ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 2o3 [Assemblée nationale.] « Que, dans ce concert parfait entre le chef et les représentants, et après la réunion de tous les ordres, l’Assemblée va s’occuper sans relâche du grand travail delà constitution ; « Que les troubles nouveaux qui pourraient survenir ne pourraient qu’y être contraires ; « Que tout citoyen doit frémir aux mots de troubles qui toujours entraînent des proscriptions arbitraires, la désertion des villes, l’émigration du royaume, la division des familles, enfin tous les renversements de l’ordre social; « L’Assemblée nationale a invité et invite tous les Français à la paix, à l’amour de l’ordre, au respect îles lois, à la confiance qu’ils doivent avoir dans leurs représentants, à la fidélité dans le souverain. Déclare que quiconque se porterait à enfreindre tous ces devoirs sera regardé comme un mauvais citoyen ; « Déclare que tout homme soupçonné, accusé, arrêté, doit être remis dans les mains du juge naturel qui doit le réclamer; f Déclare enfin, en attendant l’organisation qui pourra être fixée pour les municipalités, qu’elle les autorise à former des milices bourgeoises, en leur recommandant d’apporter la plus sévère attention à cette formation, et de n’admettre que ceux qui sont incapables de nuire à la patrie et capables de la défendre. » M. Dupont, député de Nemours. Dans toutes les circonstances difficiles, on ne doit point céder à un premier mouvement : une sage lenteur doit toujours influer sur le choix du moyen. Mais il ne s’agit pas ici de se livrer à des méditations profondes, de renvoyer à des bureaux l’examen d’une chose qui n’en est pas susceptible ; vous n’êtes pas sans doute divisés : je vous en conjure par tout ce que vous avez de vertu, de courage et de patriotisme, délibérons sur-le-champ. Un religieux de l'ordre de Saint-Geneviève observe que la motion deM. Lallv-Tollendal ne tend qu’à l’établissement de la milice dans les villes seulement; mais qu’il faut étendre cet établissement même sur les campagnes. M. de Fermond. J’assure l’Assemblée que la province deBretagne jouit de la plus parfaite tranquillité à l’aide des milices bourgeoises qu’on y a établies; il n’est pas besoin d’y envoyer de proclamation, surtout celle qui est proposée et qui contient des expressions plus propres à soulever les peuples qu’à les calmer. Je demande que la proposition soit renvoyée aux bureaux pour y être discutée après mûre réflexion. M. le marquis de Toulongeon. J’appuie la motion, et je demande qu'on ajoute à la proclamation un projet d’instruction pour diriger la formation des milices bourgeoises. M. ***. On doit de la reconnaissance à tous les citoyens qui se sont armés pour conquérir et défendre la liberté de la nation. Quant à la sanction du Roi, je pense qu'on ne peut la lui demander pour aucun règlement quelconque qu’après que la constitution sera achevée. Je crois qu’il suffit, et je propose d’envoyer dans les provinces nos procès-verbaux depuis mercredi, et d’inviter tous les citoyens à la paix. M. Robespierre. Il faut aimer la paix, mais aussi il faut aimer la liberté. Avant tout, analysons la motion de M. de .Lally. Elle présente d’a-[20 juillet 1189.] bord une disposition contre ceux qui ont défendu la liberté. Mais y a-t-il rien de plus légitime que de se soulever contre une conjuration horrible formée pour perdre la nation ? L’émeute a été occasionnée à Poissy sous prétexte d’accaparement; la Bretagne est en paix, les provinces sont tranquilles, la proclamation y répandrait l’alarme et ferait perdre la confiance. Ne faisons rien avec précipitation ; qui nous a dit que les ennemis de l’Etat seront encore dégoûtés de l’intrigue ? MM-de Custiue et de Lubersac, évêque de Chartres, parlent successivement. Ils sont d’avis qu’on s’occupe d’un projet de règlement pour ramener la tranquillité, et qu’on autorise la formation des milices, sous l’inspection de l’autorité légitime. MM. Fréteau, de Grillon et d’autres membres parlent de la nécessité d’établir des milices nationales ; ils écartent le reste de la motion. M. de Gleizen. Le zèle de M. de Lally égale son éloquence; mais rappelons ce que des hommes éclairés ont si souvent répété : que le plus grand danger qui environne une assemblée délibérante, c’est la magie de l’éloquenee. Gomment blâmer des hommes qui se sont armés pour la liberté? Gomment parler de troubles aux provinces qui jouissent de la pluspar-faite tranquillité ? M. de Lally parie de la sanction du Roi ; mais peut-on la lui demander avant que la constitution lui ait adressé le droit delà donner ? J’insiste pour qu’on imprime les procès-verbaux des séances, et qu’on les envoie dans les provinces. M. Legrand» J’observe qu’il faut joindre à l’établissement de la milice bourgeoise un règlement de discipline, pour que le chef de la milice soit choisi à la pluralité des suffrages, et que son élection ne réside pas dans la volonté de quelques magistrats de municipalité vénale, qui ne peuvent défendre les intérêts d’un peuple qu’ils ne représentent pas. M. ***. 11 est une autre difficulté ; c’est que toute milice bourgeoise est du ressort de l’autorité exécutrice ; qu’il ne dépend pas de nous de pouvoir l’établir dans le royaume. M. ***. Je trouve trois obstacles insurmontables à la motion de M. de Lally: le premier, c’est de déclarer rebelle tout homme qui a pris les armes pour la défense de la patrie; le second, c’est de hasarder une question infiniment douteuse. M. de Lally propose que la proclamation soit publiée dans toutes les villes, du consentement du Roi. Nous ignorons encore si cette sanction est nécessaire aux décrets de l’Assemblée. Le troisième enfin, c’est que ce serait alarmer toutes les provinces où le calme et la paix régnent encore. M. de Lally-Tellendal s’écrie; G’estau nom de la liberté que je vous propose ma motion et que je vous conjure de l’adopter. Au milieu des impies qui renversent le temple des lois, c’est à nous, ministres de la liberté, de prêcher son évangile. M. Blesau, député de Bretagne. C’est ici que l’on sent la grande vérité que les législateurs nous ont apprise : dans les affaires publiques, on doit toujours être en garde contre le charme de l’éloquence, et jamais l’éloquence n’exerce un empire plus puissant que quand elle égale le zèle et la pureté des sentiments de i’orateur. 254 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 juillet 1789.] L’on vous a représenté les provinces disposées à en venir aux armes: le sang prêt à couler; hier nous avons reçu un courrier de Ja province, et nous avons appris que tout y est tranquille. L’on vous a dit que M. de Thiars, arrivant de Bretagne, apportait des nouvelles affligeantes ; M. de Thiars n’a pas été en Bretagne. Et qu’importe à présent la révolte de Saint-Germain et de Poissy ? Sont-ce là ces grandes révolutions dont on veut nous effrayer1? Sont-ce là les maux qui bientôt vont nous affliger? Paris est sous les armes ; mais faut-il mettre sur le même rang des citoyens qui courent aux armes pour défendre la patrie et quelques perturbateurs du repos public? N’alarmons pas nos citoyens en leur représentant la nécessité d’établir une milice bourgeoise, en leur faisant craindre des maux imaginaires, en leur donnant le change sur des émeutes populaires et une révolution légitime et nécessaire; en plaçant sous leurs yeux le séditieux, armé par la licence, à côté du citoyen, armé pour la liberté. M. Buzot, député d'Evreux. Le devoir d’un citoyen est d’exposer son opinion telle qu’elle est dans son cœur, avec la franchise et le courage qui doivent le mettre au-dessus de toutes les censures. L’on a vivement applaudi à la motion de M. de Lally-Tollendal ;je l’ai écoutéejdans le silence de la réflexion, et je n’ai pas été entraîné par l’exemple. Il propose de déclarer mauvais citoyen et rebelle, tout homme armé indistinctement. Devons-nous donc oublier le généreux courage des Parisiens qui, en prenant les armes, nous ont rendus la liberté, ont expulsé les ministres, ont fait taire l’intrigue, ont dirigé les pas du Roi dans cette Assemblée? Hier, nous applaudissions à leur grandeur d’âme, à leur héroïsme ; aujourd’hui nous les appellerons des rebelles; nous les punirons d’avoir sauvé la patrie ; nous leur ferons regretter les éloges que notre reconnaissance leur aura prodigués? Mais ce n’est pas tout encore: qui nous répondra que le despotisme ne puisse pas renaître auprès de nous ? quel sera même le garant de son entière destruction ? El si un jour il rappelait ses forces pour nous terrasser, quels seraient les citoyens qui s’armeraient à temps pour la cause de la patrie? Quels seraient les hommes courageux qui oseraient, pour défendre l’Etat, braver l’opinion publique et se dévouer à l’ignominie, triste partage d’un rebelle ? L’on nous propose de consacrer la maxime la plus impie des gouvernements despotiques: iis ne se soutiennent que par la force et qu’en punissant comme factieux tout homme qui, usant des droits de la nature, défend sa vie, ses biens et sa liberté. Est-ce à nous à devenir de vils instruments de la tyrannie, de consacrer ses injustices et la violation des droits de la nature? lit si tel était cependant notre aveuglement, aurions-nous encore le droit de nous plaindre de l’esclavage dans lequel nous gémirions ? M. de Lally-Tollendal demande à répondre aux objections que l’on vient d’élever contre sa motion ; il obtient la parole. M. de Lally-Tollendal. Jene me permets de prendre la parole que parce que je crois que ma conscience me l’ordonne, et qu’il est d’un besoin urgent que la motion que j’ai eu l’honneur de vous proposer soit admise sans délai, soit avec l’amendement que j’y apporte, soit avec ceux que l’on vous a indiqués. J’ai remarqué que l’on a toujours répondu à ce que je n’ai pas dit. D’abord l’on a cherché à vous surprendre en prétendant que ce serait alarmer la capitale, que ce serait la juger rebelle: mais je n’ai pas parlé de la capitale. Au reste, si l’on pense que l’on en puisse tirer la moindre induction contre la capitale, je propose l’amendement suivant: « L’Assemblée nationale déclare, qu’après l’invitation, quiconque manquerait à ses devoirs, sera jugé mauvais citoyen. » Cet amendement doit faire cesser toutes les alarmes. L’on a encore beaucoup parlé de la sanction royale; on a prétendu que j’en faisais une obligation pour la suite. Je ne me suis pas servi du terme sanction ; j’ai employé le mot consentement, ce qui est bien différent. Par là, je ne compromets pas les droits de l’Assemblée; la question reste encore indécise. Il m’a paru nécessaire de présenter aux peuples l’union des deux pouvoirs. L’on a objecté que nous n’avions pas le droit d’établir une milice bourgeoise : que c’était usurper et compromettre les droits du pouvoir exécutif. Mais a-t-on oublié que le Roi nous a confié le soin de rappeler la paix parmi nous, de rétablir le calme ? Ne nous a-t-il pas laissé parlé tous les moyens possibles et nécessaires pour la sûreté des citoyens? Quant aux dangers relatifs au pouvoir exécutif, c’était la proposition qui vous a été faite avant-hier d’en créer de votre propre mouvement, c’est encore la proposition que je vous fais aujourd’hui, puisque le Roi s’eu rapporte à votre prudence. Le grand objet, c’est de faire reparaître la liberté des lois qui est anéantie; c’est de faire revivre cette force publique qui prévient les désordres et qui est la sauvegarde de toute la société. L’on veut cependant que nous voyions tranquilles quand un incendie général gagne toutes les provinces ; lorsqu’en Bretagne les citoyens s’arment de toutes parts; tandis qu’en Normandie des ruisseaux de sang coulent ; tandis qu’en Bourgogne le peuple se porte aux plus grands excès, poursuit le commandant, homme respectable, comme un traître et un criminel; quand l’innocent expire chargé de la haine publique. Et, d’un autre côté, on veut rester inquiets quand les troupes sont éloignées, quand des ministres perfides sont bannis de la présence du Roi, quand les fidèles ministres qui ont toute la confiance de la nation sont rappelés ! Je ne conçois pas comment on peut allier tant de sécurité à tant de terreur. Un Roi citoyen nous force d’accepter notre liberté, et je ne sais pourquoi on veut la lui arracher comme à un tyran. Si j’insiste sur ma motion, c’est que l’honneur de ma patrie me presse; c’est que je cède à l’impulsion de ma conscience; et si le sang doit couler, au moins je pourrai me laver les mains de celui qui est prêt de se répandre. La motion de M. le comte de Lally qui, dans le premier mouvement, avait été applaudie, qui, quand elle a été discutée, cessait d’être approuvée, n’a trouvé presque plus de partisans dans les communes. {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juillet 1789.] tiês derniers mots de son discours ont été blâmés hautement ; cependant, .au milieu des murmures, quelques applaudissements se sont fait entendre du côté de la noblesse. Plusieurs membres demandent le renvoi de la motion aux bureaux. L’Assemblée, consultée par assis et levé, l’arrête ainsi. M. le Président lit une lettre de M. le marquis deLafayetle, commandant général de la milice parisienne. Il rend compte des mesures qu’il a-prises pour assurer la tranquillité de la capitale. L’Assemblée applaudit et ordonne le dépôt de la lettre. M. le Président annonce à l’Assemblée qu’attendu les réparations à faire dans la salle, les bureaux s’assembleront demain à 9 heures et que les députés se réuniront ensuite à l’église de Saint-Louis. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE DUC DE LIANCOURT. Séance du mardi 21 juillet 1789. Le matin l’Assemblée se forme en bureaux et discute divers objets jusqu’à midi ; alors elle se réunit dans l’église Saint-Louis. Elle commence ses opérations par la lecture dot procès-verbaux des séances des 16, 17, 18 et: 20. M. le Président annonce ensuite que la motion proposée hier par M. de Lally, n’ayant pas esàcore élé suffisamment discutée, est renvoyée à une autre séance. On fait �lecture d’une délibération prise par les trois ordres de la ville de Lyon. Sur la nouvelle de la disgrâce et de l'exil de M. Necker et de M. Montmorin, et des dispositions hostiles dirigées contre la capitale, les citoyens se sont tous assemblés, sans distinction d’ordre, d’état ni de condition ; et ainsi réunis, ils ont pris une délibération par laquelle ils protestent contre tout ce qui a été fait par le ministère, adhèrent à tous lés arretés pris par l’Assemblée nationale, lui témoignent leur reconnaissance pour tout ce qu’elle a fait, promettent obéissance aux lois qu’elle donnera à la France, et jurent, sur l’autel èe lapatrie,de défendre leur libertéet leurs justes droits avec Je courage le plus inébranlable, recommandant dès à présent à la France entière les fimilles des généreux citoyens qui pourraient se sacrifier pour elle. Cette adresse est vivement applaudie, et le dépôt en est ordonné. ■ M, l’abbé de Castel las, doyen , comte de Lyon , au nom des députés de cette sénéchaussée, réitère à l’Assemblée la renonciation à toute exemption pécuniaire faite par le clergé, la noblesse et les bourgeois de la ville de Lyon ; il demande qu’il en soit fait mention dans le procès-verbal. .On applaudit à cette démarche, et on en ordonné une mention honorable. M.Thévenin de T anlay, premier président de la cour des monnaies, demande a être introduit*; il est reçu de la même manière que M. le premièf président du grand conseil, et dit : Messeigneurs, la France n’oubliera jamais Ce que votre vigilance et votre zèle ont fa.it pour ld tianquillité de la capitale. La cour des monnaies m’a chargé de vous offrir l’expression de sa respectueuse reconnaissance. Que ne devons-nous pas attendre, Messieurs, de la réunion de tant de lumières et de vertus! Un de MM. les secrétaires fait lecture de l’arrêté pris par celte cour le 20 du courant, et lé dépose sur le bureau. Il est conçu en ces termes : ‘ « Ce jour, la cour assemblée en la manière accoutumée, un de messieurs a dit que l’Asseda-blée nationale ayant obtenu, de la bonté etdelür justice du seigneur Roi, l’éloignement des troupes et le rétablissement de la tranquillité publiqué; il croit qu’il est du devoir de la cour d’offrôt*' audit seigneur Roi, et à l’Assemblée, l’expressidft respectueuse de sa reconnaissance, pourquoi dl priait la cour d’en délibérer. « La matière mise en délibération, la cour a arrêté que M. le premier président se retirera iti-cessamment par-devers le seigneur Roi pour le remercier d’avoir accordé toute sa confiance aux représentants de la nation, et d’avoir dissipé les alarmes de la capitale, en y ramenant, par sa présence, le calme et la sécurité. « A pareillement arrêté que M. le premier président se retirera par-devers l’Assemblée nation nale, à l’effet de lui faire ses remerciements, d’avoir interposé ses bons offices auprès du seigneur Roi pour le rétablissement de la paix dans la capitale. « Fait en la cour, les jour et an que dessus. c Signé : Moussier. » De longs applaudissements suivent cette lecture. M. le Président. L’Assemblée nationale reçoit avec d’autant plus de plaisir les hommages des cours supérieures, qu’ils lui sont une assurance nouvelle de leur entier dévouement à la chose publique ; elle me charge, monsieur, dé témoigner à la cour des monnaies sa satisfaction particulière. On fait le rapport des pouvoirs vérifiés de M. le marquis de Bonnay, député de la noblesse du bailliage du Nivernais et Donziois, pour rempla-’ cer M. Dumas d’Anlezy, qui avait donné sa dé1- ! mission. M. de Bonnay est admis sans réclama*'* tion. Une députation de Saint-Germain-en-Laye se présente ; elle est introduite. M. Jaullain, au nom de la députation. Mes* sieurs, nous venons offrir à l’Assemblée l’hommage du plus profond respect, de l’entier dévoU-ment et de la plus parfaite reconnaissance de# habitants de Saint-Germain. Vos députés sont des anges de paix ; ils onl rétabli dans notre ville la tranquillité publique, i Nous vous apportons les pièces justificatives de l’innocence du malheureux Sauvage, qui a él§2 victime de la dernière émeute, et nous vous supLJ plions d’effacer les préjugés défavorables que cette scène horrible a pu vous donner sur le compte » des habitants de Saint-Germain. Une foule d’étrangers attroupés, qui s’étaient