SÉANCE DU 5e JOUR DES SANS-CULOTTIDES AN II (DIMANCHE 21 SEPTEMBRE 1794) - N° 3 335 Art. II. - Mangenot, concierge de la maison d’arrêt de Marseille, et Voulland, commandant temporaire dans cette place, seront mis sur le champ en état d’arrestation. Art. III. - L’accusateur public au tribunal révolutionnaire instruira sans délai sur la conspiration qui vient d’éclater à Marseille contre la sûreté générale de la République et la représentation nationale. Art. IV. - Les représentans du peuple en mission dans le département des Bouches-du-Rhône développeront la force nécessaire pour faire exécuter les lois et respecter la représentation nationale. Art. V. - Ils feront les diligences nécessaires pour faire arrêter dans toute l’étendue de la République, et traduire au tribunal révolutionnaire les auteurs et complices de la conspiration. Art. VI. - Les scellés seront apposés sur les papiers de la société populaire de Marseille, et les représentans du peuple feront procéder sur-le-champ à l’examen des papiers, à l’épuration de la société, ainsi qu’à celle des autorités constituées de cette commune. Art. VII. - La Convention approuve la conduite et les mesures prises par les représentans du peuple dans le département des Bouches-du-Rhône (40). Art. VIII. - Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance, et porté à Marseille par un courrier extraordinaire (41). Aux voix, s’écrient plusieurs membres (42). VOULLAND : J’aurois lieu d’être douloureusement affecté de cette espèce d’improbation qui semble vouloir me repousser de cette tribune ; vous ne refuserez pas de m’entendre, quand je vous aurai dit que la piété filiale seule m’y conduit : la piété filiale est une vertu, et vous les avez toutes mises à l’ordre du jour. Le général Voulland, dont le nom vient d’être prononcé plusieurs fois dans le cours de ce rapport, est mon oncle ; mais il m’a tenu lieu de père, du moment que j’ai eu perdu celui dont j’avois reçu le jour. (40) C 318, pl. 1288, p. 26 et la majeure partie de la presse indiquent que cet article a été rajouté à la suite de la motion de Barras, lors de la discussion de l’ensemble du décret : Ann. Patr., n° 630 ; Ann. R. F., n° 2 ; Mess. Soir, n° 764 ; F. de la Républ., n° 2 ; Débats, n° 730 bis, 597 ; J. Perlet, n° 729 ; Moniteur, XXII, 34 ; Gazette Fr., n° 995. (41) P.-V., XLV, 366-367. C 318, pl. 1288, p. 26. Minute de la main de Treilhard, rapporteur. Décret n° 10 977. Débats, n° 730 bis, 594-595 ; Moniteur, XXII, 33 ; Ann. Patr., n° 630 ; J. Fr., n° 727 ; J. Mont., n° 146 ; C. Eg., n° 765 ; J. Paris, n° 2 ; Rép., n° 2 ; Mess. Soir, n° 764 ; Gazette Fr., n° 995 ; Ann. R.F., n° 2 ; F. de la Républ., n° 2 ; J. Perlet, n° 729 ; Bull., 1er vend. (42) Mess. Soir, n° 764, indique ici que « quelques mé-contens s’agitoient cependant sur le sommet de la Montagne et avoient l’air de douter de la réalité de cette conjuration » Non, j’ose le dire avec confiance, mon oncle n’est pas un conspirateur; il aime la liberté, il l’a toujours voulue, toujours servie ; il respecte l’humanité ; il abhorre le sang : il ne peut pas être un complice, un souteneur du cannibale Reynier. Je ne crains pas de le présumer, de l’assurer d’avance, les recherches que vous avez ordonnées pour découvrir toutes les ramifications de ce complot sanguinaire conçu à Marseille, ne donneront aucun résultat fâcheux contre mon oncle ; il est connu dans le département du Gard et dans tous les dépar-temens qui l’environnent, pour un homme qui a toujours fait aimer la révolution par sa douceur et son humanité ; il n’a pas attendu les événemens postérieurs au 14 juillet 1789 pour se déclarer, et dans aucune crise embarrassante il ne s’est jamais démenti. Domicilié dans le département du Gard, il a toujours été à la tête de la garde nationale d’Uzès, jusqu’au moment où il fut envoyé à la tête d’un bataillon de grenadiers, pour concourir à la conquête de la Savoie; il n’a cessé d’être employé dans l’armée des Pyrénées orientales ; il a conservé le Mont-Libre, dont le commandement lui avoit été confié. Permettez que je vous donne lecture d’une pièce tirée du dossier de celles que j’étois chargé de produire à la commission du mouvement, pour demander et obtenir sa retraite : cette lettre n’est pas suspecte ni mendiée par la circonstance : elle a été expédiée en janvier 1792. VOULLAND lit ces pièces : Nous, maire, ofïïciers-municipaux et notables de la ville d’Uzès, assemblés en conseil-général de la commune, certifions que M. Alexandre Voulland, ancien capitaine de grenadiers, fut nommé par les citoyens de la ville d’Uzès, au mois de juillet 1789, colonel commandant de la garde nationale qui fut formée à cette époque dans ladite ville d’Uzès ; qu’il a exercé les fonctions de cette place dans des temps orageux et difficiles, avec toute la prudence, le zèle, le courage et les lumières qu’on pouvoit attendre d’un militaire expérimenté et d’un citoyen ami de l’ordre et de la paix; qu’il a dans les momens de crise et de division dont notre ville a été le théâtre, bravé tous les périls ; que notamment, lors des troubles qui éclatèrent à Uzès le 14 février dernier, plusieurs coups de fusil furent tirés sur M. Voulland ; qu’il n’échappa à la mort dans cette circonstance que par une espèce de miracle ; les dangers auxquels il a été exposé n’ont jamais pu le décourager. Nous attestons qu’il a su obtenir et conserver, par la droiture de ses intentions, sa bravoure, ses talens et sur-tout son amour pour la constitution, la confiance de ses concitoyens, qui n’ont jamais voulu permettre qu’il abandonnât le poste auquel leurs suffrages l’avoient élevé; que dans toutes les occasions où la paix publique a été troublée dans cette ville, les sages mesures qu’a prises ce commandant, lorsqu’il a été requis par les autorités constituées, ont bientôt rétabli la tranquillité et le bon ordre, et lui ont assuré des droits à la reconnoissance de tous les bons citoyens. 336 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE En foi de ce, nous avons donné le présent certificat, que nous avons signé et fait contresigner par le secrétaire-greffier de la commune, qui y a apposé le sceau de la municipalité. Fait à Uzès, ce 2 janvier 1792. Suivent les signatures. Nous, administrateurs composant le directoire du district d’Uzès, au département du Gard, certifions et attestons ; 1°. que les signatures ci-derrière sont sincères, et que ceux qui les ont faites sont tels qu’ils se qualifient ; 2°. que les faits constatés par ce certificat sont particulièrement connus du directoire, qui ne peut se refuser à en attester la sincérité, et à déclarer que non seulement la commune d’Uzès, mais tout le district, a ressenti les bons effets du zèle, du courage et de la prudence de M. Voulland dans les occasions difficiles où nous avons été placés ; que le directoire a toujours trouvé dans ce citoyen respectable l’ardeur et le zèle le plus actif pour seconder les mesures nécessitées par les circonstances, et veiller efficacement au maintien de l’ordre et à l’exécution des lois. En foi de quoi, nous avons expédié le présent. Au directoire du district, les jour et an susdits. Suivent les signatures. VOULLAND : Le lendemain du jour de l’émeute dont il est question dans le certificat que je viens de lire, les gardes nationales des communes des environs d’Uzès, qui s’étoient portés en foule à la maison du nommé Trin-quelagues, qu’on regardoit comme l’auteur de tous les troubles, quoique cet homme fût le plus cruel ennemi de mon oncle, ce dernier se porta vers la maison assaillie, et déclara qu’on lui passeroit plutôt sur le corps que d’y pénétrer. Un vieillard de 70 ans, qui est capable de cet acte de vigueur, ne peut pas devenir tout-à-coup un horrible septembriseur. (Il se fait du bruit dans une partie de la salle.) Plusieurs voix : Il ne s’agit pas de cela. Je sais qu’il ne s’agit pas de ce que mon oncle a fait par le passé, ni de ses services révolutionnaires ; je sais que la République et la Convention ne peuvent et ne veulent re-connoître et récompenser que la persévérance finale ; mais, citoyens, je parle pour un père ; encore quelques instans ; au nom de la piété filiale, écoutez-moi et prononcez. Je suis ici pour me soumettre à votre décret, et pour le faire exécuter, s’il le falloit. Ah ! si un moment d’erreur, occasionné par le désir de servir son pays dans une circonstance où il croyait pouvoir lui être utile, peut être imputé à crime; si ce crime doit être poursuivi et puni, qu’il soit constant que mon oncle n’est coupable que d’erreur. (On s’écrie de tous côtés : On ne dit pas qu’il soit coupable. Plusieurs membres se lèvent pour rendre justice au citoyen Voulland, général. ) LE RAPPORTEUR : Les comités n’ont rien entendu prononcer contre le général Voulland. Nos collègues ayant cru devoir le destituer, le général Voulland doit aux termes de la loi du 17 septembre, être mis en arrestation. Le décret est adopté à la presque unanimité. Sur la motion de Barras, la Convention approuve la conduite des représentans du peuple à Marseille. BASSAL : J’ai demandé la parole pour demander un délai d’un jour. Les mesures proposées à la Convention nationale, un décret qui met un citoyen hors de la loi, peuvent être ajournés à un si court intervalle sans aucun danger. (Murmures) On demande d’aller aux voix. BASSAL persiste à conserver la parole. Plusieurs membres s’y opposent. Les murmures empêchent l’opinant d’être entendu. Le président consulte l’Assemblée. Elle décrète que Bassal sera entendu. BASSAL : Je suis étonné que mes collègues, qui ont connu par une longue expérience mes sentimens et mes principes refusent de m’entendre. N’ai-je pas assez prouvé par des missions difficiles mon aversion et mon horreur pour les hommes sanguinaires et cruels. Périssent tous ceux qui veulent faire détester le régime de la liberté ! périssent tous ceux qui sous un masque perfide de popularité, ébranlent la confiance et le respect qui sont dus à la Convention nationale et à ses décrets ! Mais lorsqu’il s’agit de les juger, lorsqu’on ne peut les juger que sur la foi d’une lettre dont l’authenticité ne porte aucun caractère d’évidence, quel danger y a-t-il d’attendre au lendemain? Citoyens, est-ce ici la première conjuration que vous avez eu à punir? est-ce la première révolte que vous ayez été forcés de réprimer? Rappelez-vous ce qui se passa dans la République dans le cours de l’année passée. Plusieurs villes, quelques départemens se montrèrent rebelles aux décrets de la Convention : la révolte s’y montra avec les caractères les plus terribles et les plus menaçans; des bataillons furent armés et organisés ; des administrations perfides dirigèrent leur marche contre Paris ; des représentans du peuple furent arrêtés ; plusieurs furent dévoués à la proscription et à la mort : les décrets de la Convention furent méconnus et même méprisés. Quelle fut alors la conduite de la représentation nationale ? Rien ne fut précipité ; toutes les mesures furent épuisées avant que les coupables fussent punis par la force. Souvenez-vous qu’un seul jour de délai eût épargné tous les regrets qu’a laissés la journée de Nancy. Je demande que les mesures proposées soient renvoyées à la séance du lendemain, et que les représentans du peuple près les départemens des Bouches-du-Rhône, et ceux qui ont été en mission dans ce département, soient entendus dans le comité.