425 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 février 1790.] d’autant dans sa caisse la somme qu’il paiera pour les honoraires de la cour supérieure provisoire. L’Assemblée nationale charge son président de de porter le présent décret, dans le jour, à la sanction du Roi. » M. Defermon des Chapelières. Nous ne vous présentons pas de décret au sujet des délits des magistrats de Rennes et du jugement sollicité par la municipalité : nous nous en rapportons à votre justice et à votre sagesse. M. Duval d’Eprémesnil demande des détails sur la quotité des gages des membres du parlement de Rennes. M. Defermon des Chapelieres répond. M. Duval d’Eprémesnil interroge encore. L’Assemblée témoigne une vive impatience. M. Duval d’Eprémesnil fait de nouvelles questions sur le même objet. M.levicomte de Mirabeau (1). J’appuie, Messieurs, la motion de M. Defermon et son projet de décret relatif à la formation d’un nouveau tribunal souverain, chargé de rendre, à la province de Bretagne, la justice dont elle se trouve privée par les circonstances qui viennent de vous être détaillées. Les magistrats bretons n’ont cessé d’offrir le sacrifice de leurs charges, et de demander que l’Assemblée nationale confiât à d’autres juges le soin d’interpréter des lois differentes de celles dont ils avaient juré d’être les dépositaires et les organes. Quant au projet de composition du tribunal provisoire de remplacement qui vous a été proposé par MM. les députés bretons, l’avantage qu’ils ont sur moi d’une connaissance parfaite des localités et des circonstances ne me )ermet de présenter aucune objection, et cet établissement me paraît si instant que je suis d’avis qu’il soit adopté (2). Quant à MM. les magistrats qui ont été destinés, par le sort ou par le choix des agents du pouvoir exécutif, à composer la seconde chambre des vacations, je vous demanderai la permission de vous présenter quelques réflexions sur leur conduite; je ne suis point monté à la tribune pour les justifier : je ne pourrais employer, en leur faveur, que les mêmes raisonnements que j’y ai déjà fait entendre lorsque la conduite de la première chambre a été soumise à votre jugement; ils ont été improuvés, et je sais respecter le voeu de la majorité; mais je désire d’abord que vous veuillez bien entendre un narré succinct et exact de ce qui s’est passé à Rennes, le 29 janvier, jour où la seconde chambre des vacations s’est rassemblée; si quelques-uns des faits qui y sont réfutés ne sont pas venus à la connaissance des députés bretons, ou peuvent être contestés par eux, je déposerai les preuves; ce récit disposera, j’espère, l’Assemblée, à écouter favorablement quelques observations que je soumettrai à sa justice sur la demande faite par la municipalité de Rennes, de renvoyer au Châtelet le jugement des magistrats bretons. (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. le vicomte de Mirabeau. (2) On distinguera toutefois, de cet assentiment général, la nomination de M. de Talhouët à la présidence du tribunal souverain. Vingt-neuf janvier 1790. Quatorze magistrats se sont rassemblés vers les neuf heures du matin au palais, en vertu d’ ordres particuliers du Roi, adressés à chacun d’eux. Le substitut du procureur général est entré, et a déposé, sur le bureau, une commission, etc. et des lettres-patentes, etc. Après avoir procédé à l’examen de cette commission, les magistrats ont pensé qu’ils ne pouvaient ni ne devaient l’accepter. Ils ont écrit une lettre au Roi contenant les motifs de leur refus. Quand ces magistrats se sont rendus le matin au palais, et quand ils en sont sortis; la plus grande tranquillité régnait dans la ville �pendant leur séance, il n’est venu personne dansles environs, ni dans les galeries du palais. Chaque magistrat s’est retiré chez lui sans qu’aucun citoyen lui ait fait de questions, sans s’apercevoir que la tranquillité de la ville ait été en rien troublée. Entre. les trois à quatre heures de l’après-midi, M. de Catuelan, étant chez lui avec M. de Bois-peau, son beau-frère, et M. de Malfilatre, conseiller au parlement, MM. de Monthierry et Gandon ont demandé à lui parler; ils suivaient immédiatement le domestique qui les annonçait. M. de Monthierry, qui paraissait fort agité, s’est approché de M. Catuelan, en lui disant: Monsieur, nous venons vous demander les motifs du parti que vous avez pris ce matin. M. de Catuelan a répondu : Dans aucun cas, un magistrat ne peut être tenu de donner les motifs de son opinion à des officiers municipaux, dans la circonstance présente. M. de Talhouët présidait les magistrats qui se sont rassemblés, c'est à lui que vous devez vous adresser. Nous en venons, Monsieur, et nous voulons vous témoigner notre étonnement, de la conduite que tiennent quatorze magistrats ; depuis plus d’un an nous veillons jour et nuit ponr maintenir la tranquillité dans la ville, votre conduite dérange toutes nos mesures, nous ne répondons plus de rien. Là, s’est engagée une discussion fort vive entre les magistrats et les officiers municipaux, trop longue pour se rappeler tous les détails avec exactitude, mais qui a roulé en général du côté des magistrats, sur l’impossibilité où ils sont, d’accepter une commission qui substitue quatorze magistrats au corps entier du parlement; ils ont prouvé que le parlement n’a jamais refusé de rendre la justice; qu’il l’a rendue l’année dernière, au milieu des troubles et dans les circonstances les plus critiques; qu’il la rendrait encore s’il n’avait pas été mis en vacance; que la plupart des magistrats s’étaient rendus à Rennes, à la Saint-Martin dernière; mais que des motifs de prudence les avaient forcés de retourner chacun chez eux; enfin sur la liberté dont on prétend que tous les citoyens doivent jouir, liberté qui doit laisser au magistrat, comme à tous les citoyens, le droit d’accepter ou de refuser de nouveaux engagements, qui diffèrent en tous points de ceux qu’il a antérieurement pris. Toutes ces raisons ont été plutôt combattues que réfutées par les officiers municipaux ; ils ont, surtout, cherché à intimider par la crainte de voir renaître la fermentation dans la ville; ils ont accusé la première chambre des vacations d’être la cause des malheurs qui arrivent dans les campagnes; (il leur a été répondu avec prudence sur cet objet, mais de manière, cependant, à ce que l’objection ne soit pas faite une autre fois); il leur a été répondu qu’il serait bien injuste que des 426 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 février 1790.] [Assemblée nationale.J magistrats, qu’on arrache de leurs paisibles retraites, fussent accusés de vouloir mettre le trouble; qu’on aurait désiré que les portes eussent été ouvertes le matin pendant l’opinion des magistrats; qu’en les entendant, on aurait jugé s’ils étaient des perturbateurs du repos public. M. Gandon a toujours discuté d’une manière honnête et sensée. M. de Monthierry a mis plus «de chaleur, et a fini par rendre les magistrats responsables de tout ce qui pourrait arriver; ces derniers mots ont été : « Il faut que tout le monde se courbe sous les lois faites par la pluralité ou le grand nombre. » Une demi-heure au plus après la sortie de ces deux messieurs, la maison de M. de Gatuelan a été investie de soldats, tant de la milice nationale que des troupes réglées. Un piquet de six hommes est entré dans son appartement ; peu de moment après, ce piquet a été renforcé de cinq ou six autres soldats. M. de Monthierry est revenu environ une demi-heure après l’établissement de ce détachement, dans la chambre de M. de Gatuelan, il a dit aux deux magistrats qui étaient chez lui (MM. de Malfilatre et de Gonataudon, qu’on n’avait pas voulu laisser retourner chez eux) qu’ils trouveraient des sentinelles à leurs portes ; il a balancé à les renvoyer à leur demeure, escortés de deux fusiliers ; il s’est ensuite décidé à les y mener lui-même. Mais avant de sortir, il a établi les sentinelles. Son premier projet était de les placer en dedans de l’appartement ; sur la représentation de M. de Boispeau, qu’il couchait dans la chambre de sa femme, grosse de 7 mois, il a placé les deux sentinelles dans la cour. Vers les 7 heures du soir, on a annoncé une députation du comité, composée de MM. Gerbier, Gohier, Codet, Sevestre, Bonneu, Emoneteau ; M. Gerbier portait la parole, et a dit : « Nous venons, Monsieur, vous demander s’il est vrai que les magistrats qui se sont rassemblés ce matin, ont fait quelque acte portant improbation de la démarche qu’on faite il y a quelques jours, plusieurs membres de la noblesse. » M. de Gatuelan a répondu: «Je ne présidais pas les magistrats qui se sont rassemblés, vous devez, Messieurs, vous adressera M. deTalhouet. — Nous venons de chez M. de Talhouet, qui nous a dit avoir été d’avis d’enregistrer, mais que cet avis n’ayant pas passé, il n’avait plus pris part à la délibération; qu’il ne croyait pas, mais qu’il ne pouvait pas assurer (n’ayant pas écouté la délibération) qu’il eût été pris départi relativement à la noblesse ; vous avez dit, Monsieur, que vous auriez désiré que les portes de la chambre eussent été ouvertes, vous ne nous refuserez pas l’éclaircissement que nous vous demandons. — Messieurs, dans tous les cas ordinaires, je dois garder le secret des délibérations auxquelles j’assiste, mais quand mon silence pourrait autoriser une calomnie, quand il pourrait causer de la fermentation, je ne dois pas balancer à rendre hommage à la vérité; non, Messieurs, il n’a point été parlé de la démarche de MM. de la noblesse, et il n’a été pris aucun parti à cet égard ; on n’y a pas même pensé. M. Gerbier a repris la parole, et a dit : — Nous sommes chargés de vous demander...— Messieurs, j’ai déjà eu l’honneur de vous dire que je ne pouvais révéler le secret des délibérations, vous penseriez peut-être par adresse, m’amener, de question en question, à vous dire ce que je ne voudrais pas dire. Vous vous tromperiez. M. Gohier, alors, a pris la parole : Messieurs, il faut agir plus franchement, nous sommes chargés de faire trois questions à M. le Président. Il a répondu d’une manière bien satisfaisante à la première, la seconde est de lui demander s’il y a quelque chose d’écrit sur le registre; la troisième s’ils ont protesté contre le mandat donné par l’Assemblée nationale aux magistrats de la première chambre des vacations ; sur la première demande, il me semble que je n’ai rien à vous répondre, M. de Talhouet vous ayant dit qu’il avait été d'avis d’enregistrer la commission, mais qu’elle ne l’avait pas été, il résulte que, n’étant pas constitués, nous n’avons point eu de registre , s’il ne faut, pour vous satisfaire, que répondre à la troisième question, nous n’avons point cherché à nous envelopper du mystère; mais quand nous avons cru devoir refuser une commission qui nous a été adressée par le Roi, nous avons pensé qu’il devait connaître, le premier, les motifs de notre refus. Chaque magistrat est gardé par deux fusiliers ; quelques-uns les ont dans l’intérieur de leur appartement. Le 30, à 10 heures du matin, toutes les sentinelles ont été introduites dans l’intérieur de l’appartement de chaque magistrat ; elles y couchent alors. Telle a été, Messieurs, la conduite de 14 magistrats isolés, qui n’ont point refusé, comme on vous l’a dit, d’enregistrer les décrets de l’assemblée mais, de se constituer chaniibre de vacations, et de se charger de la commission qui leur avait été offerte : ils ont cru que leur conscience, leur honneur ne leur permettraient pas de faire ce que leurs prédécesseurs avaient refusé. Us ont pu être coupables d’erreur, mais j’ai peine à me persuader qu’un homme de bonne foi les regarde comme criminels ; quel pouvait être leur but? conserver leurs charges ? ils ne pouvaient se dissimuler que c’était la manière d’en être plus promptement dépouillés. Ameuter le peuple ? Ils avaient tout à craindre de son insurrection. Je le répète, ils ont pu se tromper : il faut les plaindre et non les punir. Serait ce au moment où vous vous préparez à détruire les parlements, et tous les tribunaux préexistants à la constitution, le lendemain du jour où le projet d’organisation du pouvoir judiciaire, qui annonce cette destruction a été lu, et applaudi à trois reprises dans cette Assemblée, ce qui semble présager son adoption, serait-ce à cette époque, dis-je, que vous appesantiriez un bras qui paraîtrait suivre un esprit de vengeance , sur 14 magistrats qui ont cru que si près de la fin de leurs carrière judiciaire, ils ne devaient pas sacrifier leurs principes à leur sûreté ? Permettez-moi de vous le dire, Messieurs ; je comparerais notre sévérité envers eux à la question préparatoire, à laquelle on livrait autrefois les accusés avant de les condamner à mort dans le cas même où nous les regarderions comme coupables; détruisez le parlement de Bretagne, quelques instants avant les autres; mais que votre jugement n’isole pas ses membres. J’irai plus loin, Messieurs, je n’interrogerai pas l’Assemblée entière, mais chacun des honorables membres qui la composent ; j’interrogerai, non leur justice, mais le sentiment intérieur de leur conscience, et je suis convaincu (j’aime à l’être) qu’il en est peu qui, dans la position des magistrats bretons, n’eussent pas agi comme eux. M. Target. Je propose de mettre aux voix le projet de décret présenté par les députés de Bretagne et d’ajourner la dénonciation de la ville de Rennes sur la conduite des magistrats.