[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 avril 1791.] 633 Art. 15 (du projet). « Lorsque le propriétaire d’un brevet aura cédé sou droit en tout ou en partie (ce qu’il ne pourra faire que par un acte notarié), les deux parties contractantes seront tenues, à peine de nullité, de faire enregistrer ce transport (suivant le modèle sous le n° 5) au secrétariat de leurs départements respectifs, lesquels en informeront aussitôt le directoire des brevets d’inventions, afin que celui-ci en instruise les autres départements. Art. 16 (du projet). « En exécution de l’article 17 de la loi du 7 janvier, tous les possesseurs de privilèges exclusifs maintenus par ledit article seront tenus, dans le délai de 6 mois après la publication du présent règlement, de faire enregistrer au directoire d’invention les titres de leurs privilèges, et d’y déposer les descriptions des objets privilégiés", conformément à l’article 1er du présent titre, le tout à peine de déchéance. » M. de Boufflers, rapporteur. Nous passons maintenant au titre III ; l’article 1er est ainsi conçu : « Le directoire des brevets d’invention sera placé à Paris, dans un édifice national, où les archives, le dépôt et les bureaux seront établis et où le garde du dépôt sera tenu de loger. » M. Prieur. La surveillance de ce directoire sera nulle ; ses fonctions ne serviront qu’à faire naître un privilège fatal au commerce ; je demande qu’on passe à l’ordre du jour, et même qu’on ordonne le rapport de tous les articles décrétés. M. de Folleville. J’appuie cette proposition d’autant plus que, depuis que les visites domiciliaires sont impossibles, celte institution devient inutile ou ne servira qu’à faire naître des procès. M. Dionis du Séjour. Il me semble en effet que le projet du comilé manque dans un point essentiel, et le voici : si le directoire des brevets n’était établi que pour recevoir de l’argent, il n’y aurait point d’inconvénients ; s’il était juge arbitraire des découvertes, il serait destructeur de l’industrie; si, comme le propose le comité, il ne peut refuser les brevets, cet établissement donne lieu à une foule d’inconvénients, chaque charlatan, chaque imposteur s’appropriera des privilèges exclusifs, et de là une foule de contestations. Que faut-il donc ? C’est un contradicteur. Autrefois le lieutenant de police convoquait la communauté du métier auquel était relatif le brevet qu’on demandait. Il faut un moyen quelconque. Je demande que tous les articles relatifs à cette distribution de brevets soient renvoyés au comité. M. TelSier. Je demande le rapport des décrets déjà rendus en cette matière, et Je renvoi à la prochaine législature. M. Boissy-d’Anglas. J’insiste pour le renvoi du titre III du projet au comité d’agriculture et de commerce pour présenter un nouveau projet de règlement. M. de Boufflers, rapporteur. Une pareille loi existe depuis le règne de Jacques II en Angleterre, et elle n’a pas empêché ce royaume de surpasser en prospérité et en industrie les autres nations de l’Europe. J’adopte cependant le renvoi du titre III au pouvoir exécutif. M. Befermon. Je demande que l’on ne discute pas le titre III ; que l’on renvoie au comité pour le jugement des inventions; qu’en même temps le comité rapporte une forme des patentes, et qu’il ne vienne pas présenter une organisation de ministère pour les inventeurs. (. Applaudissements .) (L’Assemblée consultée décrète l’ajournement du projet de règlement et en ordonne le renvoi au comité d’agriculture et de commerce en le chargeant de présenter un moyen d’exécution plus simple, et en même temps de modifier deux dispositions du titre II, dont l’une, dans l’article 10, accorde la provision au breveté en cas de contestation ; et l’autre, dans l’article 11, a paru entraîner les visites domiciliaires.) (M. Tronctiet, président, obligé de sortir de l’Assemblée, quitte le fauteuil.) (M. Alexandre de Lameth, ex-président, le remplace.) M. Barrère-lieiuac. Pour obtenir de vous des actions justes, il ne faut point d’art ; mes paroles seront simples. Je vais parler en faveur de l’unique enfant du célèbre capitaine Tliurot. Vous avez reçu ce matin son adresse imprimée, dans laquelle elle vous expose son état de dénuement. Prononcer le nom de Thurot , c’est rappeler à la France un grand marin, qui fut la terreur des Anglais, qui l’honorèrent, et la gloire de la marine française, qui le perdit à 33 ans. Il laissa une fille au bereeau : elle a obtenu 300 livres de pension sur les économats à cause de l’abjuration de la demoiselle Smith, veuve Thurot, sa mère. Cette pension a servi à son éducation : elle demande une existence plus facile, aujourd’hui qu’elle est parvenue à sa trentième année. Ecoutez l’opinion contemporaine de la mort du capitaine Thurot ; c’est une opinion prononcée à la cour de Louis XV ; et ces paroles sont peut-être les seules de ce temps-là qui peuvent être citées à l’Assemblée nationale: Une femme puissante écrivait à un maréchal de France : « Je suis bien sensible à la catastrophe du pauvre Thurot. On m’a recommandé sa famille, et , malgré le malheur du temps , je ferai tout mon possible pour la consoler un peu de la perte de ce brave homme, qui méritait un meilleur sort. Il a fait des prodiges avec trois petites frégates, et tenu en échec les flottes anglaises pendant plus d’un an. J'ai dans l’idée que s'il avait eu le commandement de celle de Brest, les choses cuiraient pris un meilleur tour. Il a vécu et il est mort en héros. Les Anglais même le craignaient et l’admiraient. C’en est assez pour sa globe, mais ce n’en est pas assez pour celle de la France. Il était la dernière espérance de notre marine, et malheureusement il n’est plus. le le répète, je veux prendre soin de sa famille. Les grands hommes sont rares. Il faut honorer leur mémoire, et inviter par là les autres à le devenir. » Tel fut l’homme dont la fille unique n’a pu recueillir d’autre bien que la gloire attachée à son nom. Il aurait fait une fortune brillante s’il se fût plus occupé de ses intérêts que de ceux de sa patrie, et sa fille connaît le besoin. Elle est sans biens et sans autre protecteur que les re- 634 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 avril 1791.] présentants de la nation. Elle jouit de 100 écus de pension sur les économats, pension qui n’a d’autre cause que l’abjuration de sa mère... Que fera la patrie reconnaissante pour l’unique rejeton de ce marin célèbre?.. S’il fut né dans une caste privilégiée, sa famille aurait été comblée de bienfaits et de la munificence de la cour et des ministres. Thurot était un héros sorti de la classe appelée alors plébéienne ; c’est aux représentants du peuple à venger sa mémoire et à soutenir sa famille. Je demande que l’Assemblée, en considération des services rendus à l’Etat par le capitaine Thurot, décrète qu’il sera donné à MUe Thurot, sa fille unique, la somme de 1,000 livres à titre de pension viagère, en y comprenant les 300 livres de pension dont elle jouit sur les ci-devant économats. ( Vifs applaudissements.) M. Bouche. J’appuie cette motion. Je n’ai pas besoin de rappeler les faits d’armes et les grands services rendus par le capitaine Thurot à la marine française, en observant qu’elle aurait eu plus de succès, si Thurot eût eu le commandement qu’avait M. Conflaus. J’ajoute que l’Assemblée a déjà décrété que les enfants des personnes qui ont servi l’Etat pourront être récompensés et je propose non pas de renvoyer au comité dont je crois l’avis inutile quand une demande est évidemment juste et fondée sur les décrets, mais de décréter sur-le-champ la motion de M. Barrère. M. Vernier. Je demande que jamais l’on ne vienne surprendre la générosité des représentants de la nation pour aucune demande, quelque juste qu’elle soit. La proposition peut honorer celui qui la fait; elle peut être juste. L’Assemblée ne peut sans doute refuser de récompenser les services du célèbre Thurot. Mais vous avez donné un fonds au comité des pensions. Il faut donc que le comité en prépare la distribution. En conséquence, pour que toutes les formalités soient observées, je demande le renvoi au comité des pensions. (L’Assemblée renvoie la motion de M. Barrère-Vieuzac au comité des pensions, pour en être rendu compte samedi.) M. Malès, au nom du comité des rapports, rend compte de l’affaire pendante entre les sieurs Dupré-Saint-Maur et Picot-Dampierre et propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, décrète que, sur la pétition à elle présentée le 22 mars dernier par le sieur Dupré-Saint-Maur, relativement à une instance en cassation d’arrêt, actuellement pendante au conseil d’Etat du roi, faisant fonction de tribunal provisoire de cassation, entre ledit sieur Dupré-Saint-Maur et le sieur Picot-Dampierre, il n’y a pas lieu à délibérer. » (Ce décret est adopté.) M. Merle, au nom des comités des rapports, ecclésiastique , d'aliénation et de mendicité. Messieurs, trois espèces de réclamations vous sontsou-mises dans l’affaire des Quinze-Vingts ; la première est celle des Quinze-Vingts qui se plaignent des administrateurs qui les ont régis et régissent depuis 1779; la deuxième est celle des sieurs abbés d’Espelle, Laugier et Meynier, qui vous dénoncent leur destitution et des persécutions ; la troisième est celle des acquéreurs, qui vous présentent la spoliation et les injustices commises envers eux par le cardinal de Rohan. Vos comités réunis n’ont pas pensé qu’ils fussent compétents pour examiner cette grande question ; ils ont pensé que le titre des acquéreurs devait avant tout et préalablement être vérifié et examiné par les corps administratifs. En conséquence, ils ont observé que c’était par-devant le département de Paris que les acquéreurs devaient se retirer pour faire vérifier leurs titres et leurs prétentions ; les acquéreurs ont trouvé cela très juste, et de leur consenlement leur pétition a été momentanément reculée. Je n’aurai donc l’honneur aujourd’hui que de vous entretenir de la pétition des Quinze-Vingts et de celle de MM. Meynier, Laugier et d’Espede. Dans le mémoire que les Quinze-Vingts ont présenté, ils exposent la somme de maux sous laquelle ils gémissent, le renversement de l’ordre ancien sous lequel ils vivaient depuis plusieurs siècles, les administrateurs de leur maison renvoyés et remplacés par des agents du cardinal de Rohan, le régime actuel contraire à leurs statuts et à leur existence, les nouveaux administrateurs dilapidant les fonds de l’hôpital, les réclamations vainement présentées sur ces dilapidations et sur celles qu’ils disent avoir été partagées par le cardinal de Rohan lui-même, le Parlement lui-même arrêté dans ses démarches par des ordres arbitraires, enfin la crainte fondée de rester chargés de la liquidation générale qui reste à faire, pour raison de la vente de leur enclos. C’est, Messieurs, d’après ces faits que les Quinze-Vingts vous demandent : 1° Que leurs anciens statuts soient exécutés, et que, conformément à ces statuts, leur première administration soit rétablie; 2° qu’à l’effet de connaître les comptes de la nouvelle administration, les parties soient renvoyées devant les tribunaux. Ainsi leur pétition a deux objets : ancienne administration rétablie, et comptes des anciens administrateurs rendus. Quant au premier objet, c'est-à-dire au rétablissement de l’ancienne administration, vous sentez, Messieurs, que cette pétition ne peut être accueillie; cette administration tenait à un ordre de choses que votre sagesse a renversé ; les principaux administrateurs étaient des conseillers au Parlement et au Châtelet de Paris. L’Assemblée nationale a déclaré que, dans l’ordre de ses travaux, elle s’occuperait incessamment de l’organisation des maisons de secours; c’est par conséqupnt à cette époque très prochaine qu’il faut remettre ce qui concerne l’établissement de cette administration première. Mais comme tout ce qui peut contribuer au plus grand bien ne peut point être étranger à vos comités, ils vous proposeront de faire surveiller cette administration, qui subsistera provisoirement, par les corps administratifs, lesquels seront autorisés à entendre les plaintes des pauvres aveugles et à leur faire fournir par les administrateurs actuels tous les secours qui pourraient leur manquer, d’autant plus volontiers que si d’un côté les Quinze-Vingts se plaignent, d’un autre côté les administrateurs prétendent qu’ils gouvernent cette maison avec autant de sagesse que d’humanité ; ils expriment leur désir de rendre compte dès cet instant à des commissaires, soit de l’état de leur caisse, soit de la manière dont ils se conduisent; et en effet, selon un imprimé qui vous a été distribué de la part de l’administration honoraire, il nous a paru que par le nouvel ordre de choses et par le régime