76 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 novembre 1789.] royal, et de ressortir au tribunal souverain dont elle propose l’établissement pour Clermont. Adresses des villes et communes d’Altillac, Beaulieu, Camps, Gros, Gerzat,Gignat, la Bessette, Ides, Lanobre, Laume-Grand, Luziilat, Madic, Maillat, Marchai, Maurs, Pléaux, Pradelles, Roches-Charles, Saint-Cirq, Saint-Martin-des-Plaines, Sailhan, Salsigne, Sauvat, Singles, Trémouiile-Marchal, Trizac, Vebret, Viale ; elles demandent toutes l’établissement d’un tribunal souverain à Clermont-Ferrand. Les communes d’Altillac, Beaulieu, Camps, Cros, la Besette, Ides, Lanobre, Madic, Marchai, Salsigne, Singles, Trémouille-Marchal et Vebret, demandent un tribunal royal à Bort ; Pradelles en demande un pour Mauriac, et Luziilat en demande un pour Maringues. Adresse des religieux dominicains de la maison du noviciat général à Paris, qui réclament avec instance leur conservation et que leur monastère ait toujours la liberté de remplir sa première et plus essentielle destination, qui consiste à recueillir des diverses provinces les religieux qui voudraient remplir leurs devoirs avec plus d’exactitude, et à repousser constamment ceux qui seraient ennemis de la subordination et de la régularité. Délibération des habitants de la communauté de Sutrieu en Valromey, province de Bugey, portant offre à l’Assemblée nationale des bois du quart des réserves de leur montagne, en valeur de 8,000 livres, pour être versées dans la caisse patriotique, et tenir lieu du quart de leur revenu, sous la réserve d’une somme de 1,000 livres qu’ils doivent à la chartreuse d’Arrière. Ils demandent que l’Assemblée les autorise à faire donner l’adjudication de la coupe desdits bois, en observant les formalités ordinaires. Enfin, lettre du sieur Eustache, maître en chirurgie à Béziers, en date du 6 du mois dernier, qui, dans l’impossibilité de payer autrement sa contribution patriotique, fait offre de trois médailles d’or, de la valeur de 500 livres, qui lui ont été adjugées à titre de prix. Sur la lecture de cette lettre, M. le président a été chargé d’écrire audit sieur Eustache, pour lui annoncer que ses médailles ont été reçues. M. Eustache fils, encore fort jeune, avait apporté lesdites médailles, et présenté la lettre de son père à M. le président; à la barre, il a dit : Nosseigneurs , l’auteur de mes jours n’ayant d’autre revenu que sa profession, à peine suffisante pour sa famille, se serait cru privé de la satisfaction de pouvoir concourir à la contribution patriotique, ordonnée par votre sagesse pour le salut de l’Etat, si ses faibles talents ne lui eussent obtenu divers prix, consistant en trois médailles d’or, de la valeur de 500 livres. Il a dû être infiniment touché de ces récompenses flatteuses; mais, si j’en juge par le sentiment que j’éprouve, le sacrifice qu’il en fait à la chose publique est bien plus cher à son cœur. M. le Président lui a répondu! que l’Assemblée voyait avec satisfaction la marque de patriotisme que son père l’avait chargé de présenter à l’Assemblée, et qu’il l’exhortait à bien aimer la patrie; il l’a autorisé à assister à la séance. M. le Président a ensuite annoncé qu’il s’était retiré devers le Roi pour lui présenter deux décrets: l’un concernant la déclaration à faire par les bénéficiers et supérieurs d’établissements ecclésiastiques, l’autre concernant les grains achetés par la ville de Nantes dans celle d’Auray; et que Sa Majesté lui avait répondu sur le premier, qu’il le prendrait incessamment en considération, et sur le second, qu’il renouvellerait ses ordres dans la province de Bretagne pour l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale. M. Trellhard, a exposé qu’ayant été nommé membre du comité des rapports, il lui était impossible d’en remplir les fonctions, parce qu’il était membre du comité ecclésiastique. Sur sa démission, et d’après le vœu de l’Assemblée, M. le président a invité le bureau n° 1, à s’assembler de nouveau pour élire un autre membre du comité des rapports à la place de M. Treilhard. M. Trellhard a dénoncé qu’il avait appris que les Etats du Cambrésis avaient protesté contre les décrets de l’Assemblée nationale, et a demandé que les députés de cette province eussent à s’expliquer à ce sujet. Un de Mil. les secrétaires a donné lecture de cet arrêté dont voici les principaux objets : « Les Etats du Cambrésis, sensiblement affectés des justes alarmes qu’inspirent quelques arrêtés de l’Assemblée nationale, croiraient trahir le vœu de leur province et les générations futures, s’ils consentaient à la destruction des franchises du Cambrésis et à l’anéantissement des droits des propriétaires. Il n’est pas au pouvoir des représentants de la nation, ni delà nation elle-même, de disposer des biens des citoyens. « Les capitulations du Cambrésis consacrent le maintien de ses coutumes et de ses franchises ; elles sont le gage de sa soumission et la règle de ce qui lui est dû; si le contrat est violé, il est relevé de ses engagements. Certains arrêtés de l’Assemblée nationale préparent la ruine du royaume et l’anéantissement de la religion. Si elle a pu mettre certains biens à la disposition delà nation, tous les propriétaires ne peuvent-ils pas s’attendre au même sort ? « D’après ces considérations, les Etats du Cambrésis déclarent qu’au moyen de la renonciation que la noblesse et le clergé ont faite à toutes exemptions et à tous privilèges, et qu’ils réitèrent, les intérêts sont devenus communs, et tous les citoyens sont frères ; déclarent en conséquence, au nom de tous, qu’ils n’ont donné et ne peuvent donner aucune renonciation à leurs capitulations, et désavouent celle qui pourrait avoir été faite en leur nom. « Déclarent, dès à présent, les pouvoirs des députés du Cambrésis à l’Assemblée nationale nuis et révoqués. « Délibèrent en outre de demander au Roi que la province puisse s’assembler pour donner suite à la présente délibération. « Ce 9 novembre 1789. » M. Trellhard. On ne peut sévir avec trop de sévérité et de promptitude contre des actes aussi condamnables. Je demande que la délibération sur cet arrêté soit ajournée à la séance de ce soir. Cet ajournement est ordonné, et l’on passe à l’ordre du jour sur les bases de la représentation nationale. L’article du comité mis à la discussion est ainsi conçu : 77 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 novembre 1789.] « Le nombre des députés à l'Assemblée nationale, par chaque département, sera déterminé selon la proportion de la population, du territoire et de la contribution directe. » M. Potion de Villeneuve. La combinaison des trois bases est une idée ingénieuse, beaucoup plus subtile que solide. Les deux bases factices qu’on veut réunir à la population donneront lieu à une inégalité certaine dans la représentation. La représentation est un droit individuel ; voilà le principe incontestable qui doit déterminer à admettre uniquement la base de la population, On vous a dit que cette base variera, tandis que celle du territoire est invariable; mais vos divisions territoriales seront nécessairement inégales en étendue ; la différence de leur valeur respective sera encore une autre source d’inégalité. Ainsi, cette base immuable sera immuablement inexacte et injuste. La base de la contribution n’est pas plus convenable. En donnant une représentation à la fortune, vous blessez tous les principes, et dans votre supposition même vous êtes encore injustes, puisque vous n’accordez pas de représentation aux impositions indirectes. N’espérez pas, en combinant ces éléments vicieux, parvenir à un sage résultat. Vous n’avez pas même l’avantage de simplifier l’opération. En effet, pour donner à la population le tiers que vous lui réservez dans la représentation, il en faudra connaître la totalité. Si vous adoptez cette base unique, cette connaissance suffirait seule à l’organisation d’un système aussi juste que simple. La population changera, dit-on ; vous changerez vos propositions avec elle, et tous les dix ans vous pourrez réparer les erreurs que l’expérience vous aura dénoncées. M. le comte de Castellane. En examinant les bases que le préopinant trouve très-ingénieuses, on s’aperçoit aussi qu’elles ont de très-grands avantages. Ceux qui contribuent plus que les autres ont plus d’affaires à traiter que les autres ; il est donc nécessaire de leur accorder plus de représentations : cet avantage, dont tous les contribuables voudront jouir, engagera les villes, les provinces et lesindividusàpayer exactement leurs impositions; ainsi la base de la contribution est non-seulement juste, mais elle est encore politiquement utile à l’Etat. La base du territoire se présente aussi sous les mêmes rapports. Les pays les moins peuplés étant plus malheureux, en augmentant leurs avantages politiques on les rendra plus heureux, on augmentera leur population ; ayant des besoins plus étendus, ils ont des demandes plus nombreuses à faire ; le nombre des organes de leurs réclamations doit donc être plus grand... J’adopte les trois bases. M. le comte de Alontlosier. Je me détermine difficilement à combattre une opinion, fruit d’une longue méditation, et je ne le fais que pour l’intérêt de ceux que je représente et de ceux qui seront dans la suite représentés. La base du territoire n’est pas juste. La sixième partie de l’Auvergne ne produit rien ; lui donnerez-vous une représentation égale à celle des autres parties de cette province qui sont très-productives ? La base de la contribution est contraire aux principes du droit naturél, et les circonstances présentes la rendent d’une exécution dangereuse. A l’instant où l’on élira les députés pour la législature qui doit suivre cette Assemblée, la masse des impositions ne sera pas encore déterminée conformément au régime que vous devez établir. Croirez-vous avoir ordonné une représentation libre, lorsque vous l’aurez fondée sur les bases d’une contribution créée par le despotisme ? Je ne puis donc admettre les bases du territoire et de la contribution. M. Bengy de Puyvallée (1). Messieurs, vous avez décrété que la France serait partagée entre soixante-quinze et quatre-vingt cinq départements, que chaque département serait divisé en districts triennaires, que chaque district serait sous-divisé en cantons à peu près de deux lieues carrées. Ces décisions, auxquelles vous avez été conduits par degrés, semblent présager et pour ainsi dire nécessiter l’acceptation du plan de votre comité de constitution. Je regrette seulement qu’une conception aussi ingénieuse, et qui m’a paru aussi séduisante dans la théorie , présente autant de difficultés dans l’application, et qu’elle ne prépare que des inconvénients pour la province pauvre que j’ai l’honneur de représenter. Quoi qu’il en soit , il vous reste aujourd’hui, Messieurs, un grand problème politique à résoudre, qui est de savoir quelles sont les véritables bases de la représentation nationale. On vous a proposé trois combinaisons différentes, pour déterminer le mode et la forme de la représentation : La représentation sera-t-elle en raison composée du territoire, de la population et de la contribution? La représentation sera-t-elle en raison composée de la population et de l’importance que donnent au territoire la culture, le commerce et les arts ? Enfin , la représentation sera-t-elle en raison directe de la population? Avant de fixer votre attention sur ces trois combinaisons différentes, je vous prie, Messieurs, de me permettre d’examiner d’abord ce que c’est que la représentation, ensuite quels sont les principes et les règles qui doivent servir de base à une véritable représentation nationale. Lorsque j’aurai déterminé quels sont les caractères distinctifs d’une représentation politique , j’en ferai l’application aux différents modes de représentation qu’on vous a proposés. Et d’abord qu’est-ce que la représentation? C’est un droit inhérent à chaque citoyen de l’empire de concourir par son suffrage à la formation de la loi à laquelle il doit obéir; je ne crois pas qu’on puisse me contester la vérité et l’exactitude de cette définition. L’homme, né libre, doit exercer la plénitude des droits qu’il a reçus de la nature. Le plus beau, le plus incontestable de ses privilèges, c’est que personne ne puisse contracter un engagement pour lui , sans y avoir été autorisé par lui. La liberté de l’homme est donc la base , comme elle est le garant delà représentation personnelle. (1) Le discours de M. Bengy de Puyvallée n’a pas été inséré au Moniteur. 78 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 novembre i789.] Les lois delà société doivent étendre les droits de la nature, et ne jamais les contredire ; car elles n’en sont que la perfection. Maintenant, quels sont les principes et les règles d’une véritable représentation? Pour établir ces principes, il faut considérer quels sont les éléments, quel est l’objet, et quelle doit être la forme de la représentation. Quels sont les éléments de la représentation? Ce sont les individus qui tiennent de la nature et de la loi le droit inaliénable de concourir au choix de leurs représentants. Quel est l’objet de la représentation? C’est que les délégués, les représentants du peuple aient une égale intluence sur les opérations du corps législatif. Enfin, quelle doit être la forme delà représentation? C’est qu’elle établisse la plus exacte proportion pour l’exercice du droit, et le plus parfait équilibre pour le maintien des intérêts de ceux qui sont représentés. Pour ne point abuser de vos moments, je développerai la vérité de ces principes, en en faisant l’application aux différents modes de représentation qui ont été mis sous vos yeux. Votre comité de constitution vous a proposé d’établir la représentation en raison composée de la population, du territoire et de la contribution. En applaudissant aux talents et au zèle infatigable des membres de votre comité, je regrette infiniment d’être forcé de combattre ces principes ; mais comment est-il possible, Messieurs, qu’un droit de représentation immuable par sa nature, égal par son essence, puisse jamais reposer sur des bases inégales et incertaines? Or, la base territoriale et celle de la contribution directe sont également frappées de ce vice radical. Pour comparer en politique deux superficies égales, il faut qu’elles soient toutes les deux susceptibles du même produit territorial ; il faut que toutes les deux, soumises aux travaux du cultivateur , puissent pourvoir à sa subsistance , et accroître la somme de ses jouissances et de son bonheur : autrement deux superficies , quoique égales, ne peuvent, ni aux yeux de la raison, ni aux yeux de la politique, servir d’objet de comparaison. En effet, quel rapport peuvent avoir, avec le droit de représenter ses semblables, des montagnes arides et des déserts inhabités ? Comment rapprocher des idées aussi disparates, pour en faire la base d’une égalité de représentation? On a choisi précisément, comme le dit M. de Mirabeau, la mesure la plus propre à former une inégalité monstreuse; mais il serait superflu de s’étendre plus au long sur l’inexactitude de la base territoriale. Votre comité en convient lui-même ; voici comment il s’explique dans son rapport : L’égalité du territoire, dit-il, par son étendue superficielle , n’est qu’apparente et fausse , si elle n'est modifiée par la balance des impositions directes qui rétablit l’ équilibre des valeurs. Je pourrais d’abord demander comment , en matière de représentation, qui est un droit immuable, votre comité a pu choisir une base qui, de son propre aveu, n’est qu’apparente et fausse ; mais je crois en outre pouvoir démontrer que cette base apparente et fausse ne peut pas être modifiée par la balance des impositions directes. Tout le monde sait que l’imposition directe est celle qui frappe directement sur le produit territorial. J’ose supplier l’Assemblée de vouloir bien donner quelque attention à un raisonnement qui détruit tout l’édifice de la combinaison du comité de constitution. Pour que la base des impositions directes pût rectifier l’inexactitude de la base territoriale, il faudrait que l’imposition directe fût exactement et également proportionnée au produit territorial ; car la balance des impositions ne peut rétablir l’équilibre des valeurs territoriales, qu’autant que dans toute l’étendue du royaume, les impositions directes frapperont également et proportionnellement sur toutes les parties du territoire ; mais si, au contraire, toutes les propriétés ne sont pas assujetties à une imposition directe proportionnelle, il s’ensuit nécessairement que la base de la contribution directe est elle-même fautive , inégale et incomplète. Un fait certain, une vérité constante, connue de tous les membres de cette Assemblée, c’est que le mode et l’assiette des impositions varient suivant les différentes provinces . Dans un pays, la totalité de l’imposition est directe, parce qu’elle frappe uniquement sur la propriété territoriale ; dans un autre pays, l’imposition n’est qu’indirecte, parce qu’elle n’est établie que sur les consommations; enfin, dans un autre canton, l’imposition est moitié directe et moitié indirecte, parce qu’elle porte moitié sur le territoire, moitié sur les consommations. En Provence, par exemple, chaque municipalité choisit et établit la forme d’imposition qui lui convient pour acquitter le montant de son affoua-goment ou de sa contribution. En Auvergne, toutes les impositions sont directes et portent sur le produit territorial. En Berry, elles sont moitié directes et indirectes, parce qu’elles portent moitié sur le territoire et moitié sur les consommations. Nulle part, enfin, il n’y a ni égalité ni proportion dans l’assiette de l’imposition directe ; mais, si l’imposition directe n’est pas également et exactement proportionnée au territoire, il s’en suit deux vérités incontestables: la première, que l’imposition directe, prise par votre comité pour une base immuable de représentation, est au contraire une base fautive, inégale et incomplète, puisqu’elle n’a aucune stabilité, et qu’elle varie suivant les différents pays ; la seconde, c’est que cette base fautive, inexacte et incomplète, ne peut pas rectifier et modifier la base territoriale, qui n’est elle-même qu’apparente et fausse, de l’aveu de votre comité ; j’ose dire et articuler qu’il n’y a point de réponse à cette objection, parce qu’on ne peut pas détruire un fait par un raisonnement. Qu’on ne dise pas que l’Assemblée nationale va établir un mode d’impositions qui assujettira toutes les propriétés foncières à un impôt direct et proportionnel. D’abord l’Assemblée nationale n’a rien statué sur cet objet : elle n’a ni examiné ni déterminé si l’imposition directe serait réelle, personnelle ou mixte, et, d’après ce que nous disait hier un membre du comité, il faut prendre les choses dans l’état où elles sont aujourd’hui. Ensuite, lorsqu’il en sera question, on pourra aisément faire voir qu’il serait impolitique d’ôter à chaque province la liberté de s’imposer de la manière qui conviendra le mieux aux localités, et qui sera la moins onéreuse pour les peuples. En supposant même que, par des raisons de convenance, l’Assemblée nationale se déterminât à établir un jour un régime uniforme d’impositions directes, les législatures suivantes pourront, par des considérations fondées sur l’expérience et les localités, altérer, modifier ou changer le mode [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 novembre 1789.] "ja de perception. D’après cela, comment est-il possible de fonder sur des combinaisons aussi variables et incertaines que l’assiette de l’impôt, la base du droit sacré et inaltérable de la représentation ? comment la combinaison inégale de la contribution directe peut-elle modifier la combinaison fausse du territoire? c’est-à-dire que par cette opération on rectifie une erreur par une autre erreur, ou plutôt c’est sur deux erreurs qu’on veut établir les bases de la représentation nationale. Mais, dira-t-on, puisque la base de l’imposition directe est vicieuse, on peut cumuler les impositions directes et indirectes, pour faire de la masse totale une des bases de la représentation; de manière que chaque département fournira un tiers de ses députés à l’Assemblée nationale, en raison de la masse totale de ses impositions. J’observerai d’abord que l’équilibre des valeurs foncières ne peut être rétabli que par la balance de l’imposition foncière. Votre comité l’a très-bien senti, et l’a dit expressément. Vous ne pouvez rectifier l’inexactitude de la base territoriale que par la contribution directe proportionnée au produit territorial. Ainsi, si l’on admet pour base de la représentation la masse totale des impositions directes et indirectes, il faut renoncer à la base territoriale, qui n’est qu’apparente et fausse, de l’aveu de votre comité, si elle n’est modifiée par la balance des impositions directes. Mais je vais encore vous démontrer que la masse totale des impositions directes et indirectes de chaque département serait une base de repré-tation infidèle, inexacte et injuste. Au lieu de chercher à vous égarer par des subtilités et des raisonnements analytiques, je me bornerai à des faits, et je prendrai" pour exemple la ville de Paris. La masse de la contribution totale de la ville de Paris n’est pas payée à beaucoup près par les citoyens actifs qui l’habitent : la majeure partie de l’imposition est payée par ceux qui sont appelés à Paris pour leurs affaires ou pour leurs plaisirs; c’est un centre de réunion pour les régnicoles et pour les étrangers, où chacun en arrivant est obligé de payer, pour ainsi dire, l’air qu’il respire. Plus les étrangers augmentent le débit des consommations, plus ils accroissent le montant des impositions : ce n’est pas de son sein, ni de sa valeur territoriale, que Paris retire tout ce qui fait l’objet de sa contribution. Serait-il raisonnable et conforme aux règles de la justice distributive, que chaque habitant de province forcé de se rendre à la capitale pour ses affaires, et d’y apporter des tributs involontaires, contribuât encore par la dépense qu’il y fait à augmenter le droit de représentation de la ville de Paris ? Si l’on prenait la masse de l’imposition directe et indirecte pour base de la représentation, ne serait-ce pas donner au département de Paris un avantage immense sur tous les départements du royaume? Et dans quel moment, Messieurs, songerons-nous donc à rétablir ce parfait équilibre que les provinces réclament, si ce n’est lorsqu’il s’agit de fixer le degré d’influence que chaque portion de l’empire doit avoir sur le corps législatif? Ce que je viens de dire de la ville de Paris, je pourrais le dire également de toutes les grandes villes du royaume ; et l’application que j’en fais suffit pour prouver que la masse totale des impositions directes et indirectes serait une base de représentation aussi inégale et injuste que la contribution directe est infidèle et inexacte. D’où il suit évidemment que ni l’égalité du territoire, ni la contribution directe, ni la masse totale de l’imposition directe et indirecte ne peuvent être les éléments ni l’objet de la représentation nationale. On vous a encore proposé de prendre pour base de représentation l’importance que donnent au territoire la culture, le commerce et les arts. J’observe d’abord que les variations presque continuelles qui peuvent et doivent arriver dans l’importance relative de tous les départements, formeraient une règle bien incertaine de représentation : d’ailleurs si, comme le dit lui-même M. de Mirabeau, la population est le signe le plus évident ou des subsistances qui représentent le sol , ou des richesses mobilières et de l'industrie qui le remplace, il est bien plus simple de confondre la réalité avec l’image, et de n’admettre d’autre base que la population, qui, de l’aveu de M de Mirabeau, représente l’importance du territoire. D’ailleurs, il n’est pas exact de direque l’importance du territoire peut être un des éléments de la représentation; plus un pays est fertile, plus il a de richesses, et plus, comme je l’ai déjà observé, il est redevable à la puissance publique, qui défend et garantit ses jouissances : c’est au contraire, à l’indigence et à la faiblesse que doit s’attacher particulièrement la protection de la loi, pour faire jouir tous les individus de la plénitude du droit de représentation. Enfin, Messieurs, on vous a proposé de prendre pour base de la représentation, la population. C’est, j’ose le dire, en prenant la population pour règle et pour base, que chaque individu pourra exercer le droit qu’il tient de la nature et de la loi, de concourir par son suffrage médiat ou immédiat, à la formation des lois auxquelles il doit obéir; que tous les représentants de la nation pourront avoir une égale influence sur les opération du corps législatif. Enfin, c’est par la base de la population que s’établira la plus exacte proportion pour l’exercice du droit et pour le maintien des intérêts de tous ceux qui doivent être représentés. Je le répète encore, Messieurs, lorsqu’il s’agit de défendre la patrie, tout homme est soldat et doit payer de sa personne : de même, lorsqu’il s’agit de représenter la nation, tout homme est citoyen, et a le droitde faire compter son suffrage. C’est donc par le nombre des citoyens qu’il faut calculer la représentation nationale; la population est donc la véritable base de la représentation. On objecte que, si la représentation avait pour base la population, cette base serait très-vacillante et fort incertaine ; qu’elle serait sujette à des variations continuelles ; qu’elle aurait de la peine à se plier aux divisions du royaume, que des considérations politiques rendent indispensables ; qu’il faudrait varier à l’infini l’étendue et les limites du département. Je ne crois pas avoir affaibli l’objection. J’observerai d’abord, qu’en raison et en politique, il faut que les divisions territoriales se prêtent aux lois immuables de la représentation, et non pas que la représentation se plie aux règles arbitraires de la division territoriale ; parce que la représentation est un droit naturel et immuable, et que la division n’est qu’une opération politique. C’est d’après cela que j’ai dit, et que je pense que votre comité de constitution aurait dû vous proposer d’établir les bases de la représentation, avant de vous faire prononcer sur les divisions 80 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 novembre 1789.] territoriales. Je ne crains point encore de vous dire que les divisions de districts et de cantons qu’on vous propose auront infiniment de peine à se plier aux trois bases de représentation, surtout si vous voulez rapprocher la représentation des représentés, et faire nommer les représentants par les districts ; ce qui serait l’avantage du peuple, le vœu de la justice, et celui de plusieurs membres de cette Assemblée. J’observerai encore que le plus grand de tous les inconvénients en politique, c’est de diviser un royaume sans avoir égard à la population, parcequ’on s’expose à établir des corps administrants qui n’auront rien à administrer, à créer des tribunaux qui n’auront personne à juger , et u’enfm on peut, par une égalité chimérique de ivisions territoriales, achever d’écraser un pays pauvre, par l’entretien des routes et par les frais d’une administration compliquée. Mais, pour répondre directement à l’objection par laquelle on dit que, la population variant à l’infini, cette base serait très-vacillante et très-incertaine, cette objection est plus séduisante que véritablement fondée. On ne fait pas attention que, si le Corps législatif est composé de 700 députés, il aura un député, à peu près, sur 36,000 individus ; de manière qu’un département ne pourrait réclamer un député de plus qu’au-tant que sa population serait augmentée de 36,000 individus. De même on ne pourrait retrancher un député à un département qu’autant que sa population diminuerait de 36,000 individus. Quelque avantage que l’agriculture, le commerce et les arts puissent retirer de la constitution que nous allons donner à la France, on aura le temps d’arriver à une nouvelle convention nationale, avant que l’accroissement ou la diminution sensible d’une population proportionnée sur un grand espace exige une nouvelle combinaison pour la représentation. Mais il y a, Messieurs, un moyen bien plus simple pour rendre la représentation exactement, je dirais presque mathématiquement proportionnelle et absolument invariable, en prenant la population pour base unique : c’est de faire la même opération que votre comité de constitution vous a proposée ; c’est-à-dire, au lieu de diviser la population du royaume en 240 parties, pour former le tiers de la représentation du royaume, il faut diviser la population en 700 parties, pour former la totalité de la représentation ; de manière qu’un département aura autant de députés à l’Assemblée nationale qu’il aura de 700 parties de la totatité de la population du royaume. Alors les éléments de votre représentation seront simples, uniformes, proportionnels ; alors vous aurez pour éléments des hommes et non pas des terres, dont la valeur n’est qu’apparente ou fausse ; vous aurez pour éléments des citoyens et non pas des contributions, dont le mode, la quotité et l’assiette doivent nécessairement varier suivant les localités. Alors vous remplirez vis-à-vis de vos concitoyens un devoir de justice rigoureuse, en conservant à chacun d’eux la plénitude du droit de représentation, que vous ne pouvez ni ne devez altérer, parce que chaque individu le tient de la nature, et parce que la loi ne peut y porter atteinte par des combinai-inexactes et incertaines. Qu’on ne dise pas, comme on l’a fait entendre dans cette tribune, que nous n’avons encore pu nous affranchir des erreurs populaires et des préjugés gothiques. Ce sont les défenseurs du plan du comité de constitution qui, sans s’en apercevoir, sont eux-mêmes les partisans zélés des opinions les plus antiques. Ce plan qu’on vous a tant vanté a pris naissance parmi les Egyptiens, chez lesquels Platon a longtemps médité les sciences abstraites et analytiques ; il a reposé plus de deux mille ans dans les ouvrages de ce philosophe; il en a été tiré pour être mis sous les yeux des Etats-Unis de l’Amérique, qui l’ont rejeté. Enfin, M. l’abbé Sieyès l’a rajeuni pour le faire adopter par votre comité de constitution. Nous devons dire que ce tableau politique, retouché par des mains habiles, est devenu une copie qui surpasse beaucoup l’original ; mais il faut aussi convenir que, loin qu’on puisse nous reprocher d’être les serviles esclaves des vieux préjugés, nous avons le courage et peut-être la témérité de nous déclarer les détracteurs des monuments de l’antiquité la plus reculée. Ne craignez donc point, Messieurs, d’imiter les exemples que vous ont donnés les nations étrangères les plus jalouses de la liberté. Elles ont constamment regardé la population comme la seule base juste et proportionnelle de la représentation ; bn leur a présenté, comme à vous, des systèmes combinés de représentation, mais toutes les nations ont senti que le désir du mieux est souvent l’ennemi du bien; qu’on ne peut ni ne doit composer avec un droit naturel et imprescriptible tel que le droit de représentation ; et qu’enfin, puisque les hommes sont l’objet de la représentation, ils doivent en être les seuls éléments. Je me résume, Messieurs, et je dis que, pour consommer la division du royaume en soixante-quinze ou quatre-vingts départements, on doit avoir moins d’égards encore à l’étendue territoriale qu’à la population, afin que toutes les parties de l’empire ressentent uniformément plutôt les douceurs que le poids accablant d’un nouveau régime. Je dis enfin que, pour fixer la loi de la représentation nationale, vous devez prendre pour base unique la population, parce que c’est le vœu de l’humanité et celui de la justice. Voici le projet que j’aurais à soumettre aux délibérations de l’Assemblée nationale : projet d’arrêté. Art. 1er. La population sera la base unique et immuable de la représentation nationale. Art. 2. L’Assemblée nationale sera composée de 700 membres. Art. 3. La totalité de la population du royaume sera divisée en sept cents parties. Art. 4. Chaque département enverra à l’Assemblée nationale autant de députés qu’il aura de sept cents parties de la population totale du royaume, ce qui sera à peu près un député par trente-six mille individus. Art. 5. Il y aura dans chaque département autant de districts que le département aura de députations. Art. 6. Chaque district nommera son député à l’Assemblée nationale. Art. 7. La population de chaque district sera à peu près de 36,000 individus , et de 6,000 citoyens actifs. S’il arrivait quelques variations dans la population de chaque district, l’assemblée provinciale rétablirait l’équilibre et le niveau pour l’élection seulement des députés à l’Assemblée nationale. Art. 8. La population de chaque district étant à peu près de 6,000 citoyens actifs, l’assemblée [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 novembre 1789.] fil d'élection de chaque district sera composée de 120 électeurs à peu près. Art. 9. Chaque assemblée primaire enverra à ■rassemblée d’élection de son district un député sur 50 citoyens actifs, ce qui formera le nombre de 120 électeurs. On demande à aller aux voix. L’article du comité de constitution est adopté sans aucun changement. M. Target, au nom du comité de constitution, donne lecture d’un second article ainsi conçu : « Les électeurs choisis par les assemblées primaires se réuniront au chef-lieu de leur département pour y nommer les députés à l’Assemblée nationale. » M. Daubert, député d’Agen. J’observe que dans ma sénéchaussée la plus grande partie des laboureurs ne s’est pas rendue à l’assemblée d’élection et que l’autre l’a abandonnée dès le lendemain, sans autre raison que celle de l’ennui et de la dépense. L’élection a été faite uniquement par des officiers de justice, des avocats, des procureurs, des notaires, des négociants et quelques bourgeois des villes; d’où je conclus que les élections doivent se faire désormais par district et non au clief-lieu du département. M. «te lÈielaâer représente la facilité avec laquelle la corruption pourrait agir dans le chef-lieu du département, qui sera nécessairement une ville considérable. Il demande que la nomination des députés se fasse dans les districts. Cet inconvénient, dit-il, me paraît mériter la plus sérieuse réflexion : la discussion prouvera si je ne me suis pas exagéré ses conséquences. Une partie de l’Assemblée, touchée de cette observation, demande à aller aux voix sans autre discussion. M. le Président se dispose à faire délibérer sur cette demande. M. Ic comte Charles de ILamoth. On ne peut rendre un décret sans discussion; M. de Richier l’a si bien senti, qu’il a demandé que la discussion l’éclairât sur son opinion. L’Assemblée décide qu’on discutera contradictoirement. M. Ic comte Charles de Camcth demande qu’il ne soit pas fait mention de ce décret sur le procès-verbal. M. Target. Vous avez ordonné qu’il y aurait quatre-vingts départements ou environ, que les districts seraient en nombre ternaire, et que la représentation se ferait en raison combinée des trois bases. Tel est l’état des décrets que vous avez rendus. Voyons s’il est possible de faire faire les élections des députés dans chaque district. Si le taux moyen des députés de chaque département est dé neuf personnes, si vous avez neuf districts par département, et un député par district, comment un district qui n’aura qu’un représentant à élire pourra-t-il faire une députation à raison des trois bases? Combinera-t-il les trois bases sur un seul député ? Cela est impossible. Les districts députeront donc alors à raison seulement de la population, et le décret que vous venez de rendre sera détruit. Que pouvez-vous donc faire par égard pour la considé-lre Seiue, T. X. ration très importante que M. de Richier a présentée? Vous pouvez ou réunir trois districts pour la députation, ou ajourner la question au moment où vous aurez décidé quel sera le nombre des districts dans chaque département. M. Dcfermon. L’ajournement me paraît inutile. La division d’un département en six ou neuf districts ne peut vous empêcher de décider à l’instant cette question, et je propose cette motion : « Dans chaque département il sera formé trois assemblées d’élection pour nommer des députés à l’Assemblée nationale, et dans les départements où il aura été établi six ou neuf districts, les électeurs de deux ou trois districts les plus voisins se réuniront alternativement au chef-lieu de chaque district. » M. le chevalier Alexandre de Larnclh, demande que les élections se fassent dans un même lieu, mais que ce lieu change à chaque élection. M. üâai'nave. J’ajoute aux raisons contre .l’élection par districts séparés, qu’élire un seul homme dans une assemblée, c’est élire nécessairement l’homme le plus puissant de cette assem-blée.Ilest à craindre aussi que l’assemblée soit trop nombreuse; on peut éviter cet inconvénient, en réunissant trois districts, suivant la proposition de M. Defermon. M. le due de la Rochefoucauld. Que les élections se fassent par une assemblée pour les neuf districts, ou que trois districts seulement se réunissent pour les faire, afin de prévenir les intrigues, je demande, dans les deqx cas, que l’élection commence six jours au plus tard après la nomination des électeurs; et que, s’il y a trois assemblées dans trois districts différents, l’élection se fasse le môme jour dans toutes ces assemblées. M. de Tracy. Le grand nombre des électeurs est un moyen sûr de déjouer les intrigues ; les influences'étrangères seront moins actives dans le chef-lieu du département que dans celui du district, parce que chaque électeur se trouvera plus éloigné de l’administration qui exerce sur lui une action et une juridiction journalières. Je demande, d’après ces raisons, qull n’y ait qu’une seule assemblée, et qu’elle se tienne dans le chef-lieu du département. M. Démeunler adopte l’article du comité et y propose ces amendements : 1° Que jamais l’élection ne se fasse dans le chef-lieu du département ; 2° Qu’elle soit faite successivement dans les chers-lieux des différents districts. L’Assemblée demande à délibérer. La priorité est accordée à la motion de M. Defermon. On en fait lecture. M. «lelLachcze propose, comme amendement, pour conserver le nombre ternaire qu’on a décrété de suivre : « que la réunion des districts se fasse par nombre ternaire. » M. «le ISeaumelz demande comment il serait possible, en adoptant cette motion, de nommer un évêque ou un officier de justice dans un département, puisqu’un seul individu ne pourra O