39 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mars 1791.) beaucoup d'inutiles et l’entretien de ces agents coûte une somme trop considérable à la nation. Plusieurs membres ; L’ordre du jour ! M. Bouche. L’ordre du jour le plus pressant est de savoir à qui et pourquoi nous payons. Il y a un grand nombre d’agents dont les fonctions sont sans utilité; leur réduction serait également avantageuse pour la simplification des opérations et pour la décharge du Trésor public. M. d’André. Les agents nationaux se divisent en agents publics et en agents privés. En ce qui concerne les agents privés, je pense que, surtout dans un état de crise, il est impossible, sans courir les plus grands dangers, de les faire connaître Ions. Quant aux agents publics, l’état en est fait et a été communiqué depuis longtemps à l’Assemblée; il est complet, il est sous vos yeux et vous pouvez l’examiner. A l’egard de la dépense, vous avez alloué pour cet objet une somme de 6,300,000 livres, somme que le mini tre ne peut excéder, quel que soit le nombre des agents. Àinfi, à cet egard, il ne peut se glisser dans le département des affaires étrangères aucune espèce d’abus; le ministre et le comité diplomatique sont parfaitement en règle. Je demande l’ordre du jour. M. Bouche paraît de nouveau à la tribune. (. Murmures prolongés .) Un grand nombre de membres : Aux voix ! aux voix! L’ordre du jour I (L’Assemblée , consultée , décrète l’ordre du jour.) M. le Président. Le mauvais état de la santé du roi m’a empêché, depuis le commencement de sa maladie, de me présenter à la sanction mais j’espère que le mieux-être actuel de Sa Majesté me permettra de m’v présenter ce soir même. Voici, Messieurs, le nom des membres de la députation qui ont été désignés pour se rendre aujourd’hui chez le roi. Ce sont: MM. Bouron, l’abbé Loi lier, Dupré, Mougins de Roquefort, Grangier, Lambert de Frondeville. L’ordre du jour est un rapport des comités des domaines et de la marine sur les biens affectés et à affecter au service de la marine . M. de Curt, au nom des comités des domaines et de la marine. Messieurs, la marine réclame, our ie service de ses différents ports, quelques iens nationaux absolument nécessaires à la sûreté politique et à l’arrondissem< nt des ports et arsenaux. Ces biens siiués, à Brest, Rochefort, Toulon, Bordeaux et Cherbourg, ne sont pas d’une très grande valeur; mais leur réunion aux dépendances de ces ports, sollicitée depuis longtemps par la localité, et toujours éludée par la résistance qui ten. it à la nature des biens ecclésiastiques, présente des avantages inappréciables. Il suffirait, pour s’en convaincre, dejeter un coup d’œil sur les plans qui ont été fournis à vos comités de la marine et des domaines; mais il est dans vos principes d’approfondir toutes les opérations qui vous sont proposées, et vos comités doivent toujours prévenir les doutes qui pourraient s’élever sur les dispositions qu’ils vous présentent. C’est pour remplir ces deux objets, Messieurs, que je vais parcourir avec vous les différents ports du royaume, et fixer votre attention sur chaque terrain, sur chaque établissement, devenus natioaaux, destinés par la nature des choses à être affectés au service de la marine. BREST. Ou s’étonne encore de voir au milieu d’un port, qui renferme les deux tiers des forces navales de l’Etat, des établissements étrangers à la marine. Aucune puissance maritime ne fournit un pareil exemple. Toutes ont eu la politique d’isoler leurs ports, d’en termer l’enceinte, et de n’eu laisser dominer l’intérieur que par le canon établi pour le protéger. A Brest, c’est un couvent de capucins qui domine les établissements destinés au service de la flotte. Ce couvent est situé sur une montagne de roc, qui, s’avançant dans le [tort, vient se terminer au-dessus des quais, occupés d’un côté par les fonderies, tes forges, les bureaux, les m gasins, les différents ateliers; et de l’autre par les chantiers de construction. De toutes les parties de ce couvent et de ses dépendances, on distingue jusqu’aux moindres détails des opérations qui se font dans l’arsenal et dans le port, où d’ailleurs rien n’empêche de pénétrer. On voudrait en vain former une enceinte; tous les édifices appuient sur le rocher, et cet inconvénient laisserait des craintes éternelles sur les incendies, trop souvent projetés par cotte politique affreuse pour qui tout moyen est bon, pourvu qu’il tende à l’affaiblissement d’une nation rivale. Quoique ces considérations ne laissent aucun doute sur la nécessité d’attacher à l’arsenal de Brest un terrain qui le commande et qui eu facilite l’entrée du côté de la ville, je ne dois pas omettre les raisons d’humanité qui provoquent aussi celte réunion. Le port de Brest est encaissé. L’air humide qu’on y re-pire donne souvent des inquiétudes pour los épidémies qui peuvent d’ailleurs se communiquer à lavil’e.Dans les temps de guerre, dans ces temps malheureux de rassemblement de troupes, d’ouvriers et de matelots, les maladies y deviennent plus fréquentes, et l’on ne sait où placer les hommes pour éviter la contagion. Ces malheurs ne seront plus à craindre, dès l’instant où le couvent des capucins sera une dépendance des établissements du port de Brest. Placé sur un rocher très élevé, 1 air y est toujours pur, et assure d'heureuses convalescences. En attendant qu'on puisse augmenter l’emplacement ne l’arsenal, par des excavations qui en changeraient la température, le couvent servira d’asile aux malades; usage le plus digne et le plus respectable qu’on puisse faire d’un lieu consacré au service divin par la religion de nos pères. Après des motifs aussi puissants, Messieurs, que servirait de vous entretenir de quelques détails qui militent aussi en faveur de la réunion du couvent des capucins et de ses dépendances. Il vaut mieux chercher à Rochefort quels sont les biens qui peuvent être utiles au service delà marine. ROCHEFORT. Dans le nombre des biens nationaux qui se 40 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mars 4791.] trouvent dans la dépendance du district de cette 1 ville, il n’en est qu’un dont la réunion au port soit intéressante et nécessaire. C’est l’église paroissiale, dont le chevet, touchant presque aux nouvelles formes de construction des vaisseaux, laisse à peine un espace de la largeur d’une voiture, et gène considérablement le service journalier de cet utile établissement. Vous savez, Messieurs, que ce!te église n’était auparavant qu’une grange, affectée depuis au service divin. Il y a longtemps que son insalubrité et son inconvenance ont fait désirer un édifice plus digne de son institution. En attendant que ce projet s’exécute, on pourrait prendre, pour église paroissiale, celle des capucins, quiest située dans un air plus sain, et dont l’intérieur inspire plus de respect et de recueillement. Alors, Messieurs, rien ne pourrait retarder la réunion sollicitée par le départementde la marine. Les travaux des nouvelles formes ne seraient plus obstrués, et tout ce qui est étranger au service du port serait irrévocablement éloigné de son enceinte. Vous avez encore, Messieurs, à Rochefort, un bien devenu national, qu’il est important de ne pas détacher du service de la marine ; c’est un petit hôpital, fondé par Louis XIV en 1694, et achevé en 1696. — Des sœurs grises, au nombre de 7, avec un revenu annuel de 2,700 livres et une sommede 3,000 livres une fois payée, devaient entretenir 30 orphelines et 12 lits de femmes d’ouvriers et de marins. En dotant cet hôpital en argent, on exposa son revenu à diminuer chaque année, en proportion exacte de la plus grande abondance du numéraire. Celte diminution fut telle en 1738, que le service allait cesser, lorsque M. de Beauharnais voulut le soutenir par des bienfaits indépendants de la valeur incertaine des monnaies. Cet intendant de Rochefort, dont la mémoire mérite d’être conservée, acheta de ses deniers un bien de 13,300 livres et en fit donation à l’hôpital, qui en retire aujourd’hui 900 livres de rente. Avec cette augmentation de revenu, le produit du loyer de quelques échoppes, et des droits perçus encarêmesur la vente de la viande, cet établissement entretient 40 orphelines ; mais il ne pourrait se soutenir sans les secours extraordinaires de la marine, qui les multiplie en raison de l’utilité qu’en retirent les femmes et les enfants des marins, classés dans l’arrondissement de Rochefort. C’est d’après l’examen de ces faits intéressants que votre comité des domaines avait voté la conservation de cet hôpital sous la même surveillance. Il vous proposait aussi de déclarer que cet établissement, créé pour servir d’asile aux seules familles des hommes de mer, suivrait sa destination première ; car le meilleur moyen de soutenir le courage des marins, dans les dangers qu’ils font profession de braver, c’est de les tranquilliser d’avance sur les besoins de leurs femmes et de leurs enfants. Votre comité de marine, Messieurs, a trouvé cette demande prématurée. Occupé d’un projet de soulagement pour les citoyens dévoués au service maritime,il doit incessamment vous présenter de * vues générales qui respirent l'ordre et l’huma-nité. 11 a donc paru sage de ne point anticiper sur cette opération, en prenant une décision partielle, et de restreindre ce rapport aux seules réunions que la marine sollicite. Vous connaissez celles qu’il convient de faire à Rochefort ; voyons à Toulon ce que le port et les troupes qui veillent à sa sûreté attendent de votre sagesse. TOULON. C’est le seul des quatre grand s ports du royaume qui manque de casernes, pour loger les troupes de la marine. Jusqu’à ce moment, deux divisions de canonniers-matelots, formant un corps de 1,400 hommes, ont été logés dans des maisons particulières aux frais de la province. Cet usage doit être aboli. Il nuit au maintien de la discipline et delà subordination ; des troupes, éparses dans h s divers quartiers de la ville, ne peuvent conserver le même esprit, le même ordre que des troupes réunies dans un seul et même local; et la vigilance des odiciers perd toujours de son activité, en raison de ia dispersion des compagnies. Il est donc absolument nécessaire d(i bâtir un corps ne casernes pour la division de Toulon. La maison conventuelle des capucins, située près de l’arsenal de la marine, et du champ de bataille où s’assemblent les troupes, offre un emplacement commode pour cette destination : vos comités vous proposent d’en faire une dépendance du. port. Quant à la dépense, elle se trouvera compensée par l’économie des frais de loyer qui sont aujourd’hui à la charge du département du Var. Une opération non moins importante pour le service du port de Toulon, c’est de réunir sur un même local, les divers établissements destinés pour les vivres. C’est le sort de tous les établissements politiques qui n’ont été faits que partiellement, de manquer d’ensemble dans la distribution de leur dépendance. — Toulon, le seul grand port de la Méditerranée, n’a aucun magasin pour les vivres, qui appartienne à l’Etat; la marine est obligée d’en piendre à loyer, et il en coûte par an une somme de 13,561 livres. Ce n’est pas tout, Messieurs, les seuls magasins qu’elle ait pu se procurer, se trouvent placés près du chantier marchand, c’est-à-dire à plus de 600 toises de la boulangerie. Un tel éloignement est quelquefois l’occasion de versements frauduleux, et toujours la cause d’une augmentation de dépenses. Il faut un plus grand nombre de sujets pour surveiller chaque partie du service. Il faut entretenir des voitures pour transporter les farines des magasins à la boulangerie; et sans compter l’inconvénient de traverser la ville, les transports par terre ralentissent trop les opérations de la marine, dans les grands mouvements politiques. On s’est occupé plusieurs fois de remédier à ces inconvénients. Il suffisait d’acheter une partie d’un pré appartenant au chapitre. Cette acquisition souvent projetée, toujours désirée, jamais effectuée, ne peut aujourd’hui éprouver d’obstacles. Maîtres de disposer d’un bien que vous avez rendu national, vous n’hésiterez pas à le réunir au port de Toulon. Il tient à ia demi-lune qui le sépare de la boulangerie; et quand les divers établissements destinés aux vivres, y seront réunis, vous aurez procuré ce que l’aisance, la célérité et l’économie du service sollicitent depuis longtemps. Après avoir ainsi disposé du pré du chapitre de Toulon, voyons ce qu’il convient de faire de la maison conventuelle des récoilels de Royan. 41 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [12 mars 1791.) BORDEAUX. Les bâtiments du commerce expédiés de Bordeaux, ou qui font leur retour dans ce port, sont souvent obligés d’attendre, àRoyan ou à Verdun, les vents favorables à leur destination. Il n’existe dans ces rades aucune ressource pour les malades. Il faut remonter dix lieues dans la rivière, pour trouver Lhômtal de Blaye. L’humanité s’afflige de la nécessité de transporter aussi loin des hommes, déjà exténués par les fatigues de la mer, et dont les maladies ne deviennent souvent dangereuses que par le retard des soins et des traitements qu’elles exigent. Il est temps, Messieurs, de conserver à l'Etat ces hommes précieux, en rapprochant de leurs besoins les secours qui leur sont nécessaires. Ordonnez donc qu’on' fass<‘ un hôpital de la maison conventuelle des récollets de Royan. Qu’elle soit désormais l’asile des équipages des vaisesaux du commerce; cette institution sera peu coûteuse. Mais de plus grands intérêts exigent à Cherbourg de plus grands sacrifices. CHERBOURG. De tous les temps, on a reconnu dans la marine française la nécessité d’avoir un port sur la Manche qui put servir de point d’attaque, et de lieu de retraite. Si le projet de Vauban eût été exécuté, jamais Tourville n’eût éprouvé les malheurs qui ruinèrent pour un siècle nos forces maritimes. Il aurait su, par une savante manœuvre, ramener les vaisseaux qu’il perdit, sans éprouver cependant le moindre échec pour sa propre gloire. Malgré cette terrible leçon, le long règne de Louis XV s’acheva, sans qu’on eût songé à pro-titer des malheurs de Tourville. Il était réservé à Louis XVI de concevoir, d’entreprendre et d’achever tout ce qui devait contribuer à la sûreté, à la gloire et au bonheur de la natioQ française. La guerre de l’indépendance de l’Amérique élait à peine terminée, qu’il fut question d’établir un port dans la Manche. Les opinions furent longtemps partagées entre la ïïougue et Cherbourg. La Hougue était un lieu mieux préparé par la nature, et demandait moins de dépenses. Mais les vents de nord-est qui ouvrent les ports d’Angleterre, ferment celui de la Hougue : on se décida pour Cherbourg. Ce n’est pas ici le moment, Messieurs, de vous rendre compte de l’état actuel des grands travaux de cette rade, ni d’examiner jusqu’à quel point il convient de les perfectionner. Ces détails, confiés à mes soins, seront mis incessamment sous vos yeux; mais, en attendant, je dois presser votre décision sur les biens nationaux, dont la réunion est indispensablement nécessaire à l’établissement de Cherbourg. Vous vous rappelez, Messieurs, qu’on ne trouva sur les côtes qui avoisinent cette ville maritime, aucune espèce de bâtiments propres aux travaux immenses qui étaient projetés. Les Anglais l’avaient pillée en 1758, et l’on sait assez ce que la politique fait entreprendre, lorsqu’on est maître d’un lieu qui peut devenir uu objet éternel de crainte et de jalousie. Il fallut donc tout créer à Cherbourg; des vues d’économie décidèrent le ministère à traiter avec l’abbaye de l’ordre de Saint-Augustin, dont les terres s’avancent jusque vers les bords de la mer. La marine obtint parce traité l’usage de tous les bâtiments de cette abbaye, le droit de les augmenter et d’en construire de nouveaux, partout où le service pourrait l’exiger. Ces conditions utiles ont été exécutées depuis 1783, de manière que les principaux établissements de la rade de Cherbourg se trouvent aujourd’hui sur un terrain que vous ne pourriez aliéner, sans porter uu coup funeste au service de la marine. En effet, Messieurs, si vous entrez par le chemin qui conduit de Qiierqueville à Cherbourg, vous rencontrerez à gauche la mense abbatiale, réparée aux frais de l’Etat, et qui a coûté plus de 200,000 livres. On trouve à très peu de distance, sur la même direction, l’arsenal de l’artillerie, qui renferme une caserne propre à loger une compagnie d’ouvriers, des fourneaux, des forges et un atelier de menuiserie. Sur la droite du même chemin, on voit, à 200 toises du parc, les casernes et les pavillons des troupes de la marine, situés à l’opposiie d’un chantier d’une vaste étendue, et entouré de murs d’environ 8 pieds de hauteur. C’est dans cette enceinte, destinée d’abord à la construction des cônes, que se trouve la batterie d’école, et un réservoir pour les mâtures, qui peut être agrandi en proportion des besoins du service. Je ne pousserai pas plus loin, Messieurs, la description des établissements situés sur l’abbaye de Cherbourg. Il n’est personne qui ne sente la nécessité de les conserver à la marine. Il vaut mieux vous exposer les motifs qui sollicitent la réunion du terrain, borné dans toute sa longueur par la route de Querqueville, et se terminant dans sa largeur au delà de la fosse du galet. Jusqu’à présent on n’a pu s’occuper que de faire une rade devant la ville de Cherbourg. Cet ouvrage devait nécessairement précéder tous ceux qui sont nécessaires à un établissement de marine. Mais il faut prévoir le moment où les finances de l’Etat permettront d’entreprendre des magasins pour un approvisionnement de munitions navales, et peut-être des bassins de réparations, pour donner de prompts secours, à la suite d’un combat ou d’un coup de vent, aux escadres qu’il imnorterait de conserver dans la Manche. Ces considérations Délaissent aucun doute sur la nécessité d’affecter, au département de la marine, les terrains dépendant de l’abbave de Cherbourg, compris dans lus limites que j’ai eu l’honneur de vous indiquer. Si l’aliénation en était faite, il faudrait un jour les acheter à grands frais des particuliers qui les auraient acquis, ou souffrir dans l’intérieur de l’arsenal des établissements qui lui seraient étrangers. Vous connaissez, Messieurs, le danger d’un tel inconvénient : et quand l’intérêt de l’Etat, la première et la plus sacrée des lois, vous invite à le prévenir, on peut présager d’avance quelle sera votre décision. C’est dans cette confiance, Messieurs, que vos comités réunis, en vous proposant d’augmenter les dépendances des ports et arsenaux, de cette faiblepartie des domaines de l’Etat, vousindiquent aussi la nécessité de maintenir le département de la marine en possession des terrains et établissements alf'Ctés à son service et de déclarer qu'aucuns corps civils ou administraiifs ne pourront s’immiscer dans la régie et administration de ces biens. Telles sont, Messieurs, les dispositions du décret que j’ai l’honneur de vous proposer :