562 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 avril 1790.] deux Etats ; elle servira à établir mes principes. Nous achetons du tabac pour 8 millions; et par la plus sage des institutions, ces 8 millions leur représentent près de 24 millions. Il est d’usage dans ces Etats de construire de rands magasins publics, destinés à l’entrepôt e cette marchandise. Il y a des inspecteurs publics qui parcourent toutes les plantations pour vérifier la qualité des tabacs; s’ils la trouvent bonne on l’encaisse dans des boucauts. L’inspecteur donne aux planteurs des récépissés appelés Hogfeac, qui représentent nos assignats. Dès lors ce tabac est réputé vendu, et ces Hogfeac servent à l’acquisition de tous les objets mis en circulation dans le commerce. Il est constant que cette heureuse combinaison triple pour le moins les produits de l’industrie, et que l’anéantissement de 8 millions d’achat porterait un coup trop sensible à nos alliés, pour que cette opération ne rompît pas, dans le temps le plus fâcheux, notre alliance avec l’Amérique que nous avons achetée par la plus grande partie du bénéfice qui nous abîme. Ainsi nous perdrions le fruit de tant de travaux et de dépenses : cette partie de l’Amérique se détacherait de nos intérêts pour s’unir exclusivement avec son ancienne métropole. Le sang, le langage, la religion les y invitent. Peut-être cette seule considération les retient. Ce serait, il me semble, léser la patrie que de méconnaître d’aussi grands intérêts. En vain on nous objectera que les manufactures nationales qui seraient conservées tireraient toujours des tabacs de l’Amérique : cet espoir est, j’ose le croire, chimérique; il ne faut rien jeter au hasard. L’on vous propose de donner à la culture des terres la plus entière liberté. La cherté excessive du blé que nous n’avons malheureusement pas encore eu le temps de faire oublier, nous dit assez que ce serait nous exposer à de nouveaux malheurs dans ce genre, si nous livrions à la culture, du tabac, par préférence à celle du blé et autres denrées, des champs précieux. Ainsi, l’avantage politique et le bonheur du peuple exigent que l’on ne livre pas à la cupidité d’un cultivateur, qui, ne calculant que l’avantage du moment, pourrait se livrer à une spéculation qu’influerait sur le bonheur du peuple, qui doit être notre premier but. Avant que de décider cette grande question il faut examiner si la culture du tabac est aussi avantageuse que l’on pourrait le croire ; et après plusieurs recherches, permettez-moi de vous citer un passage de M. Jefferson, auteur Américain aussi recommandable par son patriotisme que par son érudition. Yous y lirez, page 324, que cet auteur estimable après avoir examiné l’exportation du tabac, et ensuite balancé les considérations particulières aux deux Etats du Mariland et delà virginie, avec le pays de l’ouest du Mississi-pi et des parties antérieures de la Géorgie, nous dit que le Mariland et la Virginie seront bientôt obligés d’abandonner la culture du tabac; événement heureux pour ces deux Etats ; que celte culture en effet est une source féconde de misère, qu’elle demande des hommes qui y sont employés à un travail si continu et en même temps si pénible, qu’il est au-dessus des forces de la nature de le supporter longtemps; qu’ils cultivent peu de productions pour leur nourriture et celle des animaux; de sorte que les cultivateurs et leurs animaux sont très mal nourris, en même temps que le sol s’appauvrit rapidement (considération remarquable). La culture du froment, ajoute-t-il, est accompagnée de circonstances toutes contraires. Outre que la terre revêtue de végétaux conserve mieux sa fertilité, qu’elle nourrit abondamment son cultivateur, elle ne demande de lui qu’un travail modéré, excepté dans la saison des moissons ; elle élève et multiplie toutes les espèces d’animaux utiles au service et à la nourriture de l’homme, répand l’abondance et le bonheur. Il trouve qu’on obtient plus aisément de la terre cent boisseaux de blé que mille livres pesant de tabac (1), que ces cent boisseaux ont plus de valeur. Nous devons donc nous en rapporter à un auteur qui parle d’après une expérience consommée. Je pense ainsi qu’avant de détruire, il faut examiner, non par un simple aperçu, mais par une réalité bien détaillée, bien analysée, bien calculée, et même d’après l’expérience, ce que produirait un impôt établi sur les entrées du tabac étranger aux frontières du royaume, sur la culture libre du tabac en France, ces deux objets devant seuls supporter le remplacement qui résulterait au profit du Trésor public, en détruisant la vente exclusive du tabac, accordée à une administration sous le nom de Ferme générale. Je conclus donc : 1° A un ajournement indéfini ; 2° A ce qu’il soit décrété que la législature prochaine s’occupera des moyens du remplacement des 30 millions perçus par le Trésor public sur la vente du tabac, d’après les bases qui seront présentées par les comités réunis de finance, d’agriculture et de commerce ; 3° Que jusqu’à cette époque, les lois relatives à la perception et à l’administration de la vente du tabac, seront observées suivant l’ancien usage, en détruisant toutefois les abus vexatoires ; 4° Que les assemblées de districts et de départements, ainsi que les municipalités, seront tenues de les faire observer, de faire même prêter main-forte dans le cas où elles en seraient requises; 5° Que les provinces à qui la culture du tabac était permise, en jouiront comme par le passé, si le patriotisme ne les détermine à faire le sacrifice libre et volontaire de la culture du tabac ; qu’ellea en jouiront non à titre de privilège, mais comme une culture d’usage, en se soumettant et observant, conformément au serment civique et fédératif, les règles et usages établis jusqu’à ce jour. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE BARON DE MENOU. Séance du mercredi 7 avril 1790 (2). M. le Président ouvre la séance à neuf heures du matin. On compte très peu de membres dans la salle. Un de\MM. les secrétaires donne lecture des adresses dont la teneur suit : (1) Les mille livres pesant de tabac ne sont pas manufacturées ; elles sont en vert et perdront nécessairement beaucoup de leur poids avant que d’être réduites au taux de la perfection nécessaire pour l’usage. (2) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 avril 1790.] 563 Adresse des nouvelles municipalités des communautés de Pouy-Petit en Gascogne, de Mées et d’Angoumer, diocèse d’Ax, d’Auragne, du haut Monravel en Périgord, du Val de Barrême en Provence, de Saint-Laurent de Belzagol en Angou-mois, de Saint-Méard de Gurson en Guyenne, de Barbonvielle, de Saint-Coutant-le-Grand en Sain-tonge, de la Trille de Ladiville, de Ghamprenaud en Auxois, qui n’étant composée que d’artisans et de journaliers, fait le don patriotique de 83 livres 12 sols; des communautés de laGhapelle-Tecle, de-Dyé, de Gaunay en Poitou, de la Péreuze, de Dirac eu Angoumois, de Saint-Amis de Ghene-velle-des-Leves, de Taille-Cavat en Bazadois, de Combebommel ; De la communauté de Saint-Sylvain en Bas-Limousin ; elle donne les plus grands éloges à la conduite de la garde, nationale de Tulle pour arrêter les désordres qui ont eu lieu dans cette province, et fait le don patriotique du produit de la contribution sur les ci-devant privilégiés ; De la ville d’Héricourt, en Franche-Comté ; elle demande un tribunal de district et supplie l’Assemblée nationale de s’occuper au plus tôt de l’organisation de la haute cour nationale ; De la communauté de Rarecourt; elle abandonne, de la manière la plus expresse, les privilèges dont elle jouissait en vertu des titres les plus authentiques, et supplie l’Assemblée de lui permettre de faire un éclaircissement dans ses bois de réserve, sur le produit duquel elle prélèverait la somme de 7,000 livres en don patriotique; De la communauté d’Henqueville en Vexin-Nor-mand ; elle demande que la ville d’Andely soit le siège d’un tribunal de district; Des communautés de Mello et de Saint-Georges de Lusseray; cette dernière se plaint d’avoir été augmentée dans ses impositions ordinaires et accessoires, par l’élection de Saint-Maixant ; De la communauté de Blieux en Provence ; elle sollicite un chef-lieu de canton; Enfin des communautés de Moutonaud et de Novie; elles font le don patriotique du produit de la contribution sur les ci-devant privilégiés. M. Mougîns de Roquefort, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Il est adopté sans réclamation. M. le Président donne lecture de la lettre suivante qui lui est adressée par le président du comité du district des Jacobins-Saint-Dominique, au sujet du retour du prince de Gonti : « Monsieur le Président, « Le comité du district des Jacobins-Saint-Dominique croirait manquer à ce qu’il doit à l’Assemblée nationale, s’il passait sous silence l’avantage qu’il a eu de recevoir dans son sein M. le prince de Gonti, pour y ratifier son serment civique. Il lui a témoigné toutes les marques de son patriotisme, et de son humanité pour les pauvres de son arrondissement, par un don de 2,000 livres ; ce qui a excité dans ses membres l’attendrissement le plus touchant et les sentiments de la plus vive reconnaissance. « Je vous prie, M. le Président, de vouloir bien instruire l’Assemblée nationale de cet acte de patriotisme, de bonté et d’humanité, pour que cet exemple invite tous ceux qui sont hors du royaume à revenir dans la capitale éprouver, au milieu de leurs concitoyens, les mêmes sentiments que nous a inspirés M.‘le prince de Gonti. « J’ai l’honneur d’être, avec un profond respect, Monsieur le Président, « Votre très humble et très obéissant serviteur, Signé: l’Abbé de la Girardière, Président. » L’Assemblée entend la lecture de cette lettre avec intérêt; elle en ordonne l’insertion dans le procès-verbal, et elle charge M. le président d’en instruire le comité du district des Jacobins-Saint-Dominique. M. le Président annonce que le ministre de la marine vient de lui faire passer un paquet arrivant de Smyrne, et accompagné d’une lettre de M. Amoreux, consul de France, et résidant dans ce port. Voici la teneur de cette lettre : « Monsieur le Président, « Les Français établis en cette ville de Smyrne, dont, en ma qualité de consul, j’ai l’honneur d’être le chef, quoique vivant en pays étranger et éloignés de leur patrie, n’ont point cessé d’y lixer leurs regards, et de prendre le plus vif intérêt à son bonheur et à sa prospérité. « Non moins empressés d’v concourir que leurs concitoyens indigènes, et voulant, à leur exemple et pour se conformer au décret de l’Assemblée du 6 octobre de l’année dernière, donner, dans ces circonstances à l’Etat et au roi, une marque de leur sincère et entier dévouement, ils m’ont requis de les assembler pour souscrire de commun accord à une contribution patriotique. J’ai accueilli 'leur demande avec d’autant plus de satisfaction, que c’était mon vœu particulier et mon plus ardent désir. Il a été accompli, et la souscription s’est effectuée avec un égal transport de joie, et avec un égal empressement dans les différentes classes d’individus qui existent en cette Echelle. « En conséquence, j’ai l’honneur, M. le Président, de vous transmettre, ci-joint, avec l’extrait du procès-ver baL et de la liste des contribuants, le produit de notre commune contribution en trois lettres de change sur le Trésor royal, de 31,500 livres, valeur des fournitures faites pour le compte du roi, à la frégate l' Impérieuse, en station dans cette rade. « J’ose espérer, M. le président, que l’Assemblée nationale voudra bien moins apprécier la valeur de ce faible don, que l’amour patriotique des Français de Smyrne qui le lui offrent. « Je suis, avec un profond respect, « M. le président, votre très humble et très obéissant serviteur. Signé : AMOREUX. » La lecture de cette lettre excite de très vifs applaudissements. M. le Président est chargé d’assurer les Français de Smyrne de toute la sensibilité de l’Assemblée, et il est ordonné que la lettre du consul de Frauce sera transcrite sur le procès-verbal de la séance. Un de MM. les secrétaires fait part à l’Assemblée d’un don patriotique de 144 livres 16 sols offert par quelques travailleurs du lieu de Mondeville près d’Etampes. Le sieur Vanwaezenberghe présente à l’Assemblée le buste du roi, et offre un don pareil d’un buste en plâtre à chacun des départements. La dame veuve du sieur Robert de Hesseln, to-