398 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 octobre 1789.) Un membre propose de décréter sur-le-champ la j loi de la librairie. la motion suivante sur les biens ecclésiastiques : M. le comte de Mirabeau (1). Je demande que l’Assemblée reçoive la dénonciation formelle que je fais dans ce moment. Il est de notoriété publique qu’un ministre , et ce ministre est M. de Saint-Priest, a dit à la phalange des femmes qui demandaient du pain : «Quand vous n’aviez qu’un Roi, vous ne manquiez pas de pain ; à présent que vous en avez douze cents, allez vous adresser à eux. » Je demande que le comité des rapports soit chargé d’informer sur ce fait (2). M. de Custine. L’Assemblée nationale doit veiller à la sûreté de tous les citoyens ; c’est par les attroupements qu’elle est le plus compromise. Je propose de rendre une loi martiale , pour les éviter. Je demande l’ajournement de ma motion à lundi, parce que je reconnais la nécessité de suivre l’ordre du jour. Je m’étonne qu’on attache aux libelles la plus légère importance ; la calomnie retombe sur celui qui la fait, l’honnête homme ne la craint jamais. M. Malouet. Je demande si l’Assemblée veut ou ne veut pas délibérer ? Si elle est indifférente à la sûreté de ses membres, chacun prendra le parti qu’il jugera convenable. M. de Montlosier. Nous sommes appelés librement à faire une Constitution libre pour assurer notre liberté. La liberté paraît un bien si précieux, qu’il y a un certain ordre de personnes qui, loin de vouloir conserver leur liberté, veulent encore jouir de celle d'autrui. Il y parmi nous des membres dont la liberté est en danger, et je demande pourquoi l’on craindrait de les mettre sous la sauvegarde d’un décret de l’Assemblée nationale; pourquoi l’on ne voudrait pas pourvoir à la sûreté de leurs personnes. Je demande enfin si l’on ne veut pas prévoir tous les accidents funestes. M. Pétion de 'Villeneuve. L’ajournement est indispensable : des lois sur les libelles et sur les attroupements exigent un examen très-sérieux. Je ne sais pas comment on demande à délibérer sur-le-champ. La délibération sur les faits dénoncés est ajournée à ce soir. M. le Président désigne pour former la députation chargée de présenter à la sanction du Roi les articles de jurisprudence criminelle : MM. Le marquis d’Estourmel. Le duc de la Rochefoucauld. Couppé. Deere tôt. L’abbé d’Eymar. Laurendeau. M . de Talleyrand MM. Bertrand de Monlfort. Le comte de Lambertye. De Talleyrand, évêque a Au-tun. Bailleul. Poulain de Gorbion. évêque d’Autun , fait (1) La version que nous donnons diffère de celle du Moniteur : nous l’empruntons aux œuvres de Mirabeau, publiées par Barthe en 1820. (2) Voy. la réponse de M. de Saint-Priest annexée à la séance de ce jour. Messieurs (1), l’Etat depuis longtemps est aux prises avec les plus grands besoins : nui d’entre nous ne l’ignore ; il faut donc de grands moyens pour y subvenir. Les moyens ordinaires sont épuisés ; le peuple est pressuré de toutes parts ; la plus légère charge lui serait, à juste titre, insupportable. Il ne faut pas même y songer. Des ressources extraordinaires viennent d’étre tentées, mais elles sont principalement destinées aux besoins extraordinaires de cette année, et il en faut pour l’avenir , il en faut pour l’entier rétablissement de l’ordre. 11 en est une immense et décisive, et qui, dans mon opinion (car autrement je la repousserais) peut s’allier avec un respect sévère pour les propriétés : cette ressource me paraît être tout entière dans les biens ecclésiastiques. Le clergé a donné, dans plusieurs occasions, et dans cette Assemblée, des preuves trop mémorables de son dévouement au bien public, pour ne pas penser qu’il accordera, avec courage , son assentiment aux sacrifices que les besoins extrêmes de l’Etat sollicitent de son patriotisme. Déjà une grande opération sur les biens du clergé semble inévitable pour rétablir convenablement le sort de ceux que l’abandon des dîmes a entièrement dépouillés. Déjà , par cette seule raison , les membres du clergé qui jouissent du revenu de ses biens-fonds, ont prévu sans doute la nécessité prochaine d’un mouvement considérable dans ces biens; et tandis que ceux qui jouissent des dîmes ne sont peut-être pas sans inquiétude sur le remplacement dont ils ont besoin, l’on ne peut douter que ce sera pour tous une puissante considération de voir que cette même révolution puisse satisfaire à leurs droits communs , et opérer directement encore le salut public. Il ne s’agit pas ici d’une contribution aux charges de l’Etat , proportionnelle à celle des autres biens : cela n'a jamais pu paraître un sacrifice. Il est question d’une opéraiion d’une tout autre importance pour la nation. J’entre en matière. Je ne crois nullement nécessaire de discuter longuement là question des propriétés ecclésiastiques. Ce qui me parait sûr, c'est que le clergé n’est pas propriétaire à l’instar des autres propriétaires , puisque les biens dont il jouit et dont il ne peut disposer ont été donnés , non pour l’intérêt des personnes, mais pour le service des fonctions. Ce qu’il y a de sûr, c’est que la nation, jouissant d’un empire très-étendu sur tous les corps qui existent dans son sein, si elle n’est point en droit de détruire le corps entier du clergé, parce que ce corps est essentiellement nécessaire au culte de la religion, elle peut certainement détruire des agrégations particulières de Ce corps, si elle les juge nuisibles, ou simplement inutiles, et que ce droit sur leur existence entraîne nécessairement un droit très-étendu sur la disposition de leurs biens. Ce qui est non moins sûr , c’est que la nation, par cela même qu’elle est protectrice des volontés des fondateurs, peut, et même doit suppri-(1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire de la motion de M. de Talleyrand. Assemblée nàtionale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 octobre 1789.] 399 mer les bénéfices qui sont devenus sans fonctions ; que , par une suite de ce principe, elle est eu droit de rendre aux ministres utiles, et de faire tourner au profit de l’intérêt public le produit des biens de cette nature, actuellement vacants, et destiner au même usage tous ceux qui vaqueront dans la suite. Jusque-là point de difficulté, et rien même qui ait droit de paraître trop extraordinaire ; car on a vu, dans tous les temps, des communautés religieuses éteintes, des titres de bénéfices supprimés, des biens ecclésiastiqtiés rendus à leur véritable destination et appliqués à des établissements publics ; et sans doute l’Assemblée nationale réunit l’autorité nécessaire pour décréter de semblables opérations, si le bien de l’Etat les demande. Mais peut-elle aussi réduire le revenu des titulaires vivants, et disposer d’une partie de ce revenu ? Je sais que des hommes d’une autorité imposante, que des hommes non suspects d’aucun intérêt privé, lui ont refusé ce pouvoir : je sais tout ce qtron dit de plausible en faveur de ceux qui possèdent. Mais d’abord il faut en ce moment partir d’un point de fait : c’est que cette question se trouve décidée par vos décrets sur les dîmes. D’ailleurs, j’avoue qu’en mon particulier les raisons employées pour l’opinion contraire, m’ont paru donner lieu à plusieurs réponses : il en est une bien simple que je soumets à l’Assemblée. Quelque inviolable que doive être la possession d’un bien qui nous est garanti par la loi, il est clair que cette loi ne peut changer la nature du bien en le garantissant ; que, lorsqu’il est question de biens ecclésiastiques, elle ne peut assurer à chaque titulaire actuel que la jouissance de ce qui lui a été véritablement accordé par l’acte de sa fondation. Or, personne ne l’ignore, tous les titres de fondation de biens ecclésiastiques, ainsi que les diverses lois de l’église qui ont expliqué le sens et l’esprit de ces titres, nous apprennent que la partie seule de ces biens qui est nécessaire à l’honnête subsistance du bénéficier, lui appartient (1); qu’il n’est que l’administrateur du reste, et que ce reste est réellement accordé aux malheureux, ou à l’entretien des temples. Si donc la nation assure soigneusement à chaque titulaire, de quelque nature que soit son bénéfice, cette subsistance honnête, elle ne touchera point à sa propriété individuelle; et si, en même temps, elle se charge, comme elle en a sans doute le droit, de l’administration du reste ; si elle prend sur son compte les autres obligations attachées à ces biens, telles que l’entretien des hôpitaux, des ateliers de charité, des réparations des églises, des frais de l’éducation publique, etc. ; si surtout elle .ne puise dans ces biens qu’au moment d’une calamité générale, il me semble que toutes les intentions des fondateurs seront remplies, et que (1) L’honnête subsistance n’indique point, ainsi que quelques personnes ont paru le croire, un traitement égal. Les biens ecclésiastiques étant destinés à des fonctions différentes, devant être souvent des récompenses, Il serait contre tout principe que les traitements fussent égaux. Si, pour la suite, il est nécessaire que cette différence soit bien établie, à plus forte raison faut-il qu’elle existe en ce moment, et que les réductions que l’on éprouvera, quelque fortes qu’on les suppose, soient dans une proportion quelconque avec le revenu dont on jouissait; car la justice elle-même demande qu’on ne dérange pas trop violemment d’anciens rapports auxquels tenait le sort d’une foule de personnes. toute justice se trouvera avoir été sévèrement accomplie (1) . Ainsi, en récapitulant, je crois que la nation, principalement dans une détresse générale, peut, sans injustice, 1° disposer des biens des différentes communautés religieuses qu’elle croira devoir supprimer, en assurant à chacun desreli-ligieux vivants le moyen de subsister ; 2° faire tourner à son profit, dès le moment actuel, toujours en suivant l’esprit général des fondateurs, le revenu de tous les bénéfices sans fonctions, qui sont vacants, et s’assurer celui de tous les autres bénéfices de même nature, qui vaqueront ; 3° réduire dans une proportion quelconque les revenus actuels des titulaires, lorsqu’ils excéderont telle ou telle somme, en se chargeant d’une partie des obligations dont ces biens ont été frappés dans le principe. Par toutes ces opérations, soit actuelle, soit futures, que je ne fais qu’indiquer ici, et où je ne puis voir aucune violation de propriété, puisqu’elles remplissent toutes les intentions des fondateurs ; par toutes ces opérations, dis-je, la nation pourrait, je pense, en assurant au clergé les deux tiers du revenu ecclésiastique actuel, sauf la réduction successive à une certaine somme fixe de ce revenu, disposer légitimement de la totalité des biens ecclésiastiques, fonds et dîmes. Le revenu total du clergé pouvant être estimé, à ce qu’on pense, à 150 millions (2), 80 en dîmes, et 90 en biens-fonds, ce serait 100 millions réductibles par des extinctions successives à 80 ou 85, qui seraient, en ce moment, assurés au clergé par un privilège spécial sur les premiers revenus de l’Etat, et dont la portion attribuée à chaque titulaire lui serait payée quartier par quartier, d’avance et sur les lieux. Je spécifie ces particularités et ce privilège spécial, parce que le culte étant l’objet du premier devoir, ses frais nécessaires doivent être les premiers acquittés ; et ses ministres étant, par des liens indissolubles, attachés à leur état, il ne faut pas qu’ils puissent jamais éprouver d’inquiétude sur la perception de leur revenu. Ces 100 millions, à raison de leur origine, donneraient, ou plutôt conserveraient à chacun des titulaires, à qui ils seraient proportionnellement distribués, les droits de citoyen dans les assemblées politiques. Je ne puis me persuader, qu’on trouve cette somme de 100 millions, qui un jour sera réduite à 80 ou 85, trop forte, si l’on considère qu’il (1) On est toujours en droit de dire, suivant le langage accoutumé, que les biens ont élé donnés à l’Eglise : ce qui n’a jamais signifié autre chose, si ce n’est que ces biens ont été, à la décharge de l’Etat, destinés au service du culte, à l’entretien des temples, au soulagement des pauvres, enfin à des œuvres de bien public, et qu’ils doivent toujours remplir cette destination. On est aussi en droit de dire qu'ils ont été irrévocablement donnés, car hors le cas d’une clause expresse de reversion, ils sont irrévocablement affectés à cet emploi, quelque sort que subisse le corps particulier auquel d’abord ils étaient attachés. Tels sont les principes que je défendis avec force dan3 la grande affaire des Célestins de Lyon, et du duc de Savoie. Les principes étaient incontestables ; ils furent reconnus de part et d’autre, et toute la question se réduisit à une espèce de question de fait, savoir si, d’après la clause qui existait réellement dans l’acte de fondation, la reversion se trouvait ouverte au moment de la suppression des Célestins. La question fut décidée, contre mon avis, en faveur du duc de Savoie, par un arrêt du conseil des dépêches, du 12 janvier 1784., (2) C’est à peu près le terme moyen des différentes évaluations connues. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 octobre 1789.] 400 existe en ce moment, autant qu’on peut le préjuger, de 70 à 80,000 ecclésiastiques déjà pourvus, dont il faut assurer la subsistance, puisque la loi la leur assurait ; que dans ce nombre d’ecclésiastiques, plus de la moitié compose le corps respectable des curés, dont l’Assemblée désire sûrement que le moins aisé ait 1,200 livres assurées, avec un logement convenable, et dont plusieurs doivent avoir beaucoup plus. Il m’est impossible surtout de croire qu’une telle somme paraisse trop considérable, lorsqu’on aura vu tout le bien qui doit résulter pour la nation, du plan que je vais proposer. On n’a pas compris dans l’évaluation du produit des biens-fonds du clergé les maisons et enclos qui forment l’habitation de quelques-uns de ses membres, et notamment des communautés religieuses qui seront supprimées ; mais, quoique le produit n’en ait pas pu être facilement évalué, elles ont cependant une valeur considérable. Il serait convenable, je pense, d’appliquer le prix de celles qui seraient dans le cas d’être vendues, en placements ou acquisitions de rentes publiques, qui serviraient à former, à la dotation actuelle de 100 millions, un supplément qui pourrait être jugé nécessaire, en raison de la quantité de ses membres actuels. A mesure de leur décès, ce supplément reviendrait à la nation, aussi bien que tout ce qui excéderait les 80 ou 85 millions, auxquels il sera arrêté que sera réduite un jour la dotation ecclésiastique. Il est aussi une autre nature de biens, qui n’a pas été comprise dans l’évaluation du produit des biens du clergé et qui n’a pas dû l’être, parce que la jouissance n’a jamais fait partie de ses revenus : je veux parler du quart de réserve des bois ecclésiastiques. Le produit des coupes de ces réserves était destiné à subvenir aux frais de reconstructions et réparations des maisons religieuses ou ecclésiastiques, ou était placé au profit du bénéfice, quand il n’y avait pas de réparations à faire. C’est ici, Messieurs, que l’honneur des particuliers ecclésiastiques, aussi bien que l’intérêt des créanciers de bonne foi, vous sollicitent à faire un acte de justice : il s’agirait d’établir, pour le nombre d’années que vous jugeriez convenable, un séquestre du produit de la vente de ces quarts de réserve, et l’appliquer à la liquidation des dettes des bénéfices et des bénéficiers, dans la proportion, pour les titulaires, de la diminution des revenus qu’ils auraient éprouvée, et d’après le règlement que votre prudence vous suggérera à cet effet. Voici maintenant la manière dont je conçois que le plan que je viens d’indiquer s’exécuterait, et les avantages à jamais mémorables qui en résulteraient pour l’Etat. On n’a pas perdu de vue que les dîmes ont été remises à la nation par le clergé. L’Assemblée en a, il est vrai, décrété l’abolition ; mais elle a décrété aussi qu’elles seraient acquittées quelque temps encore. Eh bien ! elles le seront encore quelque temps, mais au profit de la nation, mais avec la liberté de les convertir en prestation pécuniaire. Je dis encore quelque temps ; car, au moyen des opérations d’une caisse d’amortissement, dont le premier fonds sera très-considérable, comme il sera bientôt expliqué, on ne tardera pas à pouvoir les supprimer entièrement, ou sans rachat, ou du moins avec un rachat infiniment modéré. A ces 80 millions de dîmes perçus pour la nation, seraient joints par elle 20 millions, pour compléter les 100 millions nécessaires au clergé. A mesure des décès d’un nombre indiqué de titulaires actuels, qui ne seront pas remplacés, cette charge de 20 millions décroîtra insensiblement. En même temps, tous les biens-fonds du clergé seraient mis en vente (1). On peut les estimer, par approximation, à 70 millions de revenus, peut-être au delà. On dira peut-être qu’il n’existe pas en France une somme de numéraire libre, accumulée en capitaux disponibles, suffisante pour représenter le prix de tous ces biens, et que la valeur des autres biens-fonds se trouverait avilie pour longtemps par la longue concurrence de cette multitude de nouveaux biens, jetés dans le commerce. La réponse est simple. Puisque le produit de ces ventes serait destiné à rembourser les dettes publiques, le moyen le plus court, pour parvenir au même but, sera d’accorder sur-le-champ, aux créanciers de l’Etat, la faculté d’enchérir et d’acquérir eux -mômes ces biens, et de donner en payement la quittance du capital de leur créance, estimés au denier 20 pour les rentes perpétuelles, et au denier 10 pour les rentes viagères; de telle sorte que, pour payer le prix d’un bien dont l’enchère se serait élevée à 100,000 livres, l’adjudicataire pût, à son choix, délivrer 100,000 livres en argent, ou la quittance de remboursement d’une rente viagère de 10,000 livres, ou bien celle d’une rente perpétuelle de 5,000 livres, avec les arrérages du semestre courant. Alors personne, je pense, ne mettra en doute que les créanciers publics ne s’empressent de faire cette espèce d’échange; et cette concurrence d’acquéreurs nombreux, réunis avec tous les autres propriétaires d’un numéraire réel, portera indubitablement au denier 30 au moins le prix de ces biens. 70 millions de revenus donneront donc un capital de 2,100,000,000. Pour diriger l’emploi de cette somme énorme, rappelons-nous l’état des finances. Le déficit actuel de 61 millions peut être considéré comme effacé et comblé par les économies qui sont dans nos fermes résolutions, ainsi que dans nos moyens; mais la seule suppression des offices de judicature que vous avez décrétée, produira, de plus que les 6 millions qui sont payés pour ces offices sous le titre de gages, une dépense nouvelle au moins de 19 millions d’intérêts, s’il faut emprunter à 5 0/0 500 millions qui seront, dit-on, nécessaires à leur remboursement : de plus la réduction à 6 sous du prix du sel que (1) On pourrait, si des besoins urgents ne permet-mettaient pas d’attendre, et que des circonstances particulières occasionnassent quelque délai dans la vente, hypothéquer, dès ce moment, une partie des biens-fonds du clergé à des emprunts qui ne seraient plus ni en rentes perpétuelles, ni en renies viagères. Les annuités me paraissent la seule forme d’emprunt qui doive être autorisée à l’avenir. En effet, ces rentes ont l’avantage de n’avoir qu’une durée fixe et déterminée ; le temps seul, sans autre soin, les amortit insensiblement; chaque génération porte, par ce moyen, le poids de scs propres besoins, et l’on ne dévore pas la postérité, comme dans les rentes perpétuelles qu’on a beau payer, et que l’on doit toujours. Les annuités, loin d’appauvrir les familles, d’éteindre l’industrie, d’exciter l’égoïsme comme les rentes viagères, inspirent, au contraire, toutes les vertus domestiques et économiques. Le possesseur du viager ne voit dans sa rente que la certitude de sa durée; le possesseur de l’annuité, que la certitude de son extinction, puisque chaque payement qu’on lui fait est un avertissement que bientôt il ne recevra plus. L’un mène à la paresse, l’autre à l’activité. H faut donc introduire celle espèce de fonds publics, et lâcher même d’y amener une portion de la dette. 401 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 octobre 1789.] vous avez opérée, produira une diminution de recette d’environ 25 millions; en sorte qu’on peut considérer le déficit comme étant encore, dans le moment présent, de 44 millions, auxquels ajoutant les 20 millions qui seront donnés au clergé au delà du produit que la nation retirera des dîmes, le déficit se trouvera être de 64 millions. Voici maintenant comment le prix des biens-fonds du clergé les procurera, et infiniment au delà. (Qu’on se rappelle que la dette publique s’élève à environ 224 millions, partie en rentes viagères, partie en perpétuelles.) Le prix des biens-fonds ecclésiastiques montera, avons-nous dit , à 2,100,000,000 . Sur cette somme, 500 millions seront employés à rembourser 50 millions de rentes viagères; de ces rentes que l’expérience, sur le produit tant exagéré des extinctions, et le calcul de ce qu’elles coûtent comparé avec les rentes perpétuelles, ont si évidemment démontré être infiniment plus onéreuses à l’Etat. Pour y parvenir, il sera statué d’abord que les biens-fonds ecclésiastiques de telle généralité, de celle de Paris par exemple, ne pourront être payés qu’en quittances de remboursement de rentes viagères, de la nature qui sera indiquée, ou en argent comptant avec lequel il serait ensuite effectué des remboursements forcés de ces rentes. Le déficit de 64 millions sera donc réduit par-là à 14. Il sera ensuite appliqué près de 500 millions au rachat du montant des offices de judicature ; et comme on éteindra par-là 6 millions de gages que payait l’Etat, et que de plus on épargnera 19 millions d’intérêts qu’il faudrait ajouter à ces 6 millions de gages, pour obtenir le capital, lesquels 19 millions viennent d’être compris dans le déficit, il en résulte un bénéfice de 25 millions d’intérêts pour l’Etat. Ainsi, non-seulement le déficit qui n’était plus que de 14 millions sera comblé, mais il y aura un excédant de 11. Les 1100 millions restants de la vente des fonds éteindraient naturellement 55 millions de rentes perpétuelles à 5 0/0; mais ils éteindront au moins 60 millions de la dette. Je dis au moins 60, parce que, dans la masse des remboursements qui seront faits, il se trouvera plusieurs créances qui coûtent aujourd’hui 10 0/0 d’intérêts , telles que les offices de finance, dont la suppression entrera, sans doute, pour quelque chose dans vos intentions, et pour beaucoup dans vos économies. Vous n’aviez, Messieurs, que 64 millions de déficit à combler, savoir: 20 millions du revenu nouveau alloué au clergé, et un déficit de 44 millions provenant de vos opérations sur les gabelles et sur les offices de judicature. Vous aurez éteint et remboursé, par cette opération, 135 millions de rentes, tant perpétuelles que viagères, à la décharge del’Etat : ce seradonc 71 millions d’excédant. Voici l’usage qu’il me paraîtrait convenable de faire de cet excédant. On pourrait d’abord, avec 30 millions, éteindre à jamais le reste de l’impôt proscrit de la gabelle. Il resterait environ 41 millions sur cette somme; 5 millions, et près de 400,000 livres seraient destinés annuellement au payement de l’intérêt de la dette actuelle du clergé; et les 35,600,000 livres restants formeraient le premier fonds d’une caisse d’amortissement , laquelle dirigée suivant un bon plan d’organisation qui lre Série, T. IX. vous sera sûrement présenté par votre comité des finances, et se grossissant rapidement du produit des extinctions naturelles et de celui des rachats forcés des rentes de la dette publique, ainsi que de la diminution successive des 20 millions accordés au clergé, au delà du produit actuel de la dîme, et enfin de celle des pensions, servira très-facilement à adoucir dès à présent la prestation de la dîme pour les petits propriétaires, et à l’anéantir entièrement dans un très-petit nombre d’années pour tous. Il est impossible de croire que les propriétaires dont les moins riches se trouveront tout de suite soulagés par l’anéantissement entier de l’impôt sur le sel, par les autres modifications que vous vous proposez de faire dans le régime des perceptions, et enfin par la portion des 35 millions de livres d’excédant de recette qu’il serait jugé à propos d’appliquer sur-le-champ à leur profit en diminution de la dîme, il est impossible de croire qu’ils se refusent à l’acquitter encore quelque temps, puisque, par ce moyen, ils en seront tous entièrement affranchis dans un fort petit nombre d’années, sans même être tenus au remplacement auquel pourtant ils doivent s’attendre, d’après le décret sur les dîmes. En reprenant les diverses parties de ce plan qui ne présente rien de trop hypothétique, on voit qu’avec la totalité des biens et revenus du clergé, la nation pourra : 1° doter d’une manière suffisante le clergé; 2° éteindre 50 millions de rentes viagères; 3° en éteindre 60 de perpétuelles; 4» détruire, par le moyen de ces extinctions, toute espèce de déficit, ïe reste de la gabelle, la vénalité des charges, et en exécuter le remboursement; 5° enfin, composer une caisse d’amortissement, telle que les décimables les moins aisés puissent incessamment être soulagés, et qu’au bout d’un très-petit nombre d’années, tous les décimables, sans exception, puissent être entièrement affranchis delà dîme. Ajoutons, pour réunir tout ce que ce plan me paraît présenter d’utile à l’Etat, que la nouvelle quantité de biens-fonds rendue au commerce augmentera le revenu des contributions publiques, par la perception des droits qui subsistent encore au profit de l’Etat lors des mutations; qu’elle procurera aux provinces l’avantage d’y retenir un plus grand nombre de propriétaires intéressés à résider, pour y faire fructifier leur propriété nouvelle ; Que les fermiers ne craignant plus d’être dépossédés de leurs baux, comme autrefois à la mort des titulaires des bénéfices, la culture profitera de cette sécurité ; Qu’enfin l’Etat y gagnera, outre la destruction du déficit, de la gabelle et de la vénalité des charges de judicature, la réduction de la dette publique à une somme modérée, l’avantage d’être débarrassé des remboursements exigibles que les créanciers eux-mêmes redouteront lorsque la dette sera ainsi diminuée ; enfin l’établissement du crédit à un taux plus avantageux peut-être que celui qui existe chez aucune nation. Dans l’excédant des 35,600,090 livres destinés à la caisse d’amortissement, on pourrait trouver de quoi payer les honoraires des nouveaux juges, qui s’élèveront à 10 ou 12 millions; mais alors on retarderait de quelques années l’entière et effective abolition de la dîme. L’Assemblée jugera s’il y aurait quelque inconvénient à ce retard, ou s’il ne vaudrait pas mieux trouver ces nouveaux frais de judicature 26 (10 octobre 1789 ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 402 [Assemblés nationale. [ dans les bénéfices immenses que peuvent procurer une meilleure administration des domaines restés dans les mains du Roi, et le rachat de ceux qui sont engagés. D’après ces réflexions, voici quelques-uns des articles que je crois nécessaire de soumettre en ce moment à l’Assemblée, et qui doivent, je pense, faire partie de son arrêté. , Article 1er. Les rentes et biens-fonds du clergé, de quelque nature qu’ils soient, seront remis à la nation. Art. 2. La nation assure au clergé 100 millions de revenu, qui décroîtront jusqu’à 80 ou 85 millions au plus, lorsque par la mort de certains des titulaires actuels, le clergé ne sera plus com-> posé que des ministres les plus utiles. Art. 3. Par l’énonciation de ia somme numéraire ci-dessus, la nation entend assurer et attribuer au clergé une quantité de denrées évaluée à ladite somme de 100 millions, à raison du prix commun du blé, depuis dix ans ; et d’après cette intention, il sera fait, tous les dix ans, une nouvelle évaluation du prix commun du blé, pour servir de base proportionelle à la fixation du revenu numérique du clergé, et pour empêcher que le renchérissement du prix des denrées ne diminue de fait ce revenu. Art. 4. Les 100 millions de revenus attribués au clergé dès à présent, et les 80 ou 85 millions auxquels ils seront réduits par la suite, seront affectés, par un privilège spécial, sous la garantie de la nation, sur les premiers revenus de l’Etat, comme formant sa première dette, et chaque part sera payée, avec la plus grande exactitude, sur les lieux, quartier par quartier, et d’avance. Art. 5. Chaque titulaire actuel pourra conserver, jusqu’à sa mort, la jouissance de la maison qu’il habite. Art. 6. Si par l’état détaillé des sommes nécessaires pour subvenir aux besoins des membres actuels du clergé, il paraissait qu'il fût indispensable d’excéder momentanément les 100 millions de revenu, cet excédant se prendrait sur le revenu du produit de la vente des maisons et enclos appartenant aux bénéfices ou communautés qui se trouveraient inhabités, et ce revenu se verserait dans le Trésor public, à mesure de l’extinction des besoins. Art. 7: 11 sera versé dans une caisse particulière le produit de la vente des quarts en réserve des bois ecclésiastiques, pour être employé au payement des dettes des bénéfices et des bénéficiers, suivant un règlement qui statuera en même temps sur la forme et la proportion de ces liquidations. Art. 8. Les dîmes qui, aux termes du décret du 11 août dernier, doivent être acquittées jusqu’à ce qu’il ait été pourvu à un remplacement, continueront d’être payées dans chaque commune, non plus aux décimateurs, mais aux receveurs des impositions nationales ; elles pourront être converties en une prestation pécuniaire, suivant le taux déterminé par les assemblées provinciales, Art. 9. Dès la seconde année, elles seront diminuées, mais en faveur seulement des propriétaires les moins aisés, désignés par les assemblées provinciales, et dans la proportion qui sera déterminée par l’Assemblée nationale en exercice. Art. 10. Dès le moment où la caisse d’amortis-ment, qui va être organisée, annoncera un excédant de revenu public, suffisant pour l’abolition entière de ce qui subsistera de la dîme (et ce terme ne peut être éloigné, si l’on considère que cette caisse sera établie avec un premier fonds annuel de plus de 35 millions, et qu’elle se grossira rapidement du produit des extinctions des rentes viagères, du produit très-considérable de l’intérêt composé des rentes perpétuelles qu’elle remboursera, de la diminution successive des 20 millions d’excédant de dotation accordés au clergé actuel, et enfin du produit des extinctions des pensions), dès cet instant, toute espèce de dîmes ecclésiastiques ou prestation perçue à leur place cessera entièrement et sans remplacement de la part des propriétaires, à moins que, pour accélérer le terme de l’anéantissement de cette redevance, on ne préfère, dès l’instant où l’excédant des revenus publics sera déplus des trois quarts du produit de la dîme, de faire la remise aux propriétaires des trois quarts de cette charge, sous la condition de racheter l’autre quart au denier 20 et au profit de la nation. Art. 11. Pour la distribution des 100 millions, la réunion des communautés conservées, la suppression de celles qui seront jugées inutiles, la fixation des pensions à accorder aux membres de ces communautés, l’extinction des bénéfices sans fonctions, la réduction du nombre des autres par voie d’union, le prélèvement sur le revenu des titulaires ou pensionnaires actuels, les fonds à affecter à la retraite des anciens pasteurs, etc., il sera nommé une commission de trente-six membres, composée particulièrement d’ecclésiastiques, suivant les différentes classes de bénéfices ou biens ecclésiastiques possédés en ce moment par le clergé, à moins qu’on rie préfère une assemblée extraordinaire du clergé, convoquée pour ce seul objet dans la forme la plus régulière, et à qui vous fixeriez les limites, les bases 4et la durée de son travail. Art. 12. La réduction du revenu du titulaire ne pourra se faire arbitrairement; elle sera toujours dans un rapport déterminé avec le revenu actuel, à partir d’une somme qui restera intacte. Cette réduction sera plus considérable, et croîtra dans une progression toujours plus forte, en raison de la valeur et de la moindre utilité du bénéfice. Il sera en même temps fixé un terme au delà duquel un revenu ecclésiastique, attribué à un même titulaire, ne pourra s’élever. Art. 13. Aucune cure, dans tout le royaume, ne jouira d’un revenu moindre de 1,200 livres, non compris le presbytère et un jardin. Le casuel des villes ne sera pas entièrement supprimé, mais il sera déterminé par un règlement. Art. 14. Il sera interdit, dès à présent, à toute communauté d’admettre personne à l’émission des vœux, jusqu’à ce qu’il ait été décidé quelles sont . celles des anciennes communautés qui subsisteront. Art. 15. On ne pourra, dès à présent, faire aucune résignation ni permutation; et aucun autre bénéfice que les archevêchés, évêchés et les cures ne pourra être conféré jusqu’à une nouvelle disposition. Art. 16. La nation sera saisie, dès aujourd’hui, - de tous les biens du clergé ; pourtant la nouvelle dotation du clergé n’aura lieu qu’à compter de...., époque à laquelle l’état de répartition sera définitivement arrêté par l’Assemblée nationale en exercice, d’après le rapport de la commission nommée à cet effet. Mais, jusqu’à [10 octobre 1 789.1 403 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. cette époque, le revenu actuel de chacun des membres du clergé et de chacune des communautés sera payé par la nation, sur le pied dont ils justifieront avoir joui; et il ne pourra être délégué, anticipé ni saisi à l’avance, sous quelque prétexte que ce soit (1). Art. 17. A compter du jour qui sera fixé, les produits, profits et revenus des biens-fonds ecclésiastiques seront, à la poursuite et diligence des administrations provinciales, perçus au profit de l’Etat et versés dans la caisse nationale, sur le pied des baux actuels qui subsisteront jusqu’à la mise en possession des acquéreurs desdits biens. Art. 18. Même avant que la répartition des 100 millions de dotation ecclésiastique soit faite et établie, la nation pourra faire vendre tels des rentes et biens-fonds du clergé, vacants ou non vacants, qu’elle jugera convenable, et à plus forte raison elle pourra les hypothéquer. Art. 19. Les intérêts et remboursements de la dette actuelle du clergé seront acquittés dorénavant par la nation. Art. 20. Aussitôt après la publication du présent décret, les scellés seront mis, à la requête du procureur du Roi, et d’après l’ordonnance des juges royaux, sur tous les chantiers appartenant aux bénéfices et communautés. Art. 21. Le clergé continuera de jouir à l’avenir, dans les assemblées politiques de la nation, du droit d’être électeur et éligible, et de toutes les autres facultés qui, dans l’état social, appartiennent aux qualités réunies de propriétaire et de citoyen. Plusieurs autres articles sont sans doute nécessaires, et nous seront présentés par la commission que vous allez nommer. Voilà les premiers qui se sont offerts à ma réflexion; voici maintenant ceux qui intéressent la vente des biens-fonds du clergé. Article 1er. La vente des biens-fonds du clergé se fera dans des enchères publiques, sous l’inspection et direction des personnes nommées à cet effet par les assemblées provinciales, et suivant les formes usitées en pareil cas. Art. 2. Les créanciers publics, propriétaires de créances sur l’Etat, seront admis à se rendre adjudicataires de ces biens, et à payer le montant de l’adjudication en quittances de remboursement du capital de leurs rentes soit perpétuelles, à raison du denier 20, soit viagères, avec les quittances des arrérages du dernier semestre dans lequel ils se rendront adjudicataires. Art. 3. Il sera libre à tout particulier d’entrer en concurrence avec les créanciers publics, de se rendre adjudicataire, et de payer le montant de son adjudication en deniers comptants. Art. 4. Il ne sera dû ni exigé, pour les premières ventes, aucuns droits de centième denier, ni de lods et ventes pour ceux desdits biens qui se trouveraient dans la mouvance des domaines royaux. Les frais de sentence d’adjudication et (l)'La répartition des 100 millions, donnant lieu à des opérations très-mulnpliées, ne pourra, suivant les apparences, être complètement exécutée avant deux années révolues. Dans cet intervalle, chaque titulaire et communauté non supprimée ne perdront rien de leur revenu actuel, et néanmoins pendant ce même temps la nalion profitera de la multitude des capitaux provenant des ventes effectuées, ainsi que du bénéfice des différentes réunions et extinctions. de procès-verbal seront fixés et déterminés d’une manière uniforme pour toute la France. Les acquéreurs desdits biens ne seront point tenus, si bon leur semble, de prendre des lettres de ratification sur leur acquisition : ils seront tenus d’en payer le prix, nonobstant toutes oppositions qui tiendront entre les mains du séquestre préposé pour la liquidation des dettes des bénéficiers. Art. 5. Ceux des biens du clergé qui se trouveront situés dans les murs et dans l’arrondissement de la capitale, à une distance de vingt lieues de rayon, ainsi que dans les villes principales du royaume, telles que Lyon, Rouen, Strasbourg, Bordeaux, Marseille, Nantes, Lille, etc., et à une distance dë quatre lieues de rayon, ne pourront être payés qu’en argent comptant, ou en quittances de remboursement de rentes viagères sur l’Etat. Art. 6. Les rentes viagères dont la quittance de remboursement sera admissible en payement, seront seulement celles créées depuis 1775, et acquises , soit à raison de 10 0/0 sur une tête, ou d’un moindre taux sur deux têtes, en rapportant pour celles-ci la quittance de remboursement collective des rentiers, ou ayant droit de jouir de la rente : les rentes viagères à 9 0/0 sur une tête seront aussi prises en payement, mais à raison du capital au denier 10 seulement de leur produit, ainsi que pour les rentes viagères sujettes à la retenue du dixième. Art. 7. Les adjudicataires qui donneront en payement quittances du remboursement de rentes viagères, ne seront mis en possession qu’à l’expiration de trois mois après leur adjudication ; et si, dans cet intervalle, la personne sur la tête de laquelle la rente viagère aurait été constituée, venait à décéder, l'acquisition et l’adjudication seraient nulles. Art. 8. Les titulaires d’offices ou propriétaires des finances d’offices dont l’Assemblée a décrété la suppression, seront considérés comme créanciers de l’Etat, et admis à donner en payement le montant des finances de leurs offices, avec la quittance de tous les gages qui pourraient leur être dus; à l’effet de quoi il sera, le plus incessamment possible, procédé à la liquidation et fixation desdites finances. Art. 9. La recette du prix de ces ventes, qui sera faite en deniers comptants, devra être versée dans la caisse nationale, pour en être le montant employé au remboursement ou acquisition, au profit de l’Etat, des créances publiques, liquides et productives des intérêts les plus onéreux. Cet emploi sera toujours fait dans le trimestre du versement des deniers qui aura été fait à la caisse nationale ; l’accomplissement exact de cette dernière disposition sera l’un des objets de la responsabilité personnelle du ministre des finances. Art. 10. L’ordre et la forme daps lesquels se feront les ventes et enchères, les publications réalables, les morcellements et divisions de ces iens avant leur remise en enchère, la mise en possession des acquéreurs, les payements en deniers, les termes et les facilités qqi pourront être accordées dans ce cas, les payements en quittances de remboursement de rentes perpétuelles ou viagères, les conditions sous lesquelles les rentes viagères pourront être reçues en acquit desdites adjudications, les formes dans lesquelles pourront se faire, pour accélérer ces opérations, des remboursements provisionnels de rentes per- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 octobre 1789.] 404 [Assemblée nationale. ] pétuelles, et le remboursement des créances ainsi remboursées, s’il y avait lieu, seront déterminés par une instruction réglementaire. La motion de M. de Taüeyrand est vivement applaudie. L’Assemblée ordonne l’impression et la distribution à deux exemplaires par député. M. le Président lève la séance et l’Assemblée se réunit dans ses bureaux pour la nomination d’un président et de trois secrétaires. Séance du samedi 10 octobre 1789, au soir. La séance a commencé par la lecture des adresses ci-après : D’une adresse de félicitations et de dévouement du prévôt royal de Boisset en Carladès, au nom des officiers de la prévôté et de la municipalité dudit lieu ; d’une nouvelle adresse de félicitations, remerciements et adhésion de la ville de Bour-mont, capitale de Bassigny en Barrois; d’une adresse des habitants des Pyrénées, contenant un acte solennel de confédération pour maintenir l’ordre et la tranquillité publique : ils présentent à l’Assemblée le tribut de leur admiration et de leur dévouement, et demandent son approbation; d’une adresse de félicitations et dévouement de la ville de Puy-l’Evêque en Quercy, qui demande une justice royale ; d’une délibération de l’assemblée générale des habitants de la ville de Saint-Malo, par laquelle ils ont arrêté une contribution volontaire et patriotique pour venir au secours de l’Etat près de périr; d’une délibération de félicitations et adhésion de la Vallée d’Ail-lant en Bourgogne, qui demande une justice royale ; d’une adresse de la ville de Sierck, généralité de Metz, contenant des réclamations contre le décret de l’Assemblée nationale relatif à l’impôt de la gabelle : elle offre de payer un impôt représentatif de ce que la gabelle produit au Trésor royal, et déclare que si son offre n’est pas acceptée, elle sera livrée aux plus grands malheurs ; et enfin d’une déclaration de la ville de Strasbourg, présentée par son député, laquelle rend hommage au patriotisme qui a guidé l’Assemblée nationale clans ses décrets du 4 août; et en annonçant qu’elle défendra, par tous les moyens qui sont en son pouvoir, l’autorité légitime du Roi, auquel seul appartient le pouvoir exécutif suprême, et le droit de donner, par sa sanction, la force aux lois déterminées par le Corps législatif; et en renouvelant sa renonciation à tous privilèges et exemptions en matière de contributions aux charges publiques, à l’exception de ne plus supporter en leur entier celles dont l’objet serait l’intérêt commun de la province ou l’intérêt général du royaume, et au droit exclusif de chasse, elle exprime comme réserves formelles : 1° la conservation de la religion protestante dans son état actuel et dans ses propriétés, ainsi que l’égalité parfaite entre les deux religions, quant à l’exercice du culte et l’admission aux charges ; 2° le droit d’élection de son magistrat et de ses collègues, et le maintien de sa juridiction civile et criminelle; 3° la conservation de tous ses revenus, péages, pontonages, douane, droits territoriaux régaliens et féodaux dans ses possessions, commerce, navigation exclusive du Rhin, et au droit d’admettre librement, à son gré, à la participation de la commune; 4° elle s’oppose formellement au reculement des barrières, autant qu’il comprendrait l’Alsace et son territoire particulier. Un de MM. les secrétaires annonce quelques dons patriotiques qui seront mentionnés dans le registre destiné à cet usage. Plusieurs membres demandent des congés pour raison de santé. M. Barnave propose de décréter que les demandes de congé, pour cause de maladie, ne seront admissibles qu’autant qu’elles seront appuyées par un certificat de médecin. L’Assemblée reprend son ordre du jour qui appelle la discussion sur les motions présentées dans la séance du matin concernant l’inviolabilité des membres de l’Assemblée nationale. M. de Montlosier. J’appuie les motions proposées et je demande que ceux qui les repoussent nous exposent leurs raisons. M. le comte de Mirabeau (1). Je m’en charge et je me flatte de répondre avec une netteté qui, j’ose le dire, m'est assez ordinaire. Je m’oppose à ce qu’il soit rendu un décret sur l’inviolabilité des députés, parce qu’il en existe déjà un. Je m’oppose à ce qu’il soit renouvelé, parce que le premier suffit, si la force publique vous soutient ; et que le second lui-même serait inutile, si la force publique est anéantie. Ne multipliez pas de vaines déclarations ; ravivez le pouvoir exécutif; sachez le maintenir; étayez-le de tous les secours des bons citoyens : autrement la société tombe en dissolution et rien ne peut nous préserver des horreurs de l’anarchie. L’inviolabilité de notre caractère ne tient donc pas à nos décrets. J’entends beaucoup de gens qui parlent de cette inviolabilité comme si elle était la tête de Méduse qui doit tout pétrifier. Cependant tous les citoyens ont un droit égal à la protection de la loi ; la liberté môme dans son acception la plus pure est l’inviolabilité de chaque individu : le privilège de la vôtre est donc relatif aux poursuites judiciaires et aux attentats du pouvoir exécutif. La loi ne vous doit rien de plus ; mais telle est la sainteté de votre caractère, que le plus indigne membre de cette Assemblée, s’il en était un qui pût mériter cette dénomination, le plus indigne lui-même serait tellement protégé, qu’on ne pourrait aller à lui que sur les cadavres de tous les gens de bien qui la composent. Bornons-nous donc à nos anciens décrets ; il y a bien plus de grandeur à les conserver qu’à les recréer. Que le pouvoir exécutif agisse ; s’il ne peut rien, si nos décrets sont nuis, la société est dissoute : il ne nous reste qu’à gémir sur elle. M. Deschamps, député de Sens. J’appuie la motion de M. Malouet, parce que les députés jouissent des privilèges des ambassadeurs ; parce que, comme les ambassadeurs, ils représentent les nations ; parce que comme eux, ils auraient des vengeurs et que la capitale est responsable à toutes les provinces du dépôt qu’elles lui ont confié. M. le vicomte de Mirabeau. 11 faut un (1) Nous recueillons les paroles de Mirabeau dans le Recueil de ses discours publié par Barthe en 1820. Cetl« version diffère de celle du Moniteur.