SÉANCE DU 11 FRIMAIRE AN III (1er DÉCEMBRE 1794) - N°s 36-38 353 36 Un secrétaire relit divers décrets rendus sur le rapport du comité de Législation, dans la séance du 10. La rédaction en est adoptée (41). 37 La Convention nationale accorde au citoyen Legendre (de la Nièvre), l’un de ses membres, un congé de trois décades pour le rétablissement de sa santé (42). [Legendre de la Nièvre à la Convention nationale, Paris, le 11 frimaire an III\ (43) Citoyen président, Je te prie de faire part à l’assemblée de la demande que je lui ai faite d’un congé de deux ou trois décades, dont j’ai besoin pour le rétablissement de ma santé. Salut et fraternité. Signé, Legendre de la Nièvre. 38 Des citoyens de la commune de Brest [Finistère] se présentent à la barre, pour se disculper d’imputations calomnieuses qu’ils disent avoir été faites contre cette commune. Ils rappellent tous les services que ses habitans ont rendus à la liberté depuis le commencement de la Révolution, le premier port de l’Europe sauvé par eux des efforts de l’aristocratie, les campagnes délivrées du fanatisme, les rebelles comprimés, un pacte fédératif signé à Pontivy [Morbihan], le palais du tyran rougi, au 10 août, du sang généreux de la jeunesse bres-toise, les dons volontaires versés en abondance du sein de cette commune sur l’autel de la patrie, etc. Les habitans de Brest, disent-ils, ont été accusés d’avoir voulu livrer le port, faire insurger l’armée navale mouillée à Quiberon [Morbihan]. ..imputation ridiculement calomnieuse, sur laquelle le massacre même des patriotes n’a pu, depuis 13 mois, amener un commencement de preuves. Ils se plaignent ensuite d’un tribunal révolutionnaire établi terrorique-ment dans cette commune; ils l’accusent d’actes sanguinaires et divers abus de pouvoirs. Enfin, ils réclament en faveur de deux cents marins, détenus depuis 14 mois; ils demandent qu’ils soient jugés (41) P.-V., L, 223. (42) P.-V., L, 223. C 327 (1), pl. 1433, p. 12. Boudin rapporteur selon C*II, 21. (43) C 327 (1), pl. 1433, p. 12. C.Eg., n° 835 ; Ann. R.F., n° 71. sans délai, mais non par le Tribunal révolutionnaire, inhabile pour juger des délits militaires (44). L’ORATEUR (45): Citoyens représentants, entendez les cris d’une commune aussi célèbre par son patriotisme que malheureuse par les persécutions qu’elle a subies. [Rendue à la liberté depuis l’heureuse révolution du 10 thermidor, elle nous charge de vous féliciter sur votre énergie, et adhère formellement aux mesures que vous avez prises pour garantir la patrie des atteintes des factions et de ceux qui se prétendoient exclusivement les amis de la chose publique. Convention nationale, Brest n’est plus aux égorgeurs ; cette cité a repris son énergie de 1789; et si les dictateurs y comptent encore quelques complices, ceux-ci n’y comptent plus de partisans. A peine les forfaits des tyrans que vous venez d’abattre ont-ils été dévoilés, que l’exécration publique qui étoient rassemblée sur la tête de ses odieux agens, les a signalés dans toute leur noirceur. Maintenant, livrés à l’indignation générale, leur unique ressource, après n’avoir pu assassiner tous les patriotes, est de diffamer ceux que le peuple a revêtus de sa puissance.] (46) Les habitants de Brest, qui ont été accusés d’avoir voulu livrer le port, faire insurger l’armée navale mouillée à Quiberon, nous ont ordonné de les disculper d’une imputation sur laquelle le massacre même des patriotes n’a pu depuis treize mois amener un seul commencement de preuve. Eh quoi ! tant de services rendus à la Révolution ne les justifient-ils point? Interrogez les officiers du ci-devant grand corps de la Marine ; ils vous diront que, sans les Brestois, le premier port de l’Europe allait devenir la proie de l’aristocratie; [interrogez les marins de nos escadres, ils vous diront que, sans les Brestois, les armées navales étoient livrées aux plus perfides suggestions] (47); interrogez les habitants des campagnes, ils vous diront que, sans les Brestois, le fanatisme obtenait une bannière. Ouvrez les annales de la liberté : aussitôt la nouvelle du 14 juillet 1789, les pères de famille souscrivirent pour composer une force armée, et envoyèrent leurs fils servir ici de remparts à la représentation nationale. Feuilletez les registres de Pontivy; les jeunes gens de Brest n’ont-ils pas été des premiers à signer le fameux pacte fédératif? Une foule de dons patriotiques, les secours accordés aux soldats de Châteauvieux, la surveillance du port, l’armement des côtes, la compression du fanatisme et de la Vendée qu’on organisait autour d’eux, tout ne parle t-il pas en leur faveur? Ces bataillons qui ont si bien servi la liberté dans les deux hémisphères, ces cohortes valeu-(44) P.-V., L, 223. (45) Moniteur, XXII, 641-642. Bull., 11 frim. ; Rép., n° 72 ; Débats, n° 798, 1015-1016 ;Ann. Patr., n° 700 ; C. Eg., n° 835 ; F. de la Républ., n° 72 ; J. Perlet, n° 799 ; J. Fr., n° 797 ; Gazette Fr., n° 1064; M.U., n° 1359, 1360 ; Mess. Soir, n° 835. (46) Bull., 11 frim. (47) Id. 354 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE reuses dont le sang à rougi, le 10 août, les murailles du palais où vous siégez, tant d’actions enfin que nos annales célébreront, ne suffiraient-elles pas pour écarter jusqu’à l’odieuse idée d’assimiler les républicains de Brest aux royalistes de Toulon ? Représentants, la ville de Brest a possédé dans son sein un de ces tribunaux de sang dont les individus ne peuvent se classer que dans la catégorie des monstres ; on y comptait deux hommes que le tyran voulut récompenser dans la loi du 22 prairial, par laquelle il les conserve juges au ci-devant Tribunal révolutionnaire de Paris. L’accusateur public de celui de Brest a hautement avoué que les décrets de la Convention n’étaient point sa règle ; c’est à sa diligence que l’exécuteur composait un parterre avec vingt-six têtes de suppliciés. Ce tribunal a destitué trois jurés qui s’étaient refusés à voter la mort d’un accusé ; les apprêts du supplice se commandaient avant le jugement. : il a retenu dans les cachots vingt-cinq matelots parce qu’ils ne dénonçaient pas leurs officiers. Les faits que nous venons de rapporter sont attestés par tout Brest. [Les actes d’accusation criminalisant les actions les plus pures, dénaturaient les faits les plus positifs, et sembloient n’avoir d’autre but, pour ceux qui s’étoient montrés dans la révolution, que de travestir le civisme le plus ardent en royalisme le plus infecte. Quelquefois les accusés démandoient vainement la parole, et n’obte-noient point la faculté de rappeler au jury leur vie politique. Les défenseurs officieux, les témoins à décharge ont été interrompus, menacés, même renvoyés. La question intentionnelle n’a jamais été mise aux voix. Le tribunal a osé mettre un accusé hors la loi ; et, dans le même séance, il a condamné à mort un autre prévenu qui, intimidé, avoit à peine commencé sa défense. Le ci-devant Tribunal révolutionnaire de Paris étoit suspendu par décret, que celui de Brest appeloit à la barre quatre accusés, le 19 thermidor, en vertu de la loi du 22 prairial; et tout donne à croire que le rapport en étoit connu lorsque le jugement a été prononcé. Apprenez, représentants, que ce tribunal a destitué trois jurés qui s’étaient refusés à voter la mort d’un accusé ; les apprêts du supplice se commandaient avant le jugement, et qu’il a retenu dans les cachots vingt-cinq matelots, parce qu’ils ne dénoncoient pas leurs officiers. Les faits que nous venons de rapporter sont attestés par tous à Brest. Il est d’autres attentats que nous dévoilerons dans vos comités, et nous leur rappellerons qu’ils ont promis à tous les Français que crime, qui ne peut trouver de défenseurs que quand il a des complices, mendierait un asyle, et ne l’obtiendrait pas. Satisfaits d’avoir signalé les conspirateurs, nous applaudirons votre décision quelle qu’elle soit ; et nous préférerons intéresser votre sensibilité sur le sort des veuves et des orphelins des innocens assassinés par le tribunal révolutionnaire de Brest. (48) (48) Ibid. Représentants, plus de deux cents marins sont détenus pour les affaires de Quiberon, Toulon, le vaisseau Le révolutionnaire et le combat du 13 prairial, dont beaucoup, depuis quatorze mois, attendent que la justice nationale les délivre de la vie ou de l’esclavage. Nous observons cependant qu’un tribunal révolutionnaire est inhabile à juger des délits à la mer, et que c’est compromettre la sûreté des prévenus que d’y traduire des marins pour faits militaires. [Les inculpations dirigées contre les officiers du Révolutionnaire et du combat du 13 prairial, sont trop graves pour rester dans l’oubli; ils demandent à grands cris qu’on termine à leur égard. Coupables, s’il faut que des têtes tombent ; innocens s’ils sont nécessaires à leurs vaisseaux. Quant aux affaires de Quiberon et de Toulon, ils est à notre connaissance que si on renvoie tous les prévenus au Tribunal révolutionnaire de Paris, il deviendra impossible à l’accusateur public de matérialiser un acte d’accusation pour chacun des individus, parce que plusieurs ne sont point inculpés, et sont nantis de certificats ostensibles. Représentans, vous apercevez que sans une marine formidable, il deviendra difficile de cimenter une paix glorieuse. Est-ce entretenir le feu sacré de la liberté parmi les marins, que de les jeter à chaque incident, en masse, dans les cachots, et de les y laisser pourrir? En accusant moins les hommes que les événemens, ordonnez à vos comités de gouvernement de statuer, sur-le-champ, ce qu’il appartiendra. (49) Confiants dans votre justice, les Brestois attendent tout d’elle; ce n’est pas du sang et des proscriptions que nous demandons, ce sont des mesures qui peuvent sauver la République. [Instruits par vos malheurs, formés au grand art de gouverner par votre habitude à vaincre les factions, restez au poste où le choix du peuple vous a placés, jusqu’à ce que la République soit fermement consolidée au-dedans, et solemnelle-ment reconnue au dehors; purgez le sol de la liberté des monstres altérés de sang; l’intérêt public ralliera tous les patriotes sous votre bannière, car c’est ici qu’ils viendront chercher le mot d’ordre; et si quelques conspirateurs tentoient encore de vous opprimer, donnez le signal au peuple, qui est là, qui veille pour vous ; il fera ce qu’il a déjà fait : il les exterminera. Vive la Convention nationale ! Vive la République!] (50) Cette adresse est renvoyée aux comités de Salut public et de Sûreté générale (51). Le président [CLAUZEL] répond aux pétitionnaires (52). LE PRÉSIDENT (53) : Assurer à la Convention nationale que la trahison dont on vouloit jeter l’opprobre sur les habitans de Brest, n’a (49) Ibid. (50) Ibid. (51) Moniteur, XXII, 642. (52) P.-V., L, 223. (53) Bull., 11 frim. M.U., n° 1360 ; Mess. Soir, n° 835.