[Assemblée nationale. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 décembre 1790.) ce savant, tant au comité d’agriculture et de du commerce qu’à l’Académie des sciences. M. Chaudet, sculpteur et agrégé de l’Académie, est admis à la barre, et fait hommage à l’Assemblée de la statue de J. -J. Rousseau, en disant : « Messieurs, je finissais la statue de Jean-Jacques Rousseau, à l’époque d’un de vos décrets relatif à ce grand homme. Je viens aujourd’hui vous la présenter, et l'honneur de l’offrir àJ’Assemblée nationale devient la plus précieuse récompense de mes travaux. » M. le Président répond à M. Chaudet, et au nom de l’Assemblée, lui accorde les honneurs de la séance. M. Lebrun, rapporteur du comité des finances. Les perruquiers ne savent pas si leurs charges seront conservées ou remboursées; inquiétés du payement du centième denier, ils ont eu recours à votre justice et ils vous prient de prononcer sur leur sort. Je suis chargé par le comité des finances de vous proposer de décréter que le payement du centième denier dû par les perruquiers demeure suspendu. Cette proposition est adoptée dans les termes suivants : « L’Assembléenationale décrète quele payement du centième denier, du pour les charges de perruquiers dans toute l’étendue du royaume, est suspendu. » L’ordre du jour est la suite de la discussion des articles proposés par le comité des finances pour l’organisation des ponts et chaussées ( 1). M. Lebrun, rapporteur du comité des finances , donne lecture des articles 4 et 5 du titre II qui sont mis aux voix et décrétés en ces termes : Art. 4. « Les appointements des inspecteurs seront de 4,000 livres. « Les appointements des ingénieurs, 2,400 liv. « Les appointements des ingénieurs en chef et des inspecteurs seront payés par le Trésor public; ceux des ingénieurs par les départements. Art. 5. « Les ingénieurs en chef, inspecteurs et ingénieurs, seront nommés par l’administration des ponts et chaussées. « Les ingénieurs, qui se trouvaient attachés aux pays d’Etats, concourront, pour les places, avec les ingénieurs des ponts et chaussées, chacun dans leur grade correspondant. » Un membre propose pour l’article 6 une nouvelle rédaction qui est adoptée ainsi qu’il suit Art. 6. « Les ingénieurs pourront être déplacés par les assemblées de département, mais après avoir informé l’administration centrale, des raisons qui motiveront le déplacement. » Les trois premiers articles du titre III sont ajournés après une courte discussion. L’article 4 et dernier de ce titre soulève une discussion. Divers amendements sont proposés. (i) Voyez Archives parlementaires, tome XX, séance du 4 novembre 1790, pages 168 et 270. Voyez également ci-dessus les séances du 14 décembre 1790, page 476, et du 16 décembre 1790, page 520. 697 Un membre demande laquestion préalable contra cet article. La question préalable est adoptée. M. le Président. L'ordre dû jour est un rapport sur l'affaire de Pamiers. M. AXalès, au nom du comité des rapports. Des troubles ont longtemps agité la ville de Pamiers. Le peuple, alarmé par une suite d’entreprises illégales, menacé pendant plusieurs jours, provoqué enfin par l’arrestation de quelques-uns de ceux qu’il regardait comme ses défenseurs, s’est porté contre une autorité devenue arbitraire à une sorte d’insurrection dans laquelle deux hommes ont perdu la vie. Chargé par votre comité des rapporis de vous rendre compte de ces désordres, nous croyons devoir à votre sollicitude de vous prévenir que les manoeuvres fanatiques et contre-révolutionnaires qu’on n’a que trop remarquées ailleurs n’y ont eu aucune part. C’est la lutte de l’orgneil contre l’égalité, c’est l’effort du pouvoir contre ses barrières constitutionnelles-, ce sont des haines, des passions privées qui, sous le masque du bien public, ont fait tout le mal. Nous espérons que, comme votre comité, vous n’apercevrez pas autre chose dans le récit que nous allons vous faire... Au premier bruit de la Révolution, le peuple a bore la cocarde nationale; un comité permanent et une garde nationale se forment ; la ville se divise en deux partis. Le sieur Darmaing, nouveau maire, se sépare absolument de la municipalité; mais, à chaque voie de fait, il a soin de prendre l’attache du directoire de département : il défend à la garde nationale de battre la caisse et de s’assembler ; il convoque deux brigades de maréchaussée pour arrêter des troubles qu’il a excités par là. Il requiert également les gardes nationales voisines, qui s’en retour-nenf aussitôt après avoir trouvé tout tranquille. Enfin, il arme les deux brigades contre la garde nationale, fait saisir les deux frères Gaillard, capitaines dans cette garde. Alors le peuple se soulève. Le sieur de Belloy, commandant de la maréchaussée, ordonne de faire feu ; un cordonnier est tué. Le peuple riposte à son tour et tue un cavalier. Les deux brigades sont poursuivies aux casernes. Les officiers municipaux s’y portent. Le commandant ne consent à partir que lorsqu’on lui représente un ordre du maire. La conduite du directoire de département a paru à votre comité aussi répréhensible que celle du maire, puisqu’il ne devait pas statuer sur les demandes de ce maire seul, et sans avoir pris au préalable l’avis du directoire du district. L’exposé ci-dessus vous paraîtra sans doute suffisant pour improuver le directoire de département et suspendre le maire jusqu’à ce qu’il y ait eu un jugement. M. lîergasse - Lazlroule annonce que le département de l’Ariège est peut-être celui du royaume où l’on connaît le moins cotte fatale divi-ion de patriotes et d’aristocrates ; que ce département, peuplé de cultivateurs et de négociants actifs, ne contient presque point de privilégiés. La seule ville de Pamiers, ville privilégiée, a de tout temps offert le spectacle le plus hideux. « Si l’on rue demande, dit l’orateur, de quel côté sont les patriotes, je répondrai qu’ils ne sont nulle part. » L’orateur prétend que le rapporteur a omis des faits essentiels, capables de faire envisager g98 [Assemblée nationale.) cette affaire sous un tout autre point de vue : il rapports ces faits, qu’il prétend avoir été omis, et demande que le comité soit chargé de nouveau de vérifier cette affaire malheureuse, et d’en faire un second rapport à l’Assemblée. M. Males, rapporteur, représente que le contradicteur du décret proposé a déjà été entendu au comité; qu’il y a déià fait valoir les mêmes raisonnements dont il étaye son opinion, et que ce n’est que d’après le plus mûr examen que le comité a rédigé le projet de décret qu’il propose aujourd’hui. M. de Cazalès demande que l’Assemblée nomme quatre commissaires, pris dans son sein, qui seront chargés d’examiner toutes les pièces déposées au comité, relatives aux malheureux événements arrivés à Pamiers, et d’en faire leur rapport. (Cette demande est écartée par la question préalable.) M. le Président quitte le fauteuil ; il est remplacé momentanément parM. Treilhard, exprésident. M. Vadier (1). Messieurs, si l’affaire qui vous est soumise n’était liée au maintien de la Constitution et de la tranquillité de l’empire, je n’ajouterais rien aux détails affligeants dont on vient de vous entretenir, j’excuserais les torts de quelques-uns de mes concitoyens; je solliciterais pour eux votre indulgence, et je renfermerais au fond de mon âme la vive douleur dont leur conduite m'a pénétré. J’ai longtemps cédé à cette impulsion: il en coûte à un cœur bien fait de présumer le crime, et surtout dans le cœur de ceux que le peuple et la loi ont préposés pour le punir. Mais vous êtes instruits, Messieurs, des troubles qu’on a voulu répandre dans les provinces du Midi; et c’est dans ces climats que les têtes sont susceptibles de s’imprégner des illusions de la ihéocraiieetdes flammèches du fanatisme... Le salut de l’Etat m’impose donc la loi de ne rien déguiser, car toute rélicence serait un crime. Je n’emploierai, pour vous émouvoir, ni les prestiges de l’éloquence, ni la magie du style, ni (1) Epitre dédicatoire à Monsieur de Foucault, député du Périgord. Vous avezeula bonté, Monsieur, de demander l’impression de mon discours ; il est juste de vous en faire hommage et de vous en offrir le premier exemplaire! Je n’ai pas comme vous, Monsieur, l’heureux talent d’improviser; je n’ai pas une voix de Stentor : ce bruyant avantage dépend de l’énergie des poumons de la latitude du gosier, et chacun n’a pas, comme vous, un vaste et majestueux œsophage ; mais si vous daignez me lire attentivement , peut-être serez-vous convaincu que le franc parler d’un Gascon vaut bien celui d’un ci-devant noble périgourdin. J’ai toujours ouï dire que les organes intellectuels sont plus déliés et moins engourdis sur les frontières méridionales, que dans les provinces du Centre. On ne parle guère du Périgord que pour vanter l’excellence de ses pâtés. Cependant, Monsieur, je ne suis pas plus esclave que vous du soin d’arrondir et de cadencer une période ; mais j’ai autant de franchise et de loyauté, et l'éloquence du sentiment a toujours mieux valu que celle des mots. Je suis très parfaitement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. Signé : Vadier. (28 décembre 1790. | le mordant de l’expression... Quand on a dans le cœur l’amour de son pays et de la liberté, on esi bien sûr de votre indulgence. Le sang des bons citoyens a coulé!... Des prévaricateurs, cachés sous le fantôme de la justice, ont dirigé le plomb meurtrier des assassins... Faudrait-il recourir à des mouvements oratoires pour attendrir votre âme sensible? C’est le patriotisme opprimé que je viens défendre... C’est contre les ennemis de la liberté que j’ose m’élever... Ils ont armé le citoyen contre le citoyen . .. Ils ont fait ruissel-r le sang dans une cité patriote, en haine de la Révolution, et parce que cette ville est la seule du département qui ait eu le courage de s’armer pour la maintenir. Avant de parcourir le tableau de ces atrocités, jetons un coup d’œil rapide sur les circonstances qui les ont amenées. La ville de Pamiers gémissait sous un joug tyrannique et insupportable... Vous le devinez à ce titre, c’est le despotisme sacerdotal. Un évêque, président né ries Etats de Foix, y réunissait toutes les puissances, y dominait tomes les volontés... Comme le Vieux de la Montagne, il pouvait disposer du repos et des propriétés des citoyens. Avec ce double diadème, il mouvait à son gré les bureaux du ministre et de l’intendant... Toutes les places étaient dans sa main. Les lettres de cachet le rendaient le maître des opinions, l’investigateur des pensées. D’infidèles agents trouvaient dans les caisses publiques la clef d’or qui ouvre toutes les avenues, franchit tous les obstacles, et égare souvent jusqu’à la vertu. Des clergistes nombreux et fanatiques y prêchaient sans pudeur la loi de l’esclavage, les principes de l’égoïsme, la politique de Machiavel et la morale d’Escobar. D’une main ils secouaient les torches du fanatisme, de l’autre ils écumaient la bourse d’un peuple crédule ; avec des pardons et des indulgences, avec des rescriptions sur l’autre monde, ils acquéraient de riches héritages dans celui-ci. Il fallait, pour être en repos courber sa tête sous ce joug, ou se dévouer à subir une persécution implacable. Cette ville était encore le siège d’une vaste sénéchaussée. Une milice de plume, avide et famélique, était peu propre à entretenir l’harmonie, à purifier la morale, à désintéresser les inten-tio s. L’arbre du commerce ne pouvait ombrager cette ville de ses saluiaires rameaux, parce qu’il ne saurait prendre racine dans les lieux que le fanatisme a pestiférés de son influence, ou que la chicane a infectés de son venin. Deux chapitres nouveaux, un collège, quatre corporations de moines, trois de religieuses, disséminés dans son enceinte, semblaient rendre imposable l’inoculation de la liberté. L’habitude de la superstition et de l’esclavage en bannissait le goût de la philosophie et de la raison, les principes de l’égalité et de la sagesse. La révolution ne pouvait donc s’opérer à Pamiers que parla sainte insurrection d’un peuple opprimé. Devait-on l’attendre de c s âmes rape-tissées par l’intérêt, de ces êtres serviles que la bassesse a dégradés, ou que la chicane avait rabougris? Ces vils caméléons pouvaient-ils s’imbiber des sucs vivifiants de la liberté ? Accoutumés à s’mgurgiter des substances publiques, et à ramper sous des chaînes d’or, un pareil aliment pouvait-il convenir à l’inertie, à la stupeur de leurs organes? C’était au peuple, oui, au peuple ARCHIVES PARLEMENTAIRES.