[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 483 COMPTE RENDU A LEURS COMMETTANTS Par M. DE MOHTC4LM-GOZOIV, Député de la noblesse de la sénéchaussée de Carcassonne, ET Par M. DE LA §4LLE DE ROQUEFORT, Député de la noblesse de la sénéchaussée de Mont-de-Marsan. Messieurs, Honorés de votre confiance au moment où la convocation des Etats généraux attirait sur la nation française les regards de l’un et de l’autre monde, attentifs à juger le rang qu’elle occuperait lésormais dans l’ordre politique, m us nous sommes pénétrés des sentiments de zèle, de fidélité et d’amour pour la patrie et le roi, dont vos mandats étai-nt l’expression fidèle. Nous n’avons cessé d’en faire la règle de notre conduite; nous venons vous la soumettre, malgré la défaveur qui nous a environnés, malgré les détracteurs ui ont pu nous prêter des vues absolument trangères à la pureté de nos sentiments. Si, dans tous les cas, la nature de nos obligations eût fait une loi de la responsabilité, les circonstances, aussi extraordinaires que dangereuses, dans lesquelles nous nous sommes trouvés placés, nous l’imposent encore plus rigoureusement. Porteurs de vos mandats qui désignaient d’une manière précise les objets sur lesquels nous avions à délibérer, les formes de nos délibérations et les bornes dans lesquelles nous devions les restreindre; engagés par le serment de remplir avec fidélité et précision vos vues et vos intentions, nous avons cru que c’était pour nous le premier des devoirs de ne point nous écarier des principes que vous nous avez tracés vous-mêmes. Si quelquefois, entraînés par des circonstances dont ie compte que nous allons vous rendre va vous faire connaître l’importance et la force, nous avons paru nous écarter de la lettre de nos pouvoirs, nous osons croire en avoir au moins suivi l'esprit, et avoir conservé pour des temps plus heureux l’exercice de vos droits, par les déclarations et protestations que nous avons faites contre les principaux décrets qui leur portaient atteinte. C’est dans cet esprit, c’est dans . ces principes, c’est avec la conviction ia plus intime que nous devions nous conformer à vos intentions, que nous n’avions pas le droit de changer les lois de la monarchie et de renverser les propriétés, puis-qu’au contraire, vous nous aviez ordonné d’une manière précise de les conserver, que nous sommes arrivés aux Etats généraux du royaume, rassemblés à Versailles par ordre du roi, ie 4 mai 1789. Réunis à cette Assemblée, nous avons bientôt aperçu les dangers qui allaient nous environner, et nous nous sommes dit, encore plus fortement, qu’il fallait opposer les principes aux raisonnements abstraits, la pratique à la théorie, les lois anciennes aux systèm s nouveaux. Nous avons cru que c’était lorsque l’opinion agitée de toute part, cherchait à rompre toutes les digues, qu’elle marchait avec plus d’intrépidité dans la nuit des systèmes; que c’était alors enfin qu’il fallait lui opposer une plus grande résistance, lui offrir le flambeau de l’expérience; que c’était alors enfin qu’il fallait rester plus fidèlement attachés à nos lois, à nos usages, que nos devoirs nous prescrivaient de conserver. A peine l’ordre de la noblesse se fut-il constitué, après avoir procédé à la vérification des pouvoirs de ces membres, que l’ordre du tiers prétendit que celte vérification devait être faite, les trois ordres réuais. L’ordre de la noblesse soutint avoir suivi l’usage de tous les temps, en les vérifiant dans son sein. L’ordre de l’iglise eut le même sentiment sur cette prétention de l’ordre du tiers. La disparité des opinions et le désir qu’eut le roi de faire cesser cette première rixe entre les ordres, engagea Sa Majesté à proposer des conférences conciliât lires, dans lesquelles les commis-aires des trois ordres discuteraient leurs prétentions respectives. Après plusieurs séances, chaque ordre s’attri huant la victoire, resta attaché à ses prétentions et le projet de conciliation que le roi avait proposé demeura sans effet. Alors l’ordre du tiers, composé de 583 membres, se constitua en As-'embtée nationale, sur le motif qu’ils étaient suffisants pour représenter 484 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] la nation, puisqu’ils en représentaient au moins les 96 centièmes. Un petit nombre de membres de la noblesse profita de l’inaction de l’ordre, pour propager lt s sentiments particuliers qu’on leur avait inspirés pour la Constitution anglaise. Au milieu des débats des trois ordres et des insinuations particulières, le roi qui désirait plus ue personne l’union nécessaire pour travailler e concert au rétablissement de l’ordre public dans toutes ses parties, crut devoir renouveler l’assurance de ses intentions; et à cet effet, il indiqua une séance royale qui eut lieu le 23 juin 1789. Vous connaissez, Messieurs, la déclaration des intentions de Sa Majesté, qu’elle fit publier dans celte séance. Vous y aurez vraisemblablement reconnu avec nous un roi ami de l’ordre et de la paix, protecteur de la liberté et de la propriété de tous, réformateur des abus, fidèle aux engagements de la nation, tel enfin que le peuple français eût pu le désirer. La minorité de l’ordre de la noblesse, que ses sentiments pour la Constitution anglaise agitaient continuellement, ne put se refuser plus longtemps aux insinuations qu’elle recevait et elle se sépara au nombre de 50 pour se réunir à l’ordre du tiers, où la majorité factice du clergé l’avait déjà précédée. Cette défection dans les deux ordres du clergé et de la noblesse, la constance religieuse des membres qui étaient restés fidèles à leurs mandats d’opiner par ordre, servit de prétexte à des insurrections populaires dans la ville de Versailles. Bientôt elles s’accrurent; la famille royale fut dans le plus grand danger, le roi fit faire instance auprès des deux chambres du clergé et de la noblesse, pour leur réunion à celle du tiers état. Ce que l’on n’aurait jamais obtenu de l’excès des mauvais traitements qu’avaient essuyés et qui menaçaient les membres de ces deux ordres, ils l’accordèrent au seul mouvement toujours impérieux de leurs sentiments d’amour pour la personne sacrée du roi, et la sûreté de la famille royale. Néanmoins, ne nous étant réunis que pour conjurer l’orage qui menaçait la famille royale, et scrupuleusement attachés à nos mandats, nous nous sommes crus obligés de protester sur cette réunion. La plus grande fermentation régnait toujours dans les esprits. Quelques soldats des gardes françaises s’étant livrés à des excès, le roi fut prié par l’Assemblée d’user de clémence à leur égard. Cette condescendance aux instances du peuple et de l’Assemblée, son organe auprès du roi, bien loin de ramener les coupables à leurs devoirs, devint comme le signal d’insurrections populaires, de la défection de la presque totalité du régiment des gardes françaises, et des massacres qui eurent lieu dans la ca*pitale .'néanmoins le roi fut obligé d’ordonner, sur les instances de l’Assemblée, le renvoi des troupes de ligne, « que les désordres de Paris l’avaient forcé de rassembler » (1). En décrétant qu’on irait demander ce renvoi à Sa Majesté, l’Assemblée délibéra qu’il serait nommé, tant à Paris qu’à Versailles, une garde bourgeoise propre à maintenir la sûreté publique. L’ordre de la noblesse se retira après avoir (l) Réponse du roi à la députation du 13 juillet. fait d’inutiles efforts pour faire abandonner une délibération qui lui faisait craindre pour la sûreté publique, les conséquences dangereuses d’un armement général dans le royaume. L’Assemblée prit parti en laveur de M. Necker et des ministres ses collègues, que le roi avait éloignés de sa personne et de ces conseils ; et en même temps qu’elle donnait à leur conduite les éloges les plus étendus, elle frappait d’animadversion ceux que le roi avait choisis pour les remplacer des premiers. Persuadés, comme nous le sommes, qu’au roi seul appartient le choix de ses minbtres, nous nous sommes opposés à cette prétention d’influence qui nous a paru ne pouvoir jamais appartenir à l’Assemblée, les instances eurent cependant le succès qu’elle en avait espéré; les ministres éloignés furent rappelés, et ceux qui les avaient remplacés furent éloignés. Le retour des anciens ministres ranima les espérances de ceux qui souhaitaient la Constitution anglaise, et plus particulièrement de ceux qui désiraient rétablir le gouvernement républicain. Aussi, après les témoignages de la plus vive allégresse sur le retour des ministres, et principalement de M. Necker, alors leur idole chérie, l’on vit dans le sein de l’Assemblée un système de gouvernement républicain se développer par degré; et les membres de la noblesse que l’on avait séduits, restèrent attachés à ce parti, par la crainte de perdre la faveur mobile du peuple. Pour parvenir àl’établissement de ce gouvernement, il fallait détruire, jusqu’à la racine, l’existence du clergé et de la noblesse, véritables soutiens de la monarchie; cette raison et non le bien du peuple, dont ces deux ordres se sont généralement montrés dans toutes les circonstances les déferiseurs-nés, lit prendre la résolution de détruire la propriété de la noblesse et de s’emparer de celle du clergé. Lu nuit du 4 au 5 août vit détruire les dîmes du clergé, les privilèges des provinces, les droits féodaux utiles et honorifiques de la noblesse et des possesseurs de fiefs, dont une partie, malgré les observations adressées par le roi à l’Assemblée, a été déclarée éteinte sans indemnité, et ne rappelle plus à ses propriétaires que le souvenir d’une propriété enlevée; l’aulre, rachetable individuellement et à volonté du débiteur, ne présente plus qu’une extinction meurtrière de capitaux par la lenteur graduée du rachat à la volonté des redevables. Chargés par vous, Messieurs, de défendre la propriété d’un chacun, nous nous sommes opposés à ce décret qui les violait toutes. Après cet attentat contre les propriétés les plus respectables, les partisans du gouvernement républicain, occupés à flatter le peuple pour en diriger les mouvements à leur gré, lui attribuèrent une souveraineté universelle, et en consacrèrent les principes dans celte déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont la métaphysique abstraite a exalté toutes les têtes, et relâché tous les liens de la subordination. Nous eussions désiré que l’on pût parler à l’homme toujours trop prévenu en faveur de ses droits, de l’étendue de ses devoirs, et de l’heureux avantage de s’en acquitter envers la société. La promulgation de cette déclaration influa sensiblement sur les déclarations qui établissent une assemblée permanente, une chambre unique, et n’accordent au roi qu’un veto suspensif restreint à deux législatures, avec distinction de son acceptation pure et simple pour les objets déclarés constitutionnels. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 485 Dans l’intervalle de ces décrets, l’Assemblée nationale délibéra un emprunt de 30 millions et une contribution patriotique et volontaire du quart des revenus, pour subvenir aux besoins pressants des finances. Cette dernière proposition, acceptée de confiance, a été dépuis décrétée de rigueur. Le roi, qui avait proposé de3 observations sur la déclaration des droits et les articles constitutionnels rendus jusgu’à ce jour, fut forcé de les accepter sans modifications, au milieu des horreurs de tout genre, dont le palais même du monarque fut souillé, dans cette nuit à jamais désastreuse du 5 au 6 octobre. L’Assemblée qui s’était refusée de se rendre en corps auprès du roi, sur son invitation de l’aider de ses conseils, dans des circonstances si pénibles, reçut de Sa Majesté communication de la résolution qu’elle avait prise de se rendre à Paris avec sa famille; elle déclara qu’étant inséparable du roi, elle transférait ses séances dans cette ville. Il est à remarquer que l’Assemblée, qui parlait alors un langage aussi vrai qu’il était respectueux, a depuis prétendu que c’était le roi qui était inséparable de l’Assemblée; et ces deux assertions sont également consacrées par deux décrets. Arrivés à Paris, l’ordre du jour amena la question relative aux biens du clergé. La disette du pain se fît sentir de nouveau ; un boulanger en fut la malheureuse victime; on accusait le clergé d’empêcher de cuire, et le peuple menaçait de s’en venger. L’Àssembée décréta, au milieu de ces mouvements populaires, que les biens du clergé étaient à la disposition de la nation, sous la surveillance des provinces et elle rejeta sans délibération l’offre que le clergé faisait d’un don gratuit de 400 millions. L’Assemblée avait déjà décrété que les biens domaniaux étaient une propriété de la nation, dont elle pouvait disposer. Un grand nombre de séances furent employées ensuite à divi-er le royaume eu départements, districts et cantons. Pendant que l’on s’occupait de cette nouvelle division géographique, le roi se rendit à l’Assemblée, le 4 février 1790, et se déclara le chef de la Révolution. A peine eut-il quitté la séance, que la proposition d’un serment civique fut faite, et qu’il fut prêté par tous les membres de l’Assemblée, après la déclaration expresse que la prestation du serment ne gênait point la liberté de parler et d’écrire contre la Constitution, mais imposait l’obligation individuelle de ne point en troubler l’exécution. L’envahissement des biens du clergé, auquel nous nous sommes opposés, l’ayant regardé immoral et impolitique, fut suivi du refus de déclarer la religion catholique, apostolique et romaine, religion de l’Etat. Vous connaissez, Messieurs, la déclaration que nous avons faite contre ce refus, et nos efforts pour obtenir un décret conforme à vos vœux et aux nôtres. Nos réclamations n’ont pas eu plus de succès sur la proposition faite de créer pour 1,200 millions d’assignats forcés. En vain nous prévîmes la disparition du numéraire, l’embarras qu’en éprouverait le commerce, la perte du change avec l’étranger, le jeu usuraire de l’agiotage, et la ruine partielle des créanciers en recevant de leurs débiteurs le remboursement de leurs créances, en un signe de plus en plus journellement avili dans l’opinion publique, le décret n’en fut pas moins adopté. L’ancienne magistrature fut attaquée ; ces corps antiques, dépositaires des lois, chargés de leur exécution, conseillers intimes de nos rois, et défenseurs reconnus des droits du peuple, furent détruits, malgré les réclamations de la partie de l’Assemblée dont nous avons adopté le sentiment dans cette circonstance. Une création de tribunaux établis dans chaque district, et dont les places sont à la nomination d’électeurs choisis par le peuple, a remplacé ces corps augustes et vénérables. Le droit de guerre et de paix, l’une des prérogatives essentielles de la royauté, et dont nos rois avaient toujours joui, fut transféré par un décret à l’Assemblée. Des hommes revêtus de costumes de nations étrangères se présentent à l’Assemblée pour lui exprimer l’admiration de tous les peuples de l’Univers dont ils se disent les organes; ils sont reçus avec un enthousiasme si vif que son ivresse produisit la motion et le décret de l’abolition de la noblesse héréditaire. La majeure partie de la noblesse protesta sur-le-champ. Nous nous sommes joints à elle, et nous avons consigné par écrit les protestations que nous avons cru devoir faire pour la conservation de vos titres et de vos droits les plus précieux. Sous prétexte de ramener le clergé au temps de la primitive Eglise, cette hiérarchie fondée par les apôtres, qu’on nous avait appris à respecter dès notre enfance, fut renversée; une discipline presbytérienne a été élevée sur ses raines; le roi est dépouillé du droit de patronage qu’il tenait de ses prédécesseurs; le droit d’élection, réservé au seul clergé des églises, a été transféré au peuple, et comme il suffit pour les électeurs d’un signe extérieur de catholicité, il peut être que plusieurs soient étrangers à la communion dont ils éliront les ministres. Pour parvenir à l’établissement de cette constitution rejetée de toute part, l’Assemblée crut nécessaire de lier par serment tous les fonctionnaires publics. Nous l’avons regardé comme une violation proposée des maximes les plus religieuses, et le signal de la persécution contre les ecclésiastiques fidèles à leurs devoirs. Les colonies, dont le commerce nous avait assuré, dans l’ordre politique et commercial, un équilibre avantageux de puissance et de prospérité, et à qui l’initiative dans la confection de leurs lois particulières avait été promise, ont éprouvé un décret en faveur des gens de couleur, auquel nous m>us sommes opposés dans la crainte, malheureusement justifiée, qu’il serait une cause de troubles dans les colonies, et pourrait en entraîner la défection. La rigueur de la loi salique, qui exclut les femmes du trône, fut étendue jusqu’au droit de régence; les mèrcsmêmes ont été comprises dans l’exclusion prononcée par ce décret, qui nous a paru blesser les droits de la nature; aussi, nous nous y sommes opposés. Nous vous avons fait connaître, Messieurs, par le compte rendu du 30 mars 1791, notre opposition au décret qui exprime des cas de déchéance du trône contre le roi à qui il appartient par titre héréditaire, et en prononce la peine contre son inviolabilité sacrée. L’arrestation sacrilège du roi à Varennes,la manière scandaleusement tumultueuse avec laquelle le roi et son auguste famille furent ramenés au palais des Tuileries; sa captivité dans ce palaisoù il a été gardé par un corps armé aux ordres d’un citoyen nommé par l’Assemb'ée, la suspension des fonctions royales prononcée par un décret, 486 [Assemblée ationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ Annexes .] nous ont paru des attentats destructeurs de la monarchie, remplacée par un intérim républicain. Nous ayons consacré les motifs de notre opposition aces décrets dans une déclaration que nous avons signée avec près de 300 de nos collègues, le 29 juin dernier. La proposition faite à l’Assemblée, peu de jours après le retour du roi, de nommer un gouverneur à M.le Dauphin a été encore un objet ne notre opposition; nous avons cru que l’Assemblée ne pouvait dépouiller de ce choix le roi et le père à qui la nature l’avait assuré. Le décret qui a accordédes récompenses à ceux qui ont osé arrêter à main armée le roi et sa famille à Varennes, a été l’objet de notre animadversion dans l’Assemblée; et nous avons cru ne pouvoir trop exprimer nos sentiments d’indignation, sur une délibération aussi scandaleuse qu’elle est injurieuse pour le monarque. Nous venons, Messieurs, de vous rendre compte des décrets qui ont été rendus, des motifs succincts de nos différentes positions et déclarations ; nous allons vous en développer plus particulièrement les principes. Dès qu’un peuple s’est réuni en société, dès qu’il a accepté une forme de gouvernement quelconque, dès qu’il s’est accru par l'étendue de son territoire et la force de sa populatiou, au point de former une grande nation : alors la représentation individuelle cesse, et les députés qu’il choisit pour le représenter ne peuvent être que ses commissaires. Le mépris de cette maxime entraîna nos pères, d’erreurs en erreurs, aux Etats généraux de 1355. Des maux de tous genres en furent les suites, peu s’en fallut que la France n’en fut la victime; la génération qui succéda, instruite par le malheur de l’aveuglement de ses pères, se hâfa de la consacrer de nouveau aux Etats généraux de 1382, pour servir de rempart à la corruption prévue dé leurs représentants. Les Etats de 1560 et 1576 ne voulurent jamais s’en écarter. Persuadés qu’en nous constituant vos représentants, vous n’avez jamais entendu vous donner des maîtres absolus, nous avons dû conserver cette saine maxime avec le respect le plus religieux. Qu’éiions-nous à l’époque du mois de mai 1789? des députés choisis des différents bailliages, envoyés vers le roi pour, lui communiquer les instructions qui nous avaient été remises, l’aider de nos conseils conformément à ses désirs, travailler de concert avec lui à rétablir l'ordre dans toutes les parties du gouvernement, et soulager le peuple par une administration plus douce et plus économi \ue. Nous aviez-vous chargés de créer une nouvelle Constitution, d’établir un gouvernement contraire à celui qui existait depuis tant de siècles? vos cahiers ne disent rien à cet égard; et nous ne pouvions nous en écarter, sans nous regarder comme indépendants de ceux-mêmes de qui nous tenions nos pouvoirs. Lors du contrat primitif, tous les votants étant égaux, le suffrage de chacun était absolument nécessaire; mais (a Constitution nationale étant formée, le prince ne pouvait y rien changer sans le consentement de tous les ordres, et les ordres ne pouvaient rien innover sans le consentement du monarque, parce que le contrat était synallagmatique. En vain a-t-on cherché à nous induire en erreur, en nous répétant continuellement que la France n’avait point de Constitution, et qu’il fallait se réunir en corps de nation pour lui eu donner une. Comment aurionsmous pu nous laisser séduire par un pareil sophisme, lorsque nous voyons cet Etat exister depuis 14 siècles; croître à l’ombre de sa Constitution d’âge en âge; se fortifier malgré les secousses qu’il a éprouvées ; et parvenir à un tel degré de splendeur et de force, qu’il était devenu l’objet de l’admiration et du respect de toutes les nations? N’avions-nous pas une monarchie héréditaire, dans laquelle se trouvait un clergé pour la conservation de l’unité de la foi et de la morale, une noble-se pour la défense du royaume et des propriétés, des citoyens toujours empressés à se sacrifier pour la gloire de la nation, i’urdre du tiers occupé de faire fleurir l’industrie et le commerce sms lesquels la prospérité des Etats ne peut exister; séparés dans leurs délibérations, mais toujours intéressés et réunis pour le maintien de leurs droits et le bonheur de tous; des lois sur tous les objets dont la sagesse profonde présente l'accord parfait de la religion et de la politique auxquelles le monarque s’était soumis, et qu’il avait chargé les tribunaux dépositaires de sa puissance de faire exécuter en sou nom; la liberté individuelle parfaitement établie, le respect pour les propriétés porté à un tel point qu’on ne devait faire aucune levée de deniers sans le consentement des propriétaires, la responsabilité des ministres et autres agents du souverain établie par le fait, puisque la partie lésée avait le droit de les traduire en jugement, et à son défaut, la partie publique était chargée de poursuivre les différents délits. Nos annales nous fournissent une multitude d’exemples d’agents du pouvoir souverain, poursuivis et abandonnés à la juste sévérité des lois. Tout ne prouvait-il pas que nous avions une Constitution qui assurait la liberté, l’honneur et la propriété des citoyens, et qu’elle renfermait par conséquent les objets qu'une bonne Constitution peut et doit avoir en vue pour le bonheur de tous? Il est vrai que le pou voir arbitraire de quelques ministres en avait fait presque disparaître les différents points qu’ils avaient transgressés ; il suffisait pour le bonheur des Français de les remettre en vigueur. Quand une nation est instituée depuis longtemps, ses goûts, ses mœurs, ses préjugés sont trop enracinés pour pouvoir être aisément étouffés par des semences nouvelles; des grands changements emmènent toujours avec eux des maux inévitables. Pleins de respect pour une Constitution scellée et confirmée par les témoignages les plus vénérables, nousn’avons pu croire que vous voulussiez vous livrer aux malheurs inséparables des révolutions pour des inconvénients ou des abus, qu’il était facile de détruire sans rien risquer. Ouvrez, Messieurs, lus annales du monde: vous y verrez que l’esprit novateur a produit la plus grande partie des maux qui ont renversé les Empires; vous verrez l’Empire français ébranlé par ses ses secousses réitérées, et plusieurs fois à deux doigts de sa perte. Ces réflexions que vous fera naître cette partie affligeante de votre histoire, vous aura certainenm nt déterminés à ne pus trouver extraordinaire que nous ayons pensé comme un des esprits les plus amoureux de la liberté et de l’indépendance (1). IL dit « qu’il fallait étayer les pièces dérangées, et s’op-poœr à ce que l’altération et corrupiion naturelle de toute chose ne nous éloignât pas trop de nos (1) Michel Montaigne. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes. ] commencements. Entreprendre de refondre une si grande masse et changer les fondements d’un si grand bâtiment est bon à faire à ceux qui, pour décrasser, effacent, et qui veulent émonder les défauts particuliers par une destruction universelle, et guérir les maladies par la mort. » L’Assemblée était eonvnue, le 1er juillet 1789, que la connaissance des affaires relatives aux troubles populaires appartenait au roi, et qu-g du profond respect pour l’autorité royale, dépendait la sûreté de l’Empire. Comment nous aurait-: tété possildede donnernotre assentiment à l’adresse par laquelle on demanda au roi lerenvoi des troupes sans lesquelles les lois sont souvent impuissantes? Persuadés que le respect qu’inspire l’autorité est précisément ce qui en assure l’exécution : que leur efficacité est proportionnée à la persuasion où l’on est de la certitude et de l’étendue de l’autorité de celui qui est chargé de les faire exécuter : nous nous serions regardés comme coupables, si nous eussions contribué à ôter au monarque le moyen de les faire respecter, dans un moment où Paris était en proie aux fureurs de lasédilion. Aussi Smith dans ses recherches nous dit (1) : « Un souverain qui est appuyé par une armée bien disciplinée, peut s’inquiéter peu des plaintes les plus tumultueuses et les discours les plus sé iitieux qui sont, pour l’ordinaire, sans fondement; il peut les pardonner ou n’y avoir aucun égard, et la persuasion de sa supériorité l’y porte naturellement; quais, si ce degré de liberté qui approche de la licence peut jamais se tolérer, ce ne peut être que dans les pays où le souverain est appuyé d’une armée bien disciplinée. » Quand une fois les masses énormes qui composent une monarchie ont été ébranlées, que toutes b 'S barrières sont rompue-, que les sophismes sont subtitués aux vrais princpes, il est impossible, après avoir affaibli dans le peuple le respect pour l’autorité suprême qu’d était accoutumé à révérer, de le rendre plus soumis à celle qui doit la remplacer, à laquelle il u’est pas habitué et dont il est le créateur. « Les grands succès auxquels il contribue, dit M. de Montesquieu (2), lui donnent un tel orgueil qu’il n’est plus possible de le conduire. Jaloux des magistrats, il le devient de la magistrat re; ennemi de ceux qui gouvernent, il l’est bientôt de la Constitution. » Nous aviez-vous dit do méconnaître les lois qui régissent l'Empire depuis 14 siècles, et de leur substituer des abstractions métaphysiques? « Tel ouvrage, dit Montaigne, serait de mise en nouveau monde, et non en un déjà fait et formé à certaines coutumes; la meilleure police à chaque nation, est celle sous laquelle elle s’est maintenue longuement. » Pour nous placer au même point où serait une nation qui sortirait des forêts, et chercherait à se réunir pour la première fois en société, il ne fallait certainement pas choisir le moment où nous étions énervés par la volupté, dévorés de la soif de l’or, entraînés par les délires de l’ambition; où toutes les passions étaient si fort eu mouvement, que chacun prétendait commander, et personne ne voulait obéir. Ce n’était pas le cas de confondre dans la déclaration des droits, l’homme sauvage avec l’homme civil. Dans l’état de nature, il n’y a d’autre droit que (1) Adam Smith, dans ses recherches sur la nature et les causes du pouvoir et des richesses des nations. (2). Esprit (les lois, par M. de Montesquieu. 48? celui du plus fort; les hommes ne sont donc pas tons égaux en droits. Donner une pareille base à un gouvernement, c'est le fonder sur ia plus dangereuse de toutes les chimères. « Prêcher ce système au peuple (1), ce n’est point lui rappeler ses droits, mais l’inviter au meurtre et au pillage; c’est déchaîner les animaux domestiques, et les changer en bêtes féroces (2). Où tout le monde peut faire ce qu’il veut, nul ne fait ce qu’il veut; où tout le mond' est maître, tout le monde est esclave. » Ce principe d’ailleurs, est de l’essence d’un gouvernement républicain, dont la base est une égalité absolue dans les rangs et les fortunes. Votre volonté était de conserver la monarchie, son gouvernement ne peut exister avec de pareilles maximes. « Le gouvernement monarchique est celui où un seul gouverne par des lois fixes et immuables (3), c’est de ce magistrat unique que toupies autres tiennent leurs pouvoirs ; ainsi la vol nié du peuple, et la force publique de l’Etat, et la fo ce particulière du gouvernement tout répond au même mobile, tous les ressorts de la machine sont dans la même main, tout marche au même but; il n’y a point de mouvements opposés qui s'entre-détruise ut, et l’on ne peut imaginer aucune sorte de Constitution dans laquelle un moindre effort produise une action plus considérable. « Les pouvoirs intermédiaires subordonnés et dépendants constituent la nature de ce gouvernement; c’est-à-dire de celui où un seul gouverne par des lois fondamentales, j’ai dit les pouvoirs intermédiaires et subordonnés et dépendants : en effet, dans la monarchie, le prince est le chef de tout pouvoir politique et civil. Les lois fondamentales supposent des canaux moyens par où coule la puissance, le pouvoir intermédiaire subordonné le plus naturel est celui de la nobles-e; elle entre en quelque façon dans l’essence de la monarchie dont la maxime fondamentale est : point de-noblesse, point demonarque; abolissez dansune monarchie les prérogatives des seigneurs, du clergé, de la noblesse et des villes, vous aurez bientôt un Etat po ulaire ou un Etat despotique. » Veuillez, Messieurs, comparer les décrets rendus sur la permanence d’une Chambre unique, sur le veto seulement suspensif accordé au roi, son acceptation forcée pour les lois constitutionnelles, l’abolition de la noblesse, la spolationdn clergé, l’envahissement des privilèges de provinces, avec les principes dont nous venons de vous indiquer la source. Rappelez-vous, Messieurs (4), « que tous les Etats généraux, même les déplorables Etats de 1355, ont regardé le roi comme le législateur de son royaume », et vous trouverez qu’il est impossible de concilier avec tous ces faits le décret qui dépouille le monarque de la seule prérogative qui lui donne le pouvoir de conserver toutes les autres, le place dans la dépendance absolue de l’Assemblée qui peut empiéter sur le veto réservé au roi, avec d’autant plus d’assurance qu’il est un terme où sa négative devient nulle, où il faut qu’il se livre entre les mains de l’Assemblée qui n’a besoin, pour assurer l’existence de ses lois, que de la persévérance dans sa volonté; dès lors, elle est la seule puissance législative, elle peutchan-(1) M. l’abbé Raynal, Histoire philosophique des deux Indes. (2) Bossuet. (3) Montesquieu, Esprit des lois. (4) M-l’abbé Mabli. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.'] 488 ger sa Constitution avec la même facilité que Dieu créa la lumière (1). Les meilleures lois, sans l’appui du pouvoir exécutif, ne pourraient jamais ni réprimer les vices qui remplissent la société de dé.-ordres, ni assurer la liberté des citoyens. Comme il est chargé de les faire exécuter, il faut qu’il ait à sa disposition tous les moyens propres à assurer l’exécution dont lui seul doit diriger l’impulsion. Dans les Républiques, ce pouvoir est divisé entre plusieurs magistrats; dans les monarchies, il est remis à un seul qu’on appelle roi. « Dans les Etats où l’exécution des lois est confiée en plusieurs mains (2) cette division et la mobilité des mesures qui en est la suite, dérobent sans cesse la véritable cause des maux de l’Etat; et dans l’éternelle variation des choses, aucun principe ne s’établit, et les meilleurs restent sans utilité. « Ces considérations déterminèrent les Anglais à conférer (3) au roi seul cette espèce de puissance qui n’est rien lorsqu’elle est divisée, parce qu’il n’y plus alors ni cet accord, ni ce secret, ni cette célérité qui peuvent seuls lui donner de l'énergie. » En France, l’autorité du monarque doit être plus grande quVu Angleterre, vu la nécessité d’une surveillance plus active, dans les cas d’une attaque imprévue par les puissances étrangères; ebe doit être par conséquent dégagée des entraves que mettront à son activité la multiplicité des corps administratifs, créés par la Constitution. Elle doit être plus active, parce que les infractions envers les luis sont, dans un grand Empire, plus multipliées, plus dangereuses et plus difficiles à découvrir; parce qu’en fin le principe du mouvement doit être fort, à raison des masses qui sont à mouvoir. C’est lui qui doit réunir sous l’empire de la loi, l’universalité des sujets du royaume. C’est lui qui doit s’opposer à l’indépendance des individus et des corps, et assurer la force nationale. Comparez, à présent, l’autorité des deux monarques; vous verrez qu’en Angleterre « il est la source de tout pouvoir, le chef de tous les tribunaux où tout se passe en son nom, où les sentences doivent être munies de son sceau et exécutées par ses officiers. Il est regardé par une fiction de la loi, comme le propriétaire universel de son royaume; seul il a le droit de faire grâce; seul, il confère les différentes charges et les dignités, soit dans les tribunaux, soit dans l’Eglise, soit ailleurs. Son autorité va jusqu’à pouvoir faire disparaître le Corps législatif lui-même, quand il le juge à propos. Surintendant du commerce, il a le droit de battre monnaie, et il donne cours , quand il lui plaît, à la monnaie étrangère; généralissime des forces de terre et de mer, il a seul le droit de lever des troupes, d’équiper des Hottes et de bâtir des forteresses, d’envoyer des ambassadeurs, de contracter les alliances, de déclarer la guerre, et de faire la paix aux conditions qu’il lui plaît (4) » Au contraire, en France, le roi obéit aujourd’hui et ne commande plus. S’il promulgue les Lois, il ne peut plus participer aies faire, puisqu’il arrive un moment où e les se feraient sans lui; il partage le soin de veiller à leur exécution, (R Constitution d* Angleterre, par de Lholme. (2) Constitution d’Angleterre, par de Lldome. (3) Histoire philosophique de M. l’abbé Raynal. (4) Constitution d’Angleterre, par de Lholme. avec cinq au'orités différentes ; L’Assemblé*-, les départements, les districts, les municipalités et les sections, qui sont autant de corps absolument indépendants de son autorité, et sur lesquels il n’a aucune espèce d’influence. Il n’a donc plus son sceptre; car, qu’est-ce qu’une souveraineté si elle n’est pas indivisible, et s’il existe plusieurs corps, dont les pouvoirs égaux entre eux, et indépendants du chef suprême de la nation, constituent son état politique? « Nos politiques, dit Rousseau, ne pouvant diviser la souveraineté dans son principe, la divisent dans son objet; ils la divisent en force et en volonté, en puissance législative, en puissance exécutive, en puissance judiciaire. Tantôt ils confondent toutes ses parties, et tantôt, ils les séparent (1) ; ils font du souverain un être fantastique et formé de i ièces rapportées ;c’est comme s’ilseomposaient l’homme de plusieurs corps, dont l’un aurait des yeux, l’autre des bras, l’autre des pieds, et rien dé plus; celte erreur vient de ne s’être pas fait des notions exactes de l’autorité souveraine, et d’avoir pris pour des parties de cette autorité, ce qui n’en était que des émanations. » Il n’a plus son épée, puisque l,e droit de faire la guerre et la pais n’est plus inhérent à sa couronne; il a été déclaré, il est vrai, le chef suprême des forces militaires; mais il ne peut, ni casser un soldat insolent ou indiscipliné, ni fixer le nombre d’hommes qui lui seront nécessaires pour une campagne ; il ne participe, ni à déterminer les règles d’admission au service militaire, ni les formes d’avancement, ni celles d’enrôlement, ni les lois relatives aux délits et aux peines; son droit de nomination aux grades militaires est assujetti à des règles impérieuses; il ne lui est plus possible de faire changer de garnison à une troupe sans le consentement de la municipalité du lieu d’où elle doit sortir, et le consentement de celle où ce corps doit aller. Jamais les fore* s militaires ne peuvent agir par son ordre pour l’exécution des lois, sans avoir été préalablement requises par les municipalités. Les milices nationales mêmes qui font aujourd’hui la partie la plus considérable de la force armée, chargée spécialement de maintenir l’ordre public dans l’intérieur du royaume, ne dépendent point de lui. Il n’a plus sa main de justice, puisqu’il n’ins-titne plus les magistrats qui composent aujourd’hui les tribunaux, qu’il ne peut plus les faire punir s’ils malversent dans leurs emplois, qu’il ne peut casser ni réformer leurs sentences. Il a été privé du droit de faire grâce, droit qui le rapprochait encore plus de la divinité dont il est l’image. « Malgré (2) le principe que les rois sont les juges nés des peuples, que c’est pour cette fonction qu’ils ont été établis, qu’el'e ne peut pas leur être ôtée, et que, quand ils ne veulent pas les remplir eux-mêmi s, la nomination de leurs substituts, en cette partie, est un de leurs droits, parce que c’est toujours à eux à répondre des jugements qui se rendent en leur nom. » Or, qu’est-ce qu’une monarchie, où il existe un roi qui n’a ni sceptre, ni main de justice, ni épée ; dont la couronne reconnue lui appartenir par droit de naissance, est soumise à des droits de déchéance; dont la personne sacrée et déclarée inviolable, a éprouvé avec son auguste famille, l’outrage d’une arrestation à main armée; (1) J.-J. Rousseau. (2) J.-J. Rousseau. 489 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes. J qui a été privé de sa liberté, et suspendu des augustes fonctions de la royauté? A la vue de tous ces attentais, nous avons renouvelé dans nos cœurs le serment que nous avions déjà fait de rester constamment attachés à la monarchie; et tenant le même langage que l’infortuné Charles Ier adressa à ses jug> s, nous avons dit de Louis XVI qu’il était notre roi héréditaire; « que toute l’autorité de l’Etat libre même et réunie n’avait pas le droit de lui faire son procès, attendu qu’il n’était redevable de sa dignité qu’à Dieu seul; qu’en admettant ces extravagants principes qui réduisent tous les hommes à l’égalité, l’Assemblée ne pouvait s’attribuer, à cet égard, aucun pouvoir délégué du peuple, à moins qu’elle n’eût commencé par demander et par obtenir le consentement de chaque particulier jusqu’au dernier paysan; et qu’un tel pouvoir ne peut se fonder que sur la violence et l’usurpation la plus atroce (1) ». Nous avons cru qu’il ne nous testait d’autres devoirs à remplir que celui de déclarer que nous continuerions d’assister aux délibérations de l’Assemblée, pourne pas abandonner la personne du roi et la famille royale, (t que nous ne prendrions plus dorénavant aucune part aux délibérations qui n’auraient pas pour objet les intérêts du roi et de la monarchie. ' L’intérêt du peuple français s’opposait à la deslruction des parlements, et ne permettait pas de réduire les tribunaux à cet état de faiblesse ou i'sse trouvent en Angleterre; il ne faut pas perdre de vue que, dans ce gouvernement, le pouvoir judiciaire est réuni à une portion du Corps législatif, dans la Chambre des pairs, ce qui relève, un peu son autorité. < Il ne suffit pas qu’il y ait, dans une monarchie des rangs intermédiaires (2); il faut encore un dépôt de lois; ce dépôt ne peut être que dans les corps politiques qui annoncent les lois lorsqu'elles sont faites, et les rappelle lorsqu’on les oublie. » Les parlements, tels qu’ils étaient en France, dégagés de la rouille des abus, offraient aux provinces un soutien contre les excès du pouvoir et les progrès de la licence; ils offraient par leur masse une puissance que ne présenteront jamais des tribunaux multipliés, faibles, dispersés, et sans moyen de faire respecter la loi dont ils sont les organes. En nous rappelant ce que nous étions et le serment que nous avions fait, pouvions-nous consentir à détruire l'existence politique de nos commettants, en adhérant à l’extinction des privilèges des provinces. La transmutation d’une monarchie en une république pouvait demander de nouvelles divisions et subdivisions ; mais vous ne vous attendiez sûrement pas que nous acceptassions pour la France la création de 83 départements confédérés, plan funeste qui avait été déjà présenté aux synodes des protestants (3) en 1572, 1573, 1575, 1585, et surtout en 1621 à la Rochelle, et qui ne peut produire que le despotisme ou i’anarchie la plus délirante. Les plus célèbres législateurs ont toujours placé la religion pour base de leurs institutions politiques. Il n’y a jamais eu d’exemple d’un (1) Réponse de Charles Ier, roi d’Angleterre , par Rapin Toyras. (2) Montesquieu, Esprit des lois. (3) Voy. les Statuts synodaux des églises réformées de France ; les Mémoires de Sully; l’ histoire de Languedoc, et le président Hénault, année 1621. peuple policé, sans religion; les mœurs privées sont le foyer des mœurs publiques, et il n’appartient qu’à la religion de les former; aussi avons-nous cru devoir regarder comme une maxime avouée la nécessité de fonder sur la religion toute ambition politique. D’ailleurs les ordres précis que vous nous aviez donnés, nous prescrivaient de faire déclarer la religion catholique, apostolique et romaine, religion de l’Etat. Le chancelier de L’Hôpital disait aux Eta's d’Orléans : « que la division des langues ne fait pas la séparation des royaumes; mais celle de la religion en fait deux. » La multitude des opinions religieuses et des cultes n’a que trop souvent occasionné des troubles et des divisions ; c’est sans doute par ce motif que, dans le camon d’An-penzel, en Suissë, qui est divisé en deux parties, dont une catholique et l’autre protestante, quand il arrive que quelqu’un change de principes, il change aussi de domicile. Nous sentons parfaitement que celte sage séparation n’est pas également praticable partout, nous pensons qu’il faut se supporter et vivre fraternellement ensemble; mais, si l’on Hère par justice touies les sectes, si chacun est libre de servir Dieu à sa manière, sans que personne puisse troubler son culte, les distinctions doivent être toujours pour la religion dominante. Henri IV ne traita pas, dans son fameux édit de Nantes, les deux religions avec une même égalité. D’après ces motifs réunis, nous avons cru que la religion dominante doit seule jouir de la solennité du culte publique. Ce que nous venons de vous expo-er vous fera certainement accueillir les raisons que nous avons eues de repousser cette prétendue constitution civile du clergé, dans laquelle nous avons aperçu plusieurs points de contact avec les sectes qui, en s’éloignant de la saine doctrine, rejettent l’autorité du chef de l’Église, détest nt la hiérarchie ecclésiastique et la puissance des évêques ; pensent que le sacrement de l’ordre, donnant à celui qui le reçoit la plénitude de la puissance sacerdotale, il peut, sans aucune autre institution canonique, exercer partout les divers pouvoirs du sacerdoce. La liberté indéfinie d’opinions dans ces différentes religions a produit l’impatience de l’obéissance dans les monarchies, avec l’ardeur d’une liberté souvent portée à l’excès. Toute religion a besoin de ministres qui aient des propriétés pour n’être ni asservis, ni avilis; aussi, en France, le clergé formait un ordre particulier délibérant pour la conservation de la foi chrétienne reçue depuis Clovis, ainsi que de ses propriétés si nécessaires à son existence, que les Anglais les plus éclairés regrettent aujourd’hui la spoliation de Henri VIII. Quoiqu’elle n’ait pas été absolue, l’envahissement des biens du clergé par l’Assemblée est, tout à la fois, impolitique, injuste et dangereux. Impolitique, p ree qu’en salariant le clergé par un impôt, c’est ôter à ses ministres la considération nécessaire dans l’exercice de leurs fonctions, et faire naître dans l’esprit du peuple l'envie de se passer de culte pour supprimer l’impôt; c’est avoir rendu la religion le fléau du pauvre, tandis qu’elle en avait toujours été la consolation. Injuste, parce que c’est une violation manifeste du droit de propriété, puisqu’elle était le fruit de la piété de nos pères ou celui de l’économie du clergé qui n’avait cessé de l’accroître jusqu’à l’édit de 1749. Les donateurs, comme les donataires, avaient agi sous l’empire de la loi qui leur garantissait 490 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] l’exécution de cette substitution désignée suivant l’ordre d’élection, nomination, collation, profession religieuse, pour en jouir aussi longtemps que l’Eglise catholique subsisterait, et ne pouvait être réversible dans aucun cas à la nation, au réjunice des héritiers légitimes d s fondateurs. angereux, parce que le clergé n’a pas été propriétaire ineommuiable ; il n’â pu disposer de la chose quM possédait, et par conséquent toutes les inféodaûons qu’il a faites sont nulles, et devraient, d’après le même principe, rentrer dans la masse des biens nationaux. Il nous était également impossible de ne pas sentir l’injustice de l’envahissement des biens du domaine du roi déclarés nationaux par l’Assemblée. Nos premiers rois avaient leur part dans le butin et dans le partage des terres conquises ; leur portion leur appartenait en toute propriété, puisqu’ils l’avaient acquise par droit de conquête. Personne n'ignore qu’après la bataille de Soissons, Clovis ayant prié son armée de lui accorder, outre sa part, un vase enlevé à l’église de Reims, un soldat lui répondit qu’il devait se contenter de ce qui lui écherrait en partage. Henri IV jouissait, avant qu’il parvînt à la couronne de France, de la succession de la maison d’Albret, dont sa mère avait été héritière. Béatrix de Bourbon, en épousant Robert, comte de Clermont, fils de saint Louis, et chef de la maison de Bourbon, porta un patrimoine très considérable Ses descendants ont eu des successions collatérales, comme toutes les familles; c’était des propriétés que la jurisprudence de tous les siècles leur, assurait. Elles avaient formé ce corps inaliénable de domaines qui devaient passera leum aînés, mais dont une partie donnée aux puînés, leur servait d’apanage, et dont on ne pouvait dépouiller les individus de cette auguste maison, pas plus qu’on ne peutenvabir les "biens de tout citoyen qui en jouit à titre d’hérédité. On s’rmt cependant permis de dépouiller la noblesse de ses propriétés féodales. Le prix d’un objet vendu qui formait une rente, et n’était remboursable que de gré à gré, a été déclaré l’être à la volonté du débiteur. Le service personnel qui était le prix d’un fonds donné, a été supprimé sans indemnité. Des conventions mu-tuelb s, autorisées par la justice, ont été anéanties. On a puni les possesseurs de fiefs d’avoir eu une entière confiance dans la loi, en achetant des propriétés qui étaient, dans le commerce, sous la foi publique, et que la bonne foi des vendeurs et la confiance des acheteurs auraient dû seules garantir. frs prestations en nature de rente ou de service personnel, qui dérivaient toutes de concessions faites, ont été cependant représentées comme la preuve de l'arbitraire et de l’oppression. On a écarté le principe, reconnu par tous les jurisconsultes que le dol, ni la fraude ne se présument pas; et après que les débiteurs ont détruit, la torche à la main, les titres de leurs obligations, on les a absous et excusés, en attribuant leurs crimes à quelques erreurs d’interprétation de décret. On n’a voulu tenir compte, ni de la possession paisib'e, ni de la vente sans contestation, pour ruiner le clergé et la noblesse. Serait-ce dans la crainte, honorable pour eux, qu’ils ne sauvassent, la monarchie? Le rétablissement des finances éiait un des principaux motifs de la convocation des Etats généraux (1). Vous aviez ordonné d’en combler (1) Discours de M. Necker, à l’ouverture des Etats généraux. le déficit par des économies, par des améliorations, et même par des impôts. Vous étiez bien loin de penser alors que le déficit sur les dépenses fixes ne fût que de 56 millions cependant le ministre des finances l’a attesté. Le total de la dette exigible était d’un 1,900,288,969 livres ; en y comprenant les suppressions de cautionnement de finances et différents remboursements qui avaient été ordonnés; mais tous les objets de cette dette n’étaient pas exigibles pour le moment. Cette plaie, quoique profonde, pouvait être facilement guérie, puisque le sacrifice fait par les deux premiers ordres de leurs privilèges pécuniaires était évalué, par M. Necker, à 35 millions; que les retranchements dans les différents départements pouvaient s’élever à 60 millions ; ce qui joint à l’offre faite par le clergé d’un don extraordinaire de 400 millions, et l’extinction graduelle des rentes viagères, donnait le moyen facile de payer l’intérêt de la dette à rembourser, et en assurait l’extinction par plus de 20 millions dont on pouvait former une caisse d’amortissement. Les travaux de l’Assemblée sur cet objet se sont éloignés d'un moyen si facile. Elle l’a remplacé par l’ouverture de deux emprunts qui ont échoué. L’invitation, bientôt changée en ordre, de payer le quart de son revenu, l'argenterie des églises et des particuliers, une répartition d’impôts faite dans 24 minutes, dont il résulte une extension considérable pour chaque département (la seule ville de Paris soulagée), décrétée sans que les députés aient pu faire entendre leurs ob-ervations et leurs réclamations, enfin une création d’assignats forcés, qui, comme nous l’avions prédit lors de notre opposition, a fait disparaître le numéraire, a fait augmenter notre change avec l’étranger, d’une façon ruineuse pour la Fiance. Dans cet état de choses, les dépenses se sont accrues en même temps que les recettes ont diminué, le commerce s’est éteint, le .crédit s’est anéanti. L’illustre président de Montesquieu nous apprend ce que nous devons penser des remboursements qui ont été faits avec ce nou\eau papier-monnaie, lorsqu’en parlant de Law il dit « que (1), par une ignorance égale de la constitution républicaine et de la monarchie, il fut un des plus grands promoteurs du despotisme que l’on eût e core vu en Europe; outre tous les grands changements qu’il fit, si brusques, si inusités, si inouïs, il voulait ôter les rangs intermédiaires, et anéantir les corps politiques, dissolvait, la monarchie par ses chimériques remboursements, et semblait vouloir racheter la Constitution même. » Maintenant, Messieurs, que nous vous avons démontré la conformité de notre conduite à l’esprit de nos mandats, que nous vous avons prouvé notre persévérance dans nos principes, notre constance de notre attachement au monarque et à la monarchie; nous avons consommé nos devons, nous avons rempli la tâche que vous nous avez imposée. Si le succès n’a pas couronné nos efforts, si les vœux du monarque n’ont pas été remplis, si ceux de la nation ont été trompés, si une effrayante anarchie a succédé à l’empire salutaire des lois, ce n’est pas nous qui avons donné lieu à ce renversement sans exemple, par le mépris de nos engagements, par notre aveugle confiance en nous-mêmes, par le désir indiscret d’élever une Constitution nouvelle sur les débris de l’ancienne, par la hardiesse de nos entreprises, (1) Montesquieu. Esprit des lois , liv. II, ch. iv. 491 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] et par l’oubli enfin de toutes les règles et de tous les principes; entourés de débris, couverts nous-mêmes de décombres, exposés constamment à tous les g ares d’humiliation et de dangers, fermes dans nos opinions qui étaient les vôtres, qui étaient celles de la loi même. Nous n'avons pas varié; aucune crainte n’a pu nous émouvoir et nous faire abandonner la route que vous nous aviez tracée; et le cœur déchiré, mais la conscience pure, en considérant les ruines de ce superbe Empire, nous pouvons au moins nous écrier : « Ce n’est point notre fait. » Nous pouvons aller jouir sans reproches dans le sein de nos familles, sans cesse menacées, des restes chancelants de nos fortunes. Mais il nous reste encore à répondre à une espèce de reproche qui nous a été fait, et dont les murmures ont vainement essayé d’ébranler notre constance. Vous avez eu tort, nous a-t-on répété souvent, de n’avoir pas cédé aux circonstances, de n’avoir pas mieux mesuré vos forces et celles de l’opiniun ; de n’avoir pas jugé que vous raidir contre les obstacles et le vœu général qui demandait l’abolition des ordres, qui voulait la Constitution anglaise, c’était ôter à la France l’espoir d’une Con dilution heureuse et libre; c’était la rejeter dans la nuit du chaos, c’était la replonger dans cet abîme sans fond ue son antique législation. D’abord, Messieurs, nous n’avons jamais cru, nous n’avons jamais pu croire être appelés pour donner une nouvelle Constitution à la France, mais pour réformer les abus qui se glissent nécessairement dans toute espèce de gouvernement, à la su te des temps et par la seule nature des passions et des choses. Vous n’avez pas cru vous-mêmes nous envoyer dans ces vues, puisque vous nous avez désigné les objets dont nous devions nous occuper uniquement; puisque vous nous avez fait faire serment de nous conformer à vos vues ; puisque l’anéantissement des ordres, la destruction des anciennes formes n’étaient pas recommandées dans nos charges, et nous le répétons, Messieurs, nous avons toujours pensé que ces charges nous étaient strictement imposées; nous avons toujours cru que nous y conformer était pour nous un devoir de rigueur dont nous ne pouvions être dégagés par quelque espoir que nous eussions conçu de pouvoir remplacer l’ordre ancien, par un meilleur ordre d : choses. Nous n’avons jamais cru que l’on pût mettre de côté le vœu bien exprimé de ses commettants, les forcer malgré eux au sacrifice de leurs lois, de D urs usages, de leurs propriétés, de leur sûreté, de leurs dignités peisonuelles. Nous n’avons jamais cru qu’on pût se jouer des serments, sons le prétexte d’un plus gra id bonheur; nous n’avons pas cru que l’on pût jamais disposer de la volonté de ses commettants, et mettre l’incertaine espérance à la place de la réalité des règles. Mais, si nous avons pensé et nous pensons toujours que notre gouvernement ancien, ce gouvernement qui se perd dans la nuit des temps, ce gouvernement sous lequel la France s’est élevée à ce degré de gloire et de puissance qui étonnera l’imagination des races futures, que ce gouvernement enfin, rétabli sur ses bases, dégagé de quelques abus, rapproprié aux circonstances, é; ait le plus propre à assurer le bonheur du peuple, celui du monarque et la gloire du nom françai-; Si nous nous sommes démontrés à nous-mêmes que le gouvernement anglais, dont nous sommes peut-être admirateurs plus sincères que ceux qui voulaient le transplanter dans ce royaume, que ce gouvernement si bien approprié à cette île, qu’il en fera constamment la félicité, tant qu’il sera respecté et conservé pur et intact; que ce gouvernement enfin n’aurait pas pour la France les mêmes avantages que le gouvernement français tel qu’il pouvait être, si l’on s’etait borné à suivre vos intentions et à remplir vos vues; Si, malgré vos vues, malgré notre opinion même, nous eussions voté pour ce gouvernement, n’eût-ce pas été trahir nos consciences et vos volontés, manquer à la loi que vous nous aviez faite à nous-mêmes, et donner l’étrange spectacle de délibérants rassemblés pour voter contre le vœu exprimé de leurs commettants et le cri de leurs consciences mêmes ? L’essence d’un bon gouvernement, Messieurs, est d’être tellement propre à une nation, qu’il ne pourrais, sans perdre de son excellence, se transporter chez une autre. C’est ce que nous avons pensé du gouvernement d’Angleterre, et nous allons essayer de vous le démontrer. Nous vous répétons que c’est en quelque façon, par surabondance de justification, que nous allons essayer de traiter rapidement cette question sous quelques rapports généraux, mais suffisants dans le moment actuel. Nous l’embrassons dans le désir de ramener l’opinion de quelques-uns de nos commettants qui pourraient regretter�de ne nous avoir pas vus fléchir sous le poids des circonstances, et dans le dessein d’être miles à ceux que les événements pourront peut-être un jour mettre à même de choisir entre le rétablissement de notre gouvernement ou l’institution de deux Chambres, à laquelle il semble que beaucoup d’esprits attachent le salut d > la France. C’est donc uniquement dans l’intention d’être utilesàt’éclaircisœment de cette grande question, que nous allons nous en occuper; car nous ne cesserons jamais de croire que ce choix n’était point à notre disposition, que notre conduite nous a été dictée par vous-mêmes, et que nous n’avons jamais pu nous eu écarter sans crime. La Constitution anglaise réunit trois pouvoirs séparés dans sa législation. Le roi consent ou refuse à volonté sa sanction à toute loi proposée ; la Chambre haute, composée de pairs héréditaires, ne représente que la noblesse et les possesseurs de fiefs; la Chambre des communes représente le peuple qui a élu les membres qui la composent. La force delà Chambre haute n’est fondée que sur l’opinion, mais c’est beaucoup chez une nation réfléchie qui tient à sa Constitution qu’elle fait remonter aux époques les p!us reculées, pour la rendre plus vénérable. C’est dans cet esprit national que réside toute la puissance de la Chambre des pairs; car, lorsque l’esprit de vertige a entraîné les Anglais hors d’eux-mêmes, cette Chambre n’a pu résister aux efforts delà Chambre des communes, toujours appuyée par la multitude dont elle est le représentant. Son courage fut inutile sous Cromwell pour conserver la monarchie et le trône qu’une faction voulait renverser. Ces époques sont heureusement rares dans celte nation, parce qu’elle est singulièrement attachée à ses principe? et à ses institutions. Mais chez les Français , légers par caractère et inconstants par goût, chez ce peuple qui a perdu dans 6 mois les idées de gouvernement [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 492 qui l’avait régi pendant 14 siècles, qui se fatigue de tout, même de ses Assemblées politiques, puisque Charlemagne fut obligé de faire une loi pour les y faire assister assidûment; ce peuple qu’on a vu ardent pour la liberté, pendant la captivité du roi Jean, supplier Louis XI de le débarrasser de ces Assemblées qui le fatiguaient, quoiqu’il les eût désirées avec ardeur; chez cette nation que César vous dépeint si bien, lorsqu’il nous dit qu’à son entrée dans les Gaules, il en trouva les habitants < légers, faciles à changer d’avis, et avides de nouveautés; qui arrêtaient les voyageurs pour s’informer de ce qu’ils savaient ou de ce qu’ils avaient ouï dire ; entourant dans les villes les marchands pour leur demander d’où ils venaient, et ce qu’ils avaient appris de nouveau dans ces quartiers-là ; délibérant les affaires les plus importantes sur des bruits et sur des rapports, et ne pas tarder aussi à se repentir de s’être ainsi livrés à des bruits incertains, et la plupart accommodés à leur goût ; ayant des factions dans toutes les cités, les bourgs et les villages, dont les chefs exerçaient le souverain pouvoir, et faisaient résoudre ce qui leur plaisait; » dans une nation dont le caractère a conservé tant de traits de ressembla ice avec celui de ce temps éloigné, l’opinion ne peut se placer sur une base solide. Jamais la Chambre haute n’acquerrait la consistance et la force nécessaires à son soutien ; elle serait obligée, pour se maintenir dans une apparence de dignité, de céder à la multitude révoltée ou à un roi absolu. Sous le règne de Louis XI elle eût été dans l’entière dépendaneedu monarque ; sous le règne faible de Charles VI, elle eût été asservie aux volontés des communes entraînées par la turbulence des factions ; enfin plier au gré du plus fort, serait le seul rôle qui lui serait réservé pour soutenir sa frôle existence. Mais, en supposant que les avantages de ce nouvt au plan oe Constitution eussent été incontestables, pouvions-nous entreprendre de changer et d’abolir ces lois antiques et respectables par lesquelles nous existions? Nous avons suivi le sentiment de Rousseau, consulté par la Pologne sur la réforme de son gouvernement. « Bravi s Polonais, leur dit-il, prenez garde que, pour vouloir trop bien être, vous n’empiriez votre situation. En songeant à ce que vous voulez acquérir, n’oubliez pas ce que vous pouvez perdre; corrigez, s’il se peut, les abus de votre Constitution, mais ne méprisez pas celle qui vous a faits ce que vous êtes; il est un temps où l’on est plus frappé des abus que des avantages, et malheureusement ce sera quand vous les aurez perdus. » Après avoir exprimé le sentiment du philosophe, ne nous est-il pas permis de penser avec le Lycurgue français (1) « que la France eût été au comble de la prospérité, et les Français parfaitement heureux, si l’on avait pu faire en sorte que tout Je monde eût de nouvelles raisons pour aimer ses devoirs, son prince, sa patrie et ses lois ; pour qu’on eût mieux senti son bonheur dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans < haque poste où l’on se serait trouvé. » Ces saines maximes ont été négligées; l’esprit (1) Montesquieu, Esprit des Lois. de système a prévalu, l’Assemblée en a fait la règle de sa conduite ; elle a adopté le même plan de Constitution que les Etats du royaume de Suède élevèrent à la mort de Charles XII, contre l’autorité des rois ses successeurs. « Si les Suédois conservèrent l’office delà royauté (1), ils n’eurent, malheureusement pour tux, d'autre intention que celle de conde-cendre au goût du peuple, encore attaché à la monarchie et auquel il fallait quelqu’un qui portât le tilre de roi ; mais ils ne connurent pas assez les vrais principes de la liberté, pour concilier les droits du monarque avec la liberté de la nation. » Quelle a été l’issue de cette dégradation de l’autorité royale? Des factions ce sont élevées, poussées par des intérêts particuliers ou appuyées par des puissances étrangères que leur intérêt portait à faire disparaître cet Etat de l’ordre politique où il avait paru avec éclat, et même avec supériorité. N’avons-nous pas à craindre les mêmes malheurs? Ils sont inséparables d’une Constitution qui ne tient pas un juste milieu entre le despotisme et la licence, et qui établit une méfiance réciproque entre le roi et le peuple. Ces malheurs ne prépareront-ils pas le jour où le monarque s’étant ressaisi du pouvoir suprême que des factions se seront disputé, et qu’elles abandonneront dans l’abattement de leurs forces épuisées par une lutte cruelle, pourra leur dire comme Gustave III : vous n’êtes rien (2). Alors seul il réglera la forme du gouvernement, et ne mettra d’autres bornes à son autorité que celles que sa modération saura lui prescrire. Fidèles à nos mandais, Messieurs, nous avons parcouru notre pénible carrière. La chaleur des opinions contraires et les menaces d’un peuple égaré ne nous ont pas ébranlés. Nous avons voulu le salut et la gloire de notre pays. Le bonheur du peuple a été l’objet de notre sollicitude et l’ambition de nos travaux. Il nous rendra un jour, sans doute, la justice qui nous est due. Nous formons les vœux les plus ardents pour qu’il ne soit pas ramené à ce sentiment, seule consolation de nos pensées, par l’épreuve des plus grands malheurs. En terminant, Me-sieurs, le compte que nous vous devons de notre conduite, nous confirmons avec vous les déclarations et oppositions que nous avons faites dans le cours de la session pour le soutien de la monarchie et des droits de tous. Nous renouvelons avec vous le serment d’amour et de fidélité que nous avons voués au roi, à la patrie, à la religion, et en nous abandonnant à un sentiment si doux, nous remplissons le plus saint des devoirs. Nous avons l’honneur d’être avec respect et rattachement le plus inviolable, Messieurs, vos très humbles et très obéissants serviteurs. Paris, le 29 août 1791. Signé : Montcalm-Gozon, député par la noblesse de la sénéchaussée de Carcassonne aux Elats généraux. De la Salle de Roquefort, député aux Etats généraux, par la noblesse du pays de Marsan. (1) Ch. F. Schéridan, Histoire de la dernière Révolution. (2) L’abbé Raynal, Histoire philosophique des Indes.