244 [Convention nationale, | ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j 4J SK”»?™ gation dans les ports de mer et en course, la peinture dans les ateliers des grands maîtres, et mieux encore chez le pins grand maître de tous, la nature. Art. 28. � « A des jours marqués, les professeurs de physique expérimentale, de botanique et d’a¬ griculture tiendront, dans chaque district, des cours publics où tous les laboureurs seront invi¬ tés d’assister. Art. 29. « Ces professeurs s’attacheront à déraciner les préjugés de la routine, de l’habitude et de la superstition même, qui nuisent aux progrès de l’agriculture; mais ils approcheront douce¬ ment la vérité de ces esprits, et ils la laisseront plutôt deviner qu’ils ne l’enseigneront. Art. 30. « Il y aura dans chaque département des communes des arts et des sciences. L’objet de ces communes, dont l’organisation, ainsi que celle du lycée républicain, sera indiquée par un décret particulier, sera : 1° de conserver et d’entretenir dans chaque département le dépôt de toutes les connaissances humaines; 2° de cultiver la partie des sciences et des arts qui se trouvera avoir un rapport plus particulier avec les localités du département; 3° d’entre¬ tenir une correspondance active d’observa¬ tions sur les anciennes ou sur les nouvelles découvertes en tout genre, sur l’utilité sociale de ces découvertes, avec le lycée dont il va être parlé. Art. 31. « Il sera établi dans Paris un lycée républi¬ cain, où des prix seront accordés à ceux qui donneront les ouvrages les plus propres à amé¬ liorer l’instruction publique, l’éducation natio¬ nale, à perfectionner les lois, à encourager les hommes à toutes les vertus. Les grandes actions y seront récompensées, et elles passeront avant les beaux discours; le corps législatif fixera le motte de toutes récompenses et ce mode variera selon la nature des actions ou des ouvrages. Art, 32. «L’on conservera avec soin les dépôts précieux qui ont été confiés à toutes les ci-devant acadé¬ mies, et ces dépôts seront remis à la garde des communes des arts aussitôt après leur orga¬ nisation. Art. 33. « Les pensions des savants ou artistes, obtenues de l’ancien gouvernement, seront conservées aux titulaires; et le gouvernement de la Répu¬ blique, plus généreux que l’orgueil des mo¬ narques, pourvoira aux besoins de ceux qui s’étant livrés à l’étude de la morale ou des sciences auront fait plusieurs ouvrages utiles. Art. 34. « Il est permis à tout citoyen d’établir et d’organiser des maison: d’enseignement, d’ou¬ vrir des cours, etc., pourvu qu’il donne des le¬ çons en public. Art. 35. « La Convention nationale déclare que l’agri¬ culture est le premier des arts, et l’amour de la République une et indivisible, la première de toutes les vertus. Opinion de A.-C. Thibaudeau, membre de la Convention nationale, sur l’instruction PUBLIQUE, ÉNONCÉE A LA SÉANCE DU 19 PRI¬ MAIRE. (1) (Imprimé par ordre de la Convention nationale.) L’instruction publique, au point de civilisa¬ tion auquel le peuple français est parvenu et au degré de perfection auquel les arts ont été portés par les découvertes et les efforts de l’industrie, n’est pas un art aussi difficile qu’on semble le croire. Les savants et les instituteurs par métier ne voient de moyens d’instruction pour la jeu¬ nesse que dans les classes, les livres et des établis¬ sements dispendieux ; les véritables philosophes pensent tout autrement. L’instruction doit être d’abord négative; l’éducation n’est que le libre développement de la nature ; il faut donc moins l’encourager, que d’empêeher qu’il ne soit arrêté par les préjugés meurtriers et les vices de nos institutions; l’art en cette matière nuit plus qu’il ne sert, c’est lui qui hébète les enfants et déforme leur corps. Ne perdons jamais de vue que la société a moins besoin de savants, que d’hommes forts, éclairés et vertueux; qu’une bonne éducation consiste moins en préceptes, et en un système de pédagogie plus ou moins ingénieux, que dans le résultat des lois, des mœurs, des usages, dans des institutions qui rappellent sans cesse le culte sacré de la patrie, et la nécessité des vertus morales sans lesquelles il n’y a point de liberté. On a déjà écrit des volumes sur cette matière de la Convention nationale; on a proposé et discuté divers plans, décrété et rapporté des bases, créé des Commissions pour les vérifier; d’où vient cette versatilité? De ce que peu de personnes ont posé les véritables principes, et qu’ils ont été toujours étouffés par les décla¬ mations des savants. Depuis l’Assemblée constituante jusqu’à ce jour, on a cru qu’il fallait que la nation créât dans son sein des établissements scientifiques, des corporations de docteurs; on a cherché à multiplier les places, sans examiner s’il se trou¬ verait assez d’hommes capables de les remplir. Les projets d’éducation et d’instruction publique qu’on a mis à jour, ne sont qu’une copie enlu¬ minée des collèges et des académies rétablis avec plus de luxe et surchargés de règlements. L’es¬ prit réglementaire est devenu une maladie : sous le prétexte de grands systèmes, on veut tout (1) Bibliothèque nationale : 10 pages, in-8°, Le38, n° 598. Bibliothèque de la Chambre des députés s Collection Portiez (de l'Oise ), t. 93, n° 60 et 435, n° 10. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j « 245 mettre en régie, le commerce, l’agriculture, les sciences et les arts. Tel est en définitif le résultat des plans d’éducation présentés, depuis celui de Périgord jusqu’à celui de LePeletier. N’aura-t-on donc jamais confiance en la liberté? N’a-t-elle donc pas déjà fait assez de miracles, pour que l’on abandonne à son génie le soin d’instruire les hommes et de les rendre heu¬ reux? L’enseignement doit être libre, si l’on veut avoir de bons maîtres et former des citoyens dignes de la République. Le gouvernement doit seulement salarier, mais en proportion de leur travail, les hommes qui se livreront au premier degré d’instruction des enfants, et non offrir des places à l’oisiveté et à l’intrigue; il doit calculer l’emploi de ses moyens d’instruction sur les véritables besoins du peuple, et non les prodi¬ guer inutilement avec une profusion ruineuse pour les finances et dangereuse pour la liberté. Il est digne de vous, citoyens, d’adopter une marche plus simple, plus économique et plus morale. Comment n’a t-on pas proposé, par exemple, à la Convention de rappeler aux pères que c’est à eux qu’il appartient surtout de donner la. pre¬ mière instruction à leurs enfants; qu’il n’y a d’exempt de ces douces fonctions, imposées par la nature, que l’homme indigent, qui est forcé de donner tout son temps au travail, au lieu de se perdre dans un cercle d’idées extraordinaires et de systèmes gigantesques? Le plan présenté par le comité, et qui n’est à peu près qu’une copie de celui de Condorcet, me paraît plus propre à propager l’ignorance, l’erreur et les préjugés, qu’à répandre les lu¬ mières et la vérité. C’est un gouvernement pédagogique que l’on veut ainsi fonder dans le gouvernement républicain, une nouvelle es¬ pèce de clergé, qui remplacerait d’une manière plus funeste encore les ministres de la supersti¬ tion : car tous les prêtres, depuis ceux de Mem¬ phis et de Thèbes jusqu’aux disciples de Jésus, ont commencé par être des dépositaires de la philosophie des temps primitifs; et les institu¬ teurs qu’on vous propose seraient souvent, avec leur traitement, les plus riches de la commune et deviendraient bientôt, par leur influence mo¬ rale, ce qu’étaient les curés, des imposteurs et des charlatans. Le comité veut une école première (1), c’est-à-dire, un instituteur et une institutrice, depuis 400 individus jusqu’à 1,500; ce qui en donne au moins 80,000 pour ce premier degré d’ins¬ truction. Il veut leur assurer à tous un traite¬ ment fixe de 1,200 livres à 2,400 livres; ce qui ferait une dépense annuelle de plus de 100 mil¬ lions. Il propose ensuite une Commission d’édu¬ cation pour chaque district, composée de cinq membres; ce qui augmente encore cette armée de pédants de 2,700 individus; ajoutez-y 80,000 magistrats des mœurs et les professeurs d’instituts, des lycées, les frais d’établissement de toutes ces écoles, etc. Je demande à tout homme de bonne foi si, avec des institutions de cette espèce, nous ne nous rendrions pas la fable de toute l’Europe. (1) Le comité avait proposé encore des écoles secondaires dans son premier degré d’instruction, je ne sais s’il a renoncé à cette superfétation de pédan¬ terie. Ce serait, à mon sens, une grande folie de créer plus de 80,000 places d’instituteurs et d’institutrices, et de décréter la levée de 172,750 pédagogues et surveillants pour ap¬ prendre aux enfants, quoi? à lire, à écrire, à compter, les Droits de l’homme, la Constitution et les premières notions de la morale. On peut supposer, par aperçu, que le nombre des enfants en état de fréquenter les écoles primaires, serait de 2 millions : ainsi, chaque instituteur et insti¬ tutrice n’en aurait à peu près que 25 à instruire; et la nation lui donnerait pour ce pénible emploi un traitement de 1,200 à 2,400 livres ! Et un gouvernement libre qui ne doit jamais salarier que les hommes laborieux, vraiment utiles à la patrie, prodiguerait ainsi les trésors du peuple à l’oisiveté ! Le système de créer des places fixes d’institu¬ teurs et d’assurer leur salaire sans proportion avec l’étendue de leur travail, est le moyen le plus sûr de n’en avoir que de mauvais, et par conséquent une mauvaise instruction; car alors les hommes ne verront plus que les places et le traitement qui y sera attaché, ils ne seront plus stimulés par l’émulation qui naît de la concur¬ rence; leurs cœurs se fermeront à l’amour de la gloire, qui doit tout vivifier et tout agrandir dans une République, parce qu’ils n’auront plus ni craintes ni espérance. Vous verrez accourir dans ces places, à l’aide de l’intrigue, une classe d’hommes ignorants, immoraux et malheureuse¬ ment encore puissants; ce sont les procureurs, les huissiers des ci-devant justices seigneuriales, les ministres subalternes de la chicane, les sacris¬ tains et les chantres de paroisses, toute cette ver¬ mine qui infeste les campagnes. Voilà les hommes que l’envie de gagner au moins 1,200 livres sans rien faire, appellera sûrement, dans beaucoup de communes, à l’importante fonction d’ins¬ truire la jeunesse, de préparer la régénération des mœurs et de consolider le majestueux édifice de la République. A Rome et dans la Grèce il n’existait, aux plus beaux jours de la philosophie et des arts, rien de pareil à ces organisations scientifiques; on croyait avec raison avoir assez fait pour les sciences, quand on les avait environnées de liberté, d’encouragements et d’honneurs. L’histoire nous apprend que la plupart des éta¬ blissements publics de ce genre, les collèges, les universités, les académies, étaient l’ouvrage des rois et des prêtres; et l’expérience de tous les siècles prouve que les peuples chez lesquels il en existait le plus grand nombre, étaient toujours les moins instruits. Ce système n’est-il pas effrayant pour la liberté? La Révolution vient de détruire toutes les corporations, et on voudrait en établir une monstrueuse ! une de 172,750 individus qui, em¬ brassant, par une hiérarchie habilement com¬ binée, tous les âges, tous les sexes, toutes les parties de la République, deviendraient infail¬ liblement les régulateurs plénipotentiaires des mœurs, des goûts, des usages, et parviendraient facilement par leur influence à se rendre les arbitres de la liberté et des destinées de la na¬ tion : car remarquez comment tout cet échafau¬ dage se lie avec une grande magistrature des mœurs que vous aviez décrétée sans discussion. Je dirai à ce sujet que je ne peux me faire à l’idée d’une puissance quelconque, autre que le corps législatif, dépositaire de la surveillance et de la direction des mœurs publiques. Ce dépôt 246 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. | sacré ne doit être confié à auoune corporation dans l’État, il appartient essentiellement au peuple; tous les citoyens doivent concourir à le conserver dans toute sa pureté. L’enseignement libre n’ offre aucun de ces abus, et contient une foule d’avantages. Aussitôt que la nation aura dit : Je paierai à l’instituteur la somme de ..... pour chaque enfant qui suivra ses leçons, elle encourage les hommes instruits à se livrer aux intéressantes fonctions de l’ensei¬ gnement, elle donne une prime aux talents, elle anéantit la cupidité et l’ignorance qui ne pour¬ ront jamais soutenir la concurrence, et elle assure à la jeunesse de bons instituteurs avec beaucoup moins de dépense. Qu’on ne dise pas que nous sommes des Van¬ dales. Les Grecs étaient-ils des barbares, parce que le gouvernement n’y salariait pas les profes¬ seurs? Eh bien! ce fut la patrie d’Homère, de Platon, de Démosthène, et de tant de grands hommes qui valent bien nos modernes docteurs. Je veux, autant que les savants, que l’on propage l’instruction et les grandes vérités sur lesquelles repose le bonheur du peuple; mais ils savent bien qu’il est impossible de ramener actuellement les ténèbres et l’ignorance sur le sol de la République française. Les opinions sur les gouvernements, sur les résultats des arts, les effets de la physique, et la morale, sont bien chan¬ gés dans tous les pays, et continuent de changer avec une grande rapidité. Les hommes ont été excités à réfléchir par les crimes des rois, les impostures des prêtres et tous les malheurs de rhumanité. La nation, privée depuis quatre ans d’écoles, de collèges et de professeurs, car ils ont été paralysés par la Révolution, a plus acquis de lumières et de connaissances, que pendant les siècles de la plus brillante existence des univer¬ sités et des académies. Reconnaissez, citoyens, l’ouvrage de la liberté; elle a brisé les entraves dont les charlatans fourrés avaient environné la raison; elle a ouvert à tous les citoyens les portes de son temple, et le flambeau de la vérité a frappé tous les esprits de sa bienfaisante lu¬ mière. Il ne vous en a rien coûté pour cela, c’est le peuple qui a tout fait. Un auteur a dit : « L’ignorance est d’une nature toute particulière : une fois dissipée, il est impos¬ sible de la rétablir; elle n’est précisément rien de positif, mais seulement un manque de con¬ naissances; et quoiqu’on puisse tenir l’homme dans l’ignorance, on ne saurait le faire redevenir ignorant. L’esprit, en découvrant la vérité, agit de la même manière que par le canal des yeux pour découvrir les objets. Quand une fois un objet quelconque a été aperçu, il est impossible que l’esprit retourne au même point où il était avant de l’avoir vu. L’on n’a pas encore décou¬ vert la possibilité de faire désapprendre à l’homme ses connaissances, ou de faire rétro¬ grader ses pensées. » Cette idée m’a paru neuve, elle est juste et profonde, applicable aux peuples comme aux individus. Les sciences et les arts sont parvenus en France à un degré de perfection qui peut, à la vérité, s’accroître encore, mais qui suffirait pour consolider la gloire et la prospérité de la Répu¬ blique; je ne vois pas par quels moyens cet état pourrait changer, et comment l’ignorance par¬ viendrait encore à nous couvrir de ses épaisses ténèbres. Je pense au contraire que la nation peut, à très peu de frais, non seulement con¬ server l’étendue de ses connaissances, mais les perfectionner encore sans créer des académies. Pour atteindre à ce but, laissez aux talents les moyens et surtout le besoin d’être laborieux : ne payez point les ouvriers de la République à la journée; payez-les tous à la tâche, même les philosophes et les instituteurs, si vous voulez que le peuple soit bien servi. Abandonnez tout à l’influence salutaire de la liberté, à l’émulation et à la concurrence; crai¬ gnez d’étouffer l’essor du génie par des règle¬ ments, ou d’en ralentir les progrès, en le mettant pour ainsi dire en tutelle,' sous la férule d’une corporation de pédagogues, à qui vous auriez donné pour ainsi dire le privilège exclusif de la pensée, la régie des progrès de l’esprit humain, l’entreprise du perfectionnement de la raison nationale, qui repousserait toutes les vérités et les découvertes qui n’auraient pas pris naissance dans son sein, car l’aristocratie et l’intolérance se glissent bientôt dans toutes les corporations, qui exercerait une influence dangereuse sur la confection des lois, leur exécution, leur inter¬ prétation, sur les élections, qui dicterait la pensée publique, et administrerait l’opinion. Donnez une libre circulation aux sciences et aux arts; ouvrez un grand concours aux talents; encouragez par des récompenses, par la considé¬ ration, par tous les moyens honorables qu’un gouvernement libre doit savoir employer à pro¬ pos, les hommes destinés à étendre la sphère des connaissances humaines. Ces principes sont applicables à tous les degrés d’instruction. En un mot, ne fondez point de places d’insti¬ tuteurs d’une manière fixe et régulière sur tous les points de la République; donnez à l’entre¬ prise tous les degrés d’instruction au talent in¬ dustrieux ; salariez, en proportion de leur travail et du nombre de leurs élèves seulement, les ins¬ tituteurs qui se consacreront à l’enseignement des notions premières qui sont nécessaires à tous les citoyens; aidez par des secours sagement ré¬ partis l’enfant du pauvre, dont le talent peut se développer dans une science ou un art utile à sa patrie; récompensez honorablement la vieillesse de l’instituteur; veillez à la conservation et à la réunion de tous les monuments des arts, dans des édifices ouverts à tous les citoyens; laissez tout le reste au génie de la liberté. Empêchez que 150,000 pédants dispersés dans toute la République, ne s’emparent, pour ainsi dire, de nos enfants au passage, et ne leur appli¬ quent, comme je ne sais quels sauvages, les mains sur les tempes, ne leur écrasent la tête, et n’étouffent leur bon sens. Le plan présenté par Bouquier me paraît, sous tous les rapports, préférable à tous ceux qui ont été imaginés jusqu’à présent; comparez-le avec celui du comité : l’un est simple, mais majes¬ tueux, facile, économique et conforme aux prin¬ cipes républicains; l’autre est compliqué, pé¬ nible et dispendieux, et ressemble aux institu¬ tions monarchiques. Il n’y a qu’une objection spécieuse à faire contre ce plan, c’est qu’il pourrait arriver que quelques campagnes restassent sans instruction; mais il n’est pas difficile de remédier à cet incon¬ vénient; il faut alors que le gouvernement y pourvoie : c’est un article de règlement à faire; il doit nécessairement y en avoir plusieurs de cette espèce dans l’exécution d’un plan d’ins¬ truction publique, mais le plan que j’appuie n’en est pas moins le seul digne de la Convention, de la liberté et du peuple français.