718 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 décembre 1789.] M. Thonret(l). Le rapport de M. Bergasse sur l’organisation du pouvoir judiciaire a obtenu les suffrages de l’Assemblée : le comité de constitution, ayant suivi les principes de ce rapport, est arrivé a plusieurs résultats différents, et il se flatte d’avoir trouvé des combinaisons plus favorables encore à la liberté publique. La réforme des abus dans l’administration de la justice offre aux représentants de la nation une grande tâche à remplir. Le comité a examiné avec beaucoup de soin ce qu’on pourrait conserver des institutions anciennes, et il pense qu’en cette partie, ainsi qu’en beaucoup d’autres, la régénération doit être complète. Il serait superflu de dire quelle a été la progression des abus dans l’ordre judiciaire ; avec quelle imprudence on a corrompu la plus sainte des institutions ; comment le fisc, pour on ne sait quelles misérables sommes d’argent, a dénaturé et confondu cette partie de l’ordre public, et établi, sous les plus frivoles prétextes, des tribunaux d’exception qui semblaient devoir accabler à jamais les justiciables. Ajoutons que l’indulgence est un devoir envers ces anciens administrateurs qui vécurent dans des temps peu éclairés, ou envers les corps qui ont étendu leurs privilèges aux dépens des individus : un généreux oubli de tant de fautes est digne de l’Assemblée, et l’immense travail qu’elle doit entreprendre pour les réparer n’effravera point son courage. Le comité s’ést à peu près borné aux lois constitutionnelles sur l’organisation du pouvoir judiciaire ; les détails seront déterminés par des règlements particuliers, et, malgré celte précaution, son ouvrage est d’une longue étendue. Pour faciliter son travail et celui de l’Assemblée, il s’est fait un plan d’une simplicité extrême. Il présentera d’abord des décrets généraux sur l’administration de la justice, sur les tribunaux et leur composition; il présentera ensuite la distribution et la gradation de ces mêmes tribunaux ; après avoir organisé les cantons dans l’ordre de la justice distributive, par l’établissement des juges de paix, il passe à l’organisation des districts et des départements, sous le même rapport ; il arrive à celle des cours supérieures ; de là il s’élève à la cour suprême de révision, qui, maintenant l’exécution des lois et les formes de la procédure, doit remplacer le conseil des parties, dont la composition avait été calculée pour d’autres temps et pour un autre régime. Mais l’Assemblée ne remplirait pas, dans toute leur étendue, les fonctions dont elle est chargée, si elle n’assurait pas à la nation les moyens de punir légalement les corps administratifs et les juges qui tomberaient dans l’insubordination, et si la peine légale n’arrivait pas sans trouble jusqu’aux ministres prévaricateurs. 11 faut donc une haute cour nationale, revêtue d’un assez grand pouvoir pour venger, par des formes paisibles, les attentats contre la Constitution. Cette haute cour nationale, dont la composition exige l’attention la plus profonde, affermira tout l’édifice politique. La perfection de l’ordre judiciaire, est, en effet, que la justice se trouve, pour ainsi dire, à la portée de chaque citoyen; que le Roi, éclairé par le peuple, ne se trompe plus dans le choix des juges ; que la désobéissance aux lois ne soit plus impunie; et que, du fond des campagnes .jusqu’aux marches du trône, l’homme imprudent ou téméraire qui osera (1) Le rapport de M. Thouret est incomplet au Moniteur. manquer à ses devoirs, soit réprimé ou puni par une force constitutionnelle et inévitable. Le comité a senti combien il importe de rendre à la justice ordinaire tout ce qu’on en a détaché en faveur des tribunaux d’exception. I! aexaminé scrupuleusement les diverses parties de leur compétence : voulant rétablir l’ordre et suivre les principes, il est parvenu, après des détails pénibles, à classer et mettre à sa place, tout ce qu’on avait déplacé mal à propos, tout ce qu’on avait confondu par ignorance, ou par des motifs moins excusables encore. Mais telle est la complication des affaires d’un grand royaume, telle est leur immense variété, que les juges de paix, les tribunaux de district, les tribunaux de département, et les cours supérieures, ne pourraient sans de graves inconvénients juger certaines discussions d’une nature particulière. Il proposera donc de donner aux municipalités le jugement de diverses matières de police ; de conserver les juridictions sur les objets du commerce, partout où elles seront nécessaires ou utiles; enfin, d’établir dans chaque département un tribunal d’administration qui jugera d’après des lois précises et des formes déterminées, les affaires contentieuses qui peuvent s’élever à l’occasion de l’impôt, ou relativement à l’administration. Ces réflexions générales s’appliquent à toutes les parties du plan qui seront mises sous les yeux de l’Assemblée. Il en est d’autres, que le comité lui présentera ensuite, sur les objets de police, d’administration et de commerce, ainsi que sur l’établissement des jurés en matière criminelle. Peut-être faudra -t-il que cette dernière institution, appelée par le patriotisme, soit retardée par la sagesse, pour acquérir plus de stabilité. Le comité supplie l’Assemblée de croire qu’il n’a pas perdu de vue ce rapport trop souvent oublié entre les institutions politiques et les moyens pécuniaires de l’exécution. Il a calculé, à diverses reprises, que le service entier de la justice dans le royaume, ne s’élèvera pas aux 9 ou 10 millions employés aujourd’hui au payement des gages des tribunaux actuels; en sorte que les droits domaniaux sur l’expédition des actes judiciaires, remplacés par des impôts moins onéreux, et la finance des offices de judicature une fois remboursée, une administration parfaite de la justice coûterait moins aux citoyens, que ne leur a coûté jusqu’à présent le régime abusif sous lequel ils ont vécu. Le comité ne peut distribuer, en projets d’articles, qu’une partie de son travail; la suite paraîtra incessamment. L’Assemblée ordonne que le travail du comité de constitution sur l’organisation du pouvoir judiciaire sera imprimé "et annexé au procès-verbal de la séance de ce jour. ( Voy . les articles aux Annexes de la séance.) M. le Président. L’Assemblée passe, maintenant à son ordre du jour de deux heures. On annonce une députation de la commune de Paris qui vient soumettre à l’Assemblée un projet pour faire travailler les pauvres pendant l’hiver; cette affaire est renvoyée à la séance du soir. Une députation du village de Villiers-sur-Marne apporte un don patriotique de 590 livres. Le député qui porte la parole fait l’offre particulière de ses boucles d’argent. L’Assemblée lui accorde la séance. M. l’abbé de Montesquieu. Permettez que je vous parle un moment de moi. Parmi les libelles