558 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mail790.] « Décrète que son président se retirera devers le roi pour le supplier de faire poursuivre par les voies légales le meurtre commis en la personne du sieur de Voisins ; « Décrète que les pièces trouvées sur ledit sieur de Voisins seront envoyées en original au comité des recherches ; que le scellé qui a été apposé sur ses effets ne pourra être levé qu’eu présence des officiers municipaux, et du major du régiment dudit sieur de Voisins, et qu’il sera fait procès-verbal et description des papiers relatifs aux affaires actuelles du royaume qui pourraient s’y trouver, pour être également envoyés au comité des recherches ; « Charge son président d’écrire à la municipalité et à la garde nationale de Valence, pour leur témoigner l’approbation de l’Assemblée nationale sur leur conduite et les efforts qu’elles ont faits pour prévenir le malheur arrivé le 12 de ce mois. » M. le comte de Crillon, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi au soir. Il est adopté. M. l’abbé de La Rochefoncault, député de Provins, fait demander à l’Assemblée un congé de quelque temps, nécessaire au rétablissement de sa santé ; ce congé lui est accordé. L’Assemblée est instruite que le sieur Curé de la Madeleine est détenu dans les prisons de la ville deChâteau-Landon. Sur la représentation qui lui est faite que cette détention est sans cause, elle décrète « que son président écrira à la municipalité que nul citoyen ne peut être privé de sa liberté qu’au nom et en vertu de la loi ». L’ordre du jour est l 'affaire d’Alsace , ajournée à la présente séance dans la précédente du soir; mais comme il ne reste pas de temps pour discuter cette affaire, elle est ajournée de nouveau. M. le Président lève la séance, et indique la suivante à demain matin, à l’heure ordinaire. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. THOURET. Séance du mardi 18 mai 1790, au matin (1). M. le Président ouvre la séance à neuf heures du matin. M. Defermon, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la première séance d’hier. M. Chabroud, secrétaire, lit le procès-verbal de la séance du soir. Ces procès-verbaux sont adoptés. M. Chabroud fait ensuite part de deux adresses ; l'une du conseil général de la ville de Mon-toire, district de Vendôme , département du Loir-et-Cher, et l’autre du conseil général de la ville de Pierrelatte. Ces deux pièces contiennent le désaveu formel (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. des principes énoncés dans la délibération des soi-disant catholiques de la ville de Nîmes, quia été adressée à ces deux différentes municipalités, lesquelles déclarent regarder cette même délibération comme attentatoire à l’honneur de la religion et à la tranquilité publique, se réunissent aux soldats-citoyens du district d’Alais pour arrêter les progrès du fanatisme, et adhèrent de la manière la plus formelle, notamment au décret du 13 avril dernier, et jurent d’en maintenir l’exécution avec courage. L’Assemblée passe tout de suite à son ordre du jour qui est la suite de la discussion de la question constitutionnelle concernant le droit de guerre et de paix. M. le duc de Praslin. Il s’agit de prononcer à qui du roi ou des législateurs doit appartenir le droit de faire la guerre ; en un mot, en qui résidera la confiance? Voilà le vrai point de la question. Celui qui a évidemment le plus d’intérêt à la mériter doit l’obtenir. La question serait simple, si le monarque rempli de vertus pouvait tout exécuter par lui-même ; mais il est forcé de diviser ses fonctions. Quelle est la responsabilité du délégué suprême de la nation ? C’est la signature des agents qu’il a choisis comme instruments nécessaires pour l’exécution de ses ordres. Ils sont responsables, même des événements, tandis que les législateurs ne sont sujets à aucune espèce de responsabilité. Sur la différence que l’on a établie entre diverses espèces de guerres, j’observerai que tous les manifestes prouvent la nécessité des hostilités et portent les prétextes d’une juste défense. Le roi de Prusse, lorsqu’il a envahi la Saxe ; l’impératrice de Russie, dans la guerre contre la Porte, semblaient avoir les motifs les plus légitimes : quand la jalousie n’agitera plus les hommes, je me plairai alors au rêve philanthropique de M. l’abbé de Saint-Pierre. N’oublions pas le besoin que nous avons de nos colonies, et que cependant, sans la coalition de nos voisins, l’Angleterre pourrait nous en priver par ses forces maritimes et devenir la reine du monde. Sans cabinet particulier et secret, point de négociation possible. Sera-t-il jamais possible de discuter publiquement les correspondances à entretenir avec les puissances du monde ? Vous ne le pensez pas, et vous ne pouvez le penser ..... Impossibilité de discuter publiquement les négociations avec l’étranger ; imprudence à charger les représentants du peuple du droit de faire la guerre, lorsqu’ils ne peuvent être responsables ; sûreté pour la nation de le confier à son délégué suprême; enfin la responsabilité des ministres : telles sont les réflexions que j’ai l’honneur de soumettre à l’Assemblée nationale pour diriger son décret. M. le duc du Châtelet. Je ne puis qu’applaudir à l’opinion de M. de Sérent, et je me bornerai à répondre à quelques objections. A Dieu ne plaise que je dise que le conseil du roi n’est jamais le foyer des intrigues et des passions ! Les ministres ne sont pas toujours ignorants et perfides; s’ils s’égarent, la responsabilité les ramènera à la vertu ; et si la responsabilité n’est pas très puissante sur les délégués du prince, elle est certainement nulle pour les délégués du peuple. Une assemblée nombreuse peut êire bien plus aisément corrompue. En Suède la diète est toujours remplie de gens soudoyés par la France, par l’Angleterre ou par la Russie. Les alliances, la paix et la guerre y sont le résultat de la plus [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1790.] 559 odieuse corruption... Si l’on ne permet aucune alliance qui ne soit traitée au milieu du pouvoir législatif, la France n’aura bientôt plus d’alliés... On propose de créer un comité diplomatique. La nation est bien maîtresse de divulguer ses secrets, mais non de faire connaître ceux des autres. Si ce comité ne rend pas compte à l’Assemblée, il sera un autre conseil d’Etat qui présentera de grands inconvénients, puisque les membres de ce conseil ne seront pas responsables. On a pensé que l’Espagne est intéressée à troubler notre Révolution ; j’observe que c’est l’Angleterre qui arme. On s’est livré à des détails très érudits, et l’on a examiné le pouvoir de nos rois, dans le rapport de la question dont il s’agit, en remontant jusqu’aux Germains. Mais les guerres, les traités, les alliances des Germains ne ressemblaient pas plus à nos traités, à nos guerres, à nos alliances, que nos armées, notre tactique et nos armes ne ressemblent aux leurs. Pour effrayer sur les suites du droit de paix et de guerre accordé au roi, on a attaqué la mémoire de plusieurs de nos princes. Est-il donc permis d’attaquer ainsi les rois chez un peuple qui s’est toujours distingué par son amour pour ses rois? Si le règne de Louis XIV fut plus glorieux qu’utile, peut-on oublier qu’il a valu trois belles provinces à la France? Sous son successeur, l’étendue de l’empire s’est encore accrue ; c’est sur les dernières années seules que l’histoire peut porter un regard sévère. La guerre de Sept ans fut seule défensive. On dit que la constitution anglaise est imparfaite; mais si l’expérience doit avoir plus d’empire sur les hommes que des systèmes non réalisés, nous croirons peut-être, avec l’Angleterre, que le droit de refuser les subsides est un moyen certain d’empêcher le roi d’abuser du droit de paix et de guerre pour opprimer la liberté. Je conclus et je dis que le droit de paix et de guerre doit être délégué au roi, mais que les traités de paix ne peuvent être obligatoires qu’après avoir été ratifiés par l’Assemblée nationale. M. de Robespierre. Après les vérités importantes qui vous ont été présentées sur la question, il reste encore à répondre à un très petit nombre d’objections, à résumer les points principaux, à réduire la question à ses termes les plus simples et à fixer vos regards sur notre situation actuelle. En me rappelant ce qu’ont dit les deux préopinants, je ne vois qu’une seule objection : la nation étant obligée de déléguer tout le pouvoir, autant vaut et mieux vaut déléguer au roi, qui est représentant de la nation, le droit de déclarer la guerre. Il est inexact de dire représentant de la nation. Le roi est le commis et le délégué de la nation pour exécuter les volontés nationales... MM. d’Estourmel, de Murinais, etc., demandent que l’opinant soit rappelé à l’ordre. M. de Robespierre. Certainement le murmure qui s’élève n’aurait pas lieu, si l’on avait compris ma pensée ; on ne m’aurait pas soupçonné de manquer de respect à la majesté royale, puisqu’elle n’est autre chose que la majesté nationale. J’ai voulu donner une magnifique idée de... Si mes expressions ont affligé quelqu’un, je dois les rétracter : par commis, je n’ai voulu entendre que l’emploi suprême, que la charge sublime d’exécuter la volonté générale; j’ai dit « qu’on ne représente la nation que quand on est spécialement chargé par elle d’exprimer sa volonté. Toute autre puissance, quelque auguste qu’elle soit, n’a pas le caractère de représentant du peuple. Je dis donc que la nation doit confier à ses représentants le droit de la guerre et de la paix. A toutes ces réflexions j’ajoute qu’il faut déléguer ce pouvoir à celui qui a le moins d’intérêt à eu abuser. Le Corps législatif n’en peut abuser jamais, mais c’est le roi armé d’une puissante dictature qui peut le rendre formidable, qui peut attenter à la liberté, à la Constitution. Le roi sera toujours tenté de déclarer la guerre pour augmenter sa prérogative : les représentants de la nation auront toujours un intérêt direct et même personnel à empêcher la guerre. Dans un Distant ils vont rentrer dans la classe des citoyens, et la guerre frappe sur tous les citoyens. Pour éviter ces inconvénients sans nombre qui se présentent à nos regards, je propose à l’Assemblée de fixer son opinion sur le projet de décret de M. Pétion ; c’est ici le moment de commencer cette grande Révolution qui s’étendra sur toutes les parties du monde. Je ne crois pas qu’il soit facile de supporter l’idée de la guerre qui l’annonce. C’est l’Espagne qui a fait les premiers préparatifs; c’est l’Espagne qui a réclamé des possessions éloignées. On nous parle d’un traité : quel traité? un pacte de famille est-il un pacte national?, Comme si les querelles des rois pouvaient encore être celles des peuples... (On observe que ce n'est pas l’ordre du jour.) Il est impossible que des événements qui amènent cette discussion soient étrangers à cette discussion. Il est important d’avertir l’Assemblée nationale que cette question traitée, elle en aura une autre à traiter. Pourquoi voulez-vous m’empêcher de vous dire que vous êtes exposés aux plus grands des dangers, si vous ne prenez pas un décret sage ? Je conclus à ce que l’Assemblée délibère, d’abord sur le projet de décret de M. Pétion de Villeneuve, et ensuite sur les circonstances présentes. M. le baron d’Harambure. L’intérêt national est la conservalion de la liberté; cet intérêt est notre seul guide, il sera le seul motif de mon opinion. La nation a le droit de faire la guerre et de conclure la paix ; il faut qu’elle le délègue. L’Assemblée nationale permanente pourrait l’exercer sans inconvénient; mais il est de principe que les droits de la natiou ne peuvent être délégués qu’à des agents responsables. La prudence peut nous engager à prendre un parti très simple. Toutes les fois que le roi croira devoir entreprendre une guerre, faire un traité d’alliance, ou donner la paix, on joindra, pour un temps, à son conseil cinq membres de l’Assemblée nationale qui n’auront pas voix délibérative dans le conseil ; ils prendront connaissance de toutes les opérations et en instruiront l’Assemblée nationale. La délégation faite au roi du droit de déclarer la guerre sera décrétée de nouveau à la fin de chaque législature, afin qu’on ne vous reproche pas d’avoir délégué sans retour un droit si précieux pour la liberté ; mais il ne faut pas renoncer à faire des guerres offensives. Le roi de Prusse, étant instruit que trois puissances avaient fait un traité contre lui, entra dans la Saxe avec 30,000 hommes; il enleva les archives et trouva le traité; on a cru qu’il avait fait une guerre offensive. Je m’oppose donc à la proposition qui vous a été proposée et dont la grandeur pouvait vous avoir séduits. Les cinq membres seront nommés par l’Assemblée législative ; ils résideront toujours à Paris et ne pourront s’en éloigner sans un congé, &60 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (18 mai 1790.: afin qu’on puisse savoir où les prendre. Il est impossible que vous vous passiez d’alliance, ou bien vous ne pourrez résister à l’Angleterre ; votre commerce sera détruit, et vous aurez sur les bras quatre millions de Français que le commerce fait subsister. M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre (1). Messieurs, la question que nous avons à traiter, l’une des premières dans l’ordre politique, par son importance, est encore, dans l’ordre de la morale, l’une dés plus grandes qui ait jamais été soumise à une assemblée délibérante. Vous devrez, pour la résoudre, user de toute la plénitude de votre sagesse, de toute votre impartialité, de tout votre amour pour les peuple, de toutes les vertus qui appartiennent au législateur. Et ceux d’entre nous qui se permettent de vous présenter quelques idées, doivent, sans doute, n’aborder ce grand problème qu’avecune extrême circonspection et la pensée religieuse, si je puis parler ainsi, que vous conseiller une erreur serait un crime contre la justice et les hommes ; que vous présenter la vérité, c’est bien mériter, non seulement de la patrie, mais de l’humanité tout entière. On vous demande si la nation doit déléguer au roi le droit de faire la paix et la guerre? Pour répondre d'une manière satisfaisante à la question, il faut d’abord examiner successivement les éléments dont elle se compose, les principes constitutionnels qui la décident et les suites morales ou politiques qu’entraîne la solution. Cette marche m’a paru simple ; elle est la seule qui puisse faire disparaître les erreurs qui s’attachent facilement à une proposition complexe. Qu’est-ce que c’est que le droit de faire la paix et la guerre ? Pour le définir je suis forcé de remonter au principe des sociétés et des conventions humaines. On trouve des idées justes sur la guerre, sur les alliances et sur la paix. Les hommes ayant reçu de la nature des notions communes du juste et de l’injuste, mais en étant souvent écartés parles passions dans la pratique, et ces écarts compromettant leur sûreté et leurs intérêts respectifs, celui qui est ainsi attaqué a le droit de repousser la force par la force, et voilà, sans doute, l’état de la guerre entre les individus. Les hommes éclairés sur les maux qu’entrai-nent ce désordre, se réunissent en société, déclarent que leur volonté est que les individus se conforment aux notions naturelles du juste et de l’injuste. Cette volonté générale devient la loi: On convient d’opposer la force publique aux transgressions particulières, et alors l’homme injuste se trouvant moins fort que tous il est réprimé ou puni; la paix succède à la guerre entre individus, et voilà l’état social. Le remède à la guerre entre individus n’est point complètement applicable à la guerre entre nations. Les corps politiques qui résultent de la réunion des hommes par les lois sociales ont entre eux les mêmes rapports naturels que les individus. N’étant soumis à aucune loi commune à tous, n’ayant pas de juge commun, n’ayant point de force publique, ils sont véritablement dans un état de nature, n’ont pour guides que les notions 41) Le Moniteur aae donne qa’ane analys®-, da .discours ,de M. 1» comte de Cleraout-Tonaerre. du juste etde l’injuste et si l’un d’eux s’en écarte à l’égard d’un autre, celui-ci, après avoir épuisé tous les moyens de conciliation, est enfin obligé d’employer la force pour y ramener l’agresseur. Il résulte de ces notions simples que le droit de faire la guerre, droit qui uexiste que parce que les puissances n’ont ni lois communes, ni juges communs, ni force publique commune, n’est véritablement que ce même droit déjà consacré par vous dans votre Constitution, ce droit imprescriptible de l’homme de résister à l'oppression qui naît ou de la transgression ou de l’absence de la loi. Ainsi disparaissent toutes ces notions fausses dont les anciens publicistes entouraient la raison des rois : toutes ces idées de grandeur dedignité, d’acquisition, idées plus ou moins faciles à défendre par des sophismes, idées qu’ont pu adopter les nations qui, comme les Romains, n’aiment la liberté que pour elle et qui méprisent la justice, idéesquel’on a pu suggérer àdes rois qui, comme lesdespotesdel’Asiesecroyaient les propriétaires de leurs peuples ; idées qu’il faut à jamais effacer du code politique d’une nation qui veut enfin être libre et juste. Le droit de guerre se réduit donc, en dernière analyse, à celui de repousser, parla force, toute atteinte véritable portée par une puissance étrangère à la propriété ou àla liberté nationale. Tout ce qui s’écarte de cette définition est injuste, tout ce qui y rentre est légitime. C’est en adoptant le principe, en le consacrant comme constitutionnel, que la nation française peut donner à l’Europe un grand exemple et présenter à l’injustice un front d’autant plus redoutable que, bornée à soutenir ce qui est strictement pur et vrai, abandonnant tout ce qui n’est que passion ou préjugé, on sent que cette profession publique est sa résolution définitive, son ultimatum,, si je puis parler ainsi, et qu’il faudrait l’anéantir pour lui arracher des sacrifices. Quelque restreint que soit, dans l’ordre de la justice, le droit de faire la guerre, il est raisonnable de prévenir les occasions de s’en permettre le funeste usage ; pour cela, les corps politiques ont un moyen puisé dans les notions mêmes de l’état social. Les peuples se réunissent par des conventions : du rapprochement de leurs forces, il naît une sorte de force publique qui en impose à celui qui voudrait attaquer l’un d’eux, et qui, assez fort contre un seul, ne l’est point assez contre plusieurs. Voilà la cause et le principe juste des alliances; principe bon en lui-même, mais dont les peuples sont abusé; car les peuples sont des collections d’hommes et les hommes abusent de tout. Au lieu de se rapprocher pour se défendre on s’est rapproché pour surprendre, pour attaquer, pour envahir, et l’on a mis des germes de guerre dans ces traités (qui ne devaient originairement leur naissance qu’au désir de vivre en paix. En ramenant aux vrais principes de la justice la théorie des alliances, il est évident, Messieurs, que toute alliance doit être défensive ; que son but doit être de protéger, par les forces combinées de deux puissances, la liberté et la propriété de ces deux puissances. Tout ce qui rentre dans cette définition est légitime, tout ce qui en sort est injuste. Passons à l’article de la paix. Lorsque la guerre est entreprise pour unecause juste, quel doit être alors son terme et à quelle circonstance s’applique le droit de faire la paix? On sent facilement, Messieurs, que toute idée de conquête et d'agrandissement devant être rejetée de votre système, (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 118 mai 1790.) 561 le terme de la guerre est évidemment posé dans le manifeste qui l’annonce. La réparation du dommage, la restitution des terres envahies ou des objets enlevés sont évidemment le signal de la paix, chez une nation puissante qui ne veut être jamais ni passionnée, ni vindicative et qui s’est promis d’être juste. Il sera facile, d’après ce principe, de déterminer la manière dont on devra je ne dis pas user du droit, mais remplir le devoir de faire la paix. Voilà, Messieurs, les principes simples et les définitions incontestables, selon moi, des diverses parties de ce droit complexe, connu par les pu-blicislessous la dénomination fastueuse et vague du droit de paix et de guerre et qui peut s’exprimer ainsi : « Le droit de repousser par la force toute atteinte véritable par une puissance étrangère à la propriété ou à la liberté nationale. » « Le droit de réunir la force de deux puissances pour repousser toutes atteintes véritables portées par une puissance étrangère à la propriété ou à la liberté de l’une d’elles . » « Le droit, ou plutôt le devoir, de terminer par la paix, les maux d’une guerre extérieure. » Examinons maintenant, Messieurs, à qui la nation doit déléguer les droits que nous avons définis. La nation, de laquelle émanent tous les pouvoirs, mais qui ne peut en exercer aucun sans tomber dans la démocratie ou sans se désorganiser, a nommé un pouvoir constituant auquel elle a délégué le droit de créer ou de circonscrire les pouvoirs constitutionnels; de former ainsi une représentation nationale, une organisation politique dans l’ensemble de laquelle se trouvent tous les moyens d’exercer la plénitude de puissance dont le principe est toujours dans la nation, mais dont l’exercice doit toujours être dans la machine politique. Chargés de faire la Constitution, vous l’avez composée de deux pouvoirs, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ; l’un est chargé d’exprimer la volonté générale et de disposer seul de la propriété publique; l’autre est chargé d’exécuter seul la volonté générale et de diriger la force publique dans le sens de cette volonté. Il est une distinction très sensible entre les fonctions de ces deux pouvoirs : l’un chargé de vouloir pour la nation, doit exprimer une volonté qui’ait tous les caractères de la loi ; or ces caractères sont bien faciles à reconnaître; la loi ne doit jamais être faite ni pour, ni dans la circonstance, ni pour, ni contre la personne: elle doit embrasser, dans sa sagesse et dans sa généralité, les hommes et les circonstances, les lieux et les temps, sans jamais participer ni des passions ni des erreurs fugitives. Le pouvoir exécutif, au contraire, qui a reçu la volonté générale par le pouvoir législatif, ne peut plus avoir qu’une volonté d’exécution conforme, analogue à la volonté législative, peut et doit vouloir promptement agir sûrement dans chaque circonstance, dans chaque lieu, pour ou contre chaque individu. Je vous supplie de saisir cette distinction, et de vous rappeler sans cesse les caractères inhérents à la loi : pour qu’une volonté soit une loi, il faut qu’elle ait pour objet, non un fait présent et particulier, sur le jugement duquel influeraient des circonstances et des passions, mais une vérité abstraite et générale, un principe dicté par la raison et la réflexion, applicable à tous les faits de même nature, à toutes les cir-4» Séub. T. XV. constances qu’il embrasse et dont aucune ne doit ni le dominer, ni l’égarer. Voilà, Messieurs, le caractère indélébile de la loi, et, ce n’est qu’à ce prix, et avec ces précautions, qu’il est possible que le peuple consente à reconnaître dans la volonté d’une assemblée plus ou moins nombreuse, la volonté générale, la volonté de vingt-quatre millions d’individus. — Je reviens. Les distinctions que j’ai établies entre les deux pouvoirs sont incontestables, et tout peuple qui ne voudrait pas les admettre, tomberait dans ce double inconvénient : celui d’avoir une volonté législative viciée par des passions ou des circonstances, et celui d’avoir un pouvoir exécutif paralysé par des entraves. Appliquons maintenant ces principes et tâchons de décider, par leurs moyens, à quel pouvoir, sous quel mode, en quelle mesure doivent être délégués les pouvoirs politiques dont nous avons parlé plus haut. Il est évident que deux questions se présentent d’abord à l’esprit : selon quelle règle doivent s’exercer ces droits ? Par qui doivent s’exercer ces droits? Je réponds : ces droits doivent être exercés par le pouvoir exécutif, mais les règles de leur exercice doivent être clairement posées par le pouvoir législatif. En effet, ces règles indiquées par la justice éternelle, par la nature des choses, quoiqu’elles aient été constamment méconnues jusqu’à présent, sont de véritables lois, et la nation française est digne d’être la première qui les adopte comme sa volonté générale. En effet, l’application de ces règles aux cir-circonstances est une fonction du pouvoir exécutif; fonction qu’il doit exercer sous la clause de la plus stricte responsabilité de ses agents. Vous ne pouvez pas éviter cette conséquence, à moins de me nier mes principes, et vous ne nierez pas mes principes, car ils sont évidemment les vôtres. Je pourrais donc, dès à présent, vous présenter un décret qui leur serait analogue. Mais, Messieurs, il me reste à repousser les objections qu’on peut faire à ce système, et à parcourir quelques-uns des inconvénients que présentent des idées contraires. On me dira, d’abord : est-il juste qu’un homme seul, trompé par quelques ministres, puisse engager tout un peuple dans les dangers d’une guerre? Pour répondre à cette question (dont la valeur est bien atténuée pour le principe qui n'accorde ni au roi ni à personne le droit d’une guerre offensive), je me permets d’en faire une autre. Dès que ce droit doit être confié à quelqu’un, ne vaut-il pas mieux le confier, sous la clause de la responsabilité, à quelques hommes que des lois antérieures enchaînent, que de le confier à un grand nombre d’hommes qu’aucune responsabilité n’attend, et qu’aucune loi ne retient? Vaut-il mieux le confier sans conditions à ceux qui en abuseront arbitrairement que de le confier à des conditions strictes et connues à ceux qui répondront de son usage? Et voilà, cependant, Messieurs.ee que l’on vous propose évidemment, quand on veut revêtir le pouvoir législatif du droit de décider la paix et la guerre. Ce n’est pas sans doute sans intention, mais c’est certainement: sans justesse que l’on voudrait vous faire confondre le Corps législatif avec la nation. Lorsque l’on vous dit : « la nation doit seul prononcer sur ses intérêts, la nation seule doit disposer de son sang, » ces expressions sont inexactes, ,e Corps législatif n’est point et ne doit point être confondu avec la nation qui l’a institué, 36 S62 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1790. comme elle a institué le roi; avec la nation qui, comme je l’ai déjà dit, a con fié tous ses pouvoirs, môme le pouvoir constituant, et qui n’agit plus sur eux dans l’étal social que par l’opinion publique ou le terrible remède de l’insurrection. Que l’on abandonne donc ces expressions ambitieuses, mais qui obscurcissent la question; il ne s’agit pas de décider entre la nation qui est tout et un pouvoir qui n’est rien contre elle ; mais entre deux pouvoirs suprêmes indépendants, constitués l’un et l’autre par la nation et entre lesquels doivent se partager les fonctions publiques, sans autre règle que la voix impérieuse du principe et celle de l’intérêt général. Mais, dira-t-on, le vœu national aura sûrement, dans l’Assemblée législative, une influence bien plus grande que dans le conseil des rois, et il est utile que le vœu national soit écouté. Ne confondez pas, Messieurs, l’opinion publique réfléchie, l’opinion publique qui prépare les lois et dont je reconnais l’empire, avec les passions passagères auxquelles les peuples sont aussi sujets que les individus. Lorsque les Romains exerçaient leurs brigandages politiques, le Sénat était appuyé d’un vœu national, et ce vœu était le vœu d’uDè injustice; d’une autre part, on a vu un vœu national, même juste, lutter pendant plusieurs années contre les intentions perverses du Corps législatif; et lorsque le parlement britannique s’observait à tourmenter la liberté américaine, il n’était pas sous la dépendance immédiate de la véritable opinion publique d’Angleterre. Il y a donc ici deux écueils à éviter : celui de céder rapidement au vœu national, quand il n’est que le vœu d’une passion, et celui de résister opiniâtrement quand il est l’expression de la justice. Or, je soutiens que des ministres responsables ont seul l’intérêt et la possibilité d’éviter soigneusement l’un et l’autre par la certitude où ils sont d’être bientôt punis légalement, soit d’une coupable condescendance, soit d’une coupable opiniâtreté. Le Corps législatif, au contraire, n’ayant aucune de ces entraves, n’aura que sa propre raison pour se défendre, et de l’ob-stiualion que l’on prend ordinairement pour du courage, et de l’entraînement que l’on confond ordinairement avec un élan patriotique. Deux considérations puissantes me décident encore à refuser à une assemblée délibérante le droit dont il est question. L’histoire nous a conservé la mémoire des nombreux revers qu’ont éprouvés toutes les puissances, chez qui le droit de paix et de guerre a été confié à une assemblée délibérante en public; et l’Assemblée nationale est évidemment, nécessairement, une assemblée délibérante. Rappelez -vous Démosthène au milieu des Athéniens, leur représentant en vain leur intérêt et leur gloire; voyez-le dénonçant en vain les orateurs stipendiés par Philippe, et voyez ce peuple aussi corrompu qu’ingénieux, détourner ses regards de l’image de la patrie éplorée pour repaître . son orgueil et ses préjugés, des sophismes ou des adulations macédoniennes. Ce délire a causé sa perte. Suivez dans les diètes polonaises, suivez dans le sénat de Suède les intrigues ou les insinuations étrangères, vous y verrez des hommes qu’aucune responsabilité ne défend des passions ou des circonstances, et vous verrez combien de maux leurs funestes talents et leur éloquence tortueuse et leurs cabales, plus dangereuses que leur éloquence, ont successivement accumulés sur leur patrie ; voyez enfin la ligue batave n’échapper à des dangers semblables, que lorsqu’elle a su renfermer, entre un petit nombre d’individus, le vrai secret des négociations et substituer une confiance politique et sage à des alarmes imprudentes et républicaines. O.i repousse l’ennemi par deux moyens : le secret des préparatifs et la rapidité des mouvements; l’un et l’autre ne peuvent être le fruit de la délibération d’une assemblée. II. faut, qu’instruite à temps des projets et des préparatifs ennemis, le gouvernement puisse disposer ses mesures, rassembler ses moyens, avertir ses alliés, environner la nation de toute la force qui peut résulter et de ses rapports extérieurs et de sa puissance personnelle. Rien de tout cela ne peut être fait par une assemblée délibérante en public, et les balancements, les oscillations inséparables des débats, et sur lesquels l'ennemi même pourrait avoir une influence, ôterait indubitablement aux mesures défensives tous les avantages sans lesquels ils seraient inutiles : l’ennemi dirait sans cesse : agissons, ils délibèrent. Enfin, Messieurs, et je vous prie de peser attentivement ce dernier motif, je soutiens, avec un des préopinants, que quelques précautions que vous preniez, quelques principes que vous formiez, quelques lois que vous ayez écrites, le gouvernement, s’il est privé du droit de guerre, pourra toujours vous forcer à l’adoption de cette mesure, et lorsque vous lui ôtez la faculté légale de faire ce dont vous ne pouvez pas lui ôter la puissance réelle, vous le dégagez bien gratuitement du lien de la responsabilité; moyen unique et efficace de réprimer ses excès. Je doute qu’un homme véritablement instruit en politique puisse nier ce résultat. Il est donc de votre sagesse, comme j’ai prouvé qu’il était de votre justice et du principe de ne point ôter aux agents responsables du pouvoir exécutif, un droit dont la possession légitime peut seul donner à leur responsabilité toute l’étendue et l’efficacité qu’elle doit avoir. Un droit que vous pouvez circonscrire ainsi dans des bornes justes et étroites, mais que vous ne pouvez pas laisser au pouvoir législatif, sans le lui donner indéfini et sans en exposer l’usage à de nombreux inconvé-nien ts. Qu’oppose-t-on encore à ce s ystème? Veut-on vous présenter comme possible l’isolement absolu de la France, et viendra-t-on vous dire, qu’assez forts pour suffire à vous-mêmes, vous pouvez rompre tous les nœuds, vous séparer de tous les peuples et vivre seuls et indépendants de tous ces rapports superflus? Ce système, Messieurs, vons conduirait à perdre toute confiance au dehors, à voir ruiner votre commerce, à voir même envahir votre territoire; si la France, circonscrite dans ses limites d’Europe, pouvait ou voulait n’avoir aucune possession lointaine ; si la France, riche uniquement de son agriculture, pouvait se passer du commerce d’exportation, et attendre paisiblement, dans des ports dégarnis de vaisseaux, des importations précaires, peut-être pourrait-on vous présenter cette incroyable théorie ; mais tel est l’effet de l’organisation actuelle de la France et de plusieurs Etats européens, que les coups frappés daus un autre hémisphère se font sentir dans la métropole, et vous ne pouvez, sans la plus coupable insouciance, renoncer aux moyens légitimes d’étendre votre force personnelle, de la doubler par la force des autres et de vous environner, contre l’ennemi, de tous les remparts qu’il vous sera possible d’élever entre vous et l’injustice. Je sais qu’un intérêt bien entendu, je sais que la raison universelle, je sais que la pure philoso- [Assemblée nationale.) ARCHIVES PAR phie devraient amener tous les hommes aux principes de l’équité; mais jusqu’ici, nous sommes encore le seul peuple qui se soit constitué sur ce principe, et dont la théorie connue, lui interdise les préjugés, les passions et les erreurs ; l’Angleterre même n’a pas encore assez profité de vos leçons pour que je lui suppose une pureté de doctrine dont son ministère et son Parlement se sont si souvent écartés. Que feriez-vous donc au milieu de l’Europe, avec ce beau système politique, sans relations et sans alliés? Votre état serait semblable à celui d’un homme fort, il est vrai, mais qui prétendrait vivre seul au sein d’une nation corrompue, polissée, armée, sans invoquer ses lois, sans suivre ses usages, sans souscrire à ses conventions. Cet homme serait-il longtemps seul et fort, et l’oppression ne détruirait-elle pas bientôt ou sa personne ou son système ? Si vous renonciez aux traités, aux négociations, vous ignoreriez toutes les mesures de l’ennemi et l’ennemi saurait toutes les vôtres. Privés de votre commerce qui ne serait plus appuyé de votre considération, dépouillés de vos colonies, qui seraient plutôt envahies que menacées, de ces colonies à la conservation desquelles nous avons cru sagement pouvoir sacrifier l’application actuelle d’un principe incontestable; affaiblis par la ruine entière de vos ports qu’aucun commerce ne vivifierait plus, vous seriez bientôt effacés de cette carte géographique de l’Europe, sur laquelle vos rivaux, dans le délire de leur espérance, croient déjà ne plus vous voir, et ayant tari tous le3 canaux qui vous font vivre de la vie des autres Etats, et les font vivre de votre vie, vous réaliseriez cet apologue dont Ménénius effraya le peuple Romain lorsqu’il voulut rompre les nœuds qui attachent le citoyen au citoyen, nœuds auxquels peuvent sans doute se comparer ceux qui attachent l’homme à l’homme et les sociétés aux sociétés. Mais c’est trop m’arrêter à combattre de véritables chimères; il ne faut pas renoncer à toute liaison politique. Mais faut-il revenir à l’ancien système, le reprendre avec tousses vices? Faut-il que l’humeur d’un prince ou un caprice ministériel fasse couler des flots de sang? alors seraient vraiment concluants les motifs tirés de ces tableaux multipliés des anciennes fautes. De ces tableaux qu’il eut été décent et généreux de ne pas allerchercher, à des époques trop rapprochées, et dans un règne qui tient par des liens chers et sacrés à celui du roi vertueux qui est et sera toujours à côté de la liberté, le premier objet du culte de la nation française. Avant de résumer les* principes et les considérations qui me décident, peut-être me serait-il permis de repousser un de3 moyens que les adversaires démon opinion ont le plus fréquemment employé, moyens que devraient s’interdire des législateurs, moyen dont on peut tirer avantage dans les systèmes opposés : c’est le tableau plus ou moins fidèle des circonstances qui nous environnent. Quand cessera-t-on de vouloir composer des lois éternelles avec des passions fugitives et des considérations d’un jour? On vous assiège de soupçons, on entasse des dénonciations vagues, et lorsque, par ses ressources plus oratoires que généreuses, on s’est ménagé quelque succès, on a surpris votre patriotisme, au lieu d’éclairer votre raison ; on vous dit : la liberté que tous les dangers environnent, ne peut être préservée, garantie que par l’adoption de nos principes ; quand ils ne seraient pas vrais pour toujours, ils sont utiles pour au-EMENTAIRES. [18 mai 1790.J 563 jourd’hui, il faut donc en faire des articles constitutionnels. Messieurs, c’est au retour, c’est à la conquête de la liberté que j’ai attaché tout le bonheur de ma vie, et je vous proteste, avec la plus intime conviction, que toutes ces mesures que l’on vous propose, que toutes les exagérations que l’oa préconise, que toutes les passions que l’on fomente me paraissent et sont évidemment pour moi, les seuls écueils qu’elle ait à vaincre. Je veux partager toutes ces alarmes ; je veux croire que nous avons à soutenir la querelle des peuples contre l’intérêt des rois. Mais je vous fais une questiou. Je vous la fais avec franchise et vous prie d’y répondre avec loyauté : — Est-il un moyen plus sûr d’attacher invariablement à la liberté le dépositaire suprême du pouvoir exécutif que de le placer dans la Constitution d’une manière convenable à sa dignité et à sa nature? — Est-il un moyen plus sûr de rendre le pouvoir exécutif ennemi de la Constitution, que de lui enlever son influence légitime, de le réduire à une inaction incompatible avec les principes monarchiques et de prendre ses agents nécessaires pour but de nos passions et de nos haines. Mais, Messieurs, je me hâte de quitter le langage inconvenant des considérations du moment, langage dont l’abus que l'on en a fait a pu seul me permettre un usage momentané; et revenant à la question qui nous occupe, je me résume et je finis. J’ai défini, d’après des vérités éternelles, et circonscrit dans les justes bornes, le droit de guerre, de paix et d’alliance. J’ai rappelé les principes incontestables de votre Constitution. J'ai distingué les fonctions du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. J’ai présenté, d’après cette distinction vraie, le genre d’influence que devait avoir chaque pouvoir sur l’exercice des droits politiques dont nous parlons. — J’ai conclu que leur exercice devait appartenir au pouvoir exécutif, mais qu’il appartenait au pouvoir législatif de fixer, par une volonté vraiment nationale et ayant tous les caractères de la loi, les règles fixes auxquelles sera soumis l’exercice des droits politiques. J’ai parcouru les objections qui combattent mon système et je leur ai partout opposé l’égide de là responsabilité : j’ai rappelé les inconvénients du système contraire, système qu’aucune responsabilité ne défend et que l’expérience réprouve ; système dans lequel le secret et la célérité des mesures sont décidément impossibles. J’ai repoussé les idées chimériques qui tendraient à isoler la France et lui enlever ses avantages naturels. Enfin, quittant pour un instant le langage du législateur, j’ai opposé quelques considérations du moment aux conséquences fausses que l’on en tire. — Je conclus en vous présentant un décret dans lequel je me suis efforcé de distinguer ce qui, dans l'exercice des droits politiques, appartient aux deux pouvoirs qui composent la Constitution. L’Assemblée nationale décrète comme articles constitutionnels : 1° Que la nation française ne portera jamais d’atteinte à la liberté ni aux propriétés d’aucune puissance ; 2° Que le droit de défendre la propriété et la liberté de la nation française contre toute atteinte étrangère, appartient exclusivement au dépositaire suprême du pouvoir exécutif; 3° Que les traités d’alliance ne contiendront jamais de clauses offensives; 4° Que le droit de conclure des alliances pure- 564 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [I8mai1790.] ment défensives appartient exclusivement au dépositaire suprême du pouvoir exécutif ; 5° Que le droit de faire la paix appartient exclusivement au dépositaire suprême du pouvoir exécutif; 6° Que tout traité de commerce et tout traité de paix qui contiendrait, soit une prestation de subsides, soit une cession de territoire, ne sera obligatoire qu’après la ratification par le Corps législatif; & 7° Que le pouvoir exécutif n’exercera les droits politiques, qui lui sont constitutionnellement délégués, que sous la clause rigoureuse de la responsabilité de ses agents. L’Assemblée nationale décrète, de plus, que son comité de Constitution lui présentera très incessamment les articles de loi nécessaires, pour assurer invariablement le mode de responsabilité, auquel sont constilutionnellement soumis les agents du pouvoir exécutif. M. Rewbell. Ceux qui ont voulu soutenir qu’il faut déléguer au roi le pouvoir de faire la guerre et la paix, et de conclure des alliances, ont si bien senti qu’ils manquaient aux principes, qu’ils se sont uniquement appuyés de l’intérêt national ; mais combien n’onl-ils pas ravalé la nation! Je n’aurais jamais cru entendre dire dans cette tribune que les représentants de la nation, élus librement par elle, seraient plus aisément corrompus que les ministres et leurs adhérents. Toute guerre défensive entraîne des représailles; la guerre offensive en est une suite nécessaire. Vouloir que le roi ait le droit de faire la paix et la guerre, c’est vouloir réunir la volon t é et l’action, la loi et l’exécution, c’est confondre tous les pouvoirs. En vain, on aurait dit que la nation refuserait les impôts, si le roi pouvait déclarer la guerre; en vain, on dirait que le roi pourra déclarer la guerre, s’il est possible de lui refuser les impôts. On fait aujourd’hui un armement de précaution, et on vous demande déjà de l’argent : si la nation peut refuser de l’argent, elle peut refuser la vie des individus qui la composent. Les traités d’alliance ne sont autre chose que le droit de lever des impôts et de ruiner le Trésor de l’Etat; accorder ce droit au roi, c’est lui donner constitutionnellement le droit de vendre les hommes comme des troupeaux. Le pouvoir exécutif doit régler la quantité et l’emploi des forces qu’il faut faire mouvoir : une grande nation ne doit avoir d’alliés que la providence, sa force et la justice. Cette prétendue responsabilité dont on nous berce sans cesse deviendrait illusoire au moyen du veto. À quoi conduirait-elle? A la perte d’uu ministre; mais la perte d’un ministre, mais les trésors de tous les ministres valent-ils donc la vie d’un citoyen? La nation doit confier ce droit dangereux à ses seuls représentants; ils auront toujours le même intérêt, tandis que les ministres n’auront toujours que les intérêts des gens de cour, l’argent et l’ambition. Vous avez dit que tous les hommes sont égaux en droits : il n’y a pas de massue assez lourde pour enfoncer ces principes dans la tête des ministres; ils compteront toujours les princes pour tout, c’est-à-dire véritablement les hommes pour rien ..... M. le comte de Crillon. Je me crois permis de penser que le but d’aucune opinion n’a été la prérogative royale, mais plutôt l’intérêt national. La première idée qui se présente est que ce doit être à ceux sur qui pèse la guerre, et non à ceux que leur position met au-dessus des malheurs qu’elle entraîne, que peut appartenir le droit de la déclarer. L’expérience des peuples vient à l’appui de ceite idée. La plupart des guerres qui ont ruiné les nations ont été entreprises pour les passions dfS primes; auraient-elles eu lieu, si les nations avaient eu le droit dedôclarer la guerre? On oppose ce raisonnement : On ne peut faire la guerre sans impôts, et le droit de refuser les impôts assure qu’aucune entreprise ne pourra être faite sans l’Assemblée nationale. Ainsi nul danger pour la liberté, et de grands avantages pour la sûreté publique. C’est à ce raisonnementqu’il faut répondre. Je dirai d’abord que, dès lors, le droit qu'on veut donner au roi est illusoire : il n’est pas digne d’une nation d’accorder en apparence un droit qu’elle retient. On croit répondre par la responsabilité des ministres. Mais qui ne voit que c’est une chimère ? Peut-elle s’exercer autrement que sur une loi positive? Les hommes sont-ils responsables de leurs erreurs? Un seul homme peut-il en vouloir à un homme de s’être trompé? Un ministre peut avoir cru voir l'intérêt national où n’étaient que des intérêts particuliers. Sans doute le droit d’environner les royaumes de sa surveillance, d’observer l’ambition de nos voisins, de repousser l’invasion par la force, appartient au roi; mais tous ces avantages seront conservés, quand il sera absolument restreint à celte surveillance. La nation dira : Nous voulons la guerre, et la guerre prendra alors le grand caractère de la colère d’une grande nation. Je pense donc qu’il est également juste et utile de reconnaître que le droit de déclarer la guerre appartient à la nation. U ne m’est pas également prouvé qu’elle doive réserver celui de faire la paix. Les négociations doivent être secrètes; elles perdront de leur poids, si elles sont incertaines, et elles elles seront incertaines si le Corps législatif peut changer les dispositions proposées ou convenues ..... Je pense donc que le droit de déclarer la guerre appartient au Corps législatif. Celui de céder les conquêtes et de conclure la paix appartient au roi, avec cette exception, qu’il ne pourra céder aucune partie du territoire de l’empire, et consentir aucune clause préjudiciable aux intérêts du commerce, sans le consentement du Corps législatif. M. l’abbé Mawry (1). Messieurs (2), une lettre (1) Le Moniteur no donne qu’une analyse du discours de M. l’abbé Maury. (2) « En commençant à dicter cette opinion plusieurs jours après l’avoir prononcée, je réponds aux instances qui me sont adressées de plusieurs provinces, pour me presser de livrer à l’impression tout ce que j’ai improvisé à la tribune, je réponds, dis-je, que le temps m’a toujours manqué, pour répéter à uu copiste de longs discours qui se suivaient de si près. Dès que nos séances finiront, je lâcherai de retrouver dans ma mémoire et de recueillir les résultats de mes anciennes études et de mes dernières méditations sur les principales questions que j’ai traitées : sur toutes les affaires de la religion et du clergé, sur le droit de veto, sur l’intérêt de l’argent remboursable à terme fixe, sur la vériticalien des pouvoirs, sur l’union des ordres, sur la libre exportation des grains, sur la durée de la législature, sur la juridiction prévôlale, sur la suppression et le remplacement de la gabelle, sur l’organisation des municipalités, sur la préséance des officiers municipaux, sur la nouvelle municipalité de Marseille, sur les conditions de l’éligibilité, sur la formation et • la dénomination des départements, sur la législation de nos colonies, sur l’établissement d’un comité colonial, sur l’offre du don des Génevois, sur l’emprisonnement des officiers de la marine de Toulon, sur les prisons et les prisonniers d’Etat, sur la Caisse d’escompte, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1790.] ministérielle nous apprend que l’Angleterre et l’Espagne sont divisées sur la libre navigation dans les mers du Sud ; que les Anglais réclament le droit d’envoyer leurs vaisseaux sur les côtes occidentales do l’Amérique, où ils ne possèdent aucun territoire, et où ils ne peuveut faire qu’un commerce de contrebande ; et que ces deux puissances se disposent à soutenir par la voie des armes la guerre de cabinet, qui est ouverle depuis plusieurs mois. Le roi, instruit de leurs mesures hostiles vient d’ordonner l’armement de quatorze vaisseaux de ligne dans nos ports de la Méditerranée et de l’Océan. Sa Majesté a voulu que l’Assemblée nationale fût informée, par ses ordres, des dispositions qu’exigent de sa sagesse la défense du royaume , la protection du commerce, notre alliance avec l’Espagne, et surtout les préparatifs militaires de deux grandes nations qui touchent à toutes les possessions de la France dans les quatre parties du monde. Cette communication officielle des ministres du roi ne pouvait pas ouvrir parmi nous une discussion sérieuse. La France ne saurait abandonner sa plus fidèle et sa plus solide alliée, l’Espagne, qui, depuis vingt ans, a deux fois déclaré la guerre aux Anglais pour défendre notre cause; l’Espagne dont les forces navales combinées avec les nôtres forment à peine un contrepoids suffisant pour entretenir l’équilibre avec la marine anglaise; l’Espagne, dont l’union avec la France intéresse essentiellement le salut de toute l’Europe. Notre loyauté nous oblige, autant que notre intérêt, de ne point nous séparer de cette puissance qui serait évidemment compromise si elle était isolée, et dont la ruine rendrait l'Angleterre maîtresse de toutes les mers (1). Nous n’avons donc, Messieurs, que de juste remerciements à voter au roi pour les sages précautions qu’il a prises en faisant armer une escadre. Outre, les considérations d’alliance qui prescrivaient ce premier développement de nos forces navales, les seules relations de voisinage auraient suffi pour nous en imposer la loi. Il est de principe en effet, dans notre politique moderne, que toutes sur l’agiotage, sur les causes de la rareté et de l'extraction du numéraire, sur les finances, sur le pouvoir exécutif, sur la constitution de l’armée, sur les insurrections des provinces, sur l’état des juifs, sur l’ordre judiciaire, sur la réforme des lois criminelles et du Code fiénal, sur les plans partiels du premier ministre des inances, sur le système et le mode des impositions, sur la réduction des pensions, sur l’organisation de la municipalité de Paris, sur le privilège exclusif de la compagnie des Indes, sur le papier monnaie, sur les créanciers hypothécaires des biens du clergé, et sur les droits féodaux ; ma réplique dans la cause de M. do Bournissac, prévôt général de la maréchaussée de Provence, etc., etc. La plupart de ces opinions avaient plus d’étendue et ont été accueillies avec plus d'indulgence que celles dont j’ai déjà fait hommage au public. » (1) L’Espagne peut mettre à la mer soixante vaisseaux de ligne. Nous en avons le même nombre dans nos ports. L’Angleterre peut armer cent-vingt vaisseaux de ligne : de sorte que la P’rance et l’Espagne ont besoin d’être réunies pour faire face aux escadres anglaises. Aucune a,utre puissance en Europe ne saurait nous dédommager de cette alliance qui nous est d’autant plus nécessaire que notre réunion momentanée avec la Hollande n’existe plus. Renoncer au pacte de famille qui egt un véritable pacte national, ce serait donc sacrifier notre marine et par conséquent notre commerce et nos colonies. Il n’est pas nécessaire de réfuter les systèmes ou plutôt les rêves de nos écoliers politiques, il suffit de les dénoncer à la raison et au patriotisme des bons citoyens. 565 les fois qu’un Etat, et surtout que plusieurs Etats limitrophes font des préparatifs de guerre, la prudence exige d’assurer aussitôt sa propre défense. Dès que nos voisins ordonnent des armements maritimes nous devons donc tourner nos regards vers nos ports et mettre nos arsenaux en activité. C’est par ces dépenses de précaution que l’on évite souvent la guerre, que l’on fait respecter les négociations de ia paix; et si, en 1787, nous avions appuyé nos ambassadeurs à la Haye en rassemblant un camp sur la frontière de la Flandre, nous n’aurions peut-être pas perdu cette belle alliance avec la Hollande qui nous fut enlevée par les armements de Portsmouth et par l’approche d’une armée prussienne. Cet exemple du danger de l’inaction, au milieu des puissances armées, est trop récent et trop déplorable pour que les représentants de la nation française aient pu sitôt l’oublier. La juste approbation que vous avez donnée, Messieurs, aux sages mesures de Sa Majesté a amené la question, aussi importante qu’imprévue, du droit de la guerre et de la paix, des traités d’alliance et de commerce. Vous avez décrété que, dans un intervalle de vingt-quatre heures, vous ouvririez une discussion si majeure et si difficile. Devions-nous nous attendre à entrer si inopinément, et à nous voir, pour ainsi dire, précipité sans examen dans une délibération qui renferme un grand nombre de questions accessoires, et dont la solution méritait d’être préparée par les méditations les plus approfondies? Nous ne sommes ni commandés, ni même pressés par les circonstances, et cependant il faut que chacun de nous défende ici brusquement son opinion, sans pouvoir faire hommage à l’Assemblée des moyens et des motifs que nous aurions pu recueillir dan3 nos études. On croirait, à l’empressement que vous avez montré, que de la promptitude de votre détermination dépend le salut de l’empire. Il ne s’agit pourtant pas ici, Messieurs, d’une résolution relative à la paix ou à la guerre. Le décret que vous rendrez sera purement constitutionnel, et n’aura que des rapports éloignés avec les différents cabinets de l’Europe. Vous avez un comité de Constitution, auquel vous déférez préalablement toutes les grandes questions de cette nature. Il ne s’en présenta jamais de plus compliquée, et vous n’avez pas même daigné le consulter. Vous n’avez entendu aucun rapport: on ne vous a offert aucun résultat; et vous ouvrez la lice devant vos orateurs, sans avoir mesuré l’espace que vous les forcez de parcourir. Au défaut des lumières que vous deviez attendre de votre comité, nous pouvions espérer que l’on particulariserait les articles du décret, et qu’on en rendrait la discussion plus facile, en les ramenant à cette simplicité, à cette unité de décision qui concentrent toutes les idées dans un seul objet ; mais on entasse difficultés sur difficultés. On nous demande si c’est au roi ou au Corps législatif que la nation doit déléguer le droit de faire la guerre, de conclure les traités d’alliance, de commerce et de paix. Chacun de ces points de droit public doit être soumis à des principes différents ; de sorte que la motion qui nous est présentée renferme évidemment quatre décisions étrangères les unes aux autres, et réunit ainsi quatre questions diverses dans une seule délibération. Je doute que vous regardiez comme une marche conforme aux règles d’une saine logique cette multiplicité de discussions épisodiques et simultanées, et qu’une dissertation si vague 566 puisse promettre à nos esprits toutes les lumières dont nous avons besoin. Le seul droit de la guerre mériterait, ce me semble, la délibération la plus solennelle. Cette matière n’a encore été traitée chez aucun peuple libre. Deux écrivains politiques du dernier siècle, Gratius, dans son Traité de la guerre et de la paix ; Pussendorf, dans son Traité du droit de la nature et des gens , ont voulu aborder cette grande question. J’ai lu ces ouvrages avec toute l’attention que sollicitaient l’importance du sujet et la réputation de leurs auteurs. II m’a semblé que ces deux savants compilateurs avaient écrit en jurisconsultes, plutôtqu'en publicistes ; et que le progrès des lumières en Europe laissait leurs travaux à une trop grande distance de notre siècle pour que nous devions y chercher cette supériorité de raison, au niveau de laquelle se sont élevés tous les bons esprits. Ils n’ont soupçonné ni les droits du genre humain , ni les droits non moins sacrés de chaque peuple; et quand ils parlent des souverains, ils supposent toujours leurs prérogatives et ne les établissent jamais. De nos jours, deux autres écrivains estimables, Mably et Guibert, ont traité le même sujet; mais, amoureux des maximes républicaines, l’un par caractère, l’autre par les circonstances qui ont empoisonné la fin de sa vie, ils se sont déclarés contre l’autorité royale, avec une partialité qui discrédite leur opinion. Quand ils interrogent l’histoire, ils oublient les nombreux exemples qui accusent les Républiques; et lorsqu’ils se prévalent des principes de la raison ou de l’intérêt public, ils se dissimulent à eux-mêmes et à leurs lecteurs, qu’une Assemblée de représentants du peuple n’est pas moins exposée aux erreurs et aux orages des passions que le conseil d’un roi. La question qui nous occupe dans ce moment est donc encore toute neuve dans notre droit public. Jene me dissimule pas la difficulté et le danger de me mesurer pour ainsi dire, sans préparation, avec un pareil sujet. Je sais que, dans une Assemblée où l’on discute publiquement les intérêts du peuple, je pourrai paraître défendre le despotisme en plaidant la cause des rois ; mais la crainte de la calomnie et de ses suites n’énervera jamais dans mon âme le courage de la vérité. Les mêmes hommes que nous avons vu ramper lâchement aux pieds de tous les dépositaires de l’autorité absolue, flattent aujourd'hui l’orgueil populaire, parce qu’ils encensent le pouvoir partout où ils le trouvent. Tous ces vils adulateurs de la multitude ne sont que des courtisans qui ont changé d’idole, et qui ne méritent pas d’être entendus dans le temple de la liberté et delà vérité. C’est donc pour l’intérêtdu peuple que je viens défendre les droits du trône, et voici quelle sera la marche de mes idées. J’examinerai d’abord si l’Assemblée nationale a le droit de contester à la couronne la prérogative de déclarer la guerre et de conclure les traités, prérogative aussi ancienne que la monarchie. Je discuterai ensuite les véritables intérêts de la nation, et je prouverai qu’il serait dangereux our elle d’investir de ce droit le Corps législatif. n suivant la route que l’ordre du raisonnement tracera devant moi, je résoudrai ain>i successivement les objections qui ont été proposées contre le sentiment que je vais adopter dans cette importante délibération. D’abord, Messieurs, avons-nous le droit de contester à la couronne l’antique prérogative de faire la guerre et la paix? Que sommes-nous? [18 mai 1790.J Le corps desreprésentants de la nation française, dans une Assemblée librement convoquée parle roi, et non pas dans une Convention nationale que le peuple avait décrété sans consulter la volonté du monarque. Voilà le principe que je ne cesserai jamais de réclamer. Je sais bien que plusieurs de nos orateurs cherchent à nous familiariser avec leurs paradoxes en continuant d’appeler cette Assemblée une Convention nationale ; mais j’attends leurs preuves pour discuter ce titre qu’ils n’ont pas le droit de nous donner. Ce n’est pas sur des métaphores que nous pouvons fonder les prérogatives de notre mission, et si l’on veut sérieusement se prévaloir de l’autorité illimitée d’une Convention nationale, ou même d’un Corps constituant, ce n’est pas par des suppositions, ni par des déclamations, ni par des injures trop faciles à rendre ou à mépriser que des délégués et des mandataires doivent établir leurs pouvoirs. Je déclare que je suis prêt à combattre toutes ces prétentions chimériques. Je sommerai celui qui voudra les défendre de nous produire d’abord le titre fondamental de sa députation; et la discussion ne sera ni longue, ni sérieuse. Je n’aurai à répondre sans doute, ni aux combinaisons d’un système philosophique, ni aux conséquences du droit du plus fort; et pourvu que la raison et le droit public du royaume soient ici nos oracles, je n’aurai besoin que des lettres du roi, portant convocation des Etats généraux et des mandats de nos commettants, en vertu desquels nous siégeons ici, pour démontrer que nous ne formons ni une Convention nationale, ni même un Corps constituant, et que toutes nos conquêtes d’autorité sontdes usurpations que le peuple Français n’a jamais autorisées. Nousm’avons nulle puissance par nous-mêmes. Nous ne pouvons donc exercer ici que les droits limités dont nos commettants nous ont investis dans une procuration spéciale et précise : C’est de ce pouvoir radical qui vous est confié que je vous prie de vous occuper un moment, puisque tout ce qui l’excède est frappé d’avance de nullité. De vains murmures que je suis accoutumé à braver parce qu’ils ne portent aucune lumière dans mon esprit, et surtout parce qu’ils révèlent des projets factieux qui enflamment mon patriotisme, des murmures qui honorent ma fidélité à mon mandat, n’étoufferont jamais la vérité dans ma bouche. La nation a-t-elle jamais mis en question si le roi aurait le droit de déclarer la guerre? La nation qui a toujours eu, quoi qu’on en dise, une Constitution, puisqu’elle a pu avoir de légitimes représentants, a-t-elle jamais douté de cette haute prérogative du trône ? Cette discussion a-t-elle jamais été agitée dans nos bailliages? Avons-nous enfin de pleins pouvoirs pour changer la forme du gouvernement français? Je demande aux personnes à qui ce raisonnement paraît barbare, aux personnes qui pensent que c’est parler le langage d’un esclave que de réclamer des intentions précises etles mandats les plus formels de celte même nation qui est derrière nous et qui nous jugera, je leur demande quel a été l’objet de notre mission? Ne nous laissons pas aveugler par des prétentions contraires aux véritables principes. Ayons le noble courage d’être les esclaves de nos serments. La nation nous a chargés de faire reconnaître les anciens droits constitutionnels du peuple français : mais elle ne nous a point autorisés à bouleverser à notre gré sou gouvernement et à lui rédiger une Constitution absolument nouvelle, et par eonsé-[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAMES. [18 mai 1790.] 567 quent arbitraire. Elle a confié à notre patriotisme le soin de réformer, de concert avec notre excellent roi, les abus du gouvernement, mais non pas de créer un gouvernement qui n’ait aucune analogie avec l’ancien. J’oserai le dire avec la certitude d’être improuvé, mais sans la crainte d’être démenti : nul de nous, Messieurs, n'eût été honoré de la confiance de la nation, si nous eussions professé dans nos bailliages les étranges principes qu’on nous étale ici tous les jours; et nous n’aurions jamais obtenu ses pouvoirs si elle eût pu deviner de si coupables intentions. Ajoutons maintenant à l’autorité de nos mandats, l’autorité de nos propres décrets. Vous avez reconnu que la France est une monarchie et que la plénitude du pouvoir exécutif suprême réside exclusivement dans les mains du roi. Consacrez donc aujourd’hui les conséquences de Ce principe. Où serait cette suprématie du pouvoir exécutif si le roi n’avait pas le droit de protéger, de défendre son peuple, et d’attaquer tous ceux qui veulent porter atteinte aux propriétés de ses sujets? Non, le pouvoir exécutif neserait pas conservé si le roi n’avait plus cette puissance du glaive, cette unité de résolution qui forme le caractère essentiel delà monarchie. Que l’on nous cite dans l’histoire du monde un seul Etat vraiment monarchique où le monarque n’exerce pas, sans contradiction et sans partage, le droit de la guerre et de la paix. Nous défions hautement nos adversaires de nous en indiquer un seul exemple. La France ne serait donc plus une monarchie; nous en ferions un gouvernement monstrueux qui n’aurait plus de nom, si nous osions dépouiller le roi d’un droit inhérent à sa couronne depuis quatorze siècles, d’un droit qu’il ne saurait perdre sans voir aussitôt évanouir dans ses mains la prérogative la plus essentielle du pouvoir exécutif. L’histoire de toutes les monarchies de l’univers est trop évidemment favorable à la cause que je défends. Interrogez donc, Messieurs, les annales de ce peuple-roi, qui, placé entre le despotisme de ses monarques le despotisme de ses empereurs, apprit au genre humain pendant huit siècles à s’élever noblement à la liberté. Le peuple romain, durant les beaux jours de la République,� peuple romain, jaloux, jusqu’au fanatisme, du pouvoir législatif auquel il ne renonça jamais, confia sans réserve le pouvoir exécutif an Sénat ; et le Sénat de Rome, dépositaire de cette grande autorité, décida seul, et sans jamais consulter le peuple, pendant huit cents ans, du droit de la guerre et de la paix. Or, Messieurs, nous connaissons-nous mieux eu liberté que les Romains? Refuserons-nous à un monarque un pouvoir dont les plus fiers républicains ont investi leur Sénat? Serons-nous plus économes que les Romains du pouvoir exécutif? Espérons-nous d’adopter, dans la distribution des pouvoirs politiques, des maximes de gouvernement, qui élèvent la France à un plus haut degré de prospé rite et de gloire, que cette reine des cités appelée éloquemment par Montesquieu, la tête d'un corps formé par tous les peuples du monde (1)? Il est donc de l’essence du pouvoir exécutif de décider de la guerre et de la paix; car le pouvoir exécutif s’applique d’abord aux lois, pour assurer la tranquillité intérieure, et il doit s’appliquer ensuite aux traités, pour assurer nos droits au dehors. Si Je roi est l’exécuteur suprême de la loi, .(1) Grandeur des Romains, chapitre 6. ne s’ensuit-il pas qu’il doit disposer de la force publique pour faire tout ce qui est nécessaire au bonheur de ses peuples? Pourrait-il acquitter cette grande dette du trône si la force armée n’était pas entièrement à ses ordres? La responsabilité de ses agents et la disposition des fonds que le Corps législatif sc réserve toujours le droit d’accorder ou de refuser garantissent assez la nation contre l’abus de ce pouvoir qu’elle a délégué au monarque. D’ailleurs les nombreuses armées que les Etats de l’Europe entretiennent pendant la paix sont évidemment un fléau pour l’Europe. Mais elles sont du moins utiles au genre humain, en abrégeant la durée des guerres. Aucun Etat ne peut' faire la guerre aujourd’hui avec ses revenus ordinaires. Il faut, pour la commencer, recourir aux ressources les plus onéreuses; et, cet art meurtrier est trop dispendieux pour qu’un peuple qui s’est réservé le consentement libre de l’impôt, doive faire l’abus d’un droit dont il est impossible d’user malgré lui. Mais, nous dit-on, ce droit de voter la guerre n’est pas un acte exécutif; c’est un acte de la volonté, et il est, par conséquent, du ressort de la puissance législative, qui doit seule déclarer la volonté nationale. Je pourrais répondre que vous avez associé, au moins pendant un temps marqué, le vœu du représentant héréditaire de la nation au vœu de ses représentants passagers, pour caractériser la volonté générale. Je pourrais dire que, si le consentement libre du roi doit nécessairement sanctionner vos décrets, pour les élever au rang des lois lorsqu’ils sont prononcés, il serait inconséquent et absurde de prétendre que le Corps législatif n’a plus besoin de la participation du monarque, lorsqu’il exprime je vœu de la nation pour déclarer la guerre; mais je vais répondre d’une manière plus directe à cette subtilité. Le pouvoir exécutif n’agit jamais qu’au nom de la nation, et s’il n’a pas le droit de déclarer la volonté générale, il n’a plus le droit de commander. Une déclaration de guerre n’est, dans un sens, qu’un acte exécutif. Le défenseur né du royaume ne fait qu’exécuter la volonté générale, quand il emploie la force publique, dont il est dépositaire, à défendre les intérêts de son peuple. La nation veut être protégée : voilà sa volonté qui n’a pas même besoin d’être prononcée pour être incontestable. Le chef suprême de la nation juge de la manière dont il convient de la protéger; et la confiance universelle lui attribue celte décision suprême, qui n’est que la conservation des droits ou l’exécution des traités dont il est le gardien. Le droit de déclarer la guerre ne doit pas être séparé du droit qui appartient incontestablement au roi de la diriger, en nommant les généraux, en disposant de l’armée, et il est de l’intérêt du peuple que le monarque puisse veiller à sa sûreté par ces précautions promptes et imposantes qui préviennent si souvent les agressions. Et qu’on ne dise pas que cette réponse autorise le roi aux guerres défensives, mais qu’il est impossible d’en induire le droit aux guerres offensives. Qui ne sait combien cette distinction est illusoire dans l’histoire des nations? On ne peut oublier les incertitudes qui ODt toujours partagé l'Europe, quand il a fallu décider, entre deux peuples ennemis, quel était le véritable agresseur. Le premier infracteur des traités qui transgresse une volonté manifeste d’une nation voisine, n’a pas besoin de prendre les armes pour être coupable d’une agression. On est agresseur quand on forme des partis, quand on entre dans une ligue, quand on nuit au commerce, quand on re- 568 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1790.] fuse d’exécuter un traité, enfin quand on attaque directement ou indirectement l’intérêt de ses voisins. Au milieu de tant de moyens de se nuire et de cacher ses attaques, qui pourra se flatter de trouver la vérité dans un manifeste? Le demandeur ou le défendeur peuvent également avoir tort, et la seule question qui doit être examinée consiste à savoir si les droits du peuple sont violés. La distinction que l’on nous propose ne saurait donc être adoptée. Si vous donniez au roi le droit de faire la guerre défensive, toutes les guerres s’appelleraient bientôt des guerres défensives; et dans le cabinet d’un ministre, l’art le plus commun suffirait à les colorer de ce prétexte insidieux. Nous devons donc conclure de cette distinction même que c’est précisément parce que vous ne pouvez pas ôter au roi le droit de faire une guerre défensive, que la nation doit lui déléguer le droit indéfini de faire la guerre, puisque la guerre la plus offensive serait toujours présentée à l’Europe comme une guerre défensive, et que les artifices ordinaires des manifestes répandraient de tels nuages sur ces grands procès des nations, qu’il ne serait plus possible de connaître avec certitude le véritable agresseur. Ce furent sans doute ces sages considérations qui déterminèrent nos pères à ne jamais contester au chef suprême de la nation le droit absolu de la guerre et de la paix. Je demande, en effet, Messieurs, quel a été, sous ce rapport, le droit public du royaume? Je le demande parce qu’on a voulu, par des citations inexactes ou incomplètes, vous persuader que les anciennes maximes du gouvernement français étaient contraires à l’opinion que je défends. Ne nous flattons pas aujourd’hui d’être plus jaloux des prérogatives nationales que ne l’étaient nos ancêtres, dès l’origine de la monarchie. Ces Gauiois, le seul peuple de l’Occident qui ait perdu son nom pour adopter celui de ses conquérants; ces Gaulois, qu’on appelle ici des barbares, prirent noblement, à l’époque delà conquête, le nom de Francs, pour mieux montrer leur amour pour la liberté. Nous voyons, dès la première race, que le roi seul avait le droit de faire crier en France, le Lent-vert , c’est-à-dire la proclamation militaire, par laquelle il avertissait la nation qu’il venait de déclarer la guerre. Aussitôt les légats, les ducs et les comtes publiaient le Lent-vert ; ils envoyaient le message de la marche à tous ceux qui, devant l’0s£ aux troupes, étaient obligés de venir se ranger sous les bannières royales, déployées aux pertes des églises, par les ordres des comtes. Depuis letraitéd’Andlau, traité célèbre et cher à jamais à la France, puisqu’il fut le premier où furent consignés les droits du peuple français; depuis letraitéd’Andlau jusqu’aux Carlo vin-iens, nous ne trouvons pas que la nation ait élibéré une seule fois sur le droit de la guerre et de la paix. Nous voyons, au contraire, nos rois en décider seuls et traiter seuls avec les princes ennemis de la France. Les monuments de Charlemagne nous présentent les points de certitude les plus frappants sur cet article constitutionnel. Tout le monde sait que, les enfants de Charlemagne étant tombés dans l’abjection, et la nation française, avec eux, dans un abîme de malheurs, parce que les lois anciennes avaient été méprisées et que les droits de la nation et du roi étaient entièrement méconnus (1) les deux hommes alors le plus éclairés de la France, Angerige etl’archevêquedeReims, Hiocmar, furent chargés de présenter aux enfants de Charlemagne et à la nation le recueil des lois constitutives de l’empire francais.IIs leur offrirent la nouvelle rédaction de la loi salique, faite par Charlemagne, la loi substituée à la loi gombette pour les Bourguignons, les extraits des lois Ri-puaires et Romaines, adoptées par la nation et consignées dans les capitulaires de Charlemagne et de Louis-le-Débonnaire, enfin le livre célèbre des droits du roi, de ses fonctions et de celles de son conseil. C’est dans ce dernier ouvrage, intitulé : De ordi-natione Palatii, que nous voyons le droit de la paix et de la guerre exclusivement réservé au roi. Le monarque, il est vrai, est obligé d’en conférer avec son conseil; car, dans tous les temps, nos rois n’ont exercé leur puissance que de l'avis de leur conseil, et cette forme s’est conservée jusqu’à nos jours : mais quel était ce conseil dont parle H inemar? Etait-ce le Sénat du royaume ou le conseil préparatoire chargé de discuter les ordonnances générales que nos rois voulaient proposer au Champ de Mars? Etait-ce l’assemblée des officiers du palais, de ces ordonnateurs des départements, qui étaient chargés de la police, de l’exécution des lois , de la distribution de la justice et qui étaient les assesseurs du trône, quand le monarque jugeait, dans son tribunal, qu’on appelait alors la présence duroi? Non, Messieurs, ce n’était pas parmi ces officiers nationaux que le roi était obligé do choisir ses conseillers privés quand il voulait délibérer sur la paix et sur la guerre. Le conseil du roi n’était alors composé que de ses ministres, qu’on appelait les premiers des premiers , et qui, en y prenant séance, prêtaient au monarque seul le serment de fidélité et d’un secret inviolable. Hinemar l’atteste expressément, et il rapporte, à ce sujet, cette maxime de Charlemagne, que du secret sur la paix et sur la guerre dépendait ordinairement le succès. Nous avons, dansErnold, une relation détaillée de la tenue d’un de ces conseils importants. Louis, fils de Charlemagne, voulant déclarer la guerre aux Espagnols, assembla son conseilles premiers. Il n’y eut qu’une seule voix pour la guerre ; c’était la sienne; et cependant le roi décida qu’il la ferait; comme Louis XIV fut seul d’avis, en 1700, de prendre les armes pour accepter la succession de Charles II, roi d’Espagne, et eut seul raison contre tout son conseil. Lorsque Louis-le-Débonnaire eût ainsi décidé la guerre, le conseil lui répondit, par la bouche du duc de Gascogne, qu’il avait incontestablement le droit de la déclarer (1) ; et elle fut aussitôt déclarée. Tel était le droit public du royaume sous l’empire immortel de Charlemagne, et dans aucune occasion la nation ne l’a changé au préjudice de ses rois. On a cité dans cette tribune un seul fait dont je n’aurais pas osé parler, si M. Pétion ne s’en était fait un titre pour réclamer, en faveur de la nation, le droit de la guerre et de la paix. C’est à regret que je me vois contraint, par la nécessité d’une juste défense, à fixer vos regards sur une époque désastreuse que tout bon Français voudrait pouvoir effacer de nos annales. Je parle des Etats généraux qui furent assemblés en 1356, immédiatement après la honteuse défaite deMau-pertuis, près de poitiers. Cette Assemblée nationale, ou plutôt celle grande conjuration, dirigée par Etienne Marcel, prévôt de Paris, entreprit d’interdire au dauphin, régent du royaume, la décision de la guerre et de la paix. (1) Anseg., lib. 4, t, (1) Rex, censura tibi, nobis parère, Ern., lib. I. 133 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1790.] 80$ Vous vous souvenez, Messieurs, de l’état déplo-rableoù se trouvait alors notre malheureuse patrie. Ce brigand populaire, Marcel, s’empara des impôts ; il fit massacrer, dans le palais du roi, ses plus fidèles serviteurs; il trompa le peuple par les maximes les plus séditieuses. La noblesse était égurgée dans tout le royaume. On incendiait les châteaux. C’était en quelque sorte un crime digne de mort que d’être riche, et les propriétés les plus sacrées étaient envahies et méconnues. Tous les magistrats royalistes étaient destitués. Les conjurés, voulant établir en France une démocratie royale, avaient envahi tous les pouvoirs du roi. L’armée était partout en défection. Le parti de factieux, attaché à Lharles-le-Mauvais, se proposait d'élever sur le trône un prince d’une branche collatérale, un prince qui fût convaincu d’avoir tramé le plus noir des complots pour anéantir toute la famille royale. Un signal public de révolte servait de honteux ornement à cette multitude de conjurés. Le prévôt de Paris avait livré aux Anglais et aux Navarrais la porte Saint-Antoine. Le roi Jean était alors en captivité à Londres. Le régent était mineur. Ce fut dans ces malheureuses circonstances que ces Etats si coupables, se prévalant delà captivité du monarque et de la minorité du régent, depuis si célèbre sous le nom Charles V, contestèrent au roi le droit deA décider de la guerre et de la paix; mais bientôt la nation française, rentrée dans son caractère, repoussa et extermina, comme des ennemis publics, ces insensés qui avaient voulu substituer les principes delà démocratie, c’est-à-dire une insurrection générale, à l’ancien gouvernement du royaume. Les Etats de 1359 reconnurent formellement le droit qui appartenait au roi de faire la guerre et la paix ; et quand ils refusèrent d’adhérer au traité conclu entre Jean et Edouard, ils n’alléguèrent aucun autre prétexte d’opposition quele défaut de liberté du roi. Voilà, Messieurs, l’époque d’horreur et de carnage où nos pères virent naître pour la première fois leurs étranges systèmes que l’on renouvelle aujourd’hui dans cette Assemblée. Je doute qu’un pareil rapprochement auquel nous sommes forcés de ramener nos adversaires, puisqu’ils ont osé se prévaloir d’un exemple si révoltant, soit bien propre à leur attirer aujourd’hui la confiance de la nation. 11 est donc prouvé, par toutes les maximes fondamentales du gouvernement français, que le droit dedéclarerla guerre appartient auroi. Il est donc prouvé que le roi cesse d’être roi, si cette prérogative lui est enlevée, s’il n’est pas le seul réprésentant de la nation auprès des étrangers; ou du moins l’on conviendra, sans doute, qu’un pareil fantôme de roi ne serait plus le monarque des Français. On a peine à concevoir qu’un honorable membre, M. Fréteau, qui n’a osé contredire aucun de ces faits, ait cependant affirmé, dans cette tribune, que les rois de France avaient usurpé, depuis 160 ans, le droit de la guerre et de la paix ; et qu’avant cette époque, la nation seule en décidait. Il nous a dit qu’il avait étudié l’histoire de France, pendant cinq ans, dans son exil; et je vais tâcher de lui prouver qu’il a besoin de l’étudier encore, au moins pendant cinq ans, dans une bibliothèque, s’il veut avoir le droit de nous en parler. Il a cité le témoignage de Mézerai, comme une autorité à laquelle on ne pouvait rien opposer ; et pour prouver sen assertion, il a prétendu que la guerre delà ligue avait été déclarée par la nation ; que le traité de Madrid avait été annulé par la nation; enfin que la guerre des croisades avait été ordonnée par la nation* L’érudition de M. Fréteau a été fort applaudie. Je me suis levé, non pour Je réfuter, je n’en avais malheureusement pasle droit ; mais je l’aiinterrompu par une motion qui a été appuyée, et j’ai demandé hautement que le discours de ce magistrat fût aussitôt condamné à l’impression. M. Fréteau s’est refusé modestement à ma demande ; et je lui dois, ainsi qu’à l’Assemblée nationale, la discussion des hérésies historiques dont il s’est armé pour me combattre. Qui de vous, Messieurs, eût pu prévoir que l’historien Mézerai serait jamais cité, dans cette Assemblée, comme un écrivain du plus grand poids? Le compilateur Mézerai, dont la grande histoire ne vaut ni son Abrégé chronologique , ni surtout son Origine des Français , écrivit dans sa jeunesse l’histoire de France avec un esprit républicain qui s’alliait mal avec les pensions de la cour dont il était comblé. Cet historiographe du roi, plus hardi dans ses opinions qu’exact dans ses récits, était superficiel, incorrect, et quelquefois son pinceau poétique s’élevait à la couleur et aux passions de la plus haute éloquence. Mais légèrement instruit de notre droit public, il ne connaissait ni tes véritables sources, ni l’esprit philosophique de l’histoire; il était ouvertement passionné dans ses opinions et la seule vivacité de son style lui attira des lecteurs durant la longue disette de nos historiens. Indépendamment de ce jugement unanime que la France a porté de sa véracité, de son impartialité et surtout de ses connaissances, comment peut-on opposer l’opinion d’un seul écrivain aux actes fondamentaux de l’histoire? J’ai cité les textes précis de ces litres originaux; et M. Fréteau n’a pas entrepris de les combattre. La confiance qui leur est due reste donc entière entre lui et moi. Mais je vais plus loin. J’ai lu aussi l’historien Mézerai. J’affirme qu’il n’a jamais contesté au roi le droit de faire la guerre et la paix. Je défie M. Frète au d’indiquer le livre où Mézerai a soutenu cette opinion qu’il n’a pas même soupçonnée; et en attendant qu’il veuille bien nous faire connaître cet étrange paradoxe parmi les nombreux paradoxes de Mézerai, je vais discuter les .trois faits sur lesquels il fonde son opinion. La ligue fut un pacte par lequel un certain nombre de catholiques, dirigés par l’impulsion du duc de Guise, s’engagea, en vertu d’un serment, à maintenir la religion nationale dans le royaume, et à ne reconnaître jamais un roi hérétique; mais la ligue n’était point la nation. La ligue n’a jamais fait qu’une guerre civile, et une guerre civile n’est probablement pas un droit national et encore moins une guerre nationale. La ligue, loin d’attaquer les étrangers, appelâtes Espagnols dans le royaume. La ligue n’était qu’une confédération de religion; et ses généraux rebelles, ses processions indécentes, ses factieux Etats généraux, ses coupables insurrections contre le monarque légitime des Français, ne forment pas sans doute, aux yeux de M. Fréteau, une portion du droit public du royaume de France. Examinons à présent le traité de Madrid. Le loyal chevalier François I0*, celui peut-être de nos rois qui a été le plus généralement aimé pendant sa vie, parce qu’il avait au plus haut degré toutes les vertus et tous les vices de sa nation, François Ier ayant été fait prisonnier à Pavie, signa, dans sa prison de Madrid, un traité par lequel il cédait la Bourgogne à Gharles-Quint pour prix de sa rançon ; sa captivité annulait ses engagements. Lorsqu’il fut revenu dans ses Etats, il convoqua les notables et il suggéra, aux Bour- 570 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1790 1 guignons la requête dont il voulait se prévaloir pour être dispensé d’exécuter le traité de Madrid. Les notables de la Bourgogne dirent que leur province était la première pairie du royaume, et qu’en vertu de l’acte de sa réunion à la couronne, elle ne pouvait jamais en être séparée sans son consentement. François Ier profita de cette excuse pour conserver la Bourgogne, mais il ne s’agissait pas, dans cette discussion, du droit de faire la paix, il s’agissait simplement de l’exécution d’un contrat, et François I8r ne prévoyait pas sans doute qu’on pût conclure un jour de la résistance des Bourguignons, menacés de passer sous une domination étrangère, que ses successeurs ne devaient pas exercer dans toute sa plénitude le droit de la guerre et de la paix. Le traité souscrit par François Ier ne fut poiDt rompu, mais ce prince se servit du prétexte qu’il avait lui-même inspiré pour ne point exécuter le démembrement auquel il s’était soumis. Quant aux Croisades, personne n’ignore qu’à l’époque de ces grandes irruptions ou l’Europe sembla s'affaisser sur l'Asie, il y avait six pairies en France : les duchés de Bourgogne, de Normandie et d’Aquitaine, et les comtés de Champagne, de Flandre et de Toulouse. Ces six pairies avaient le droit de faire la guerre au roi lui-même, en vertu du traité de Mersën, conclu sous Charles-le-Ghauve. Il n’est donc pas étonnant que leur consentement fût nécessaire pour entreprendre ces guerres lointaines. Mais, depuis le concile de Clermont, depuis les missions de Pierre-l’Ermite, depuis le règne de Louis-le-Jeurie, aucune croisade ne fut déterminée par le vœu national, et les deux croisades de Saint-Louis prouvent, jusqu’à l’évidence, cette vérité de droit public. Les croisades ne furent précédées d’aucune déclaration de guerre. C’était une invitation adressée aux zélateurs de la foi de venir se rallier sous les étendards de la croix pour chasser les Sarrasins de la Terre-Sainte. M. Fréteau avait oublié l’histoire des croisades, quand il les a citées en preuve du droit qu’il attribue à la nation de faire la guerre et la paix. Sa mémoire ne l’a certainement pas mieux servi lorsqu’il a avancé que le règne d’Henri IV était la première époque de cette usurpation de nos rois sur le droit de la nation. Les guerres des Anglais et les guerres d’Italie étaient devant ses yeux. Henri II, François Ier, Louis XII, Charles VIII, le roi Jean, Philippe de Valois, tous les rois de France enfin, dont le règne n’a été qu’une guerre prolongée, avaient-ils obtenu le consentement de la nation pour prendre les armes et pour les quitter? M. Fréteau prend un ton si assuré quand il étale sa connaissance historique dans cette tribune, qu’il n’a pu igoorer les droits du trône écrits à chaque page de notre histoire. S’il a la prétention d’un érudit, qui a pâli pendant cinq années entières sur les livres et sur les chartes, il a donc été égaré par un esprit de système qui a trompé sa raison autant que sa mémoire, et j’ai d’autant plus de regrets de l’avoir trouvé si loin de la vérité, dans cette grande question, qu’un magistrat si instruit ne saurait se justifier par aucune excuse satisfaisante, parce que ses méprises ne s’appellent pas des erreurs. Ce n’est pas seulement en France que le droit de la guerre et de la paix a été constamment re-ardé comme uoe prérogative exclusive du trône. es Anglais eux-mêmes qui ont fait la part de leur roi sans aucune résistance, puisque le trône était déclaré vacant au moment de leur Révolution, en 1688, les Anglais n’ont jamais imaginé de limiter entre les mains du monarque le droit de déclarer la guerre, de faire la paix et de contracter tous les traités d’alliance ou de commerce qu’il juge utiles à sa nation. Le monarque anglais, et spécialement Guillaume III et la reine Anne, de même que la nouvelle dynastie de Hanovre, ont exercé cette prérogative sans aucune réclamation, en présence de ce même Parlement qui surveille sans cesseavec patriotisme, quoi que sans jalousie, le pouvoir exécutif. Le fameux traité de commerce avec le Portugal, traité qui a enrichi l’Angleterre, fut conclu en 1703 sans avoir été communiqué aux représentants de la nation. La défense du royaume, dont le roi seul est chargé, l’autorise à augmenter, selon les vues de sa sagesse, les forces de terre et de mer, dans tous les cas de guerre, d’invasion, d’insurrection, de rébellion, à ordonner la presse, à accorder des lettres de marque, avant même la déclaration de guerre, et à interrompre le cours ordinaire du commerce par de simples proclamations. Je ne prétends cependantpas dissimuler que le Parlement n’ait, par le fait, une très grande influence sur ces opérations importantes du gouvernement. L’histoire de l’Angleterre nous offre même des exemples de l’initiative exercée parle Parlement à l’époque de la guerre de Bohème, du mariage de Charles Ier, du mariage de Jacques II avec la princesse de Modêne ; mais dans toutes ces circonstances, les rois ont regardé tous ces actes comme irréguliers et non parlementaires ; ils ont môme agi contre le vœu formel du Parlement, et la déclaration de guerre aux Écossais, que le Parlement avait provoquée, appartenait au gouvernement intérieur de la Grande-Bretagne. Sous le prince de la maison de Tudor, le Parlement n’a jamais donné son avis de son propre mouvement sur aucune question d’Etat. Lorsqu’il supplia la reine Elisabeth de se marier, cette princesse, en le remerciant de son zèle, se plaignit hautement de ce que l’ou attentait à la prérogative de sa couronne. Ce ne fut que sous le règne de Charles Ier que le Parlement se mit en possession, sous le prétexte du redressement des griefs, de délibérer sans avoir été consulté par le roi. Le roi d’Angleterre ne dit jamais positivement aux deux Chambres qu’il entreprendra ou qu’il continuera la guerre, et encore moins qu’il conclura la paix, puisqu’elle dépend essentiellement du concours d’une autre puissance. Il pnnonce, ou des inquiétudes sur la tranquillité de l’Europe, ou des assurances de paix ; et il ne prononce jamais le mot guerre dans le Parlement, qu’après l’avoir déclarée, parce qu’alors il a usé de son droit. Cette formule des inquiétudes sur les dispositions des puissances étrangères est parfaitement entendue. Les communes lui répondent par une adresse en réponse au discours d’ouverture, ou à un autre message du roi, qu’elles l’assisteront généreusement pour le maintien de la dignité de sa couronne. Les deux Chambres font leurs adresses séparément, parce que les pairs ne peuvent pas parler les premiers de secours pécuniaires ; mais une telle réponse est toujours regardée comme un engagement de fournir les fonds nécessaires à la guerre, qui ne tarde pas alors d’être déclarée. Lorsque Guillaume III rendit compte dans la salle de Westminster des traités de partage relatifs à la mort de Charles II, roi d’Espagne, il demanda au Parlement son avis sur l’état de la .nation anglaise et de «es alliés. Les communes, [Assemblés nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1190.) 571 qui désiraient la guerre, l’invitèrent h renouveler ses alliances avec les Etats généraux de Hollande pour la défense mutuelle et pour conserver la liberté et la paix de l'Europe. Cette adresse que l’évêque Burnet nous a conservée était une invitation indirecte de déclarer la guerre à Louis XIV. Ce n’est jamais que par des expressions vagues, mais que les ministres anglais comprennent très-bien, que le Parlement énonce ainsi son vœu pour la guerre ou pour la paix. Le Parlement a souvent blâmé les traités après leur conclusion ; il a poursuivi les ministres qui les avaient souscrits : mais il est sans exemple qu’il ait jamais prétendu au droit de les ratifier ou de les faire rompre. Par le dernier traité de paix, le roi d’Angleterre a cédé 171e de Minorque au roi d’Espagne, en 1783, et cette lie était bien certainement un domaine de la couronne, gouvernée par des lois particulières comme Jersey, Guernesey et Gibraltar. Le Parlement n’a pris aucune connaissance de cette cession. Charles II vendit Dunkerque à Louis XIV. Le chancelier Clarendon fut puni à la suite d’une procédure très irrégulière, il est vrai, pour avoir négocié cette honteuse aliénation. Mais le Parlement n’a jamais réclamé Dunkerque. Le traité d’Utrecht a été violemment censuré en Angleterre. Tous les ministres qui l’avaient conclu et signé, le comte Oxford, le lord Sommers, grand chancelier, le comte de Port-land, le comte d’Halifax et le lord Bolingbrooke furent poursuivis par le Parlement ; mais dans tout le cours de ces mémorables procès, on ne fit aucun reproche ni au roi, ni aux ministres de n’avoir pas consulté les deux Chambres. Aucun de ces ministres ne fut jugé. On sait qu’ils engagèrent la reine Anne à créer douze nouveaux pairs pour s’assurer en leur faveur de la majorité dans la Chambre des pairs. Cependant, malgré cette précaution, ils n’osèrent jamais donner l’exemple de demander au Parlement la ratification , ni même l’approbation d’un traité de paix, et ils aimèrent mieux rester ainsi prévenus d’un crime capital que de se mettre lâchement en sûreté en sacrifiant la prérogative du trône. Après la mort de la reine Anne, le seul lord Bolingbrooke qui avait été, depuis son évasion, secrétaire d’Etat du prétendant, obtint du roi des lettres de pardon ; mais le traité d’Utrecht n’en a pas moins été exécuté sans aucune réclamation. Il est maintenant démontré, par tous ces faits incontestables, que le roi d’Angieterre jouit seul et sans partage de ses Etats, du droit de déclarer la guerre, de conclure les traités d’alliance, de commerce et de paix. Ce monarque exerce sa prérogative en présence des représentants de la nation qui n’ont jamais prétendu la partager, et il paraîtrait sans doute bien extraordinaire que notre Constitution attribuât moins de pouvoir â un roi de France que n’en a le chef suprême de la monarchie la plus tempérée de l’Europe (1). (1) C’est un principe constitutionnel en Angleterre qu’au roi seul appartient le droit de faire la guerre et la paix et de conclure les alliances. Le statut de la 24e année du règne de Georges II, chap. 24, art. XIV, année 1731, s’exprime ainsi : « 11 ne sera pas légal pour son Altesse Royale ( La princesse douairière de Galles), de faire la guerre ou la paix, de ratifier aucun traité avec une puissance étrangère, sans le consentement de la majorité du conseil de Régence. » J’observe sur cet acte que l'expression générale ratifier relativement aux traités arec les puissances étrangères, renferme tous les droits du trône, parce qu’elle indique la J’examine à présent, Messieurs, s’il est de l’intérêt de la France que les représentants de la nation revendiquent et exercent le droit de la guerre et de la paix. Cette question peut être réduite à deux termes fort simples : Serait-il avantageux pour la France d’être une démocratie? Une pareille forme de gouvernement ne saurait être admissible, ne saurait surtout être durable dans un Etat de vingt-sept mille lieues carrées. On sait que le cardinal Mazarin fit les plus grands efforts, après la mort tragique de Charles I8r, pour engager les Anglais à" entretenir dans leur île un gouvernement purement républicain. Mazarin, le plus habile ministre des affaires étrangères qui soit jamais entré dans le conseil de nos rois, avait compris combien cette forme de gouvernement, adoptée en Angleterre, affaiblirait, par ses lenteurs et par ses divisions intestines, la puissance politique de cette nation ; mais les Anglais, après avoir essayé pendant quatre-vingts ans de se passer d'un roi , selon l’expression de M. Hume, sentit que leur Parlement avait besoin du contre~poid3 de l’autorité royale; ils relevèrent le trône de leurs mains patriotiques, et, depuis un siècle, ils n’ont plus tenté d’ébranler ce fondement sacré de leur Constitution. Serait-il possible, Messieurs, d’oublier, dans celte Assemblée, cette grande leçon que l’Angleterre a donnée à l’Europe? Serait-il sage de vouloir introduire parmi nous un gouvernement républicain que n’a pu se donner un Etat qui s’élève à peine au tiers de la population et de l’étendue du royaume? Serait-il enfin patriotique d’exécuter en France, dans l’espoir de la rendre plus florissante, le complot le plus sinistre que le génie du cardinal Mazarin ait jamais trouvé contre la prospérité de l’Angleterre ? Dans un temps, Messieurs, où notre Constitution n'était pas écrite comme celle des Anglais, il fallait assurer, par toutes les précautions possibles, les droits de la nation : à présent ces précautions ne sont plus nécessaires, et elles pourraient devenir funestes, si elles entretenaient le peuple dans un état habituel de guerre avec le gouvernement. Vous avez une Assemblée nationale permanente. Par cette seule permanence, vous vous êtes prémunis pour toujours contre lé seule part que les princes puissent prendre personnellement à ces sortes de transaction. Ce sont les ministres plénipotentiaires qui négocient et signent les traités et qui attendent ensuite la ratification de leurs souverains respectifs, pour en faire l’échange. Dans l’article qui précède la clause que je viens de citer, on règle l'autorité du conseil de régence sur les intentions, ordres et pouvoirs en vertu desquels les traités doivent être conclus. Non seulement il n’y est pas dit un seul mot de l’intervention du Parlement, ce qu’il suffit pour démontrer qu’il reconnaît lui-même à cet égard son incompétence, mais en soumettant expressément l’autorité de la régente a l’avis de la seule majorité du conseil de régence, le parlement déclare ne pouvoir prendre aucune part au droit de la guerre, de la paix et des autres traités avec les princes étrangers. 11 serait absurde en effet de faire dépendre un acte du Parlement de la volonté de quelques conseillers privés. Le consente ment de la régente aux bills vutés par les deux Chambres, pour en faire des lois n’est soumis, par cet acte, â aucune restriction. La limitation des pouvoirs confiés à la régente est bornée aux seuls traités de guerre et de paix, et ce n’est point le vœu du Parlement, mais uniquement la majorité de son conseil que la régente est obligée de consulter et de suivre. L’acte de la 3“ année du règne de Georges III, en 1763 chapitre 27, est copié littérallement sur le statut de Georges II que je viens de rapporter. ( Note de Vàbbè Maury.) 572 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1790. J despotisme ministériel. Il est certain, Messieurs, que ce mot de despotisme ministériel, si souvent répété dans cette tribune, disparaîtra bientôt de la langue française. Non, ne craignez plus des ministres despotes : vous aurez des ministres timides, des ministres lâches, qui n’oseront pas lutter contre votre puissance et vous les verrez ramper humblement devant vous, de peur que vous ne vous éleviez contre eux. Jamais aucun ministre ne sera assez hardi pour faire déclarer une guerre en présence de l’Assemblée nationale sans être bien assuré de votre aveu. D’ailleurs, peut-on faire la guerre sans impôts et pourra-t-on désormais établir des impôts sans votre consentement? Qu’importe le droit que vous déléguez, lorsque vous recevez tous les moyens sans lesquels il est impossible d’en abuser “et même de l’exercer? Quel est donc cet étrange patriotisme qui veut dégrader le trône sans aucune utilité réelle pour la nation ? Quand nous disons que le refus de l’impôt doit vous rassurer contre l’abus du pouvoir, on nous répond que ce refus serait une véritable insurrection et qu’un peuple de doit jamais recourir à un remède si violent. Oui, sans doute, quand l’impôt est établi, le refus de le payer est un véritable acte de rébellion ; mais quand l’impôt n’existe pas encore, le refus de le voter n’est point une insurrection, c’est le plus sûr bouclier de la liberté publique. Gomment pourriez-vous, Messieurs, répondre de la sûreté de la nation si, après avoir ainsi réservé au Corps législatif le consentement de l’impôt, sans lequel toute hostilité devient impossible, vous lui déléguiez encore le droit .de la guerre et de la paix? Que l’on trompe un peuple généreux avec la plus savante perfidie, qu'on cherche à l’épouvanter par les suggestions les plus criminelles, comme si le droit qu’aurait le roi de déclarer la guerre aux ennemis de la France était le droit de faire la guerre à ses propres sujets et à notre Constitution. .. Je conçois aisément ces honteux artifices d’un démagogue, que son hypocrisie rend persuasif, auprès d’un peuple que sa bonté elle-même rend crédule; mais ce ne sera pas sans doute dans cette Assemblée que le fanatisme de la popularité trouvera des dupes ou des complices. Je dis donc nettement que Je Corps législatif, affranchi de toute responsabilité, livré à l’ascendant de l’éloquence, aux séductions de l’or, aux menaces d’un peuple égaré, et surtout au premier mouvement d’un patriotisme irréfléchi, ne saurait inspirer à la nation autant de confiance qu’un roi citoyen; un roi qui tient dans sa main le fil de toutes les relations politiques de l’Etat; un roi qui embrasse d’un coup d’œil l’ensemble des dispositions, des projets, des moyens de toutes les cours ; un roi, enfin, dont les intérêts seront toujours inséparables de la prospérité publique. Allons plus loin. Vous avez décrété des assemblées permanentes qui seront désormais réunies endant quatre mois pour exercer leurs fonctions. r, je demande s’il peut y avoir un seul jour de l’année où la première sentinelle de l’Etat n’ait pas les yeux ouverts sur tous les mouvements de l’Europe? Avez-vous oublié que six semaines ont suffi pour former la ligue d’Augsbourg et qu’il ne fallut que trois semaines pour cimenter la ligue de Cambrai destinée à engloutir la république de Venise? Vous ne pouvez donc pas vous dissimuler que l’éloignement et la lenteur inévi-tablq de vos délibérations vous feront perdre cette promptitude de résolution,; sans laquelle le premier des avantages politiques, l’art de profiter du moment, ne saurait exister. Vous avez encore un autre danger à redouter : vous êtes entourés de nations dont les cabinets vous déguiseront tou9 leurs desseins, et connaîtront avec certitude tous les vôtres; de sorte que (pour me servir ici d’une image familière) vous jouerez pour ainsi dire à jeu découvert, avec ùn adversaire qui cachera soigneusement le sien. Vous vous préparerez à la guerre, avec l’intention de l’éviter, et vous ne l’éviterez pas par vos préparatifs, parce que tous vos projets seront divulgués. Vous n’aurez point de secret et tout sera secret autour de vous. Les décisions les plus mystérieuses du gouvernement deviendront des décrets que la plus prompte publicité répandra dans toute l’Europe, et vous appellerez ainsi tous vos ennemis à votre conseil national. Voilà, Messieurs, le résultat de vos relations politiques pour déclarer la guerre ou pour l’éviter. Que pourrez-vous espérer de cet ordre de choses pour conclure des traités d’alliance ou de paix ? Quand même vous voudriez divulguer vos secrets auriez-vous le droit de publier également le secret des autres puissances. Levez les yeux dans ce moment, et voyez au milieu de cette enceinte un ministre anglais, qui va négocier en Espagne les intérêts de sa nation. Plus ses talents et ses qualités morales méritent d’estime, plus son caractère public doit inspirer de défiance. C’est en présence d’un tel témoin que nous discutons dans cet instant les droits du trône? Ce sera bientôt devant les émissaires de toute l’Europe que les Français délibéreront dans cette Assemblée pour leur apprendre qui ils ont à craindre ou qui ils doivent corrompre. Quel peuple voudra être votre allié et exposer ainsi ses secrets les plus importants, à la publicité inséparable de nos délibérations? Quelle que soit votre puissance, vous ne pouvez pas exister seuls dans le système politique de l’Europe, et vous seriez bientôt envahis par vos voisins, si vous osiez vous isoler au milieu d’une confédération générale. Depuis les grandes bases posées par le cardinal de Richelieu, toute l’Europe est en équilibre. Ce ministre immortel qui, parmi nous, sut rétablir le calme en dirigeant les orages, révéla aux Français les quatre intérêts dominants de leur politique extérieure, le maintien de la Confédération germanique, l’équilibre du nord, la neutralité de l’Italie et L’alliance du Turc, et nous avons besoin d’une vigilance et, pour ainsi dire, d’une action continue de notre roi, pour recueillir cette belle succession que le génie de Richelieu a légué à la France-monarchie et dont la France-république serait deshéritée pour toujours. Cependant on a prétendu, Messieurs, qu’il suffirait d’établir un comité politique pour remplacer dans cette Assemblée le conseil du roi-On vous a ditqu’autrefois les finances étaient enveloppées d’un mystère impénétrable; qu’on appelait alors cette science ténébreuse le secret de l’Etat ; que le crédit public s’était rétabli dès que cet ancien voile avait été déchiré et que la révélation de notre politique ne serait pas moins utile au royaume que la manifestation de nos finances. Mais qu’elle différence entre l’administration du Trésor public et nos relations extérieures? Malheureusement pour la nation, la prospérité de ses finances consiste aujourd’hui dans le crédit qui est devenu pour nous un mal nécessaire; et on sait bien que le crédit, toujours fondé sur une confiance éclairée, exige la publicité de notre sitnation pécuniaire. Mais l.ep opérations politiques ae sont pasde la æémbAtore. Ici, vient, s’e.xer- $73 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1790.] eer la véritable puissance de l’opinion ; ici, l’empire de l’imagination commence. Ici, les personnes ont plus de poids que les autres; ici, il faut de longues combinaisons, des détours multipliés, Ja patience des affaires et la prévoyance des événements. Ici, il faut prendre en considération, outre la force naturelle des États, le caractère moral des rois, leurs talents, leurs vertus, leurs vices, ceux de leurs miuistres, ceux de leurs généraux, ceux des alliés et des ennemis de l’Etat. Faudra-t-il transformer cette tribune nationale en un tribunal journalier de médisance et de calomnie? Faudra-t-il y citer tous les hommes publics de l’Europe et les diffamer sans pudeur ? Auriez-vous osé lire dans une ssemblée publique les dépêches de Jeanin, de d’Offat, de tous nos ambassadeurs enfin, dont les correspondances, si elles eussent été publiques, auraient allumé plus de guerres que leurs négociations n’ontpu jamais en étouffer? Ah! si votre corps diplomatique était destiné à vous fournir de pareils matériaux de satyres et de détractions, je vous inviterais à le supprimer dès ce moment, parce que vos ministres diffamateurs ne seraient plus reçus dans aucune cour de l’Europe. Mais, dit-on, les rois abuseront de ce terrible droit de guerre s’il leur est délégué par la nation. Les rois en abuseront? je le crains sans doute, puisqu’ils en ont abusé. Mais quelle république, quel sénat n’en abusa danstous les temps? Voyez s’il suffit de jouir de la liberté pour respecter la liberté des peuples voisins. Voyez si les Etals les plus libres n’ont pas été les plus ambitieux et les plus guerriers. Voyez si les Romains ne furent pas les plus injustes, les plus opiniâtres et les plus atroces de tous les conquérants. V oyez si les emportements populaires n’ont pas entraîné les guerres les plus absurdes et” les plus odieuses; et hâtez-vous de changer, par l’autorité de vos décrets, la nature humaine si vous voulez prévenir tous les abus, et atteindre à la perfection idéale d’un gouvernement dont l’histoire du monde ne nous fournit encore aucun modèle. Pensez-vous, Messieurs, servir utilement la nation française en faisant dépendre une déclaration de guerre de l’opinion publique? L’opinion publique n’est pas moins immorale qu’insensée, lorsque son trône est établi dans une capitale immense où d’innombrables intérêts personnels sont toujours en activité pour la séduire. Représentez-vous le cardinal de Fleury à la lin de sa carrière. Ge ministre vertueux, qui préféra toujours la considération à la gloire; qui, par son désintéressement, se préserva de tous les travers de l’opulence; qui répara, par la sagesse de son administration, sans secousses et sans injustices, les malheurs glorieux de Louis XIV et les folles prodigalités de la Régence; ce ministre, que l’Europe entière révérait comme le père commun de tous les rois, satisfait d’avoir donné la Lorraine à la France, refusait d’entreprendre, à l’âge de quatre-vingt-dix ans, la guerre de 1741, qui répugnait autant à son caractère qu’à ses principes. L’ambitieux maréchal de Belle-Isle travailla l’opiniou de Paris. Des clameurs universelles s’élevèrent bientôt contre ce vieillard vénérable, qui se montrait plus sage que toute la nation. On l’accusait de toute part d’une politique bornée, qui tendait à retenir, sous un autre nom, cette même maison d’Autriche, dont le cardinal de Richelieu avait considéré l’abaissement comme la base la plus solidede la grandeur de la France. Fleury résista longtemps au vœu et aux injustices de ses concitoyens ; mais enfin, fatigué des persécutions de la capitale qui n’était dans son délire, que l’organe d’un courtisan, il se vit forcé, sur les bords de la tombe, dans tous ses projets, et emporté au delà de toutes ses mesures; et il entreprit malgré lui cette guerre dont Louis XV signa, pour ainsi dire, la déclaration au milieu des acclamations insensées de toute la France. Cette guerre de sept années, après avoir coûté un million de combattants et plus de six cent millions de livres, fut terminée à Aix-la-Chapelle, par un traité de paix qui renvoya les vainqueurs et les vaincus dans leur ancienne limites, ou plutôt sur leurs communs débris, pour y pleurer leurs désastres et payer leurs dettes-Ajoutons, Messieurs, à cette grande leçon que, le cardinal Fleury donne à la France du fo*nd de son tombeau, l’exemple encore plus récent de la dernière guerre, de cette guerre qui, en engloutissant tous nos trésors, a causé tous nos malheurs; de cette guerre qui avait pour but politique d’affaiblir la puissance relative de l’Angleterre, par le démembrement de l’Amérique, et qui ne l’a pourtant affaiblie ni dans ses flottes ni dans son commerce. Le vœu public de toute la France avait demandé cette guerre que je m'abstiens de caractériser. On croyait à Paris qu’il suffirait à nos légions et à nos escadres de se présenter sur tout le globe devant les possessions anglaises pour s’en emparer. Les événements ont démenti l’opinion publique; et si nous savons prendre conseil du passé pour apprécier l’avenir, ils doivent nous avoir appris que souvent les nations n’entendent pas mieux leurs intérêts que les rois. Pour accuser les rois et les rendre odieux dans cette discussion, nos adversaires n’ont pas oublié d’outrager indécemment la mémoire de Louis XIY dont les guerres ont ajouté six provinces à son royaume, et nous ont assuré les plus utiles et les plus solides alliances, en apportant, avec l’héritage de Charles-Quint, tant de couronnes dans sa maison. Je n’excuse point, sans doute, l’ambition de ce grand roi qui, au lit de la mort, demanda lui-même pardon à ses sujets de soixante ans de gloire; je dis que ses détracteurs sont coupables, s’ils prétendent qu’il n’a jamais pris les armes sans commettre une injustice. M. Charles de Lameth s’est montré bien plus hardi encore : et Henri IY lui-même, le seul roi dont le peuple conserve et bénisse la mémoire, n’a pu trouver grâce devant lui. Henri IV, nous a-t-il dit, allait, au moment de sa mort, allumer la guerre dans toute l’Europe, uniquement déterminé par son amour pour Charlotte de Montmorency, princesse de Condé, que son mari venait de lui ravir en la conduisant à Rruxelles. Permettez-moi, Messieurs, permettez à un représentant de la nation, de réclamer dans ce sanctuaire une grande pensée pour la gloire de Henri. Ombre auguste, ombre chérie! sors du tombeau, viens demander justice à ta nation assemblée : le plus beau de tes projets est méconnu. Viens éprouver dans ce moment ce que peut encore sur des Français le souvenir d’un grand roi ! Viens : montre-nous ce sein encore percé du fer dont la calomnie arma les mains impies du fanatisme! Viens : l’admiration et les larmes de tes enfants vont venger ta mémoire ! M. de Lameth n’est ici que l’écho des antiroyalistes les plus forcenés du dernier siècle. Viltorio Siri, l’éternel détracteur de Sully et de Henri IV, est le premier auteur de cette calomnie u’aucun écrivain estimable n’accrédita jamais. ully, dont il a osé citer le témoignage contre {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 118 mai 17f0.] 574 son bon maitre, a consacré le trentième livre entier de ses Mémoires à le justitier de celte absurde accusation. Non, Messieurs, Henri IV n’allait pas mettre l’Europe en feu pour satisfaire une passion insensée : il allait exécuter un projet médité depuis vingt et un ans, un projet qu’il avait concerté avec la reine Elisabeth par une correspondance suivie et par une ambassade particulière. Ce roi, général et soldat, qui savait calculer les obstacles parce qu’il était acoutumè à les vaincre, voulait entreprendre une guerre de trois ans, pour former de l’Europe une vaste confédération et pour léguer au genre humain le superbe bienfait d’une paix perpétuelle. Tous les fonds de cette entreprise étaient prêts, tous les événements étaient prévus. Pendant quinze ans il n’avait pu persuader son ami Sully, dont le caractère sage et précautionné ne pouvait se livrer à aucune illusion, et encore moins aux illusions delà gloire; mais Sully, convaincu enlin par Henri IV, reconnut que le plan de son héros était juste, facile et glorieux. C’est cette sublime conception du génie de Henri IV; c’est cette guerre politique et vraiment populaire dont le succès devait faire de notre Henri le plus grand homme de l'histoire moderne, disons mieux, le plus grand homme qui eût jamais paru dans la monde, c’est ce magnitique résultat de vingt et une années de réflexion qu’on ne rougit pas de nous présenter ici comme le monument de la plus honteuse faiblesse. Au milieu des préparatifs de son départ pour l’Allemagne, le bon Henri, le vainqueur de la Ligue, de l'Espagne, de Mayenne-, le héros d’Ivry, d’Arques, deFontaine-Française, le seul conquérant légitime, le meilleur de tous grands hommes, avait une si haute idée de sou projet, qu’il ne comptait plus pour rien toute sa gloire passée, et qu’il ne fondait plus sa renommée que sur le succès de cette conquête immortelle de la paix. Quatre jours avant sa mort, il écrivait à Sully : » Si je vis encore lundi , ma gloire commencera lundi. » 0 ingrati tude d'une aveugle postérité 1 0 incertitude des jugements humains ! Si je vis encore lundi, ma gloire commencera lundi! Hélas! il ne vécut pas jusqu’au luadi; et ce fut le vendredi que le plus exécrable des parricides rendit nos pères orphelins, et lit verser à toute la France des larmes qu’une révolution de près de deux siècles n’a pas encore pu tarir. ( Applaudissements prolongés à droite.) Je croyais , Messieurs , devoir une réparation publique à la mémoire de Henri IV; mais c’est vous qui venez de la faire, d’une manière plus digne de lui. Henri IV est vengé 1 A Dieu ne plaise, qu’en justifiant ainsi nos monarques et qu’en réclamant pour eux le droit de la guerre, je cherche à faciliter en quelque sorte un si horrible fléau! Je n’ignore pas que, dans ces grandes questions où. l’on balance les prérogatives du trône avec les intérêts des peuples, on ne peut se déclarer en faveur de l’autorité royale, sans être aussitôt dénoncé comme le partisan de l’ancien despotisme ministériel. Je sais qu’à force de nous prémunir contre les agents du monarque, nous anéantissons graduellement toute son autorité, et que notre liberté conquérante, envahissant ainsi tous les pouvoirs, usurpe encore parmi nous le nom et la gloire du patriotisme. Non, Messieurs; il n’est, aucun Français qui regrette l’ancien pouvoir ministériel; mais il n’est aucun citoyen qui ne sente le besoin d’un roi et qui ne vous redemande cette autorité tutélaire pour le protéger contre le despotisme populaire, contre le despotisme municipal, enfin contre le despotisme de la licence et de l’anarchie. Nous disons donc que le Corps législatif ne doit par se réserver le droit de décider de la guerre, parce qu’il est trop facile de corrompre une partie de l’Assemblée, pour dominer l’autre; parce qu’un corps qui ne répond de rien et qui ne rougit de rieD, ne saurait garantir la sûreté et la dignité de la nation avec autant de prévoyance qu'un roi, qui connaît les rapports, démêle les vues et apprécie les moyens des autres Etats; parce qu'une Assemblée, plus facile à surprendre et à tromper, ne peut pas, au moment d’une explosion imprévue, faire sortir, comme autrefois Cadmus, des hommes tout armés du sein de la terre. Nous disons que les traités d’alliance doivent doivent être ratifiés par le Corps législatif, lorsqu’ils portent un engagement de subsides (1); de même que les traités de commerce, quand ils stipulent des diminutions ou des augmentations sur les droits de douane qui appartiennent à son ressort, comme tous les autres impôts; mais nous pensons que le pouvoir exécutif ne pourrait plus profiter des avantages que lui offriraient les circonstances ou les négociations, s’il était réduità ne conclure que des traités de paix conditionnels. Nous déclarons hautement, en accordant au Corps législatif tout ce qu’il peut raisonnablement demander que, s’il soumet ces contrats nationaux à sa ratification spéciale, il ne peut du moins se la réserver que dans le cas où il faudrait aliéner une portion du territoire de la France. Nous disons que ce serait le plus grand des malheurs pour les Français que de regarder leur roi comme leur ennemi; que la France doit tous ses établissements et toute sa gloire à ses monarques; qu’ils n’ont jamais séparé leurs intérêts delà gran-(1) L’intervention du Parlement d’Angleterre est nécessaire dans les traités d’alliance, quand le roi stipule ces subsides à payer. Depuis que les Anglais ont adopté le système moderne des appropriations , le roi de la Grande-Bretagne n a plus entre ses mains la libre dis-osition des fonds pub ics. Lorsque le Parlement passe es actes en conformité des subsides-promis à une autre puissance, il n’entretient aucune relation directe avec les princes étrangers, et il se borne à voter les subventions convenues. Le roi Jacques II prétendait que le droit sur le tonnage et le pondage était perpétuel et qu’il pouvait le percevoir, sans en avoir obtenu la prorogation. La question fut jugée contre lui, et il est maintenant de principe en Angleterre que le roi n’a pas plus le droit d’abolir un impôt que de l’établir. Les Américains ont soutenu au parlement, avant leur scission, que le roi pouvait permettre ou défendre l’entrée de certaines marchandises dans les ports de la Grau de-Breiagne. Cette doctrine était admise sans aucune difficulté, lorsque la Chambre étoilée subsistait, parce qu’elle condamnait à des peines sévères les infracteurs des proclamations royales, lors même qu’elles n’étaient fondées sur aucune loi. Mais quoique le Parlement n’ait pas abrogé lormellement cette prérogative, le roi ne peut plus en jouir, depuis la suppression de la Chambre etoilée, et surtout dequis que la Chambre haute reçoit les appels des cours d’amirauté. Le Parlement prononce ainsi en dernier ressort, et ces sortes de procès n’élant plus portés au conseil privé, aucun tribunal n’ose punir les violations des simples proclamations du roi, sur les prohibitions relatives au commerce, parce qu’un tel jugement serait promptement infirmé par la Chambre des pairs. 575 [Assemblée uationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1790.] deur de la nation ; qu'après avoir reconquis, par la voie des armes, la plupart des anciennes provinces démembrées delà monarchie, ils ont réuni au royaume la Bretagne par un mariage; la Bourgogne, par un droit de mouvance; le Dauphiné, par un testament; le comté de Toulouse, par une transaction; la Provence, par droit d’héritage et par des sacrifices pécuniaires; l’Alsace et la Lorraine par des traités; et que les mauvais citoyens sont ces mêmes démagogues dont toute la popularité consiste à diviser le monarque et le peuple et à semer la discorde entre le père de la patrie et ses enfants. Nous disons enfin que l’impétuosité trop naturelle à la nation ne pourrait amener que des calamités, si, dans ce moment d’effervescence qui agite l’empire français, nous affaiblissions encore par nos décrets, dans l’opinion publique, le ressort du pouvoir exécutif, sans lequel nous ne verrous jamais renaître l’ordre et la tranquilité dont nous jouissons avant l’aurore si orageuse de notre liberté. Qu’était en effet, la France, Messieurs, avant la convocation des Etats généraux ? Hélas ! vous vous en souvenez encore. Notre patrie était alors la mieux policée et la plus tranquille de l’Europe; les étrangers y étaient sans cesse attirés par la douceur de nos mœurs, autant que parla beauté de notre climat. L’agriculture, le commerce, les arts y fleurissaient à l’ombre du trône. Tous les ordres de l’Etat vivaient en paix. Nous ne pouvions plus nous former aucune idée de ces anciennes discordes civiles que la France avait oubliées depuis deux siècles. Le Trésor public était obéré; mais les Français étaient riches. Les économies, la réforme des abus et surtout les vertus de notre roi nous offraient des ressources immenses pour acquitter la dette de l’Etat. Tous les genres de bien étaient, je ne dis pas possibles, mais faciles; et les représentants de la nation, armés d’une toute puissance d’opinion à laquelle rien ne résistait, s’a-vançaiént au milieu des bénédictions universelles, pour régénérer ce beau royaume, dont l’Europe entière semblait devoir envier bientôt la prospérité. Qu’est aujourd’hui la France? Un triste objet de pitié pour toute les nations. Le palais solitaire de nos rois!... Le peuple le plus doux de l’univers!... Je m’arrête. Je vois de loin le génie de la France déchirant de nos annales ces pages ensanglantées qu’il faudrait dérober à nos descendants. Toutes les propriétés sont aujourd’hui menacées ou méconnues; le brigandage est universel et impuni; une émigration générale a dispersé nos concitoyens et nos trésors; des signaux alarmants de détresse s’élèvent à la fois de toutes nos provinces; les peuples ne veulent obéir qu’aux décrets qui flattent leurs passions. Que dis-je? On ose fabriquer au loin des décrets pour commander des crimes, au nom des représentants de la France. Un peuple qui veut être libre oublie qu’il n’y aura jamais de liberté sans la soumission aux lois. Plus de subordination, plus de tribunaux, plus d’armée ..... Je me trompe ; douze cent mille nommes ont les armes à la main sans connaître, sans avoir un seul ennemi; tous -ceux qui doivent payer l’impôt sont armés, tous ceux qui doivent le faire payer sont désarmés. Les insurrections ont tari la source des tributs; la fortune publique est en danger; toutes les classes des citoyens s’observent avec inquiétude et jalousie; les classes inférieures de la société ne veulent plus admettre à l’égalité, dans les assemblées primaires, les citoyens dont la prééminence n’avait jamais été contestée. La religion qui pouvait seule ramener les hommes à cette unité de principes et d’intérêts, sans laquelle il ne peut exister aucun esprit public, voit tous ses ressorts brisés ou détendues. Tous les anciens rapports qui liaient le puissant au faible, le riche au pauvre sont anéantis. Nous neconnaissonsplusdans notrenou-velle législation l’image de cette institution à laquelle nos publicistes rapportent l’origine de nos fiefs : je veux parler ici de cette belle clientèle des Romains qui étendait la correspondance des patrons avec les clients, des familles aux cités et des villes aux provinces; et qui, par un échange continuel de protection et de services, sauvait les grands de l’envie, et les indigents du mépris. Enfin, que deviendra la France ainsi divisée, ainsi couverte de ruines et de débris? C’est la grande et triste question que s’adressent mutuellement tous les citoyens, dès que leurs pensées peuvent s’épancher en liberté dans les inquiètes provoyances des entretiens les plus intimes. Gous-ternés du présent, épouvantés de l’avenir, ils cherchent avec effroi une issue à tant de calamités et ils n’en découvrent aucune; ils ne connaissent plus d’état solide, plus de fortune assurée, plus d’asile inviolable; et quand ils lèvent les yeux vers le trône, du milieu de cette Révolution qui n’a fait encore que des victimes, ils se voient placésentre trois nouveaux désastres dont laFrance est aujourd’hui menacée : je veux dire entre le despotisme, du gouvernement, l’invasion des étrangers, et le démembrement des provinces du royaume. D’après ces considérations, je oonclus, en proposant à l’Assemblée nationale le décret suivant : « L’Assemblée nationale a décrété et décrète que le droit de déclarer la guerre et de conclure tous les traités avec les puissances étrangères sera exclusivement exercé par le roi. Mais les traités de paix devront être ratifiés par le Corps légistatif, s’ils stipulent l’aliénation de quelques parties du territoire delà France : de même que les traités d’alliance, s’ils portent un engagement de payer des subsides : ainsi que les traités de commerce, s’ils règlent une nouvelle diminution ou augmentation des droits de douane, pour l’entrée ou la sortie de certaines marchandises aux frontières du royaume. » M. de Volney. Lorsque la discussion actuelle s’est ouverte, la question était posée d’une manière si vague, qu’il n’était pas possible d’v donner une réponse précise ; car si par ces mots* exercice du droit de la guerre , on entend le pouvoir illimité de faire tout ce qu’entraîne dans son acception vulgaire ce droit effrayant, tout homme raisonnable devait dire non; si, au contraire, l'on entendait un pouvoir défini par des lois posées, par un accord avec la puissance législative, personne ne pouvait s’y refuser. Celte équivoque, en suscitant la contradiction, en a fait naître l’heureux effet ordinaire: et malgré son extrême complication, cette question majeure, circonscrite en partie par la nature des choses, en partie par vos propres décrets, s’est d’elle-même partagée en deux termes extrêmes, dont les inconvénienls développés vous ont fixés dans le terme moyen ou se plaisent la raison et la vérité. D’un côté, vous avez senti que si l’on donnait au pouvoir exécutif la faculté d’entreprendre arbitrairement toute guerre, sans le concours du pouvoir législatif, l’on détruisait tout équilibre, 576 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1790.] toute harmonie, toute liberté, et on lui donnait défait la faculté d’établir l'impôt, puisqu’une fois engagé l’on ne pouvait plus le refuser. D’autre part, vous avez observé que la guerre étant une action qui exige de la rapidité et de l’unité, un corps d’assemblée délibérant contradictoirement ne pouvait être chargé de sa conduite, et qu’en certains cas l'Etat attaqué inopinément exigeait d’accorder une assez grande latitude de pouvoir provisoire pour sa défense. Par ce contraste, vous avez été conduits à la distinction d’un cas offensif et 'd’un cas défensif dont se compose réellement la question; vainement vous a-t-on allégué des connivences d’hostilité qui masqueraient les apparences; vous n’en avez que mieux démêlé la nécessité de séparer l’acte solennel de la déclaration en forme qui n’a point de remède, des sujets de plaintes qui, d’abord réprimés, peuvent être négociés et accommodés. On vous a parlé des prérogatives usitées des monarques; mais vous avez senti que les nations ne sont pas créées pour la gloire des rois, et vous n’avez vu dans les trophées que de sanglants fardeaux pour les peuples. On vous a cité la sagesse d’une nation voisine; mais vous avez senti que la Constitution anglaise, fondée il y a cent ans, quand le fanatisme, l’ignorance, la barbarie féodale couvraient toute l’Europe, n’avait pu atteindre uneperfection dont nous-mêmes aujourd’hui ne nous flattons pas. On vous a exagéré des besoins de diligence qui exigeaient le despotisme de l’autorité, et ne souffraient pas les délibérations de la place publique; mais vous ne vous êtes pas laissé abuser par de faux exemples. Vous avez senti que nous n’étions plus au temps de ces petites républiques dont tout le domaine se traversait en quelques heures; et les Assemblées nationales de France ne sont pas le forum de Rome ou d’Athènes. Enfin l’on vous a célébré les avantages des rites mystérieux de la diplomatie, et les inconvénients de la publicité. Mais vous vous êtes rappelé que c’est avec cet esprit de mystère que, de tout temps, l’on vous a joués ; que c’est avec cet esprit de mystère que l’on voulait vous dérober le brigandage de vos finances, et vous avez senti que lorsque le voile a été levé sur cet objet aucun autre ne peut le conserver. Oui, Messieurs, vous laisserez le mystère à cet esprit de diplomatie tracassièrequin’ayant pour objet que des intérêts de maison et de famille, pour leviers que des passions d’individus, pour moyens que des corruptions, des intrigues, a besoin des ténèbres pour y faire jouer les fantômes de puissance dont se masque sa faiblesse. Jusqu’à cejour l’Europe a présenté un spectacle affligeant d’orgueil apparent et de misère réelle; on n’y comptait que des maisons de princes et des intérêts de famille. Les nations n’y avaient qu’une existence accessoire et précaire. On possédait un empire comme un domaine ; on portait en dot des peuples comme des troupeaux. Pour les menus plaisirs d’une tête, on ruinait une contrée ; pour les pactes de quelques individus, on privait un pays de ses avantages naturels. La paix du monde dépendait d’une pleurésie, d’une chute de cheval. L’Inde et l’Amérique étaient plongées dans les calamités de la guerre pour la mort d’un enfant, et les rois se disputant son héritage vidaient leur querelle par le duel des nations. Vous changerez, Messieurs, un état de choses si déplorable ; vous ne souffrirez plus que des millions d’hommes soient le jouet de quelques-uns qui ne sont que leurs semblables, et vous rendrez leur dignité et leurs droits aux nations. La délibération que vous allez prendre aujourd’hui a cette importance, qu’elle va être l’époque de ce grand passage. Aujourd’hui vous allez faire votre entrée dans le monde politique. Jusqu’à ce moment vous avez délibéré dans la France et pour la France; aujourd’hui vous allez délibérer pour l’univers et dans l’univers. Vous allez, j’ose le dire, convoquer l’assemblée des nations. Il est donc d’une haute importance d’établir d’une manière imposante l’opinion que les peuples doivent concevoir de vos principes et de vous ; et la manière dont les grandes idées de philosophie politique se sont emparées, en moins de trois jours, de tous les esprits de cette Assemblée, m’est le sûr garant de la sagesse que vous allez prendre. C’est en tâchant de remplir les vue3 que vous-mêmes m’avez indiquées que j’ai rédigé un projet que j’ai l’honneur de vous soumettre : « L’Assemblée nationale, délibérant à l’occasion desarmements extraordinaires de deux puissances voisines qui élèvent les alarmes de la guerre ; « Dans cette circonstance, où pour la première fois elle porte des regards de surveillance au delà des limites de l’empire, désirant de manifester les principes qui la dirigeront dans ses relations extérieures, elle déclare solennellement: 1° qu’elle regarde l’universaiité du genre humain comme ne formant qu’une seule et même société, dont l’objet est la paix et le bonheur de tous et de chacun de ses membres ; « 2° Que dans cette grande société générale, les peuples et les Etats considérés comme individus jouissent des mêmes droits naturels et sont soumis aux mêmes règles de justice que les individus des sociétés partielles et secondaires ; « 3° Que par conséquent nul peuple n’a le droit d’envahir la propriété d’un autre peuple, ni de le priver de sa liberté et de ses avantages naturels; « 3° Que toute guerre entreprise par un autre motif et pour un autre objet que la défense d’un droit juste, est un acte d’oppression qu’il importe à toute la grande société de réprimer, parce que l’invasion d’un Etat par un autre Etat tend à menacer la liberté et la sûreté de tous ; « Par ces motifs, l’Assemblée nationale a décrété et décrète comme article de la Constitution française : « Que la nation française s’interdit de ce moment d’entreprendre aucune guerre tendant à accroître son territoire actuel. » (La séance est levée à 4 heures.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ GOUTTES. Séance du lundi 18 mai 1790, au soir (1). M. l’abbé Gouttes, ex-président, occupe le fauteuil en l’absence de M. Thouret et ouvre la séance à 6 heures du soir. M. Chabroud, secrétaire , donne connaissance à l’Assemblée des adresses dont l’énumération suit : (1) Cette séance est incomplète an Moniteur.