[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (25 juillet 1791.] PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU LUNDI 25 JUILLET 1791. Projet de rapport sur les hôpitaux militaires par M. Ijonis de ioailles. Introduction. Un sentiment inné nous attache au sort de tout être qui souffre : l’infortune et la maladie rapprochent toutes les distances, et l’homme le moins sensible devient l’appui et le consolateur de celui dont les besoins sollicitent sa pitié. Mais si une profession nécessaire au soutien de l’Empire isole en quelque manière le citoyen qui l’embrasse, si elle l’éloigne de ses parents, de ses amis, de sa cité, le gouvernement doit lui tenir lieu de tout ce qu’il abandonne pour son service ; il doit le dédommager de toutes les privations auxquelles il l’expose. Telle est la position du soldat, tels sont ses droits à la sollicitude et aux soins de sa patrie. En santé, elle lui doit le logement, le vêtement, la nourriture, le degré de considération qui appartient à l’homme libre lorsqu’il renonce à une partie de sa liberté pour assurer celle de ses concitoyens. En maladie, plus isolé encore, le soldat a un droit incontestable à tous les secours physiques nécessaires à sa guérison. L’Etat lui doit l'équivalent ou la compensation des soins dont il est privé; il lui doit, de plus, la consolation morale qu’il retirerait de ses [roches. De toutes les dettes d’une nation, celle-ci est la plus sacrée : comment ne pourvoirait-elle pas avec empressement à tous les moyens de rétablir des forces destinées au service de l’Etat? Comment négligerait-elle d’assurer l’existence à celui dont les sacrifices, sans cesse renaissants, semblent n’être qu’une habitude de dévouement et une préparation au sacrifice même de la vie, si l’intérêt de la patrie le commande? Mais si les soins et les secours ne procurent pas toujours la guérison qui en est l’objet, ils atteignent un but non moins important: ils adoucissent les peines du malade, ils charment en quelque sorte les inquétudes inséparables de son état; ils lui font retrouver des amis et des frères dans les établissements que la grande famille a préparés pour ses enfants. L’orgueil et la vanité chercheront peut-être encore de nouveaux aliments dans quelques-unes de nos institutions sociales; mais, ici, la douleur et la maladie prononcent, au nom de la nature, la plus parfaite égalité dans les secours donnés aux malades. Sans doute il ne convient d’employer ces secours qu’avec une sage économie, c’est le principe constant d’une bonne administration; dans l’objet qui nous occupe, le plus grand prix de l’économie est surtout de devenir la source de la libéralité : c’est en détruisant cet appareil d’édifices somptueux qui renferment des malades, que vous trouverez les moyens de multiplier les soins et même les douceurs qui leur sont vraiment nécessaires. Presque tous les préambules des nombreuses ordonnances sur le service de santé des troupes ont exprimé cette vérité, et quelques articles de leur dispositif semblent l’avoir consacrée : il ire Série. T. XXVIII. 609 n'en est cependant pas qui aient été moins respectés. C’est ainsi que l’insatiable cupidité des sous-ordres et la coupable insouciance des premiers agents de l’autorité, en opposition manifeste avec des intentions bienfaisantes, ont concouru à rendre ce service plus onéreux à l’Etal qu’avantageux aux malades. La mobilité des agents d’un pouvoir absolu, une versatilité d’opinion ou de système, un despotisme moins connu mais plus terrible que le despotisme ministériel, celui des sous-ordres, ont constamment opposé des obstacles à la sa-ge-se des ordonnances sur le service des hôpitaux militaires. C’est ainsi que des hommes intéressés, sous le prétexte d’économiser les revenus de l’Etat, ont fondé leur fortune sur sa ruine ; c’est ainsi que ces hommes pervers ont fait substituer l’entreprise à la régie, la régie à l’entreprise, ou les ont fait concourir ..... ; c’est ainsi que les arrangements généraux ont succédé à ces marchés particuliers, qui les ont remplacés à leur tour ..... ; c’est ainsi que les contrôles les plus authentiques étaient résiliés d’autorité et qu’au moment où un régime détestable succédait à un moins mauvais, les anciens agents obtenaient des indemnités, et les nouveaux des avances. En vain la loi avait été portée; une décision interprétative, une lettre ministérielle, un ordre arbitraire prononçaient au besoin l’exception nécessaire à la circonstance. Au milieu de tous ces abus communs, l’œil vigilant de l’administration atteindrait-il efficacement les inconvénients qui environnent le malheureux soldat dont la vie peut être menacée tout à la fois par l’impéritie de celui qui prescrit l’infidélité de celui qui exécute, l’avarice de celui qui fournit, la négligence de celui qui doit des soins, la dureté et l’insouciance de celui qui les surveille? Le comité ne s’est pas dissimulé les difficultés que présente un problème aussi important; mais il peut les attaquer avec confiance, parce que le Corps constituant lui a déjà fourni les fondements de l’édifice que la patrie doit consacrer à la conservation de ses défenseurs. Pour que les hôpitaux militaires remplissent l’objet de leur institution, il faut que leur nombre et leur organisation puissent s’adapter aux vicissitudes de la paix et aux opérations de la guerre ; il faut que l’activité du service et l’exactitude de la comptabilité y soient fondées partout sur une administration simple, mais qui puisse être facilement surveillée et qui réponde sans confusion à un centre d’unité; il faut surtout que l’art de guérir y soit exercé par des personnes expérimentées, qu’il y soit encouragé et perfectionné par des instructions régulières, ainsi que par des leçons de pratique; enfin il est nécessaire qu’il existe, dans les hôpitaux militaires, une correspondance de lumières qui ne peut naître et se développer que dans les lieux où tout est disposé pour exciter l’émulation. Ainsi, quoique l’établissement des hôpitaux régimentaires présente à plusieurs égards de bonnes vues et des idée utiles, d mt nous avons fait u-age, nous pensons que sous le triple rapport de l’économie, de la sûreté du service et du progré de l’art de guérir, le système des hôpitaux militaires collectifs est en général celui qu’il faut adopter , en y joignant des modifications propres à corriger les abus qui y ont régné jusqu’à ce jour. D’après ces considérations, nous vous propo-39 � ) [Assemble nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 juillet 1791.] sons : 1° de conserver 30 grands hôpitaux militaires, dont 5 de la première classe et 25 de la seconde; 2° d’établir dans les hôpitaux civils, et dans les haspices particuliers, d s asiles également convenables dans les lieux où il n’y aura pas de grands hôpitaux militaires; 3° de soustraire un grand nombre de soldats aux damiers inévitables des hôpitaux, en établissant dans les quartiers des infirmeries où l’on puisse traiter les maladies légères. Les 5 hôpitaux de la lre classe, placés dans les villes où se trouvent des garnisons nombreuses, seront en tout temps des dépôts de secours et de lumières, par le grand nombre des sujets qui s’y formeront dans toutes les parties du service des hôpitaux militaires, et particulièrement par les écoles qui y seront établies pour y instruire un grand nombre d’élèves dans la théorie et dans la pratique des maladies du soldat. D’un autre côté, leur position sur les frontières les met dans le cas d’être de la plus grande utilité en temps de guerre, soit pour y établir des magasins, soit pour y servir de centre où les hôpitaux de lre ligne viennent s’évacuer. Les hôpitaux de la 2e classe, au nombre de 25, concourront au même objet que les premiers, avec les différences qui doivent dériver de leur position et de leur étendue. Il n’y sera pas établi d’écoles, mais les médecins et les chirurgiens supérieurs seront chargés de veiller à l’instruction et au progrès de tous les officiers de santé qui leur sont subordonnés. Dans ces 25 hôpitaux sont compris ceux de Barèges et de Bourbonne, qu’il a paru indispensable de conserver à cause des secours précieux qu’ils offrent aux défenseurs de la patrie; mais eu cous avant ces hôpitaux, il sera nécessaire, pour prévenir les abus multiples qui s’y sont introduits, de fixer, par des règlements positifs, les circonstances dans lesquelles les malades doivent y être envoyés. Après les hôpifaux de la 2e classe, nous avons placé les hôpitaux de charité sous le titre d’hôpitaux auxiliaires; mais il se présente ici une objection importante. Outre les disconvenances qui existaient sous plusieurs rapports entre le genre de vie du pauvre et de celle du soldat, par conséquent, entre les causes et la nature de leurs maladies, ainsi qu’entre les moyens de les traiter et de les guérir, on peut demander si l’admission des soldats de ligne dans les hôpitaux civils n’est pas une violation du droit de propriété. Tout le monde conviendra que des militaires isolés, des s< mestriers ou voyageurs peuvent, sans inconvénient, réclamer uu asile dans les hôpitaux de charité, mais des soldats caserués dans une ville ne peuvent être admis dans l’hôpital civil, sans qu’il eu résulte de grands inconvénients, dont les plus fâcheux, sans contredit, tombent sur le citoyen malade qui voit son lit occupé par un étranger. Faut-il être obligé de retracer ici cette injustice atroce, en vertu de laquelle, abusant indignement du nom du roi et sous le prétexte toujours imposant et toujours absolu du service du roi, les administrateurs chassaient des hôpitaux civils ou entassaient dans des salles les plus insalubres les pauvres pour lesquels ces maisons avaient été fondées, pour mettre à leur place des soldats fatigués? Combien de fois n’a-t-un pas vu les chefs des hôpitaux civils attirer les soldats dans ces maisons de charité en calculant, au mépris des lois de la bienfaisance et de l’humanité, le double bénéfice qui pouvait résulter de la journée utile du soldat substituée à la journée onéreuse du pauvre? On ne peut donc proposer d’admettre des soldats malades que dans ceux des hôpitaux civils qui, par leur étendue et leur distribution , pourront y recevoir des militaires, sans porter aucun préjudice aux pauvres. C’est sous ce rapport qu’ils doivent être appelés hôpitaux auxiliaires; l’admission des soldats, en pareille circonstance, ne pourra qu'èïre utile aux hôpitaux civils par les bénéfices qu’ils y apporteront. Comme il est important, dans cette réunion des militaires avec les autres Citoyens, d’assurer également le traitement du soldat et de mettre l’asile du pauvre à l’abri du despotisme, qui a trop souvent dominé