174 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 avril 1791.] voulait y recevoir en payement que les assignats endossés par les maisons de commerce tes plus connues, ce qui ne contribua pas peu à retarder la conliance aux assignats, et à les maintenir trop au-dessous du pair, en faisant de plus en plus resserrer le numéraire avec la confiance. Nous ne pouvons nous empêcher de frémir au simple aperçu des effets malheureux qu’aurait une pareille loi. Loi injuste, Je cours des assignats étant forcé; loi imprudente et impolitique, le salut de la nation reposant sur la libre circulation des assignats et sur la confiance pleine et entière qui leur est due, laquelle ne peut subsister un instant, si celui qui reçoit un assignat est tenu à autre chose, pour sa sûreté, que d’examiner s’il est véritable et non contrefait. Ainsi le décret, qui serait une loi des endossements, serait un décret funeste. Il entraînerait rapidement avec lui la chute des assignats considérés comme monnaie; et nous ne cesserons de nous y opposer, parce que le salut du royaume dépend aujourd’hui des assignats-monnaie. On se réduira peut-être à demander un décret semblable à celui du 1er juin, c’est-à-dire qui permette les endossements sans les exiger; mais je dis que, bien loin que l’Assemblée doive permettre les endossements libres par une loi, elle devrait les prohiber comme instruments de monopole; mais je dis qu’une pareille loi n’en serait pas une, puisqu’elle permettrait ce qui est bien loisible à tout propriétaire d’assignats, lorsqu’il n’y a point de loi contraire; mais en le permettant, elle induirait en erreur ceux qui, en vertu de la loi, attai heraient quelque effet à ces endossements; elleleur persuaderait à tort que lasigna-ture de leur cédant est pour eux une garantie utile; et dans le cas où ils ne le jugeraient pas suffisamment responsable, elle leur fournirait un prétexte de refuser ses assignats, et peut-être d’exiger de lui, pour obtenir leur confiance, des sacrifices d’autant plus considérables, qu’il serait moins fortuné. Il serait donc contre la dignité, la justice et la prudence de l’Assemblée nationale, de donner lieu, par un décret insignifiant et inutile, à de pareilles méprises des hommes simples et de bonne foi, à de semblables exactions contre le pauvre dont la signature ne peut rien garantir, et à de tels obstaclesà la circulation des assignats. Après avoir démontré combien serait injuste et impolitique un décret pour prescrire l’endossement des assignats ; après avoir prouvé combien cette loi serait funeste à la circulation, en les frappant d’un motif de détiance et de crainte tout à fait étranger à la véritable base de leur crédit, et qui ne porterait que sur une prévoyance de vols ou de portefeuilles égarés, je crois devoir déclarer que je suis bien éloigné de croire tout à fait inutile, et dans toutes les circonstances, non pas l’endossement ou transport que je condamne, mais la simple signature du cédant au dos des assignats, dans les cas d’envois par la poste, de place en place, ou par les messageries, parce que, pour les assignats égarés et retrouvés, ou saisis dans les mains mêmes des voleurs ou de leurs complices convaincus, cetteprécaution pourrait servir à démontrer le propriétaire; mais pour cela une loi n’est pas nécessaire; la faculté de prendre cette précaution est inhérente au droit du propriétaire üe l’assignat, lorsque la loi ne le défend pas; et rien n’empêche, sans que l’Assemblée natiuuale s’en mêle, que messieurs les né-gociauts continuent à leur gré d’en faire usage, parce qu’alors elle n’a que l’effet qu’elle peut produire, sans pouvoir porter atteinte à la nature de l’assignat, qui est toujours censé appartenir au porteur, s’il n’est lui-même convaincu de vol ou de complicité; cependant je désire que ce moyen ne soit pas employé sur les nouveaux assignats ; il ne serait pas sans danger. En détaillant les motifs qui justifient le décret du 18 novembre passé, et qui s’opposent au projet de loi pour les endossements, nous n’avons pas mis en considération les inconvénients majeurs qui en résulteraient pour le Trésor public et pour la conliance nationale, par la quantité énorme d’assignats qu’il faudrait fabriquer et délivrer à la caisse de l’extraordinaire, au-dessus du nombre qui en a été décrété, surtout de ceux de petites sommes, afin de pouvoir remplacer à présentation ceux qui se trouveraient surchargés d’endossements ; car il est bien certain que, pour parer aux inconvéoieuts qui font désirer cette loi, les endossements en blanc ne produiraient aucun effet ; puisqu’il n’en serait pas des assignats-monnaie, qu’on est forcé de recevoir, comme des lettres de change et billets à ordre qu’on reçoit librement, et pour lesquels le cessionnaire ne peut acquérir que les droits de son cédant, parce que c’est à lui à bien placer sa confiance lorsqu’il accepte un transport. Mais dans la supposition de la loi des endossements sur les assignats, il serait nécessaire que ces assignats fussent remplis du nom du cessionnaire avec la date, ce qui mettrait bientôt et souvent tous les assignats daus Je cas d’être échangés. Nous concluons unanimement contre la demande formée d’une telle loi, et pour l’exécution du décret du 18 novembre passé. (. Approuvé et arrêté par les commissaires de l'Assemblée nationale , pour les assignats. A Paris, le 13 décembre 1790.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHABROUD. Séance du lundi 18 avril 1791 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier, qui est adopté. M. d’Estourmel. Le comité militaire a été chargé par l’Assemblée de faire une enquête sur la révolte des régiments de Languedoc et de Beauvoisis ; je propose de fixer le jour où il devra nous faire son rapport. Un membre du comité militaire. Le comité attend des renseignements plus étendus qui puissent lui permettre de porter une appréciation plus complète et plus juste sur ces deux affaires; il faut donc attendre jusque-là pour lui demander son rapport. (L’Assemblée décrète l’ordre du jour sur la motion de M. d’Estourmel.) Un de MM. les secrétaires instruit l’Assemblée du retour de M. de Bournazel, député du département de l’Aveyron, et de M. Paultre desEpinet-(1) Cette séance ost incomplète au Moniteur . 175 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ( 18 avril 179&.J tes, député du département de l’Yonne, qui étaient absents par congé. M. le Président donne lecture d’une lettre de M. Fréteau qui lui fait part de l’impo-sibilité où il sera de se trouver à l’installation du tribunal de cassation, à cause du mauvais état de sa santé. (L’Assemblée charge M. le Président de lui désigner un suppléant.) M. le Président désigne M. Treilhard. M. de Eïsmes, secrétaire , commence la lecture d’une lettre datée de Constantinople, du 12 janvier dernier, et contenant des dénonciations du sieur Broquier contre le consul de France à Alexandrie. Un membre réclame contre la lecture de cette lettre et en demande le renvoi au comité de commerce et d’agriculture. (L’Assemblée interrompt cette lecture et décrète le renvoi demandé.) Un membre du comité de vérification propose d’accorder à M. Riberolles de Martinanges, un congé d’un mois, et à M. Target, un congé de 15 jours. (Ces congés sont accordés.) M. de Tracy. Messieurs, je vais avoir l’honneur de vous faire part d’une lettre que le zèle du département de l’Ailier l’a engagé à écrire aux membres du comité d’imposition et que je vais leur remettre. Mais, auparavant, j’ai tenu à vous en donner lecture; la voici : '< Messieurs, les impositions de cette année ne pouvant pas être recouvrées de sitôt, par les délais nécessaires qu’éprouveront les formations des rôles, tant de la contribution foncière que de la contribution mobilière, quelques efforts que nous puissions faire pour les abréger, nous avons pensé que ce serait en même temps servir l’impatience des bons citoyens de notre département et acquitter la dette la plus sacrée envers la nation, que d’offrir librement des acomptes sur les nouveaux rôles. « En conséquence, nous demandons, Messieurs, à être autorisés à faire ouvrir dans chaque municipalité, un registre sur lequel chacun pourra faire inscrire les payements qu’il voudra faire, en déduction de ses impositions futures, en prenant les précautions que vous nous prescrirez pour la sûreté des deniers. ( Vifs applaudissements.) a Nous sommes avec respect, Messieurs, vos très humbles et très obéissants serviteurs. « Les Administrateurs composant le directoire du département de V Allier. « Signé : Jouffret, procureur général syndic; Boissot, Düchou, Michelon, de la Faye, Merlin, secrétaires. » (L’Assemblée ordonne l’impression de cette lettre dans le procès-verbal). M. Rabaud de Saint-Etienne. Je fais la motion que M. le Président soit chargé d’écrire une lettre de satisfaction aux administrateurs du département de l’Ailier. (Cette motion est décrétée.) M. Lanjuinais, au nom du comité ecclésiastique. J’ai l’honneur d’informer l’Assemblée qu’il résulte de l’état envoyé au comité ecclésiastique, par le département de la Corse, que presque tous les ecclésiastiques fonctionnaires publics y ont prêté le serment prescrit par la loi du 26 décembre dernier ; sur 121 paroisses que contient l’île, 3 curés seulement ont refusé d’obéir à votre décret. D’autre part, le département du Morbihan vient d’envoyer à votre comité un tableau généra] et détaillé des traitements et pensions fixés par le directoire tant pour le clergé fonctionnaire que pour le clergé supprimé et pour les religieux et religieuses de ce département; le total de cet état, ne s’élève pas à 960,000 livres. Ce travail est un modèle d’exactitude et de bon ordre; c’est le premier de ce genre qu’ait reçu jusqu’ici l’Assemblée nationale. Aussi, je demande que le comité ecclésiastique soit autorisé à écrire une lettre de satisfaction au directoire du département du Morbihan, qui a montré tant de diligence et d’exactitude. (Marques d'assentiment.) M. de Choîsenl-Praslia. Je demande qu’au lieu du comité ce soit M. le Président. (L’Assemblée charge M. le Président d’écrire une lettre de satisfaction au directoire du département du Morbihan.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret des comités ecclésiastique et d'aliénation sur les baux emphytéotiques (1). M. Boutteville-Diiuietz, au nom des comités ecclésiastique et d'aliénation. Messieurs, dans la séance du 19 mars dernier, vous avez ajourné deux articles d’un projet de décret présenté au nom de vos comités ecclésiastique et d’aliénation, et plusieurs autres additionnels qui vous étaient proposés. Voici le résultat de la nouvelle discussion à laquelle vos comités se sont livrés. La première et principale question renvoyée à leur examen était celle de savoir s’il est ou s’il n’est pas de l’Intérêt de la nation de mettre simultanément en vente les rentes emphytéotiques ou à vie qui lui appartiennent, ensemble les nues propriétés des biens qui en font l’objet. Plusieurs objections ont été faites contre cette proposition. On n’acquiert en général, vous a-t-on dit, que pour jouir promptement ou au moins dans un temps peu éloigné. Si la proposition était seulement de vendre les nues propriétés des biens dont les preneurs emphytéotiques ou à vie n’ont plus à jouir que pendant 12 ou 15 ans, on pourrait espérer de trouver des acquéreurs; et d’en tirer quelque prix. Mais quels sont ceux qui voudront sacrifier des fonds pour une jouissance qui ne doit se réaliser que dans 30, 50, 80 ou 100 ans? Il y a dans cette objection trois graves erreurs faciles à reconnaître. Il suffisait de lire les articles et les tables proposées, pour ne pas tomber dans les deux premières. Le soumissionnaire, porte le projet de décret, sera tenu d’offrir : 1° 22 fois le revenu de la rente; 2° le capital de l’excédant au même denier; mais eu égard à la non-jouissance qu’éprouvera l’acquéreur jusqu’à l’expiration du bail. Il ne s’agit pas, comme vous le voyez, de vendre seulement des nues propriétés. (1) Voyez Archives parlementaires, tome XXIV, séance du 19 mars 1791, pages 193 et suivantes, le commencement de cette discussion.