je demande si par un décret qui annonce une injustice souveraine envers les hommes de couleur, vous ne tomberez pas dans l’inconvénient contraire. ( Applaudissements et murmures.) Je demande à l’Assemblée si elle ne se rappelle pas la destination que faisait M.le rapporteur des quatre comités de cette grande discussion sur les fonctions des électeurs réunis, il vous disait que les électeurs ne remplissaient que des fonctions déléguées; mais que l’exercice des droits de citoyen actif tenait aux droits mêmes des citoyens, qu’il ne fallait pas les en priver, qu’il fallait-leur donner la plus grande latitude. Eh bien ! mi, il ne faut pas priver de ce droit l’homme qui est né libre dans la colonie; il fait partie de la colonie, il y a des propriétés, il y a l’exercice des droits civils, de l’aveu même de ceux qui veulent lui contester l’exercice des droits de citoyen actif. Il faut donc qu’il concoure à la loi au moins en concourant à la nomination de ses représentants; car s’il n’y concourt pas, il reste à la merci des autres. Il n’est pas possible que l’Assemblée nationale consente à réduire ainsi un homme libre et propriétaire dans les colonies. Je dis que le décret avec mon amendement prouve aux colonies tout ce qu’elles peuvent désirer pour leur tranquillité et pour leur sûreté; et j’ajoute, dans une conviction particulière, qu’il mène directement à la paix. Aussi je demande que l’on passe à la délibération de l’amendement, sans égard à la question préalable. (Applaudissements.) M. Barnave, rapporteur. Je demande la parole. (Les applaudissements recommencent.) Plusieurs membres : Aux voix la question préalable 1 M. le Président. Je mets aux voix la question préalable demandée sur l'amendement de M. Defermon. (L’épreuve a lieu; elle est douteuse.) A l'extrême gauche : Aux voix l’amendement ! 284 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] MM. de Menou et Alexandre de Lameth. Nous demandons l’appel nominal. M. le Président. Si l’Assemblée le désire, je vais mettre aux voix l’amendement. A l’extrême gauche : Oui ! oui ! aux voix l’amendement! Au centre : L’appel nominal! M. de Croix. Il faut que l’appel nominal porte sur la question préalable, attendu que, s’il y a lieu à délibérer, la discussion ne soit pas fermée sur l’amendement. M. le Président. L’appel nominal va commencer; mais il existe encore dans l’Assemblée un dissentiment : les uns entendent que l’appel nominal porte sur la question préalable, les autres sur le fond de l’amendement. A l’extrême gauche : L’appel nominal sur l’amendement! M. d’André. Je demande qu’avant de voter on fasse d’abord lecture de l’amendement. M. Defermon. Le voici ; « Les hommes nés libres ne pourront être privés des droits de citoyen actif... » Plusieurs membres : C’est aller plus loin que le premier décret qui porte : nés de père et mere libres. M. Defermon. Je reprends : « Les hommes nés libres ne pourront être privés des droits de citoyen actif, s’ils réunissent d’ailleurs les qualités communes qui seront requises. » A l'extrême gauche : Aux voix! aux voix! M. d’André. Il est évident, Messieurs, que vous ne pouvez pas passer en ce moment à l’appel nominal sur le fond de l’amendement auquel il y a plusieurs sous-amendements à faire. L’intérêt même de ceux qui veulent l’amendement est de ne pas mettre aux voix sur le fond, car il est imnossible, à moins de vouloir aller plus loin que l’ancien décret, d’adopter cet amendement. Ainsi donc les personnes qui ne veulent pas aller plus loin que vous n’avez fait, voteront contre l’amendement au fond ; il faut donc laisser la liberté à tout le monde de rectifier cet amendement, si on le juge convenable. M. Lanjuiuais. Je demande que l’amendement reçoive sur-le-champ les sous-amendements. Plusieurs membres ; Oui! oui! M. d’André. M. Lanjuinais et d’autres personnes disent : mais faites tout de suite vos sous-amendements. C’est à dire que vous voulez faire par le fait que vous ayez gagné la question préalable. M. Barrère. II y a une manière plus simple et plus loyale d’arriver au but. Dans l’état où est proposé l’amendement de M. Defermon, il y a évidemment une infinité de membres de cette Assemblée qui sont dans l’impossibilité d’avoir une opinion. Et pourquoi? Parce que l’amendement porte simplement : « les hommes nés libres », et que, lorsque cette question a été agitée au mois de mai, dan-cette Assemblée, vous avez voulu, après une grande discussion, que les mots : « nés de père et mère libres » fussent insérés dans le décret. Aujourd’hui, il y a beaucoup de personnes qui désirent le maintien de cette modification et qui, si elle n’y est pas, ne peuvent avoir de voix. Je demande donc qu’on la mette dans l’amendement de M. Defermon. A l’extrême gauche : Aux voix l’amendement de M. Defermon ! M. Defermon. M. Barrère vient de proposer un amendement que j’adopte. �Interruptions.) Voici, en conséquence, comme je rédige mon amendement : « Les hommes nés de père et mère libres ne pourront être privés des droits de citoyen actif s’ils réunissent, d’ailleurs, les qualités communes qui seront requises. » ( Bruit prolongé.) M. E peu-ance des colonies. Les colonies ne difièrent des puissances étrangères vis-à-vis delà métropole, que parce qu’elles sont soumises au même pouvoir exécutif ; que n'en ayant point à elles, n’ayant pour pouvoir exécutif que celui de la métropole, elles sont obligées de le recevoir tel qu’il a été constitué dans la métropole. Les colonies n’ont pas même chez elles la force de faire exêcut r la loi la plus protectrice de leur sûreté et de leur tranquillité : pour la faire exécuter elles sont obligées d’avoir recours aux forces navales et aux forces militaires de la métropole... {Interruptions prolongées.)... Je conclus à ce que l’amendement de M. Pé-tion ne soit point adopté. M. Dupont {de Nemours). J’appuierai en très peu de mots la mution de M. Pétion ; je l’appute-rai par vos décrets. Les colonies font parue de l’Empire français. L’Assemblée a décrété que le royaume est un et indivisible ; l’Assemblée a décrété qu’il n’y aura pas de distinction de naissance {Exclamations à droite.) et cependant ee seFait ici qu’elle dirait que les colonies pourraient prononcer sur l’état des personnes ; et l’état des personnes embrasserait les distinctions de naissance ; et il serait possible que les colonies eussent une noblesse coloniale, que les co-kmies recréassent la noblesse ! avec le troisième article qu’on vous propose on peut rétablir dans les colonies des titres de noblesse. {Applaudissements à gauche : Oui! oui! c’est vrai!) Pourriez-vous em [lécher qu’à raison de leur état on ne mette sur les gens de couleur une imposition pour se faire des revenus et que le roi n’y donne sa sanction? Je vous défie d’empêcher qu’on ne lui crée un revenu indépendant de celui qu’il a en France. {Applaudissements à gauche.) M. Croix. J’observe que voilà encore une infinité d'étrangers qui entrent dans la salle, et qu’on se Irouvera embarrassé, quand on ira aux voix. M. Dupont {de Nemours.) C’est une chose monstrueuse en politique, que d’accorder au-delà des demandes des ultra petita; jamais cela ne s’est fait. Or, les colonies ne vous ont jamais proposé que leurs lois ne fussent pas soumises au Corps législatif; et vous leur accorderiez ce droit en violant votre décret qui dit que le royaume est un, indivisible; qu’elles feront partie de l’Empire français ; en laissant l’ouverture à violer votre décret suf l’égalité qui doit être entre les citoyens actifs ; en violant votre décret qui établit que ie roi ne peut avoir un revenu qui ne dépendrait pas de vuus. Vous devez Messieurs, comme représentants de l’Empire, déclarer les colonies, françaises, et non pas royales. M. Prieur. On a bien dit qu’il n’était pas possible d’admetire 2 Corps législatifs dans l’Empire français ; mais on n’a pas observé que chacune de nos îlestrop éloignées l’une de l’autre, pour former ensemble un seul Corps législatif, devaient avoir chacune leur corps constituant. Ainsi, d’après le décret, Saint-Domingue va avoir un corps constituant; la Guadeloupe, la Martinique, i’Iie-de-France, File Bourbon, auront chacune un corps constituant; Pondichéry de même. Si telle est la < onséquence qui résulte ou décret, je ne peux pas m’empêcher de caractériser un gouvernement semblable, de gouvernement monstrueux. J’ai encore une observation à faire sur l’état des personnes, j’écarte pour un instant l’objet de la précédente discussion sur laquelle il y a eu un appel nominal ; mais si vous laissez aux colonies la liberté la plus absolu� de faire une Constitu-. tion telle qu’elles jugeront à propos sur l’état des personnes, je vois dans l’ordre des choses possibles, qu’il peut y avoir 3 ordres dans les colonies, comme il y en avait précédemment en France, et que les préjugés bannis de l’Europe aillent se retrancher dans les colonies. {Applaudissements.) Je puis être dans l’erreur à cet égard ; mais en laissant à Saint-Domingue une Assemblée constituante, je ne vois aucune diifîcu lté à ce que ceux qui 1 habitent actuellement ou qui l’habiteront, ne forment différentes castes privilégiées ; et nous aurions des Français qui seraient barons en Amérique, tandis qu’ils seraient simples citoyens en France! En appuyant i’amendt ment de M. Pétion, et en en faisant un second pour prévenir l’abus dont je viens de parler, je crois qu’il faut nous attacher, dans la lui quo nous allons faire, à consacrer toujours de plus eu plus cette maxime qui fera le bonheur de l’Empire français; c’est qu’il est un; c’est qu’il est indivisible; c’est que partout les citoyens doivent être égaux en droits. M. Barnave, rapporteur. En répondant à l’amendement de M. Pétion, je commence par remarquer qu’il semble que quelques-uns des opinants n’ont pas bien lu l’article dont il est question. Cet article ne comprend aucun des droits,- et par conséquent ne présente aucun des dangers que M. Dupont et M. Prieur ont cru y apercevoir. Je dis ensuite qu’il n’est pas exact de préténdre qu’on accorde aux colonies plus qu’elles n’ont [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] 287 demandé; car toutes les colonies américaines ont demandé d’avoir, sous la sanction du roi, la totalité du régime intérieur, à l’exception de la Martinique, qui avait demandé seulement le droit de prononcer sur les nègres et sur les hommes, de couleur. Ainsi on ne donne pas aux colonies plus qu’elles n’ont demandé: on leur donne au contraire ce qu’a demandé celle de toutes qui a demandé le moins: ce n’est pas là, d’ailleurs, le motif de la décision. Quant au deuxième point, M. Dupont a très-bien dit que les colonies faisaient partie de l’Empire français ; mais il n’a pas ajouté que le même acte constitutionnel dit qu'elles ne sont pas comprises dans la Constitution du royaume : C[ue, par conséquent, le pouvoir national peut départir à leurs assemblées, comme il l’a déjà fait, tels droits qu’il croit être utiles à l’avantage des colonies et de la métropole ; et il est si faux de dire que l’article tende à séparer, sous aucun point de vue, les colonies de la métropole/ que les colonies anglaises, liées plus fortement qu’aucuDes autres colonies à la mère-patrie, ont dans la compétence de leurs assemblées coloniales, non pas seulement l’état des personnes, mais la totalité du régime intérieur; tellement que c’est des colonies anglaises qu’on pourrait dire, et non pas de notre article, qu’elles pourraient établir des impôts au profit du roi ; car elles pourraient tout cela. Mais notre article ne donne rien de semblable aux colonies françaises, puisqu’il dit seulement qu’elles statueront seulement sur le sort des esclaves et sur les droits politiques des hommes de couleur et nègres libres. Or, le droit de faire des lois sur l’état politique n’entraîne pas le droit de mettre des impôts; car il n’y a rien au monde de si différent. Quant à la crainte que l’on a que l’on fasse des barons des nègres ou des hommes de couleur, certainement comme dans ces pays-là, l’opinion les met au-dessous des blancs, cet honneur ne leur serait pas conféré ; car ce serait plutôt un ridicule qu’on attirerait sur eux. Ainsi, comme les assemblées coloniales n’ont le droit de faire des lois que sur l’état politique des hommes de couleur nés de père et mère libres, il est faux qu’elles puissent établir les distinctions qu’on a abolies en France ; et cela est d’autant plus faux que ces distinctions-là n’ont jamais existé dans les colonies ; que la distinction des trois ordres n’y a jamais été reconnue. Maintenant que reste-t-il à examiner? ce qui est utile ; car, la nation a plein droit à cet égard. La nation anglaise, chaque fois qu’elle conquiert une coloni *, lui donne une organisation comme elle vient d’en donner une au Canada; elle départ librement et souverainement les pouvoirs qu’elle croit utiles à cette colonie. Il s’agit donc uniquement de savoir si nous avons intérêt, dans le moment actuel, à départir à nos colonies le droit que leur donne l’article 3. Or, j’ai déjà établi que cela était utile non seulement aux colonies et à la métropole, mais aux hommes de couleur eux-mêmes. En effet, si, comme M. Pétion le demande, les Assemblées nationales n’ont à cet égard que l’initiative pour être portée au Corps législatif, dans ce cas, je dis que les Assemblées ne professeront jamais rien sur l’état des personnes, attendu qu’elles ont connu par expérience et qu’elles ont eu toujours la terreur que le Corps législatif, se trouvant nanti de. cette question, n’allàt au-devant de ce qu’elles auraient proposé ; et quand même on établirait que le Corps législatif ne pourrait rien changer à la loi, on abaisserait certainement la majesté du Corps législatif, en disant qu’une loi qui lui serait présentée par une assemblée coloniale, ne pourrait pas être modifiée par lui. Je dis, en second lieu, qu’on s’exposerait au grand détriment de la chose publique et de l’hon-neur national, à voir le Corps législatif agiter dans son sein des discussions contraires à la déclaration des droits, et qui déjà lui ont donné de fortes secousses et trop de scandale ; d’ailleurs, vous voulez rétablir la confiance etia paix dans les colonies et vous De les y porterez pas ; car elles croyaient avoir l’initiative quand vous avez rendu votre décret du 15 mai. En conséquence, cette garantie, qui ne pouvait porter que sur la foi dans les promesses, n’existait plus à leurs yeux et ne peut pins prendre la consistance qu’elle aurait eu alors. Ainsi donc, il y a nécessité dans le décret pour porter la tranquillité et la confiance dans les colonies ; il y a nécessité dans le décret, pour ouvrir la possibilité à des améliorations et à des changements, parce que les assemblées coloniales ne proposeront jamais une amélioration, qu’autant que, soumises à une simple sanction, elles seront sûres qu’on ne pourra pas aller au délà de ce qu’elles auront voulu et qu’on ne pourra investir le Corps législatif d’une question où la� tentation philosophique ferait décider contre l’intérêt colonial ; enfin, il y a légitimité, il y a prudence à vous, de départir ce droit aux assemblées coloniales ; et je vous assure que nous allons moins loin que les Anglais n’ont été, puisque, sur toutes les lois du régime intérieur autres que celles-là, nous avons conservé la suprématie du Corps législatif. En conséquence, je demande la question préalable sur l’amendement de M. Pétion. Je termine, Messieurs, par une dernière observation : M. de Beaumetz a présenté au cours de cette discussion un amendement tendant à ajouter après les mots : « les lois concernant Fêtât des personnes... seront faites par les a>semblées coloniales », ceux-ci : « actuellement existantes et celles qui leur succéderont ». J’adopte cet amendement et je demande à l’Assemblée de le décréter avec l’article des comités. (L’Assemblée ferme la discussion.) M. Barrère. Je demande la parole pour un amendement. Plusieurs membres : Aux voix la question préalable sur l’amendement de M. Pétion ! (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’amendement de M. Pétion.) A gauche: L’appel nominal! — Il y a du doute 1 {Murmures.} M. Ooupilleau. L’Assemblée ayant décrété qu’il n’y avait pas lieu à délibérer sur l’amendement de M. Pétion, avant de mettre aux voix l’article proposé par le comité, je demande d’abord pourquoi, lorsque vous décidez que les assemblées coloniales seront Assemblées législatives pour ce qui les concerne.... {Murmures: Non l non!).... je demande d’abord, dis-je, pourquoi les députés des colonies ont voté sur l’état des citoyens français. En second lieu, je demande si les comités, en soumettant les décrets ou les décisions des assemblées coloniales à la sanction du roi, entendent que le roi ne puisse refuser 288 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] sa sanction, ou s’ils entendent qu’il aura le veto sur leurs lois, comme il l'a sur les lois que nous faisons nous-mêmes. (Murmures.) M. de Gouy d’Arsy. Qui dit la sanction, dit le veto; car sans cela on aurait dit, l’acceptation. ( Très bien! très bien!) M. Goupilleau. M. de Gouy, qui a le talent de résumer tout très promptement, vient de m’éclairer. Je demande qu’on détermine si le roi aura le droit ou non de refuser sa sanction. (Murmures.) M. Barnave, rapporteur. Voici, avec l’amendement de M. Beaumetz, la rédaction que je propose pour l’article : « Les lois concernant l'état des personnes non libres et l’état politique des hommes de couleur et nègres libres, ainsi que R s règlements relatifs à l’exécution de ces mêmes lois, seront faits par L s assemblées coloniales actuellement existantes et celles qui leur succéderont, s’exécuteront provisoirement avec l’approbation des gouverneurs des colonies, et seront porté s directement à la sanction du roi, sans qu’aucun décret antérieur puisse porter obstacle au plein exercice du droit conféré par le présent article aux assemblées coloniales. » M. Gaultler-Biaiusat. L’article est insignifiant ou contradictoire, si vous ne fixez pas un terme à l’exécution provisoire des lois faites par les assemblées coloniales sous l’approbation des gouverneurs des colonies ; l’absence de ce délai rend illusoire la sanction du roi, car, si rassemblée coloniale a le droit de faire exécuter des lois par provision, qu’importe le veto puisque la provision sera au-dessus du veto. Je demande donc à l’Assemblée de déterminer ce délai que je considère comme indispensable. M. Barnave, rapporteur. L’observation de M. Biauzat est très juste: on pourrait fixer le délai à un an pour les colonies d’Amérique et à 2 ans pour les colonies au delà du cap de Bonne-Espérance. (Marques d’assentiment.) Voici donc, avec les amendements de MM. Beaumetz et Biauzat, la rédaction définitive de l’article : Art. 3. « Les lois concernant l’état des personnes non libres, et l’état politique des hommes de couleur et nègres libres, ainsi que les règlements relatifs à l’exécution de ces mêmes lois, seront faites par les assemblées coloniales actuellement existantes, et celles qui leur succéderont, s’exécuteront provisoirement avec l’approbation des gouverneurs des colonies, pendant l’espace d’un an pour les colonies d’Amérique, et pendant l'espace de 2 ans pour les colonies au delà du cap de Bonne-Espérance, et seront portées directement à la sanction absolue du roi, sans qu’aucun décret antérieur puisse porter obstacle au plein exercice du droit conféré par le présent article aux assemblées coloniales. » (Adopté.) M. Barnave, rapporteur. Voici enfin le dernier article du projet de décret : Art. 4. « Quant aux formes à suivre pour la confection des lois du régime intérieur qui ne concernent pas l’état des personnes désignées dans l’article ci-dessus, elles seront déterminées par le pouvoir législatif, ainsi que le surplus de l’organisation des colonies, après avoir reçu le voeu que les assemblées coloniales ont été autorisées à exprimer sur leur constitution. » (Adopté.) M. le Président lève la séance à six heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 24 SEPTEMBRE 1791. OPINION de M. Bégonen, député de la Seine-Inférieure, sur le projet de décret relatif aux COLONIES, présenté à VAsssemblée nationale par les comités de Constitution, des colonies , de marine et d’agriculture et de commerce , et adopté à la séance du 24 septembre 1791. Avertissement. — J’avais la parole le 23, — je l’ai demandée aussi le 24 : — je n’ai pu l’obtenir, non plus que beaucoup d’autres membres de l’Assemblée qui voulaient soutenir le projet de décret. Je crois devoir à mes commettants de livrer à l’impression les motifs de l’opinion que j’ai embrassée sur cette importante question. Grâces immortelles soient rendues à l’Assemblée nationale, qui, par ce décret, garantit à la France la possession de ses précieuses colonies, se con-concilie à jamais l’attachement et le dévouement des colons, et assure le travail et la subsistance de plusieurs millions de Français. Messieurs, J’ai demandé la parole pour appuyer, autant qu’il est en moi, le projet de décret qui vous est présenté par vos 4 comités. Par ce décret, vous remplirez vos obligations envers l’Etat comme envers les colonies; et j’ose dire que si vous ne le rendez pas, vous manquez à l’un de vos devoirs les plus sacrés; vous compromettez vos colonies, et par là vous compromettez le bonheur du peuple français, qui dépend du travail qu’elles lui procurent par le commerce et la navigation qu’elles alimentent. M. Dupont et M. de Tracy ont prétendu hier que ce décret était insuffisant ; qu’il ne réglait pas les rapports commerciaux; que les comités semblaient avoir ignoré ces rapports, ou n’avaient osé les fixer, ou enfin avaient éludé la difficulté. J’entreprends de prouver, contre leur assertion, que ce décret est suffisant; qu’il statue ce qui est indispensable de statuer ; qu’il est conséquemment nécessaire ; et que ce qui n’y est pas prononcé: 1° ne peut l’être dans ce moment. 2° ne consiste que dans les choses qui peuvent être, sans inconvénients, renvoyées aux législatures prochaines. En effet, Messieurs, vous avez fort sagement et prudemment décrété, le 8 mars 1790, que vous ne feriez les lois de commerce, qui doivent lier les colonies à la métropole, qu’après avoir reçu leurs pétitions et avoir entendu les observai ions des commerçants français. Les événements que vous connaissez tous n’ont pas permis aux colo-