[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.] 374 ment à la patrie, et notre attachement pour des chefs et des officiers qui le méritent par les principes de justice et d’humanité qui les caractérisent. Nous vous prions de faire parvenir aux représentants de la nation l'expression de nos sentiments, ainsi que ceux de notre chef et de nos officiers. » Cette lettre prouve assez, Messieurs, que si quelques régiments se sont égarés, ceux qui sont commandés par des chefs aussi distingués et aussi méritants que M. de Chantrenne sont toujours restés fidèles et soumis. Cette lettre était adressée à M. Dubois de Crancé; mais comme il est cousin-germain de M. de Chantrenne, il a voulu me laisser le plaisir de la lire moi-même. Je demande que M. le président soit autorisé à écrire àM. de Chantrenne pour lui témoigner la satisfaction de l’Assemblée sur le patriotisme de son corps, et sur le sien en particulier. La proposition de M. de Noailles est adoptée en ces termes : « L’Assemblée nationale a décrété et décrète que M. le Président sera chargé d’écrire au bataillon de Roussillon, pour lui témoigner son extrême satisfaction pour son patriotisme, pour son intelligence avec la municipalié et la garde nationale, et pour son respect envers ses chefs. » Une députation des vainqueurs de la Bastille est admise à la barre et supplie l’Assemblée de vouloir bien prendre en considération les services qu’ils ont rendus à la patrie. Plusieurs membres réclament la parole. Elle est donnée à M. Camus, organe du comité des pensions. M. Camus, rapporteur du comité des pensions. Vous avez chargé votre comité des pensions de vous présenter les moyens d’acquitter ce que vous devez aux vainqueurs de la Bastille. Si quelquefois nous avons paru porter un œil sévère sur toutes les anciennes attributions de grâces, c’est que nous savions bien que la plupart n’étaient pas méritées; mais, lorsqu’une action noble et généreuse s’est passée sous nos yeux, nous montrerons aussi que nous savons la récom-enser. Les Etats généraux étaient convoqués. e rassemblement des députés de toute la France avait déjà effrayé les tyrans; il ne restait qu’un moyen pour détruire le grand œuvre qui allait s’opérer, c’était la force des armes. Rappelez-vous avec quelle terreur nous apprîmes que les promenades de la capitale avaient été souillées de sang ! De braves citoyens se réunissent à la maison commune , l’amour de la patrie les rend tous soldats ; ils arrêtent d’aller demander qu’on .remette sous la garde des citoyens de Paris l’odieuse citadelle qui menaçait leur liberté et insultait à leur patriotisme. Leur proposition est dédaignée ; ils prennent les armes, et dans le même instant la citadelle est en leur pouvoir. Cette nouvelle excite la plus vive admiration : cependant ces braves citoyens sont restés jusqu’à ce moment sans récompense. C’est la nation qui en réclame une pour eux aujourd’hui : leurs pertes et leurs blessures ne sont rien, pourvu qu’ils puissent jouir de l’honneur d’avoir sauvé leur patrie. Le comité s’est fait rendre un compte exact pour s’assurer du nom des vrais vainqueurs de la Bastille. Ils ont demandé qu’il fut nommé des commissaires pour désigner ceux à qui appartient l’honneur de la victoire. Divers projets ont été présentés à votre comité, mais iis ne lui ont pas paru pouvoir se concilier. Il est bien persuadé que, de quelque manière que vous les récompensiez, ces braves citoyens seront toujours contents. Voici donc le projet de décret que votre comité de pensions a l’honneur de vous présenter : « L’Assemblée nationale, frappée d’une juste admiration pour l’héroïque intrépidité des vainqueurs de Ja Bastille, et voulant leur donner, au nom de la nation, un témoignage public de la reconnaissance qui est due à ceux qui ont exposé et sacrifié leur vie pour secouer le joug de l’esclavage et rendre leur patrie libre; « Décrète qu’il sera fourni, aux dépens du Trésor public, à chacun des vainqueurs de la Bastille en état de porter les armes, un habit et un armement complets, suivant l’uniforme de la nation ; que sur le canon du fusil, ainsi que sur la lame du sabre il sera gravé l’écusson de la nation, avec la mention que ces armes ont été données par la nation à tel, vainqueur de la Bastille, et que sur l’habit, il sera appliqué, soit sur le bras gauche, soit à côté du revers gauche, une cou-ronue murale; qu’il sera expédié à chacun desdits vainqueurs de la Bastille un brevet honorable, pour exprimer leur service et la reconnaissance de la nation, et que, dans tous les actes qu’ils passeront il leur sera permis de prendre le titre de vainqueurs de la Bastille; « Les vainqueurs de la Bastille en état de porter les armes feront tous partie des gardes nationales du royaume; ils serviront dans la garde nationale de Paris ; le rang qu’ils doivent y tenir sera réglé lors de l’organisation des gardes nationales. « Un brevet honorable sera également expédié aux vainqueurs de la Bastille qui ne sont pas en état de porter les armes, aux veuves et aux enfants de ceux qui sont décédés, comme monument public de la reconnaissance et de l’honneur dû à tous ceux qui ont fait triompher la liberté sur le despotisme. « Lors de la fête solennelle de la confédération du 14 juillet prochain, il sera désigné pour les vainqueurs de la Bastille une place honorable où la France puisse jouir du spectacle de la réunion des premiers conquérants de la liberté. « L’Assemblée nationale se réserve de prendre en considération l’état de ceux des vainqueurs de la Bastille auxquels la nation doit des gratifications pécuniaires, et elle les leur distribuera aussitôt qu’elle aura fixé les règles d’après lesquelles ces gratifications doivent être accordées à ceux qui ont fait de généreux sacrifices pour la défense des droits et de la liberté de leurs concitoyens. « Le tableau remis par les vainqueurs de la Bastille, contenant leur nom et celui des commissaires choisis parmi les représentants de la commune qui ont présidé à leurs opérations et qui sont compris dans le présent décret avec les vainqueurs, sera déposé aux Archives de la nation , pour y conserver à perpétuité la mémoire de leur nom, et pour servir de base à la distribution des récompenses honorables et des gratifications qui leur sont assurées par le présent décret. » (Ce décret est adopté par acclamation.) Les députés de la garde nationale de Chartres sont admis à la barre et présentent l’adresse suivante : « Messieurs, « Des hommes libres, des citoyens soldat» vien- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {19 juin 1790.] 372 [Assemblée nationale.] nent, au nom d’une fédération nombreuse, qui s’est réunie, le 9 de ce mois, sous les murs de Chartres, capitale du département d’Eure-et-Loir, vous offrir l’hommage solennel de leur respect, de leur admiration, de leur reconnaissance et de leur entier dévouement. «Vous êtes les créateurs de la liberté française, c’est à nous d’en être les défenseurs. Nous l’avons juré sur l’autel sacré de la patrie; nous verserons jusqu’à la dernière goutte de notre sang pour le maintien des lois que nous a données votre sagesse. S'il est encore des téméraires dont la voix impie ose attaquer vos décrets; si des brigands ou leurs alliés naturels, les fauteurs des désordres et des abus, veulent nous replon-er dans la servitude et l’anarchie, ils trouveront ans les milices confédérées des âmes fières, des bras vigoureux, des soldats intrépides et tout ce qu’on peut attendre d’une coalition fondée sur le besoin d’être libre et cimentée par les liens de la fraternité. « La nature avait créé tous les hommes égaux; il était réservé à la Constitution française de les rendre tous frères. Egalité, liberté , fraternité, voilà, Messieurs, l’abrégé de vos travaux et de vos bienfaits. « Nous en sentons le prix. Avec quel enthousiasme nous avons exprimé, en présence de nos concitoyens et de nos frères, les transports de notre zèle et de notre gratitude! « Quel spectacle offrait cette armée citoyenne représentant près de trente-neuf mille hommes, dont la devise était et doit être à jamais : La Liberté ou la Mort! « Le lieu inspirait à chacun de nous des réflexions patriotiques et morales, inconnues aux siècles de la superstition et de l’ignorance. « Dans la même plaine où nous avons érigé des autels à la patrie, à la raison et à la liberté, nos pères s’égorgèrent, il y a deux cents ans et plus, pour des opinions religieuses. — Pénétrés de cet esprit de sagesse, de charité et de tolérance qui fait le caractère distinctif de la vraie religion, nous avons juré, à la face du ciel et de la terre, de ne point souffrir que l’homme fût attaqué dans ses droits ou inquiété dans ses opinions. « Les braves et loyaux dragons du colonel-général, dont un de vos honorables membres est le chef, sont accourus s’unir au même serment. Combien nous aurions été satisfaits de voir à leur tête ce citoyen patriote et guerrier, si digne de l’honneur de les commander! « Des volontaires parisiens, brûlant du saint amour de la patrie, ont voulu participer à cette mémorable journée. Partout où retentit le cri de la liberté, la capitale de l’Empire français doit avoir des réprésentants. « A cette expression simple, mais fidèle de nos sentiments et de nos dispositions, permettez, Messieurs , que nous joignions une demande conforme au vœu de toute la France et digne de votre sollicitude. « Nos commettants nous ont spécialement chargés de proposer à votre sagesse de vous occuper prochainement de l’organisation définitive des gardes nationales. La discipline provisoire sous laquelle nous vivons est sujette à trop d’inconvénients pour ne pas désirer qu’une loi uniforme et précise établisse parmi nous un service plus régulier, plus actif et plus utile. — Apprenez à l’Europe, ou, pour mieux dire, à l’Univers entier, que tout Français peut être à la fois citoyen et soldat. « D’après les sages décrets que vous avez déjà rendus sur l’organisation des différents pouvoirs, quels règlements pleins de justesse et de génie n’avons-nous pas lieu d’attendre? « Prenez, Messieurs, cet objet en considération, et souffrez que nous déposions en yos mains l’acte par lequel nous nous sommes engagés de vivre ou de mourir fidèles à la nation, à la loi et au roi. » Une députation de la garde nationale de Tours est ensuite admise à la barre et présente une adresse ainsi conçue : « Nosseigneurs, « Le spectacle imposant que donne à la France le peuple immense qui l'habite, son union, son caractère décidé, son amour pour la liberté, son enthousiasme parfait pour une jouissance si douce et dans les principes de la nature, la prospérité générale, qui sera incessamment le fruit de vos travaux sublimes, de votre sagesse et de vos lumières; nos droits primitifs recouvrés, toute servitude anéantie, la plus parfaite égalité rétablie, le Français redevenu homme, enfin : voilà, Nosseigneurs , les motifs puissants qui décident l’hommage respectueux des représentants de plus de quarante mille citoyens réunis solennellement dans les murs de Tours, pour consacrer à jamais la plénitude de leur reconnaissance et mettre sous la sauvegarde de leurs bras armés l’exécution de vos décrets sanctionnés ou acceptés par le roi. « La constitution du royaume sera constamment défendue; nous en avons fait le serment le plus authentique. En jurant d’être fidèles à la nation, nous nous sommes engagés de surveiller sans cesse ses ennemis déjà terrassés; en jurant d’être fidèles à la loi, nous avons unanimement promis de donner les premiers; par notre soumission, l’exemple sensible que la loi souscrite par un peuple libre, créée par ses augustes représentants, est le premier fondement de la félicité d’un vaste empire régénéré par vous; en jurant, enfin , d’être fidèles au roi , nous avons rempli le plus sacré de nos devoirs; et l’hommage sincère de notre amour, confondu avec le vôtre, est sans doute pour vous, Nosseigneurs, le témoignage le plus flatteur et le plus digne de vous prouver la pureté des sentiments patriotiques que nous avons voués unanimement aux pères de la patrie. « Nous sommes, avec le plus parfait respect, « Nosseigneurs, « Yos très humbles et très obéissants serviteurs, « Les soldats citoyens de l’armée confédérée à Tours. « Signé ; Esnault, président de l’assemblée fédérative ; Le chevalier de Monhoudou, secrétaire; Veau-Delaunay, secrétaire. » M. le Président répond aux deux députations : « Messieurs, c’est à la réunion de tous les hommes qui savent apprécier la liberté que la France devra sa Constitution. « Partout les vrais citoyens, se transformant en soldats, ont trouvé les moyens d’allier la force à la sagesse pour opérer la Révolution;