96 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1<* août 1791.] donner les projets de règlements nécessaires; mais, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, je n’ai pas cru devoir dépasser sur cela les ordres particuliers de l’Assemblée nationale, parce qu’il y a des décrets très positifs, portant que les gardes nationales sont sous la direction du ministre de l'intérieur, et point du tout sous celle du ministre de la guerre. Peut-être ferez-vous un cas particulier de celui où ils doivent être organisés pour aller sur la frontière se joindre aux troupes de ligne; cela me semble nécessaire avant que je puisse prendre sur moi de m’en occuper. M. Alexandre de Lameth. Il a été fait un règlement que M. Duportail a envoyé au comité militaire, qui prévoit tout ce que doivent faire les gardes nationales pour leur composition, et surtout pour le moment où, sortant des mains des départements, elles sont reçues par les commissaires des guerres. Gomme ce règlement n’est qu’une suite des décrets rendus, il a été arrêté, il y a trois jours, et signé au comité. Il doit même avoir été envoyé au département de Paris et aux autres départements. Quant à la manière dont serviront les gardes nationales, il a été annoncé, dans le décret du 21 juin, qu’il serait fait encore un règlement particulier à ce sujet. Il y avait, de pins, un travail à faire, qui était considérable et qui est finit: il a été remis au ministre de la guerre, et il peut être envoyé à tous les départements. Il tend à faire connaître la population active de chaque département, et déterminer non seulement sur cette base, qui est la première, mais aussi sur des convenances qui appartiennent aux départements qui fournissent, en général, plus d’hommes que d’autres. Ce travail a été fait par le président actuel, M. de Beauharnais, et a été remis, il y a deux jours, au ministre. Il ne reste plus qu’à indiquer le lieu où ces rassemblements se devront rendre. Je crois qu’il faudra que le comité militaire vous propose un décret par lequel le ministre de la guerre soit, lui, autorisé à indiquer le lieu ; car c’est d’après les renseignements qu’il recevra des commandants des frontières, c’est d’après la demande des différents commandants que l’on saura véritablement la quantité de gardes nationales qu’il est plus utile de rassembler dans telle ou telle partie de la frontière. Si l’Assemblée nationale nous y autorise, nous demanderons au ministre de se faire fournir sur-le-champ l’indication des lieux où se rendront tous les gardes nationales qui doivent être en ce moment formés en compagnies et en bataillons, puisque l’ordre est parti le jour même que le décret a été rendu, puisqu’ils doivent recevoir le règlement qui facilitera le passage des mains des commissaires de départements dans celles des commissaires des guerres. Alors, il n’y a plus de nécessaire que le décret que je demande, savoir que l’Assemblée autorise le ministre à indiquer les lieux où doivent se rendre les diverses gardes nationales qui, dans ce moment, sont formées et organisées. M. de La Fayette. D’après l’interprétation donnée hier dans quelques leuilles à une phrase de M. Fréteau, il semblerait que j’ai été en quelque sorte étranger au rassemblement de 3 bataillons de gardes nationales dans le département de Paris ; je demande à l’Assemblée la permission de m’expliquer là-dessus. Aussitôt que le décret a été rendu, la garde nationale parisienne a montré le plus grand zèle pour marcher où les ordres de l’Assemblée l’appelleraient. Le corps municipal a donné immédiatement aux volontaires le moyen de s’enrôler. Le département, sitôt qu’il a été informé qu’il fallait former 3 bataillons, a nommé des commissaires qui, de concert avec un commissaire du carps municipal, se sont empressés de former les bataillons. Ils ont été passés en revue et sont allés camper à la plaine de Grenelle où ils se sont continuellement occupés de tous les exercices de détails qui les mettront à portée de servir mieux la patrie. Voilà où en étaient les dispositions à cet égard, et le département était occupé de s’entendre avec le ministre de la guerre pour recevoir des ordres sur la destination ultérieure de ces 3 bataillons, qui ont été placés dans la plaine de Grenelle, parce que dans l’intérieur du département il n’y avait pas de meilleur endroit pour les réunir, et parce que le département n’a pas cru devoir prendre sur lui de les envoyer ailleurs. M. Prieur. Je demande que le ministre de la guerre soit autorisé, indépendamment de l’article proposé par M. Alexandre de Lameth, à prendre toutes les mesures promptes et nécessaires pour l’exécution des décrets relatifs à l’organisation des gardes nationales. M. de Hoailles. Et à la sûreté du royaume. (Les différentes propositions de MM. de Lameth, Prieur et de Noailles sont adoptées.) En conséquence, le projet de décret suivant est mis aux voix : « L’Assemblée nationale décrète ce qui suit : « Le ministre de la guerre est autorisé à donner tous les ordres nécessaires pour compléter l’organisation des gardes nationales, pour opérer leur rassemblement et pour les porter dans tous les lieux où elles peuvent être utiles à la sûreté et à la défense de l’Etat. » (Ce décret est adopté.) M. le Président lève la séance à trois heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU LUNDI 1er AOUT 1791. Opinion de M. Malouet sur le projet de décret contre les protestations. Avertissement. J’ai entendu avec grand plaisir MM. d’André et Goupilleau solliciter un décret contre les protestations et les déclarations d’opinion. J’ai appuyé leur motion, en annonçant à l’Assemblée qu'il était temps de faire cesser le scandale et l’insolence de ces adresses qui ont plus d’une fois souillé la tribune, et de faire parler la loi sur cette grande question, au lieu de la livrer à toutes les fureurs des éoergumènes très connus, qui envoient d’ici les adresses à signer dans les provinces. Lorsqu’on a vu dans l’Assemblée que je me mettais ainsi à la pour- [1" août 1791.] [Assemblés nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. suite (le cette motion, elle a été abandonnée et on a passé à l’ordre du jour. Je prends donc le parti d’écrire et de publier mon opinion. Ce ne sont point les faiseurs d'adresses et de iibelles que je veux éclairer, ces gen -là ne veulent pas l’être ; mais il est bon que les citoyens honnêtes, qu’ils peuvent tromper, sachent ce que c’est qu’une protestation et une déclaration d’opinion. Signé : Malouet. La loi qu’on sollicite est au moins une grande erreur; je pourrais la qualifier plus sévèrement ; ce n’est pas d’aujourd’hui que je crains que la Déclaration des droits de l’homme , si belle en théorie, ne change rien dans la pratique du droit du plus fort. Je vois cependant avec satisfaction, qu’après avoir accueilli tant d’injures et de déclamations passionnées contre les protestations et les simples déclarations d’opinions, l’Assemblée nationale reconnaît que ces déclamateurs ignorants u’é-taient point autorisés par la loi ; et j’espère qu’elle reconnaîtra également combien il seiait dangereux de les imiter ou de leur obéir. Je soutiens, contre les auteurs de la motion, que leur projet de loi viole tous les principes d’une Constitution libre, offense manifestement la déclaration des droits, et que, si un tel décret était admissible dans toutes les Constitutions de l’Europe, il serait inconciliable avec la vôtre. Mais je soutiens que l’usage des protestations simples ou déclarations d’opinion, tel que je vois le déterminer, est aussi sacré, aussi précieux pour l’ordre public que pour le maintien de la liberté. Il y a en effet, et il y a toujours eu chez tous les peuples de la terre, deux manières de se défendre des mauvaises lois : l’une est celle des esclaves, i’autie celle des hommes libres. A Constantinople, lorsqu’un firman du Grand-Seigneur opprime ou irrite le peuple, sa protestation est une révolte ou un incendie ; 4 ou 500 maisons brûlées annoncent au Divan qu’il faut révoquer l’ordre ou fusiller les révoltés ; et il s’établit alors entre le prince et les sujets une lutte de volontés, qui finit par celle du plus fort. Ainsi, chez le peuple soumis au gouvernement le plus absolu, la loi, ou la volonté du despote, n’obtient un assentiment d’obéissance qu’autant, que les sujets la trouvent juste ou nécessaire; si elle est oppressive, le premier mouvement est celui de la résistance, et cette résistance agit ou dissimule, selon les circonstances qui la contiennent ou la favorisent. Telle est donc la manière dont les sujets d’un despote s’expliquent sur les lois ou les actes d’administration qui leur déplaisent. Les peuples libres en ont une autre : ils ont placé dans les lois mêmes les moyens de se préserver de l’erreur ou des passions du législateur; et de même que les émeutes, les séditions, les égorgements sont la déplorable ressource des peuples ignorants qui sont dans l’oppression, la libie communication des lumières, des censures, des improbations sur les actes du gouvernement, en empêche l’oppression, en répare les erreurs chu z on peuple éclairé : de là sont nées les protestations qu’on n’a point consenti à une telle loi, qu’on la trouve mauvaise, contraire aux principes, aux maximes fondamentales de notre Constitution. Et remarquez ici, Messieurs, que la raison, Y instinct moral chez tous les hommes, ont des lr« Série. T. XXIX. 97 effets différents, mais tendant au même but et par les mêmes motifs, dans les différents gouvernements ; car il n’en existe point dont la première institution ne soit fondée sur des maximes générales d’équité e t d’utilité publique. Le sujet d’un despote, comme le citoyen d’un Etat libre, ne veulent obéir qu’à ce qui est juste; mais le premier ne connaît que la force pour se détendre, et l’emploie quand il le peut; le second sait que la raison publique doit seule le gouverner, et il l’invoque paisiblement quand il la croit méconnue. L’un et l’autre partent du même principe pour l’application de leur droit; c’est-à-dire qu’ils reconnaissent des bases fondamentales de leur société, des préceptes invariables auxquels ils doivent obéir. Ainsi, le muhométan trouve dans le Coran la mesure de ses obligations et de celles de son prmee; c’est autant qu’il le juge fidèle à la loi de Mahomet, qu’il se croit obligé à l’obéissance; mais il proteste ou résiste à l’ordre qui s’écarte de la loi. Ainsi, nos parlements considérant comme lois fondamentales de la monarchie celles contre les emprisonnements illégaux, contre les lettres closes, les impôts non vérifiés, l’aliénabilité du domaine, protestaient contre tous les édits qui s’écartaient de ces principes, et ajoutaient à ces protestations des arrêts de défense, quand ils se croyaient plus forts que le gouvernement. Cette dernière mesure, inconséquente sous un régime absolu, en était souvent le remède: et je place ici une réflexion dont l’histoire ancienne et moderne garantit la justesse; c’est que la tendance de tous les gouvernements à leur dégradation e.-tsi rapide, soit qu’ils soient entre les mains d’un seul ou de plusieurs, que si leurs écarts ne rencontrent pas de résistances mesurées, les résistances violentes ou leur dissolution sont inévitables. Souvenez-vous, Messieurs, de la loi de Solon sur les séditions, et de l’esprit de cette loi. Cet homme rare est le premier et le seul des législateurs qui ait prévu la nécessité et calculé les moyens d’employer avec ordre, dans un tumulte apparent, les signes sensibles de ce que vous appelez aujourd’hui la volunté générale : cette pensée profonde, à l’époque où elle fut conçue, mais trop forte pour les Athéniens, fut longtemps stérile; il a fallu une suite de siècles pour la mûrir, et ses développements sont encore incomplets dans la théorie de nos gouvernements modernes. Mais, puisque vous avez voulu en établir un qui nous ramène presque à la simplicité des temps héroïques, puisque vous avez voulu aligner tous les droits sur le droit naturel, il ne vous est plus permis d’en effacer aucun. Plus éclairé par l’expérience que ne pouvait l’être Solon, vous devez renoncer à l’espoir de discipliner les séditions, vous devez préparer, affermir, consacrer ies moyens sages d’une résisfance mesurée aux abus, aux passions de toutes les autorités, à commencer par la vôtre. Ces moyens ne peuvent être que l’opposition de la raison à la force; et s’il se présentait quelques tyrans pour tes combattre, il m trouvera toujours dans son chemin pour les défendre. Une seule considération pourrait me forcer à me taire sur les mauvaises lois : c’est le soin de mon repos. Mais, tant que l’amour de mon devoir prévaudra, je serai sourd aux cris féroces d’une foule insensée : on ne me réduira pointa bénir la grêle qui détruit nos moissons, comme je bénis le soleil qui les mûrit; fidèlement soumis à cette volonté générale qui appelle constamment la 7 Qg [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er août 1791.] liberté, la justice et la paix, je ne la verrai jamais dans les actes violecitsy dans les mesures inconsidérées Qui offensent la liberté, la justice et la paix. Messieurs, nous avons tant parlé, tant écrit, tant décrété depuis deux ans et demi, qu’il serait fou de prétendre que, dans cette immensité de productions, il n’y ait pas autant d’erreurs que de Vérités. On de petit dënc pas f'aisonnablement appelef la volonté générale tout ce qui se trouve dans vos archives. La volonté gétiérale est, de s:a nature, simple ét invariable; elle s’applique uniquement à la conservât! du, ati bien-être de chaque individu} èlle a, chez les Hottentots, non les mêmes déve-ldppemëhts, mais le même caractère que parmi flous. Parmi nous, elle île pleut embrasser toutes les conséquences, toutes les subtilités, les subdivisions d’un système législatif. La majorité de PAssembiée nationale exerce bien provisoirement les pouvoirs dé cette volon té publique; mais si èlle en empêche la manifestation subséquente dans chaque individu, il stiffit que là rnàjorité d’flfie Assëmblée législative poisse être corrompue, tyranniqne ou ignorante, et së fasse appuyer par des gens du même caractère, pour que les lois d’une grande nation né soient plus que des volontés particulières, injustes et oppressives. Il est donc important pour le maintien de la liberté, que châqfle citoyen, et à plus forte raison la minorité du Corps législatif, puisse s’expliquer librement sur toutes les mesures Adoptées au nom de la-volonté générale. Mais cela est encore important pour l’ordre public, qui, au lieu d’en être troublé; est préservé, par cette voie, des dangers des séditions ; car toute loi injuste, oppressive, doit produire l’un de ces trois résultats : ou l’esclavage dû peuple s’il s’y soùmët en silence, ou sa résistàhce violente s’il s’irrite, ou la réparation des griefs par Une résistance mesurée, c’est-à-dire par l’instruction et ie redressement des opifiions. Ainsi, toutes les voies de fait, émeutes, violences contre le gouvernement, sont véritablement des délits que la liberté proscrit, que la volonté générale punit, lorsque l’un et l’autre peuvent se défendre par ce que j’appelle une résistance mesurée; mais ces cruels expédients rentrent eh quelque sorte dans le droit naturel, lorsque la plainte, les déclarations d’opinions, les explications fibres sont qualifiées de* délit par là tyrannie. Et quel temps choisit-on pour accréditer cette funeste doctrine? Celui d’ünè fermentation générale, d’tin délire universel, qui réduit au silence Une multitude d’hommes timides, niais éclairés, et laisse à pêine entendre le petit nombre de ceux qui osent éléver la voix au milieu des clameurs et des injures : ainsi, quand ceux-là seront enchaînés, les opinions dominantes n’auront plus de contradicteurs : et l’on vous dira que c’est la volonté générale! et on vous vantera la liberté dont vous jouissez ! Eh bien! je demandé aux promoteurs du décret de se placer dans l’une ou l’autre de ces deux hypothèses : ou l’opinion dominante, celle qui dicte les lois, est pure et générale, ou elle ne l’est pas. Dans le premier cas, qu’importe mon improbation? Parviendrai-je à persuader a.ü peuple, qüé ce qui lui est utile lui est funeste ; que ce qui est juste et vrai né l’est pas ? Pourquoi donc violez-vous gratuitement, et sans aucune utilité publique, mes droits, ma liberté; ma conscience? Si je me trompe, que vous importe? Si, au contraire, le peuple se trouvait sous le joug d’une coalition systématique d’intérêts et d’opinions; qui, par la séduction ou la terreur, établit l’apparence d’une volonté publique, égarée dans sa marché dépravée, dans ses principes, n’est-il pas très utile qu’il y ail des hommes courageux pour tenir ferme contre la tempête, pour résister aux passions, pour avertir des dangers, des erreurs de la loi? Encore une fois, préférez-vous la ressource des esclaves, aux moyens légitimes des hommes libres? Je dis : je veux eomme vous qu’on obéisse à la raison publique, à la volonté générale; je veux, au moins autant que vous, prévenir les séditions, et ne point embarrassef l’action du gouvernement : je veux que, devant là puissance publique, toute force disparaisse : mais laissez un espace libre à la raison; saisissez le sens moral de la loi de Solon : que lés citoyens se rangent à volonté d’un ou d’un autre côté; que la contrainte et les menaces n’assignent pas les rangs : c’est alors, qu’au lieu de ces traits convulsifs qui nous défigurent, vous verrez combien est douée et noble la physionomie d’un peuple libre; c’est alors qu’au lieu de ces accents lugubres et déchirants d’une prétendue volonté générale, vous distinguerez sa voix calme et touchante, et personne ne sera assez insensé pour lui désobéir. Mais est-ce là notre position? Où sunt les hommes calmes qui commandent, qui conseillent, qui contredisent, qui écoutent avec patience et impartialité? D’un bout du royaume à l’autre, nous voyons renouveler le fanatisme des disciples de Mahomet, qui, l’alcoran d’une main et le glaive de l’autre, ne faisaient point de quartier aux infidèles : mais ces Arabes étaient conséquents ; ils n’avaiënt point publié de Déclaration des droits, et ils ne prêchaient point la liberté; ils ne cherchaient point à connaître la volonté générale, et nous qui régénérons, qui ne connaissons plus de maître, qui remontons à l’origine de tous les droits, de tous les pouvoirs, prétendant raccorder toutes nos institutions avec celle de la nature, nous n’aurions brisé tous les fils dont nous étions enlacés, que pouf y substituer la plus pesante de toutes les chaînes, celle de la tyrannie populaire ! Nous ne nous réserverions aucune ressource contre les errêùfs, les usurpations d’un parti dominant ! Il faudràit toujours obéir et se taire, sous le prétexte dirrès-pect dû au Souverain ! Mais les despotes n’ôht point d’autre langage ; tels sont aussi leurs prétèi tes, leurs motifs -, c’est pouf le fepos de toüq, pour le salut de l’Etat, qu’ils abattent des têtes, qu’ils eip,- prisonnent, qu’ils accumulent les impôts, èt qu’ils imposent silence à ceux qui les contredisent. - Si donc, dans un Etat libre, il est des cas, des cifconstances, où vous croyez nécessaire d'é vous écarter des principes; si vos comités sé permettent des emprisonnements arbitraires ; si des mesures violentes et illégales sont ordohnéës contre les prêtres non conformistes si des dispositions de finances, inusitées, eXciteiit de justês sollicitudés ; si le roi cesse uni instant d’être libre au milieu de nous; si l’Assemblée provisôïremènt réunit tous les pouvoirs, comment ne me sérait-il pas permis de dire, de publier, que jë n’ai pas adopté de telles mesures? Gomment ne serait-il pas utile à la liberté, au salut de tous, de constater qu’elles ont éprouvé une vive opposition ? Confinent fié daignez-vbas1 pas qüe, souS la liberté de ces oppositions, vos successeurs n’imi- 99 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Ier août 1791.] tent aussi et ne multiplient ces exceptions effrayantes? Comment ne provoquez-vous pas vous-mêmes cet hommage salutaire à la liberté et aux principes qui la maintiennent? Je termine ces observations générales, et j’arrive au terme précis sur lequel nos adversaires ne devraient ni répondre, ni donner aucune équivoque. Le droit de protester contre une loi rendue à la majorité des suffrages et le droit d’énoncer les motifs qu’on a eu de lui refuser son consentement diffèrent essentiellement entre eux. La protestation est un acte légal et conservatoire, par lequel on s’assure le droit de faire valoir, en temps et lieu, pour soi ou pour ses commettants, la résistance d’opinions qu’on a faite à la loi. La déclaration des motifs sur lesquels on a fondé le refus d’approuver la loi n’est autre chose que la continuité d’exercice du droit d’opiner librement, inséparable, dans un Etat libre, de la qualité de membre d'un corps politique, et de la prérogative de citoyens. Le droit de protester tient à la nature de l’Assemblée où il s’exerce, et au caractère public des hommes qui y délibèrent. S’ils ne sont que des envoyés liés par des instructions limitatives, ils doivent à leurs commettants les mêmes réserves dont les puissances font souvent usage dans les traités ; car, en se soumettant à l’acte émané de la majorité, ils ne peuvent lui sacrifier une volonté qui n’est pas la leur, ni les titres d’un droit dont ils ne sont que les dépositaires. Les protestations de ce genre existent donc dans les Etats fédératifs, comme en Hollande, à la diète de Ratisbonne et dans les Assemblées législatives où les représentants ne sont que des envoyés subordonnés à des mandats. Le droit de protester est encore propre aux Assemblées dont les membres délibèrent en leur qualité personnelle comme dans la Chambre haute du parlement britannique. Enfin, l’usage des protestations se reproduit encore dans une Convention nationale, dont les résolutions ne doivent pas être ratifiées par la nation. Si les députés qui forment cette Convention opinent d’après des instructions impératives, ils sont religieusement obligés à manifester le vœu de leurs commettants. S’ils opinent d’après leur conscience seule, nulle autorité ne peut les soumettre à la sacrifier à celle de la majorité, ni à taire à la nation les motifs de leurs dissentiments ; c’est surtout lorsqu’il s’agit de lois constitutives irrévocables par les législateurs ordinaires, que ceux qui les improuvent ont le droit et l’obligation d’en oéclarer les raisons. Je n’entendrai jamais qu’on puisse politiquement et moralement contester un tel droit, ou négliger une telle obligation. Aussi nous avons vu les antifédéralistes en Amérique protester et combattre, par des signatures collectives, les décisions de la Convention quoiqu’elles fussent soumises à la ratification des différentes législatures : ce qui rendait moins nécessaires les déclarations de la minorité du pouvoir constituant. La diète actuelle de Pologne, qui à pris ce caractère, a reçu fréquemment, dans le cours de sa session, des protestations de plusieurs de ses membres. Celles de l’ordre équestre en Suède dans la dernière diète sont trop récentes et ont eu trop d’éclat pour qu’il soit nécessaire de vous les rappeler’ Et remarquez bien, Messieurs, que les protestations que je vous cite sont des oppositions formelles à la loi, que les protestants entendent ne pas reconnaître. Les simples déclarations d’opinion, faites par un ou plusieurs membres de la minorité sans appel, sans opposition signifiée, ont un tout autre caractère ; il n’y a que l’ignorance ou la mauvaise foi qui puisse les confondre. Si plusieurs Assemblées législatives ont interdit la première espèce de protestation, en déclarant seulement qu’elles ne seraient point insérées dans les registres, et qu’on n’y aurait aucun égard, il n’est point de sénat, il n’est point de tyran qui aient encore osé appliquer une loi à l’exposé des motifs déterminant contre l’avis de la majorité. C’est ainsi que les communes d'Angleterre rejettent de leurs registres toutes protestations, mais les papiers publiés, en certains cas, sont remplis d 'appels aux commettants , de motifs d'opposition de la part des membres de la minorité; et cependant il ne s’agit, pour ces appelants, que de simples actes de législation ordinaire, et non de lois fondamentales, qui instituent une nouvelle forme dé gouvernement. Quoi, nous avons une nouvelle Constitution, et ce n’est point un conquérant qui nous la donne I Tout est changé au nom de la liberté, et je n’aurai pas la liberté de dire : j’im prouve tel changement ! je ne trouve pas ma propriété, ma sûreté, ma liberté individuelle suffisamment garantie par votre nouveau mode de gouvernement 1 Je ne suis point de la classe des citoyens que vous avez sacrifiés, mais je veux les défendre; lé patriotisme qui tourmente, qui déchire, qui proscrit les gens qui se plaignent, me fait horreur. Quoil Messieurs, je n’aurai point le droit de parler ainsi ! Je ne serai ni protégé, ni respecté ! Que dis-je, des bêtes féroces me poursuivront dans les champs et dans les villes, pour avoir ainsi parlé, et vous me persuaderez que je suis libre !... Se pourrait-il que l’histoire des Républiques anciennes et modernes, des législatures populaires réunies en une seule assemblée fût effacée de votre mémoire ! N’y trouvez-vous pas constamment l’oppression exercée par la majorité sur la minorité, lorsqu’on manque de contrepoids suffisant, et d’une force négative qui tempère l’activité despotique du parti dominant? Que sont alors les lois, si ce n’est le résultat des forces numériques du plus puissant, du plus adroit? Et que devient la liberté, si 1e droit de réclamer, si celui de déclarer les motifs dé son opposition et de parler ainsi à la raison du peuple, est enlevé à la minorité? Quels moyens nous resteraient de lutter contre l’autorité oppressive, qui, s’élevant au sein de l’Assemblée, y combinerait les moyens d’usurper les suffrages. Je vous le prédis, Messieurs, si l’on arrive à cet excès de délire d’étouffer la voix des membres de la minorité, quand ils veulent parler; de les livrer à la diffamation et aux insolences des faiseurs d’adresses, quand ils ont dit leur avis ; et de leur interdire par une loi pénale l’exposé de leurs motifs ; la plus horrible des tyrannies succéderait au gouvernement absolu, mais modéré, que vous avez détruit, et il ne resterait de liberté en France, qu’à ceux qui seraient assez forts pour opprimer celle d’autrui. Signé : MALOUET. Nota. — J’emploie l’application de ces principes à tout ce que j’ai dit et écrit, à différentes époques, sur la Constitution, et je ne ferai plus 400 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [i1»- août 1791.] d’autre réponse à ceux qui auraient encore la lâcheté d’opposer les injures à la raison. Signé : MALOUET. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU LUNDI 1er AOUT 1791. Opinion de M. Bengy de Puyvallée, député du Berry , sur le droit de censure et de protestation dans les Assemblées politiques. Avis. On a plus d’une fois provoqué la sévérité de l’Assemblée contre ceux de ses membres qui, dans différentes circonstances, ont cru qu’il était de leur devoir de faire des déclarations ou des protestations. Une motion présentée à plusieurs reprises, sur cet objet, a été renvoyée au comité de Constitution, qui devait, à un jour fixe, présenter un projet de décret. J’ai cru devoir soumettre au jugement du public et de l’Assemblée quelques observations sur le droit de censure et de protestation dans les Assemblées politiques. D’après plusieurs adresses que l'Assemblée a reçues, dans lesquelles la prévention et l’erreur semblent avoir méconnu tous les principes de justice et les premières règles de la décence et de l’honnêteté, j’ai lieu de croire que, sur cette question politique comme sur bien d’autres, on est parvenu à égarer l’opinion publique. Je ne me flatte pas de pouvoir la ramener, mais je dois compte à mes commettants des motifs qui ont été la règle immuable de ma conduite, et d’après l’avis de plusieurs de mes collègues qui partagent ma façon de penser, je me détermine à faire imprimer mon opinion. Messieurs, Si je n’avais à défendre que les intérêts et les droits de la minorité de cette Assemblée que i’on semble avoir particulièrement en vue par le décret qu’on sollicite, j’attendrais dans le silence que la raison, le temps et l’expérience eussent indiqué à chacun de nous la place qu’il a mérité d’occuper dans l’estime de ses contemporains, et dans l’opinion de la postérité; mais lorsqu’on semble méconnaître un des attributs essentieisde toute Assemblée politique et vouloir anéantir le droit de censure et de protestation, sans lequel la loi n’est plus que l’expression u’une volonté arbitraire, je dois à ceux dont j’ai l’honneur d’être le représentant, ne soutenir l’intégrité et l’indépendance des fonctions qu’ils m’ont confiées, et de repousser de toutes mes forces les atteintes qu’on voudrait por,er à la liberté publique, sous le manteau du patriotisme. Le peuple romain avait attribué à ses tribuns la prérogative de l’inviolabilité et de l'indépendance, afin qu’ils pussent veiller sans obstacle à sa défense, et qu’aucun motif de blâme ou de crainte ne les troublât dans l’exercice des fonctions qui leur étaient confiées. Quelle que soit la forme d’une Assemblée politique, chacun des membres qui la composent doit également être investi d’un caractère sacré, qui mette sa personne, et surtout ses opinions, sous la sauvegarde de la foi publique. Si l’on examine l’objet important de la mission d’un député, la nature des pouvoirs qu’il exerce, l’étendue des obligations qu’il est tenu de remplir, on apercevra aisément que mettre des bornes à la liberté de ses opinions, c’est, anéantir ia plénitude de ses fonctions. Lorsqu’une nation rassemble dans un même lieu dos citoyens, appelés de toutes les parties de l’Empire pour être les dépositaires de sa confiance, elle remet entre leurs mains ses intérêts les plus chers, elle consent qu’ils deviennent les i lerprètcs de la volonté générale; mais elle veut encore que chacun d eux suit ie surveillant et le censeur de ia conduite et des opinions de ses coopérateurs, que tous soient envers elle les garants de la sagesse qui doit présider à leurs délibérations; elle veut être éclairée sur ses véritables intérêts par la communication des pensées, des lumières et des connaissances de ses représentants : elle veut enfin, par la manifestation de leurs opiniuns individuelles, pouvoir apprécier la profondeur de leurs jugements, ia stabilité de leurs principes, et surtout la pureté de leurs intentions. Si, pour le maintien de la décence et du bon ordre, les représentants du peuple réunis en Assemblée, s’assujettissent à des règlements de police, chacun d’eux n’en conserve pas moins la liber té la plus entière et l’independance la plus absolue, parce que ces attributs, inhérents à leurs personnes, ne peuvent être abandonnés aux caprices d’une as.- emblée, mais reposent essentiellement sur la nature de la mission qu’ils ont reçue, et sur l'intérêt même du peuple, dont iis sont les organes. S’il en était autrement, une majorité rebelle ou despote pourrait, comme le long parlement d’Angleterre, proscrire à son gré ceux dont elle n douterait la censure, ffrnitr tout accès à la vérité et, après avoir été le tyran de la minorité, devenir le fléau de sa pairie. Si chaque député est tenu, comine citoyen, de donner l’exemple de l’obéissance à ia loi; connue mandataire, son opinion ne peut avoir pour juge que ses commettants; comme législateur, il est pour lui d’un devoir rigoureux de publier les raisons qui lui ont fait accorder ou refuser son suffrage à la formation de ia loi, d’annoncer les imperfections qu’elle renferme, les réformes dont elle est susceptible, et surtout de dire hautement les manœuvres qui l’ont préparée, et les motifs secrets qui l’ont dictée : en un mot, chaque député est tenu solidairement d’employer tous les moyens qui sont en sou pouvoir, pour éclairer l’opinion publique cl pour mettre Ja conduite de l’Assemblée, doni il est membre, dans le plus grand jour. Vous avez vous-mêmes senti, Messieurs, que ces principes immuables, conservateurs des droits du peuple et protecteurs de l’indépendance de ses mandataires, étaient inconciliables avec le projet de décret qu’on vous propose. Déjà vous l’avez rejeté plus d’une fois, et, dans cette circonstance, comme dans plusieurs autres, vous avez prouvé que le premier cri de toute assemblée délibérante est toujours pour la justice, lorsqu’il n’est point étouffé par les prestiges de l’erreur et par le jeu funeste des passions opposées. Les efforts multipliés qu’on emploie depuis quelque temps, pour vous égarer sur celte question, doivent vous mettre en garde contre les abus d’une autorité qui dépasserait les bornes de la justice et de la raison. La mesure qu’on veut vous faire adopter, aussi imprudente qu elle est impolitique, ne tendrait à rien moins qu’à vous mettre en contradiction avec vos propres principes, et à vous rendre, tour