448 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j Xjl généraux qui commandent différentes divisions se concertent et se rapprochent, qu’on renonce aux petits intérêts locaux, qu’on voie la patrie, et non tel département, et bientôt ce noyau de guerre disparaîtra. « Jusqu’ici, j’ai écrit à tous les départements environnants, j’ai ouvert une égale correspon¬ dance avec tous les généraux; je leur ai fait part de mes vues et des motifs qui les détermi¬ naient. J’ai travaillé à l’organisation d’une armée qui n’existait point. Je n’avais point d’état-major, point de commissaire ni de payeurs généraux. Les munitions, les subsis¬ tances, les armes, tout me manquait, et avec l’aide de mou collègue qui m’a parfaitement secondé, je parviens peu à peu à créer des forces et des moyens d’attaque et de résistance. « Je franchis les obstacles, car tâtonner avec les difficultés, c’est les multiplier sans cesse; au surplus, je fais pour le mieux. « Je sens la nécessité de la formation d’une cavalerie; nous n’en avons point ici. Celle de l’ennemi est nombreuse, et il nous faut un pareil genre de forces pour balancer les siennes et arrêter les ravages de ses incursions. Je viens de prendre un arrêté qui, si on répond à mes vues, me fournira des ressources dont la cause de la liberté ressentira sous peu les avantages. « Ne pouvant savoir au juste où était l’en¬ nemi, quel était le nombre de ses forces, j’ai envoyé deux espions vers Laval; ils se sont acquittés de leur mission avec beaucoup d’in¬ telligence, ils ont approché jusqu’à un quart de lieue de la ville, mais prévenus qu’on n’y en¬ trait et qu’on n’en sortait qu’après avoir été présenté et interrogé par le chef des brigands, ils ont cherché à se faire procurer des rensei¬ gnements dans les villages voisins. « On s’est assez généralement accordé à leur dire que ces fanatiques sont au nombre de 40 à 50,000, qu’une grande partie est mal armée, qu’elle a cassé plusieurs de ses canons et qu’elle est pressée par la disette des subsistances. « D’après ces développements, qui sont con¬ cordants avec d’autres rapports, il faut néces¬ sairement qu’on se lève dans les départements circonvoisins, mais je dois vous dire et avec douleur, que les munitions manquent, même à l’armée de Mayenne et qu’il serait bien mal¬ heureux, qu’instruit de cette disette, l’ennemi en profitât pour nous serrer avec vigueur. « Nous ne sommes pas plus avancés ici. Ce¬ pendant je suis parvenu à faire faire de la mi¬ traille, mais ce n’est pas de la poudre. 11 y a déjà quelque temps que j’ai fait connaître nos besoins au ministre de la guerre, et dans des positions aussi difficiles il est bien intéressant de tenir une correspondance suivie avec le repré¬ sentant du peuple, cela soutient son énergie et multiplie quelquefois ses moyens, lors même qu’on ne peut lui en fournir. « Il paraît que le système est toujours le même à Rennes d’y faire porter des forces con¬ sidérables, et cette persévérance d’idées me ferait croire que je peux me tromper si le général Peyre et l’adjudant Brière, actuellement à Fou¬ gères, ainsi que l’ingénieur d’Obenheim ne m’as¬ suraient pas qu’il serait très dangereux de dé¬ garnir un poste aussi important que celui qu’ils occupent, et l’inspection des lieux de la position de l’ennemi et de nos forces disséminées portent naturellement à se fixer sur les dernières idées. « Sans doute, Rennes est bonne à garder comme place de seconde ligne, mais nous n’ayons pas des forces suffisantes pour en por¬ ter dans tous les points. « J’ai requis à Coutances et Avranches la formation de deux nouveaux bataillons pris dans la réquisition de 18 à 25 ans, et sitôt qu’ils seront armés, mon intention est de les faire remplacer par les bataillons de la Somme et ci-devant Aunis, qui nous seront d’un grand se¬ cours. « J’avais nommé un commissaire pour cor¬ respondre avec moi de Rennes, j’en ai envoyé un autre dans l’Orne et la Sarthe, et en atten¬ dant que je me porte dans le département de la Mayenne, je vais envoyer un citoyen patriote instruit et plein d’activité. « Au surplus, citoyens collègues, comptez sur mon entier dévouement, le peuple ici est par¬ faitement disposé, mais sans subsistances et sans armes. Je ne peux tirer parti d’une infi¬ nité de bras bien décidés à se battre. « Salut et fraternité. « Garnier de Saintes. » Garnier de Saintes, représentant du peuple près V armée des Côtes de Cherbourg, à son collègue Le Carpentier (1). « Avranches, 10e jour du 2e mois de l’an II de la République. « Je reçois dans ce moment, mon ami, huit heures du soir, une lettre du comité de Salut public datée du 4, dont je t’envoie une copie. Tu verras qu’il nous impose l’ obligation de nous transporter l’un de nous dans le département de la Mayenne et au besoin dans la Sarthe et dans l’Orne. « Tu connais quelles sont m’es occupations ici, soit pour l’organisation de nos forces, l’ap¬ provisionnement de nos subsistances et la for¬ mation d’une cavalerie qui nous devient déjà si nécessaire pour faire face à celle des bri¬ gands. « Déjà il m’est arrivé 110 chevaux. Je viens de prendre un arrêté pour avoir des cavaliers exercés et prêts à entrer en campagne. Aban¬ donner cette opération ce serait renoncer à la mesure la plus salutaire pour l’entière destruc¬ tion de ces forcenés. « Je t’adresse copie de cet arrêté dont j’at¬ tends les plus heureux résultats, car le dépar¬ tement me seconde avec beaucoup d’activité. « Je suis appelé à Rennes et je vais faire en sorte de m’y rendre, mais tu sens bien que je n’y resterai pas longtemps, car Fougères, dans ce moment, est un point très important et qui demande plus particulièrement ma présence, j’irai ensuite à Mayenne, mais il faut que tu te rendes sur-le-champ dans l’Orne et la Sarthe pour y concerter des dispositions d’ensemble qui accélèrent le moment où nous porterons un coup vigoureux et terrible qui mettra fin à cette guerre désastreuse. « Déjà j’y ai envoyé Bouley en qualité de commissaire, qui t’aura préparé les voies. « Si cependant cet arrangement ne te conve¬ nait pas, marque-moi par le même courrier le parti que tu veux prendre, et je m’y confor-(1) Archives du ministère de la guerre? [armée des Côtes de Cherbourg, carton 5/17. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 5 Y' “ 449 merai, mais pars sur-le-champ, soit pour prendre ma place, soit pour te rendre dans ces deux départements afin que sitôt j’en instruise le comité de Salut public qui a besoin de con¬ naître nos décisions pour correspondre avec nous. « Je dois te dire que le district de Coutances est le seul qui, sentant toute l’importance des dispositions prises dans ma proclamation du... s’est empressé à concourir à la formation de ma cavalerie. « Le second arrêté que je prends aiguillonnera sans doute l’émulation des autres districts qui, avec des ressources égales, tiennent une con¬ duite si différente. Il me faut pourtant 1,000 chevaux dans huit ou quinze jours, et si les départements auxquels je m’adresse ré¬ pondent à mes vœux, les brigands sont foutus. « Salut et fraternité. « Pour copie conforme : « Tristan, secrétaire. » XXVI. Jean-Baptiste Le Carpentier, représentant du peuple dans le département de la Manche, au comité de Salut public (1). « Valognes, le 10e jour du 2e mois de l’an II de la République. « Citoyens collègues, « Je vous envoie l’état des troupes composant la garnison de la ville et des forts de Cherbourg : outre le dernier détachement de hussards qui est resté au Becquet, village voisin, la moitié de la gendarmerie du département de la Manche s’y est rendue d’après les ordres du général Peyre, tandis que l’autre est à Avranches, et un bataillon de la première réquisition qui vient de Paris, selon ce que m’a appris le comman¬ dant temporaire, va se joindre à la garnison actuelle de Cherbourg. « Je vous envoie 17 arrêtés, faisant suite à mes opérations, depuis le n° 197 jusqu’à celui 214 inclusivement, le n° 198, retranché de ce nombre, est le dernier arrêté que je vous ai transmis isolément; demain je vous en ferai passer plusieurs autres. Je me prépare à aller visiter le fort de la Hougue, sur les côtes, avec l’inspecteur général; il faut que nos petits et nos grands moyens de défense soient employés pour être à l’abri partout. Ce point, d’ailleurs, est important, et n’est pas plus fait que Cher¬ bourg pour laisser approcher l’Anglais. « Le 6 et le 8 un lougre et deux cutters, le Républicain, le Marat et la Montagne sont partis en croisière avec la ferme résolution de ne point rentrer au port sans amener des prises, ou de périr plutôt que de se rendre, s’ils étaient attaqués. « Je vous recommande de nouveau l’envoi des frégates demandées pour Cherbourg. « Je n’ai rien à vous apprendre de l’Ille-et-Vilaine, sinon que mon collègue Garnier doit être actuellement à Fougères pour concerter, (1) Archives nationales, carton AFn,121, pla¬ quette 916, pièce 3. dans une entrevue avec Pocholle et le général Rossignol, la dernière mesure à prendre contre les rebelles. « Tout le monde est ici tranquille à son poste. « Le Carpentier. » XXVII. Garnier de Saintes, représentant du peuple, au comité de Salut public (1). « Avranches, le 11e jour du 2e mois de l’an II de «,1a République. « La municipalité de Condé (2), citoyens col¬ lègues, par une seconde lettre, me marque qu’elle s’empresse de se concerter avec le commandant de la garde nationale pour répondre à mes vues ; ainsi je vais voir quelle ressource je pourrai tirer des volontaires de cet endroit. « Je sens comme vous tout ce qu’a fait de mal à la chose publique la perfide coalition des administrations fédéralistes et modérées; aussi, dans Avranches et Granville ai-je bien des ré¬ formes à faire, mais, le moment ne me paraît pas du tout favorable, la crainte de la peine qui les attend les fait marcher à pas de géant; ils secondent parfaitement mes vues et souvent les préviennent, de manière que si je les remplaçais dans ce moment, non seulement je nuirais à l’exécution de toutes mes mesures, mais même, d’après le rapport que m’ont fait plusieurs bons patriotes, j’aurais de la peine à trouver des hommes assez actifs et assez intelligents pour. remplir les obligations du moment, et vous sentez que les circonstances me commandent assez pour différer de quelques jours des me¬ sures que j’aurais prises sur-le-champ si l’en¬ nemi n’était pas à nos portes, et si le premier devoir n’était pas de le repousser. « Au surplus, soyez tranquilles sur les me¬ sures de fermeté dont je dois faire usage, elles seront ponctuellement employées, mais avant tout il faut parer au danger le plus pres¬ sant. « Je pars demain pour Rennes, je n’y resterai que vingt-quatre heures et aussitôt je me ren¬ drai à Fougères pour voir où le besoin exigera que je me porte. Je vous rendrai parfaitement compte de tout ce qui se passera, mais hâtez-vous de nous faire fournir de la poudre et de la cavalerie, s’il est possible, car la mienne n’est pas encore prête. « J’ai purgé quelques bataillons d’officiers sus¬ pects, inciviques, et même fanatiques; cette suspension, faite à Coutances et ici à la tête des troupes après un discours préparatoire, a produit dans l’armée un excellent effet et tous les volontaires qui marchent dans ce moment sont très dévoués à périr ou à vaincre. « Salut et fraternité. « Garnier de Saintes. » (1) Archives nationales, carton AF11 120, pla¬ quette 906, pièce 42. (2) Il s’agit de Condé-sur-Noireau, département du Calvados. lre SÉRIE. T. EXXVIII. 29