[Assemblée nationale. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 janvier 1790. 401 écartera pas, pour perpétuer notre avilissement et nos malheurs. Cependant, Nosseigneurs, nous sommes en instance depuis plus de quatre mois; il y en a près de trois que le comité de vérification, auquel l’Assemblée nous avait renvoyés a vérifié nos pouvoirs; qu'il est en état , qu'il demande à faire son rapport ; que nous sollicitons la faveur inappréciable d’une audience, et nous n'avons pas encore pu l'obtenir. Les prétextes, les motifs pour éluder n’ont jamais manqué à nos adversaires. Tantôt ils ont prétendu que l’affaire n’était pas suffisamment instruite; tantôt ils ont supposé des insurrections imaginaires; d’autres fois, ils ont prétendu que les colonies, la France, l’Assemblée nationale elle-même seraient en danger, si l’Assemblée se livrait à l’examen de nos demandes, de ces demandes que les lois naturelles, l’édit de 1685, la déclaration des droits et la Constitution ont jugées depuis si longtemps. Cependant il faut que ces prétextes, ces motifs cèdent enfin à la justice, à la raison et à l’humanité. Il faut au moins qu’ils soient rapprochés de nos moyens ; il est juste , il est nécessaire qu’ils soient jugés. Tel est, Nosseigneurs, l’objet actuel de notre demande. Nous vous supplions de la prendre en considération. Nous demandons que l’Assemblée nationale veuille bien prononcer sur notre sort ; qu’elle déclare « si, conformément à l’édit de 1685, à la déclaration des droits, à la presque totalité des articles de la Constitution, les citoyens de couleur sont et doivent être considérés comme citoyens actifs ; s’ils doivent être admis aux assemblées primaires et participer à tous les avantages politiques et sociaux quand d’ailleurs ils réunissent toutes les qualités prescrites par la Constitution. » Lorsque cette question sera jugée, l’Assemblée prononcera sur l’admission de nos députés. Elle décidera si la classe des citoyens la plus nombreuse et la plus utile des colonies peut être privée du droit de représentation. Signé de Joly; Raimond, aîné; Ogé, jeune ; Fleury; Honoré de Saint-Albert; Uu Souchet de Saint-Réal, commissaires et députés des citoyens de couleur , des îles et colonies françaises. Plusieurs citoyens du district de Saint-Nicofas-des-Champs sont venus déposer sur l’autel de la patrie un don formant en totalité la somme d’environ 1,200 livres, en boucles d’argent, billets et argent monnayé. Le district de Saint-Joseph est venu aussi déposer sur l’autel de la patrie, un don patriotique en boucles d’argent, formant en tout environ 23 à 21 marcs d’argent, un contrat de la somme de 1,000 livres, et quelque argent monnayé. L’Assemblée a reçu ensuite l’hommage touchant de plusieurs dons patriotiques. Après, M. le Président a fait lire la réponse d’une société anglaise, appelée « Société de la Révolution » ; cette lettre est un remerciement d’une réponse de M. l’archevêque d’Aix, alors président de l’Assemblée, à une première lettre de lord Stanhope, président de cette société, et l’Assemblée en a ordonné l’impression. Chevening House , proche de Sevenoaks en Kent, ce 28 décembre 1789. « Monseigneur, « J’ai reçu avec beaucoup de satisfaction la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, de même que l’extrait du procès-verbal de l’Assemblée nationale, du 25 du mois de novembre, et je ne manquerai pas de les communiquer au plus tôt à la Société de la Révolution. Gela fera sans doute grand plaisir aux membres de cette société, d’apprendre que leur résolution ait été reçue si favorablement par cette illustre Assemblée. J’ai été enchanté, Monseigneur, des sentiments de paix et de bienveillance universelle qui régnent dans votre sage et excellente lettre. Qu’il serait heureux pour le genre humain que tous les hommes eussent des principes pareils! Je vous prie de croire qu’il n’y a personne qui ait éprouvé un plus vif et sincère plaisir que moi dans le succès éclatant qui a accompagné les efforts glorieux des amis de la liberté en France. Cette liberté fera votre bonheur, et vous vous en êtes montrés dignes. « J’ai l’honneur d’être, avec le plus profond respect, « Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur. « Signé : STANHOPE. » « Les membres de la Société de la Révolution d’Angleterre prient M. l’archevêque d’Aix dere-cevoir leurs plus sensibles remerciements de la lettre qu’il a adressée à lord Stanhope, leur président, et par laquelle il leur a fait part de l’arrêté de l’Assemblée nationale de France. « Ils n’ont jamais éprouvé de plus vive satisfaction que celle que leur a donnée sa lettre, et la mention pleine de bonté dont l’Assemblée nationale a pris plaisir à honorer leur adresse de félicitations. Ils ont ressenti particulièrement la justice que cette auguste Assemblée leur a rendue, quand elle a reconnu dans leur adresse l’influence de ces principes de bienveillance universelle qui doivent dans tous les pays du monde réunir les amis du bonheur public et de la liberté. « Leurs cœurs sont pénétrés de ces principes, et ils ne désirent rien avec plus d’ardeur que de voir arriver le moment où ces principes, dominant dans le cœur de tous les hommes, doivent éteindre l’envie et les haines nationales, exterminer de la surface de la terre l’oppression et la servitude, et faire disparaître les guerres, ces terribles erreurs des gouvernements. « Ils envisagent avec transport Japerspeclive de ces temps fortunés, qui s’ouvre à leurs regards, et dont les décrets de l’Assemblée nationale semblent donner un gage au genre humain. « La Société de la Révolution croit devoir ajouter dans cette circonstance que, parmi les plus importants bienfaits de la révolution de France, elle compte la leçon salutaire que la tendance de ces grands mouvements doit donner à tous les rois. « Les Français sont heureux d’avoir un roi si justement appelé le premier des citoyens, qui sait céder à leurs désirs, qui les encourage à reprendre leurs droits, et que leurs suffrages ont couronné par le titre de restaurateur de la liberté française ; ce titre L’élève au plus haut degré de gloire. I" Série, T. XI. 26 402 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PA « Puissent les despotes du monde reconnaître leur erreur insensée ! Puisse son exemple leur apprendre qu’ils ne pourront jamais être plus grands, plus heureux et plus puissants que lorsque, abjurant le pouvoir despotique, ils se placeront eux -mêmes, ainsi que les rois de France et d’Angleterre, à la tête de la constitution d’un gouvernement libre et d’un peuple éclairé !» Signé : Stanhope. Benjamin Cooper, secrétaire. M. Salomon, député d'Orléans , demande la parole pour désavouer authentiquement un pamphlet imprimé sous son nom, et rempli de traits aussi indécents contre les décrets de l’Assemblée qu’injurieux pour plusieurs de ses membres ; et FAssemblée témoigne par ses applaudissements que M. Salomon n’a pas besoin de justification. M. le Président demande à l’Assemblée qu’une famille malheureuse, la famille Verdure, nouvellement sortie des cachots où une fausse accusation de parricide l’a détenue pendant lus de 10 ans, soit admise à la barre de l’Assem-lée. L’Assemblée, applaudissant à cette demande, la famille est introduite. MM. Faucher, défenseurs de la famille Verdure, introduits avec elle ; l’un deux a dit : « Nosseigneurs, nous menons devant vous une famille qui, depuis dix ans, injustement accusée de parricide, vient enfin d’être rendue à la société par un jugement conforme à vos décrets. « 11 honorera notre vie le jour où nous venons offrir à la bienfaisance des lois nouvelles ces malheureuses victimes des anciennes lois. « En rendant cet hommage à l’Assemblée nationale, nous en devons un à cette classe de nos concitoyens particulièrement dévouée au service de l’Etat, et à laquelle nous avons l’honneur d’appartenir. « Elle nous a appris que nous devons autant à l’infortune particulière qu’à la défense de la patrie. » M. le Président. Votre longue infortune touche vivement l’Assemblée. Ses pénibles travaux ont pour but d’écarter les erreurs qui ont fait tant de victimes. Oubliez, s’il est possible, les peines cruelles que vous avez éprouvées, et goûtez du moins cette consolation, que l’époque où l’on a reconnu votre innocence est celle d’un nouvel ordre de choses, qui préviendra d’aussi funestes méprises. L’Assemblée vous permet d’assister à sa séance. M. Barrère de Heuzac. Messieurs, vous voyez paraître devant vous une famille pauvre et malheureuse, victime de l’ancienne tyrannie de nos lois, détenue injustement, depuis dix ans, dans un affreux cachot et que la calomnie la plus atroce a maoqué de conduire sur l’échafaud. Mais, grâce à l’exécution de vos sages décrets, au constant et généreux enthousiasme d’un avocat de Rouen, M. Vieillard de Bois-Martin, zélé protecteur de l’innocence, ces cinq infortunés ont échappé à l’opprobre et à la mort. Quoi qu’il en soit, Messieurs, il est pourtant un autre malheur qu’ils n’ont pu éviter, c’est celui de l’indigence et de l’indigence la plus certaine. M. Vieillard de Bois-Martin, non content de partager leurs peines et leur malheur, a cru aussi, bien convaincu de leur innocence, devoir leur offrir tous les secours que sa fortune lui permettait de faire ; que dis-ÆMENT AIRES. [30 janvier 1790.] je ? II a tout sacrifié et sa famille, et son repos, et sa fortune pour voler au secours de ces innocentes victimes et les arracher à la cruauté des lois. Je ne demande pas si, d’un côté, ces sacrifices, aussi rares qu’ils sont louables, et de l’autre l’innocence opprimée pendant dix ans , c’est-à-dire dix siècles d’humiliation et de dangers, mais enfin reconnue, mais triomphante, je ne demande pas, dis-je si tous ces puissants motifs touchent les cœurs des pères de la patrie et les ouvrent à la pitié. Ils en ont donné la plus forte preuve en faveur du vieillard du Mont-Jura dont les seuls titres étaient le besoin et le hasard d’une longue vie. Je demande que par un effet de bienfaisance, l’innocence, opprimée pour la sûreté sociale, trouve dans la sagesse de vos décrets la consolation et l’adoucissement à ses maux ; que l’Etat l’indemnise et la dédommage autant qu’il sera possible des vexations injustes qu’elle a souffertes. Par là, vous consolerez l’innocent accusé, vous releverez son courage, et au fond de son cachot, le coupable même ne sentira que plus fortement l’horreur de son crime, et ne pourra s’empêcher de bénir la sagesse de vos lois ; mais en protégeant l’innocence, vous ne feriez qu’une partie du bien que vous vous proposez de faire, si vous ne tourniez vos regards vers celui qui en est le défenseur. Peu d’hommes, dans ce pénible ministère, ont montré cette constance de courage et de générosité qui a porté M. Vieillard de Bois-Martin à consacrer dix années à la défense d’une famille obscure. A Rome, on avait établi une méthode honorable pour récompenser un citoyen qui en avait sauvé un autre, et la couronne civique était un des monuments les plus flatteurs dont un citoyen pût décorer sa maison ; et une feuille de chêne fit faire des prodiges en faveur de l’humanité. Il ne fallait pour l’obtenir qu’avoir sauvé la vie à un citoyen, et M. Vieillard de Bois-Martin l’a sauvée à une famille entière. Ainsi, Messieurs, je propose d’ouvrir une souscription volontaire en faveur de cette famille malheureuse, et de décerner une couronne civique à M. Vieillard de Bois-Martin, son défenseur. La commune de Paris vient de renouveler une scène aussi honorable, en couronnant ces jours derniers, un jeune Anglais qui, dansuue émeute, a sauvé la vie à M. Planter de Vernon : l’Assemblée nationale ne rendrait-elle pas à un Français le môme hommage puisque, l’un n’a sauvé qu’un citoyen et que l’autre a sauvé une famille entière? La motion de M. Barrère de Vieuzac n'est pas appuyée et n’a pas de suite. M. le Président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion sur l'affaire du prévôt de Marseille. M. l’abbé Maury prend la parole pour se disculper, dit-il, sur certains faits, à l’égard desquels on l’a accusé dans cette affaire. M. RegnaultdJEpercy.JedemandeàM. l’abbé Maury s’il résulte des pièces que les accusés aient récidivé postérieurement aux lettres d’amnistie. M. l’abbé Maury. Je crois ce fait étranger à l’affaire; on n’a fait que présenter la cause des accusés, et cette question ne nous regarde pas ; le prévôt de Provence peut avoir commis une erreur, mais les juges n’en sont pas exempts, et ce n’est pas là un crime de lèse-nation. M. le comte de Mirabeau. Comment peut-il