728 lAuemblfe MtkuMde.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (10 mal 1791.) tontes les conditions sont dépendantes de la volonté respective du bailleur et du preneur. L’ob-iet de ce contrat n’offre qu’un simple loyer pour le prix annuel d'une jouissance qui n’a aucun caractère de perpétuité, qui se renouvelle, s’augmente on diminue à chaque bail, ou même cesse entièremeut lorsqu’il plaît au foncier de congédier son colon. Hais, dit-on, le colon ne peut augmenter l’étendue des édifices et superfices, sans le consentement du foncier. Cette prohibition est contraire à la liberté et au progrès de l’agriculture. 11 ne faut pas perdre de vue la nature du contrat dont il s’agit. Le foncier qui loue son fonds, qui aliène ses édifices pour un temps est sans contredit le maître d’imposer au domanier toutes les Conditions et les réserves qui lut conviennent ; tout comme le colon est libre d’accepter ou de refuser ces conditions. Dès que la vente des édifices est résolue et u’ils doivent revenir au propriétaire foncier, lors u congément, pourquoi serait-il permis au colon de grever ce congément en le surchargeant de nouveaux édifices, contre le gré du foncier? on ne pourrait étendre la liberté du colon sans entraîner celle du propriétaire. Ce serait intervertir l’ordre naturel des choses en donnant à l’acquéreur et au preneur le droit de faire la loi au vendeur et au bailleur. Cette contrainte, réprouvée par la raison et par la justice, n’aurait même pas pour prétexte l’amélioration de l’agriculture. C’est une vérité de fait que, dans l’étendue des usements à domaines congéables, les terres sont les mieux cultivées en Bretagne. Cette bonne culture est donc nécessairement le résultat des lois particulières qui régissent ces territoires. On risquerait trop à perdre en changeant ces lois. La prudence commande de s’en tenir au bien, quand il y a du danger ou de l’incertitude à courir après le mieux : surtout quand, dans l’espoir de saisir ce mieux, on est forcé de faire violence à la liberté civile, qui garantit le libre usage des propriétés. « 11 ne faut pas, dit Montesquieu , décider par les lois de la liberté, ce qui ne doit être décidé ue par les lois qui concernent la propriété. 'est un paralogisme de dire que le bien particulier doit céder au bien public. Cela n’a pas lieu daas le cas où il est question de la propriété des biens; parce que le bien public est toujours que chacun conserve invariablement la propriété que lui donnent les lois civiles, qui sont le Palladium de la propriété. (Liv. 26, chap. 15.) » Quand le foncier défend au colon d'augmenter l’étendue des bâtiments sans son consentement; quaod il lui défend de faire de nouvelles clôtures, etc., il n’agit pas contre la liberté civile; il use au contraire du droit commun qui veut que celui qui bâtit sur le fonds d’autrui perde ses mises et dépenses. Pourquoi donc interdirait-on aux propriétaires fonciers l’usage d’une faculté dont jouissent tous les autres bailleurs de fonds à louage? On ne peut croire que l’Assemblée nationale adopte des nouveautés q ui grèveraient trop souvent un propriétaire peu aisé, et ne lui permettraient plus d’exercer le congément. Si cependant le bien public pouvait exiger une nouvelle loi qui mit des bornes aux clauses prohibitives des baillées à domaine congéable, ces bornes devraient être posées avec bien de la modération. Quand on se croit forcé de disposer du bien d�autrui, ce doit être avec la plus grande parcimonie : par exemple, ne permettre les nouvelles plantations que sur les haies et non en pleine terre ; accorder la faculté de clore les terrains vagues; ne permettre la construction de nouveaux bâtiments que dans le cas seulement d’une insuffisance absolue de ceux existants, mais sans pouvoir couvrir en ardoise ce qui n’était couvert qu’en chaume. Il est des caotons où cette couverture est très chère. Plusieurs convenants ne contiennent que 4 ou 5 arpeots de terre : ils exigent, cependant, un logement pour le colon et la famille, et un autre pour ses 2o u 3 vaches. Ces petits édifices soat ordinairement couverts de chaume, et bâtis en murs de terre dans les lieux où la pierre est rare. Si le colon avait la faculté de reconstruire en murs de pierres et de couvrir en ardoises, il triplerait la valeur du prisage de ses édifices, et forcerait, par ce moyen, le propriétaire de lui abandonner le fonds de son domaine. Ce seul exemple suffit pour indiquer les inconvénients qui résulteraient d’un décret qui, pour favoriser les colons, nuirait trop aux propriétaires fonciers. Les uns, comme les autres, ont un droit égal au maintien des lois qui assurent la liberté des conventions. Délibéré à Rennes, le 12 janvier 1791. Signé : Legrand, Boylesve, Frot, Morice du Lérain, Le Livec, Chaillou, Potier, Legars, R.-G. Le Merer. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 10 MAI 1791, AU SOIR. Opinion et projet de décret de M. Lelay-Grantugen, député du district de Morlaix , département du Finistère , sur les domaines congéables. Messieurs, je n’ai pas beaucoup de choses à vous dire sur le projet qui vous a été présenté par vos comités des droits féodaux, de Constitution, des domaines, d’agriculture etdecommerce; ce projet n’est autre chose qu’une répétition complète de l’ancien et malheureux régime, devenu insupportable aux yeux des cultivateurs bretons. Il est formé de manière à faire croire aux membres de l'Assemblée nationale, notamment à la majeure partie, qu’ils n’ont point connaissance'de cet indigne régime, cent fois pire que les droits féodaux que les comités, sous l’apparence de vouloir faire quelque bien aux propriétaires doma-niers, proposent de supprimer ceux qui n’existent plus, et que vous avez déjà supprimés depuis quelque temps. Il vous propose également tous les moyens requis et nécessaires pour rétablir de nouveau, sous très peu de temps, ceux que vous avez voulu supprimer pour toujours ; mais ils se sont dispensés de vous donner eonnaissanoe d’une infinité d’abus qui sont beaucoup plus nombreux, et même pire que les droits féodaux. Ils ont donc cru inutile de vous présenter aucun préambule sur cet objet, ni sur aucun abus de ceux qui les ont engagés à former ce projet. Cependant, Messieurs, un million de citoyeus ont le droit d’espérer, de votre justice et de votre équité, la même justice que vous avez rendue au reste du royaume. Je finirai, Messieurs, par demander la question préalable sur le projet du 729 lAwamblAe nationale.) ARCHIYES PARLEMENTAIRES. [10 mai 1191.1 comité, par amoor pour ma patrie et poar empêcher une révolte. J’interpelle M. le rapporteur de donner connaissance & l’Assemblée nationale des pièces que j’ai remises entre ses mains, et qui vous serviront de preuves sur ce que je viens d’avancer. Je demande en même temps que les membres du comité des droits féodaux fassent part à l’Assemblée des adresses, pétitions et réclamations contre ce malheureux régime qui ne peut plus exister en France parmi un peuple libre; il ne peut plus rester d'esclaves sans qu’il en coûte du sang. Il n’y a pas un seul article dans ce projet qui ne mérite la question préalable. C’est pourquoi il vaut mieux la demander pour tous à la fois. Avant qu’il fût question de la Révolution, les députés ae la ci-devant province de Bretagne, notamment ceux des départements du Morbihan, Côtes-du-Nord, Finistère, furent spécialement chargés par les cahiers de leurs commettants de demander la suppression totale de cet ingrat régime. et, depuis deux ans, ils n’ont cessé de crier vers l’Assemblée nationale, pour demander cette suppression, soit en remettant ce soin à leurs représentants, soit par des députés extraordinaires qu’ils ont toujours tenus auprès de l’Assemblée nationale pour solliciter leur juste demande, ou par une foule de pétitions, adresses et réclamations; rien n’est capable de faire entendre leur juste demande à l’Assemblée. L’intérêt particulier a prévalu sur l’intérêt général. Leurs représentants mêmes, après avoir juré de défendre leurs intérêts, ferment aujourd’hui les yeux, et bouchent leurs oreilles pour ne pas entendre leurs cris, et, bien loin de les défendre, ils veulent qu’ils restent toujours leurs esclaves. Je suis bien persuadé, Messieurs, que si vous connaissiez comme moi la triste situation où sont présentement les propriétaires à domaine con-géable, vous ne différeriez pas un seul instant A leur rendre justice et à supprimer sur-le-champ ce régime. Je vous demande, Messieurs, comment sera-t-il possible que l’Assemblée nationale fasse une lui particulière pour trois départements, puisqu’elle a décrété que la loi sera égale et uniforme pour tout le royaume? Comment sera-t-il possible de maintenir son exécution? Non, Messieurs, tant que vos lois seront justes, il sera facile de les faire exécuter ; mais, quandelles seront injustes et attentatoires à la liberté et au bien général de ceux qui y sont soumis, vousne pourrez les faire exécuter que par le fer, le feu et l’effusion du sang. Je prie M. le rapporteur de lire à l’Assemblée les pièces que je lui ai remises pour parvenir à uu résultat des inoonvénients ou abus multipliés et qui augmentent tous les jours, touchant ce malheureux régime. 1! est nécessaire de connaître séparément les droits des propriétaires fonciers, ceux des propriétaires domaniers, et la manière dont chacun en particulier use de ses droits respectifs. Le propriétaire foncier, eu déléguant la propriété des édifices et sunerfiees, etc., etc., au domanier, s’est réservé le fond de la terre et une rente quelconque, appelée rente foncière et con-venancière; il s’est réservé de plus la liberté de congédier le do uanier à l’expirement du bail. Lorsqu’il en trouve quelque autre pour en faire lecongément, il donue la faculté de le faire pour uue somme o’urgeiil souvent très forte. Les droits de propriété des domauiers consistent daos les édiiiees et supertices, c’est-à-dire que toutes les maisous et bâtiments, murs, jardins, f ossés et talus, barrières, terres tant froides que chaudes, prés et prairies, issues et franchises, rivières et ruisseaux, ponts, taius, bois à feu de toute espèce, tant sur les fossés que sur le plat, joues et genêts, engrais, veillons, en un mot toutes les productions de la terre, toutes ces choses leur appartiennent, même les arbres qu’on appelle bois blanc sont également aux domaniers. Il n’v avait autrefois que les bois de chêne réservés pour les fonciers et encore les domaniers ont-ils eu jusqu’à ce jour le droit de les émonder. Peu à peu les fonciers ont usurpé les arbres de bois blanc, dans le temps du despotisme, par des ordres des états de celte province et des parlementaires, presque tous nobles et riches, aux dépens des pauvres cultivateurs domaniers. Mais le temps est venu où ces derniers ont le droit de réclamer votre justice : vous avez jugé convenable de rendre justice aux juifs ; vous les avez fait rentrer dans leurs droits; pourquoi refuseriez-vous de faire la même chose à de braves catholiques français, bons cultivateurs domaniers qui ne demandent leur liberté qu’en la payant cher, ou au moins au prix valant, ce qui n’est que l'enfance ou le fondement de tous les régimes des droits féodaux, ce qui est mille fois plus cruel ; c’est de ce régime que l’esclavage tire sa source, chose quine peutplus existeren France parmi un peuple libre. Si vous ne coupez pas cette première racine ou pivot, vous verrez bieotôt les droits féodaux rétablis en France. Vous avez décrété. Messieurs, que tous les particuliers céderont leurs propriétés quand cela sera nécessaire pour le bien général, en leur donnant pour indemnité uue somme équivalant leur propriété. Je vous demande, Messieurs, s'il est également nécessaire de céder sa propriété pour faire passer une grande route, de faire démolir une maison pour éviter, peut être, 20 pas de plus; jugez si cela est comparable à ce que je vous demande aujourd’hui, pour et au nom d’un million de pères de famille, dont le bonheur ou le malheur, la liberté ou l’esclavage soqI entre vos mains; et si vous décrétez sur le sort des domaines, vous allez perdre ou sauver l’agriculture dans ces 3 départements. Pour vous convaincre de cette vérité, je vais vous exposer des faits incontestables pour que vous puissiez juger avec connaissance de cause. Dans ce régime, il y a deux propriétaires fonciers ayant la même tenue, l’un foncier et l’autre domanier ; dans le projet du comité on prétend les traiter comme fermiers. Vous reconnaîtrez bientôt, Messieurs, l’erreur du comib‘, et la perte injuste et incalculable que souffriront les domaniers si vous décrétez ce projet. Les droits et propriétés des fonciers consistent dans la réserve du fond de la tenue, et une rente ou redevance foncière et convenancière quelconque par an ; jusque-là nulle difficulté entre les fonciers et domaniers, ils ne refusent point de continuer à payer la rente au propriétaire foncier, pourvu que, satisfaits tous les deux, les domaniers ne soient plus contraints malgré eux d’abandonner ces droits à l’arbitraire des fonciers. Voici le fait. Le propriétaire foncier, en accordant au domanier le droit de propriété des édifices et super-tices, lui a vendu toutes les maisons, bâtiments, granges, crèches, etc., il a tout cédé, excepté le fonds et la rente qu’il s’est réservé. De plus, il s’est réservé (c’est ici la grande / 730 (ÂMMiblét saiionale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (10 mai 1791.] question que youb ayez à juger) le droit de congédier le domanier de ses droits à la fin du bail. Sa durée est quelquefois de 9 ans et plus. Le domanier n’a pas le droit de construire de nouveau sur son ronds, d’en changer la forme, même les couvertures de genêt ou paille en couvertures d’ardoise, ni de percer une porte ou croisée sur ses édifices, pour sa salubrité et sa santé. Il ne peut pas ouvrir une carrière, même tirer des pierres des anciennes carrières pour réparer ses maisons, murs et talus, s’il n’a par écrit une permission de son foncier. Je vous demande si cela est juste, et si cela est d’accord avec la liberté. Le propriétaire s’est de plus réservé, suivant l’ancien usage, les arbres et bois de chêne que le domanier aurait planté et laissé croître sur ses terres, à condition que les émondures lui appartiennent, malgré l’immensité d’arbres qui existent encore. Vous devez voir, Messieurs, que le propriétaire foncier est devenu maître absolu de son domanier, par les conditions que ce dernier avait consenties par son premier contrat, et dans un temps d'ignorance et d’esclavage, les descendants ont été obligée de suivre la même trace que leurs pères, et sous un pouvoir arbitraire de force et d’autorité, l’esclavage et les abus ont augmenté et augmentent encore tous les jours pire que jamais. J’ai vu moi-même qu’on ne pouvait congédier le domanier qu’à la Saint-Michel, au mois de septembre, à présent on les exclut à toute saison de l’année. Il y a plus de mille congéments dans ces 3 départements, ce qui cause la ruine des domaniers. Jadis le propriétaire n’avait de droit sur la propriété du domanier que les arbres de chêne, mais aujourd'hui et depuis longtemps les fonciers se sont emparés de tous les arbres, plans de toute espèce, excepté les fruitiers. Les états de la ci-devant province de Bretagne et les membres du parlement, tous gentilshommes propriétaires riches, ont privé les cultivateurs de tous les avantages et donné tous les arbres aux propriétaires fonciers. C’est pour cela que le domanier ne laisse plus sur ses terres aucun plan ni arbre, parce que les ayant plantés, conservés et nourris, ils deviennent l’objet de sa ruine. S’il a le malheur de couper un arbre pour réparer sa maison, pour faire une civière, il le payera quadruple au foncier et trois fois plus pour les frais. Revenons maintenant aux inconvénients majeurs qui résultent du droit qu’a le propriétaire du fonds de congédier le domanier; quoiqu’il ne le fasse pas souvent lui-même, il charge un autre de ce soin. Vous allez voir tout à l’heure si les congéments ne détruisent pas l’agriculture et ne causent pas la ruine des domaniers. II faut qu’il se rende auprès de son foncier au moins 2 ou 3 ans avant l’expiration de son bail, pour lui demander de le renouveler ou le droit de continuer la jouissance de sa propriété. Pour que le foncier consente à lui donner une nouvelle assurance, il faut lui payer une somme immense et qui surpasse de beaucoup tout le bénéfice qu’il a pu faire pendant la durée de son bail. Lorsque le domanier paye au foncier une somme de 300 livres de rente pa’r an, il faut outre cela 12 ou 1,500 livres pour commission ou pot-de-vin, pour obtenir la permission de jouir de son propre bien pendant 9 années. Il est forcé de payer tout ce que lui demande son foncier; s’il s’y refuse, il le congédie lui-même on le fait faire par un autre. Si le domanier est bon cultivateur, s’il a mis sa terre en bon état, également ses maisons, fossés et bois; s’il a engraissé et sablé ses terres; s’il a fait de grosses avances d’argent pour mettre son bien en bon état; il a marché rapidement à sa ruine, et pour éviter d’être congédié, il faut qu’il paye pour commission une somme plus forte que tout ce dont il a pu profiter. Toutes ces dépendes tournent au profit du foncier, parce que ceux qui voudront faire un congément ne demanderont pas une tenue où les terres soient en mauvais état et les bâtiments en ruine, parce que les experts priseurs de mon pays ont malheureusement contracté la mauvaise habitude en n’apprenant pas à faire la différence des bonnes ou mauvaises terres bien ou mal cultivées ; ils sont tous gens de justice, sachant mieux manier la plume que d’estimer les terres. Les bons cultivateurs en sont toujours la dupe, et tout le profit retourne aux fonciers, aux juges et aux experts. Lorsqu’un bon domanier est congédié et remboursé de ses droits, il perd au moins le quart de son bien, et cause la ruine d’un grand nombre de ses voisins à plus de 3 lieues d’arrondissement. Quand la propriété d’un domanier vaut 15,000 fr. à dire de juré expert, il faut qu’il paye environ 1,200 livres de commission pour avoir une autre tenue, afin de placer son argent. Les experts jurés prendront à peu près la même somme pour leur commission d’arpentage et d’estimation, de plus les frais des juges qui ne sont pas honteux; ajoutons les frais et pertes qu’endure le domanier lorsqu’il déloge ses meubles, le transport de sa récolte, grain, paille, foin, fumiers, bois à feu, et tous ses ustensiles d’agriculture, il lui en coûtera pour le moins 3 ou 4,000 livres en pure perte. Ses voisins, crainte d’être remboursés par lui ou par celui qui va congédier, crient à haute voix : le chien enragé est à courir. Ils vont en foule se jeter aux pieds de leur foncier pour demander une nouvelle assurance, coûte que coûte. J’ai été moi-même témoin de domaniers se jeter à genoux devant les fonciers, jeter leur bourse et tout leur argent sur la table, en leur disant : Prenez ce que vous voudrez, pourvu que vous nous donniez votre assurance. Vous pouvez bien croire que les ci-devant nobles de mon pays ne sont pas timides. Il résulte ae là qu’un domanier est obligé de rembourser les autres. Il ne faut qu’un seul remboursement dans un canton pour occasionner mille congéments. Aucun ne veut rester sans terre, puisqu'il n’a d’autre métier que l’agriculture. Il est contraint de vendre à vil prix tous ses bestiaux, meubles, ustensiles d’agriculture, à aller en journée, après avoir mangé son bien. Il résulte, Messieurs, que l’un pousse sur l’autre; la haine et la malice se mêlent parmi les voisins, par le moyen de ce malheureux congément ; ils demeurent ennemis mortels pour la vie ; les familles même ne s’arrangent jamais. J’ai vu mille malheurs en résulter, incendies, meurtres et duels, voilà, Messieurs, le vrai tableau des effets funestes que produit dans mon pays le régime du domaine congéable. Je laisse maintenant à votre sagesse à juger le domanier qui a subi jusqu’ici le joug de l’aristocratie et du despotisme. C’est à vous de juger s’il est juste et même possible, dans un temps 781 [Assemblé* nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (10 mai 17911 où Ton ne parle que de liberté, d’encourager le commerce et les manufactures, de faire rentrer les juifs et tout autre citoyen dans leurs droits et leurs devoirs. Parlons donc, maintenant, puisque le temps qu'on attendait ayec tant d’impatiente est arrivé iJepuisIe 4 août 1789, de rendre justice aux domaniers. Je vous supplie, Messieurs, avant de finir, de peser dans votre sagesse avec la plus grande considération, que cette affaire est très importante, puisqu’il est vrai que le bonheur ou le malheur des campagnes et de l’agriculture de ces 3 départements dépend du décret que vous allez rendre. Pour n e résumer, je ne dois pas vous dissimuler que si vous adoptiez le projet qui vous a été soumis par nos comités, je vous préviens (car je connais les opinions des domaniers de ces 3 départements), que j’en ai donné connaissance à M. le rapporteur et aux membres du comité des droits féodaux, que si vous décrétez ce projet, il ne pourra avoir son exécution que par une force armée, ce qui coûtera beaucoup de sang. Mais, Messieurs, je crois vous offrir plusieurs moyens de rendre justice au propriétaire foncier et au domanier, sans faire aucun tort ni & l’un ni à l’autre, ni faire de mécontents, à moins que ce ne soit ceux qui regrettent l’ancien régime. Le premier consiste à donner une liberté au domanier de racheter la rente foncière et le privilège exclusif que les fonciers ont réservé d’exercer ou de faire exercer sur les domaniers un taux déjà décrété par l’Assemblée nationale; tous les domaniers en général ont fait cette pétition. Le second est d’assurer aux fonciers leurs propriétés ainsi qu’aux domaniers. Je veux avoir l’honneur de vous lire un projet que j’ai fait à ce sujet, et que j’ai eu l’honneur de distribuer aux membres de cette Assemblée. Ce projet pourrait encore être reçu par les domaniers, parce qu’ils connaissent il y a longtemps la lecture de ce projet. Je vous avoue que si vous faites encore une loi particulière et que si vous l’adoptez à l’avenir pour tout le royaume, vous verrez que le droit qu’ont acquis les domaniers de s’affranchir envers les fonciers est bien plus juste et plus conforme à la Constitution. Projet de décret. Observations relative s aux articles du projet. « Art. i*r. Les baillées à domaine congéable seront à l'avenir pour 18 ans, à compter du jour du présent décret. « Art. 2. Les assurances pour continuer la jouissance des droits de la propriété du domaine seront aussi do 18 ans. r Art. 3. Les commissions ou pots-de-vin sont et demeurent arrêtés à une année de revenu, duo anx propriétaires fonciers, par chaque baillée ou assurance. « Art. 4. Les propriétaires fonciers no pourront augmenter la rente foncière ni les proprietaires du domaine no pourront prétendre aucuno diminution sur la rento foncière. Art. 5. Les propriétaires fonciers no pourront refuser uno nouvelle assurance aux domaniers si ces derniers font l’offre de payer une année de rente pour pots-de vin ou commission, s’ils ont acquitté tant la rente foncière que les redevances, et les impôts dus à cause de leur propriété. « Art. 6. A défaut de payement arriéré de plus d’une année, les propriétaires fonciers pourront congédier ou faire congédier leurs domaniers, 4 l'échéance de leurs baillées, et so faire payer de toutes les redevances arriérées lors du remboursement des droits des domaniers. * Art. 7. Lorsque les domaniers ne seront pas en état de payer une année de rente pour pots-de-vin, où s’ils ne veulent plus rester dans le domaine qu’ils occupent, ils seront obligés d’avertir les proprietaires 2 ans avant l’expiration do leurs baux ou assurances et de déclarer, d’une manière authentique, qu’ils ne veulent plus rester domaniers de leurs tcnurcs ; dans ce dernier cas, les proprietaires fonciers seront obligés do les rembourser ac leurs droits, ou de prendre les leurs ; le tout à dire d’experts, qui seront choisis, au nombro de 3, soit pour les estimations des droits fonciers, soit pour les estimations des droits domaniers. « Art. 8. Les experts serout choisis par chacune des De longues baillées ou assurances de jouissance sont nécessaires aux domaniers pour qu’ils puissent avoir l’espoir de finir des défrichements, de les voir produiro et ne contenter leur espérance, de voir leurs plantations bien disposées par leurs soins, et d’entrevoir quelques avantages pour leurs enfants. L’abonnement de la rente est aussi nécessaire, pour que les proprietaires puissent espérer le profit qui leur est dû pour les sommes qu’ils auront avancées, et pour leurs peines et soins. On ne peut sans contrevenir à la justice et à la liberté dues à chaque citoyen donner un pouvoir plus absolu à l'un de ces deux propriétaires qu’à l’autre ; ainsi, à la lin de chaque baillée, ou assurance ils doivent jouir de la même faculté. La permission ou faculté donnée aux fonciers pour congédier les domaniers, avant que ces derniers aient usé la moitié de leurs baux ou assurances, doit être annulée, parce que cet abus cause la plus grande injustice. Il est du devoir des législateurs de supprimer tous