[Assemblée nationale.] • ARCHIVES PARLEMENTAIRES [22 février 1790.] 665 Dosfand ; marquis d’Estourmel ; Long ; l’abbé Royer, député d’Arles. M. le Président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur le projet de loi relatif au rétablissement de la tranquillité publique. M. le baron de Marguerittes, secrétaire, fait une nouvelle lecture du projet proposé par le comité de constitution. M. Relley-d’Agier se plaint de ce que l’Assemblée n’est pas en nombre pour délibérer. Malgré cette observation la discussion est ouverte. M. de La Rochefoucauld. Le nouveau projet du comité me parait à tous égards, beaucoup meilleur que le premier. Il était nécessaire d’ajouter au décret rendu le 10 du mois d’août, et à celui de la loi martiale, un moyen propre à assurer l’exactitude des officiers municipaux dans l’exercice des fonctions salutaires qui leur sont confiées. Le nouveau décret peut effrayer les officiers municipaux. M. de Beaumetz a fait de sages réflexions sur l’article troisième. La manière dont il est conçu me paraît injurieuse, devoir être modifiée et non supprimée. Vous ne pouvez supposer qu’une municipalité tout entière suscite jamais des mouvements séditieux ; mais vous pouvez en soupçonner un individu. Il faut donc rédiger ainsi cet article : «S’il pouvait être prouvé qu’trn officier municipal, etc. » L’esprit général du décret me paraît bon, je ne crois pas qu’il puisse être considéré comme une loi perpétuelle; quand les municipalités et les assemblées administratives seront organisées, vous aurez beaucoup de moyens qui vous manquent; il faut décider que cette loi sera changée ou retirée lors de cette organisation. Un moyen certain de rétablir le calme, c’est de hâter cette organisation et de presser l’examen des droits féodaux. L’incertitude du peuple sur ces droits est la cause principale des insurrections. Je demande qu’on détermine un jour fixe pour présenter à l’acceptation du Roi et envoyer dans les provinces les décrets sur Indivision du royaume, et qu’on entende dès demain le comité féodal. M. de Robespierre (l). Avant d’examiner les différents décrets, je dois vous exposer dans quelles circonstances et sous quels auspices ils vous sont présentés. Il y a peu de jours, sur le simple récit des événements du Quercy, l’Assem ¬ blée, par un décret, a ordonné la réunion des troupes soldées et des maréchaussées aux gardes nationales, pour réprimer les désordres. Ce décret a paru insuffisant aux ministres, qui ont demandé dans leur mémoire que le pouvoir exécutif soit autorisé à déployer la terreur des armes. Ce mémoire a été renvoyé au comité, et samedi, , des membres de cette Assemblée vous ont fait des propositions conformes à celles des ministres. Qu’on me pardonne de n’avoir pu concevoir comment les moyens du despotisme pouvaient assurer la liberté; qu’on me pardonne de demander comment une révolution faite par le peuple (1) Nous donnons ici le discours de Robespierre, tel que nous le trouvons au Moniteur. Nous insérons aux Annexes la version du journal Le Point du Jour. peut être protégée par le déploiement ministériel de la force des armes. Il faudrait me démontrer que le royaume est à la veille d’une subversion totale; cette démonstration a paru nécessaire à ceux-là même qui se joignent à la demande des ministres, puisqu’ils assurent qu’elle est acquise. Voyons si cela est vrai. Nous ne connaissons la situation du royaume que par ce qui a été dit par quelques membres sur les troubles du Quercy, et vous avez vu que ces troubles ne consistent qu’eu quelques châteaux brûlés. Des châteaux ont le même sort dans l’Agénois. Nous nous rappelons avec plaisir que deux députés qui partagent ces malheurs, deux députés nobles, ont préféré à ce vain titre celui de défenseurs du peuple; ils vous ont conjuré de ne pas vous effrayer de ces événements, et ils ont présenté les principes que je développe aujourd’hui. Il y a encore quelques voies de fait en Auvergne et quelques-unes' en Bretagne. 11 est notoire que les Bretons ont calmé des émotions plus violentes; il est notoire que dans cette province ces accidents ne sont tombés que sur ces magistrats qui ont refusé la justice au peuple, qui ont été rebelles à vos décrets, et qui s’obstinent à les mépriser. Les députés des contrées agitées m’ont assuré que les troubles se calment. Vous avez dû être rassurés à un certain point par le mémoire du garde des sceaux, plus effrayant par la force et l’exagération des expressions que parles faits. 11 en articule un seul, les malheurs arrivés à Béziers. Vous avez blâmé le peuple, vous avez donné une preuve touchante d’intérêt à ses malheurs ; vous avez vu qu’ils ne tiennent pas à une cause générale, mais qu’ils prennent leur source dans les contraintes exercées pour la perception d’un impôt odieux que le peuple croit détruit, et que, depuis le commencement de la Révolution, il refuse de payer. Que ces faits ne nous inspirent donc aucune terreur; rapportons maintenant les événements qui peuvent dissiper nos craintes. Vous savez quels moyens on a employés en Normandie pour soulever le peuple, pour égarer les habitants des campagnes ; vous avez vu avec quelle candeur ils ont désavoué les signatures surprises et apposées à une adresse, ouvrage de sédition et de délire, rédigée par les auteurs et les partisans de l’ aristocratie. Qui est-ce qui ignore qu’on a répandu avec profusion, dans les provinces belgiques, des libelles incendiaires; que les principes de l’insurrection ont été prêches dans la chaire du dieu de paix; que les décrets sur la loi martiale, sur les contributions, sur la suppression du clergé, ont été oubliés avec soin; qu’on a caché tous ceux de vos décrets qui, non moins utiles, présentaient au peuple des objets de bienfaisance faciles à saisir? Qu’on ne vienne donc pas calomnier le peuple ! J'appelle le témoignage de la France entière; je laisse ses ennemis exagérer les voies de fait, s’écrier que la Révolution a été signalée par des barbaries. Moi, j’atteste tous les bons citoyens, tous les amis de la raison, que jamais révolution n’a coûté si peu de sang et de cruautés. Vous avez vu un peuple immense, maître de sa destinée, rentrer dans l’ordre au milieu de tous les pouvoirs abattus, de ces pouvoirs qui l’ont opprimé pendant tant de siècles. Sa douceur, sa modération inaltérables ont seules déconcerté les manœuvres de ses ennemis, et on l’accuse devant ses représentants ! A quoi tendent ces accusations? Ne voyez-vous pas le royaume divisé? Ne voyez-vous 666 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 février 1790.] pas deux partis : celui du peuple et celui de l'aristocratie et du despotisme? Espérons que la constitution sera solidement affermie, mais reconnaissons qu’il reste encore de grandes choses à faire. Grâce au zèle avec lequel ou a égaré le peuple par des libelles, et déguisé les décrets, l’esprit public n’a pas encore pris l’ascendant si nécessaire. Ne voyez-vous pas qu’on cherche à énerver les sentiments généreux du peuple pour le porter à préférer un paisible esclavage à une liberté achetée au prix de quelques agitations et de quelques sacrifices ? Ce qui formera l’esprit public, ce qui déterminera s’il doit pencher vers la liberté ou se reporter vers le despotisme, ce sera l’établissement des assemblée administratives. Mais si l’intrigue s’introduisait dans les élections, si la législature suivante pouvait ainsi se trouver composée des ennemis de la Révolution, la liberté ne serait plus qu’une vaine espérance que nous aurions présentée à l’Europe. Les nations n’ont qu’un moment pour devenir libres; c’est celui où l’excès de la tyrannie doit faire rougir de défendre le despotisme. Ce moment passé, les cris des bons citoyens sont dénoncés comme des actes de sédition, la servitude reste, la liberté disparait. En Angleterre, une loi sage ne permet pas aux troupes d’approcher des lieux où se font chaque année les élections ; et dans les agitations incertaines d’une révolution on nous propose de dire au pouvoir exécutif : « Envoyez des troupes où vous voudrez, effrayez les peuples, gênez les suffrages, faites pencher la balance dans Jes élections. » Dans ce moment même, des villes ont reçu des garnisons extraordinaires qui ont, par la terreur, servi à violer la liberté du peuple, à élever aux places municipales des ennemis cachés de la Révolution. Ce malheur est certain : je le prouverai, et je demande pour cet objet une séance extraordinaire. Prévenons ce malheur ; réparons-le par une loi que la liberté et la raison commandent à tout peuple qui veut être libre, qu’elles ont commandée à une nation qui s’en sert avec une respectueuse constance pour maintenir une constitution à laquelle elle reconnaît des vices ; mais ne proclamons pas une nouvelle loi martiale contre un peuple qui défend ses droits, qui recouvre sa liberté. Devons-nous déshonorer le patriotisme en l’appelant esprit de sédition et turbulent, et honorer l’esclavage par le nom d’amour de l’ordre et de la paix? Non, il faut prévenir les troubles par des moyens plus analogues à la liberté. Si l’on aime véritablement la paix, ce ne sont point des lois martiales qu’il faut présenter au peuple : elles donneraient de nouveaux moyens d’amener des troubles. Tout cet empire est couvert de citoyens armés pour la liberté; ils repousseront les brigands pour défendre leurs loyers. Rendons au peuple ses véritables droits; protégeons les principes patriotiques attaqués dans tant d’endroits divers ; ne souffrons pas que des soldats armés aillent opprimer les bons citoyens sous prétexte de les défendre ; ne remettons pas le sort de la Révolution dans les mains des chefs militaires; faisons sortir des villes ces soldats armés qui effraient le patriotisme pour détruire la liberté. M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre (1). Messieurs, avant que nous fussions (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre. libres, dans ces jours désastreux appelés les jours brillants de l’autorité royale et qui n’étaient que le règne du despotisme, les flatteurs ne parlaient aux rois que de leur puissance. Le nom du peuple, les droits du peuple offensaient leur orgueil, et l’on eût appelé séditieux celui qui les aurait prononcés. Maintenant que le peuple est libre et que ses droits sont assurés, faudrait-il que l’on n’osât pas lur parler de ses devoirs? faudrait-il souiller les triomphes de la liberté, par cette impatience qui souillait même les triomphes du despotisme? Non, Messieurs, et j’userai de cette liberté, et je l’emplirai ce devoir : je dirai au peuple, non pas ce qui lui plaît, non ce qui le flatte, mais ce qu’il est utile qu’il entende. J’avouerai avec le préopinant (M. de Robespierre) que jamais révolution plus complète, que jamais changement plus imposant et plus subit ne s’est opéré sans être accompagné de plus grands maux. Peut-être, si je parlais à une autre nation, je l’en louerais; mais je parle à des Français dont il faut compter les fautes et non pas les vertus. Je dirai que, quand même une seule tête fût tombée, quand même un seul agent du lise eût été immolé à la vengeance populaire, quand même une seule goutte de sang eût coulé contre l’ordre de la loi, cette catastrophe unique souille la Révolution française. Je ne suivrai pas plus loin l’opinion du préopinant ; je ne relèverai qu’une erreur. Il a dit dans cette tribune, il a dit, à vous représentants de la nation : Lorsqu’il sera porté quelque cause à votre tribunal, protégez la cause, protégez les principes populaires. Me sieurs, on ne protège point les principes, et le mot protection ne peut être rapproché du mot tribunal,. sans incohérence et sans danger. Je reviens à la discussion de l’objet qui vous occupe. Le Roi a appelé votre attention sur les désordres qui affligent plusieurs provinces ; il vous a protesté en même temps de son respect pour la loi : il a demandé que le maintien de la sûreté et de la tranquillité publique fût enfin rendu possible. Voilà le but du décret que vous avez chargé votre comité de constitution de vous présenter. Il paraît ne s’être pas dissimulé que sa tâche était difficile, que si, d’un côté, la loi dans ses dispositions, doit embrasser tous les temps et toutes les circonstances , il faut , d’une autre part, qu’aucun temps, aucune circonstance particulière n’influe sur 1 esprit de la loi, de manière à l’altérer. Pour rédiger ce décret, il a fallu marcher entre deux écueils : le danger d’exposer la liberté publique, et le danger de ne pourvoir ni à la sûreté, ni au rétablissement de l’ordre, sans lequel il n’existe, il ne peut exister aucune liberté véri-ble. En voulant éviter ces deux écueils, les rédacteurs du premier décret me paraissent les avoir touchés l’un et l’autre. Un second décret semble être le résultat d’une discussion réfléchie. Il renferme des dispositions moins dangereuses, et des précautions plus efticaces. S’il était possible de faire une bonne loi dans ce moment, certes votre comité l’aurait faite ; mais il est des circonstances de l’empire desquelles il est difficile de s’affranchir, dans lesquelles on ne peut agir que provisoirement, et je crois que c’est à ces circonstances qu’il faut attribuer les défectuosités qui existent encore dans le décret. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 667 D’autres honorables membres vous ont présenté d’autres projets; quelques-uns vous ont proposé de remettre au Roi une véritable dictature. Je crois devoir vous présenter quelques considérations générales. L’état social repose sur deux bases : la liberté et la sûreté. Le corps politique existe par deux moyens : la volonté générale et la force publique qui y soumet. La force publique n’existe elle-même que par l’impôt. Dans ce moment-ci, Messieurs, l’impôt ne se paie pas ; la force publique, ou du moins ce qui reste de cette force publique, est sans direction, sans union, sans organisation politique. La loi se divise en deux parties : l’une, qui rappelle au peuple ses droits, est préconisée, réclamée par toute la France, et certes c’est avec raison ; l’autre, qui lui rappelle ses devoirs, est dans plusieurs endroits méconnue et presque partout mal observée. Il ne sait pas, ce bon peuple que l’on égare, que ses droits reposent _sur l’observation de ses devoirs ; qu’il n’y a de libre que l’homme qui obéit à la loi et que ses concitoyens aiment et soutiennent, parce qu’à son tour il les aim les soutient. e et 11 viendra, sans doute, un jour où tout le peuple saura, professera et suivra ces maximes ; mais ce moment ne peut être préparé que par l’éducation nationale ; mais avant que le règne des mœurs et de la raison soit arrivé, il faut apporter un remède aux maux présents; il faut que l’emploi légal, mais efficace, de la force publique assure notre tranquillité ; il faut que le pouvoir exécutif, surveillé désormais par le pouvoir législatif, reçoive enlîn une véritable organisation. A cette proposition si simple, on répond par une question qui paraît embarrassante ; on me dit: Sur quelle base voulez-vous organiser ce pouvoir? Si c’est sur les bases anciennes, vous consacrez le despotisme ; si c’est sur les nouvelles, convenez avec nous qu’elles n’existent pas encore. Les municipalités sont à peine organisées; les districts et les départements ne le sont pas ; l’ordre judiciaire n’est point réglé; l’armée n’a pas encore de lois constitutionnelles, et cependant ce n’est que dans ces rapports avec ces diverses branches que peut s’organiser le pouvoir exécutif. Je n’hésite pas, quant à moi, de répondre à cette question et ma réponse sera celle que vous avez faite vous-mêmes. Les impôts anciens étaient injustes, mal répartis et assis sur des bases fausses; vous en avez modifié quelques-uns ; mais jusqu’au moment où vous pourrez les changer tous, vous les avez tous conservés, parce qu’un empire ne peut exister sans impôts. Les lois criminelles étaient atroces, vous en avez modifié quelques-unes, mais jusqu’au moment où vous pourrez les changer toutes, vous les avez toutes consacrées, parce qu’un empire ne peut exister sans lois criminelles. Les lois civiles sont obscures, quelques-unes même sont iniques, vous n’avez pas encore pu les changer; et jusqu’au moment où vous pourrez les changer toutes, vous les avez toutes conservées, parce qu’un empire ne peut exister sans lois civiles. Le pouvoir royal était sans bornes ; votre sagesse l’a circonscrit par des lois : vous avez fixé la nature de son influence sur le pouvoir législatif ; vous avez assujetti ses agents à une juste responsabilité et n’eussiez-vous porté que cette loi et celle de la permanence du Corps législatif, la France serait encore libre. Sans [22 février 1790.] doute vous n’avez pas pris encore toutes les précautions, ni posé toutes les barrières ; mais enfin il faut, jusqu’au moment où vous pourrez consommer la nouvelle organisation, recourir provisoirement au pouvoir exécutif et le consacrer en tout ce qui ne blesse pas les lois déjà faites, parce qu’un empire ne peut pas plus exister sans un pouvoir exécutif qu’il ne peut exister sans impôt, sans lois criminelles et sans lois civiles. Si le Roi demeure sans force, les impôts ne seront pas payés ; et si les impôts n’étaient pas payés, nous justifierions forcément nos détracteurs ; nous manquerions aux engagements publics que nous avons consacrés ; car on ne paie qu’avec de l’argent et l’argent n’est que le résultat des impôts, surtout pour une nation qui ne veut plus tenter des emprunts. Ge malheur, et ce malheur seul exposerait la constitution. Nous lui aurions créé des ennemis puissants; elle ne peut plus avoir d’ennemis que ceux que nous lui aurions créés. J’ai dit la constitution, car la révolution est faite et s’il vous restait un doute, rappelez-vous qu’hier vous avez entendu ces )aroles de la bouche d’un honorable membre, de 'homme auquel il appartient surtout de parler iberté et révolution (1). Organisons donc la force publique et ne la craignons pas ; qu’elle soit plus forte que les brigands, elle sera toujours plus faible que nous. La raison publique, l’Assemblée nationale suffisent pour tenir les ministres dans les bornes de la loi et assurer la responsabilité légale. Ces considérations me décident à adopter le décret du comité de constitution, auquel je désire qu’on ajoute les articles de M. Malouet, sauf les amendements qui pourront être proposés à l’un et aux autres, quand la discussion principale sera terminée. M. Dupont (de Nemours ) (2). Messieurs, la question dont s’occupe en ce moment l’Assemblée nationale est sans doute d’une grandeimportance, puisqu’il s’agit de savoir comment on établira la sûreté publique sans porter atteinte à la liberté du peuple et comment on empêchera que des scélérats, égarant son zèle, ne le portent à des actions dont il serait le premier à gémir ou à rougir. Mais les principes par lesquels il me paraît qu’on doit décider cette question, sont d’une extrême simplicité; ils sont connus de tout le monde. Il ne faut pas la compliquer par de trop grandes idées. Il ne s’agit ni du pouvoir législatif ni du pouvoir exécutif, ni de l’autorité municipale, ni de la liberté d’aucun citoyen, si ce n’est pour la préserver d’atteinte. 11 ne s’agit que d’un devoir très naturel et très impérieux de tout homme et à plus forte raison de tout homme brave et armé, qui voit commettre un délit et assassiner ou piller son semblable. Il oblige sa conscience, devant Dieu, devant les hommes et sans attendre l’ordre d’aucune autorité, de courir au secours. C’est pour remplir ce devoir avec efficacité, avec rapidité, et à peu de frais, que l’on a établi dans tous les pays et dans tous les temps, des (1) M. le marquis de Lafayette a dit dans son opinion de samedi: Za. Révolution est faite ; faisons la Consti tution. , , , (2) L’opinion de M. Dupont de Nemours n’a pas ete insérée au Moniteur. 668 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 février 1790.] gardes militaires de troupes volontaires ou réglées; et sous quelque gouveroement que ce soit, il a toujours fallu, lorsqu’un homme attaqué criait : à la garde , qu’elle se mît en mouvement et prêtât main-forte pour arrêter ou réprimer les violences. La garde n’est point juge du droit , mais elle est essentiellement inspectrice et préservatrice du fait ; elle doit empêcher toute voie de fait et mener aux juges ceux qui se les permettent ; car il est sensible et reconnu que, dans un état policé, les voies défait ne sont permises à personne, pas même à ceux qui ont raison ; que personne n’est juge dans sa propre cause; que celui qui a été offensé doit demander justice dans la forme prescrite par la loi et l’attendre de la loi et des ministres de la loi. Ainsi, les troupes volontaires ou réglées doivent réprimer toute violence, par cela seul qu’elle est violence et sans s’inquiéter aucunement de son motif. Quand il n’y a point de violence, les troupes ne doivent être employées, il est vrai, que sur des ordres civiis donnés par une autorité responsable. Mais lors du flagrant délit, elles n’ont besoin que du délit même pour être autorisées à en arrêter la suite, d’abord par toutes les voies les plus douces, et s’il n’y a aucun autre moyen par toutes les voies les plus efficaces, sauf à constater le fait par un procès-verbal régulier, et responsable de l’abus de leur force réprimante si elles s’étaient permis de l’abus. Pour bien entendre la question, il faut la reprendre au premier exemple cité, où elle se trouve dans toute sa simplicité naturelle. Un homme est volé ou assassiné : il crie : à la garde, ou même il n’a pas le temps et la force de crier ; mais la garde voit donner les coups, il est évident que la garde n’a aucun besoin de l’ordre d’aucun officier municipal pour défendre celui qu’on attaque et pour arrêter le voleur ou l’assassin. Il serait absurde qu’elle dit au citoyen en danger qui implore son secours ou qui même ne peut pas l’implorer: « Attendez, il faut que j’aille consulter M. le maire, pour savoir si je dois vous protéger. * Il est clair que le crime pourrait être consommé avant que l’officier mu-cipal eût donné des ordres. Il est clair que l’officier municipal n’est tenu de donner des ordres que par le même principe qui oblige l’officier militaire de donner du secours dès que le besoin de secours est urgent et indispensable. Si cinq cents hommes égarés par la passion, par des instigations, par un intérêt personnel veulent en assassiner ou en piller un, il n’y a pas la moindre raison de plus de les laisser faire, car un crime est toujours un crime, qu’il soit commis par une troupe ou par un coupable isolé; si l’on pensait autrement, il faudrait que les brigands deviennent innocents dès qu’ils sont en .grand nombre. La garde militaire, volontaire ou réglée et même tout honnête et courageux citoyen, quoiqu’ils puissent très bien recevoir l’ordre de l'officier civil,' n’ont donc aucune raison de l’attendre lorsqu’il s’agit d’empêcher un grand désordre ou un grand délit. H faut encore se former une idée juste de la dignité du service que remplit la garde lorsqu’elle arrête ou réprime ainsi la violence. Elle exerce, quoique par des formes guerrières, un ministère de paix. Elle déploie deux vertus sans lesquelles la société ne saurait exister : la justice et le courage. Elle les déploie au nom de la raison, de l’humanité, de la nation et de la loi. Une troupe, un militaire qui est dans ses fonctions légales a quelque chose de sacré aux yeux de tous les patriotes et de tous les braves ; la confédération sociale est et doit être à son appui. C’est ce qui fait que, dans tous les pays où il y a eu quelque règle et quelque discipline, un général, un roi n’a jamais osé violer la consigne d’une sentinelle de sa propre armée. Ils ont toujours respecté dans cette sentinelle, l’armée elle-même et la société, dont l’armée n’est pour ainsi dire que la sentinelle avancée. Tout homme armé par l’Etat et placé au nom de l’Etat pour empêcher de tuer, de voler ou de battre aucun citoyen, c’est-à-dire pour conserver la liberté, la propriété et la sûreté des citoyens, est dépositaire d’une partie de la Majesté nationale. Où une sentinelle se trouve impunément insultée, il y a guerre, il n’y a plus d’ordre public, ni de société. Mais, dit-on, le peuple ne doit-il pas avoir en tout temps la liberté de réclamer contre toutes les fautes de l'administration et de demander le redressement de ses griefs? Sans doute, et ce n’est pas un droit particulier du peuple, c’est le droit de tout homme lésé. Mais le droit de porter des pétitions et des réclamations n’est pas le droit de porter la hache sur la tête de ses concitoyens ou la torche dans leur maison. Ce dernier droit personne ne l’a tant qu’il existe une autorité légale à laquelle on peut avoir recours. Les observations et les réclamations peuvent être publiées, les pétitions peuvent être présentées par un petit nombre de citoyens modérés et sages, et elles n’en ont que plus de poids. La foule et la force diminuent toujours le respect qui est dû à la raison. Il ne faut donc mettre aucun obstacle aux pétitions, auxquelles l’opinion publique donne une puissance irrésistible, lorsqu’elles sont justes; mais il faut mettre obstacle au tumulte, au pillage, au meurtre, à l’incendie; car aucune de ces choses ne peut être à l’avantage de la société, et toutes ces choses diminuent beaucoup de la faveur que les pétitions peuvent mériter. C’est uniquement sur cette espèce de délit, et dans le moment où on les commet, que s’étend l’autorité militaire, soit avec le concours de l’autorité civile, s’il est possible de la consulter, soit par le droit spontané et donné de Dieu que la force et le courage ont, d’un pôle à l’autre, pour protéger la justice et maintenir la paix. Ce droit de la valeur commence à l’instant où la paix est troublée par des actes réels de violence; il cesse à l’instant ou la violence cesse elle-même. Par-cere subjectis est la devise de toute force qui agit au nom de l’Etat, de l’humanité et de la raison. Quel est donc le devoir de tout commandant militaire, ou des gardes nationales, ou des troupes réglées, quand il est averti d’un tumulte? C’est de mettre sa troupe sous les armes et de se porter paisiblement au lieu de la scène. Si la chose se passe en paroles, et s’il n’a pas d’ordre positif de l’autorité civile pour dissiper l’attroupement, il n’a rien à faire qu’à montrer sa troupe et à la porter entre l’attroupement et le lieu où les personnes que l’on peut regarder comme menacées. S’il a le talent de la parole, il peut parler aux gens qui parlent, et ne doit point agir contre les gens qui n’agissent pas. Mais si l’on frappe en sa présence, si l’on brise des portes, si l’on force des maisons, si l’on ose mal- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 février 1790.] 669 traiter d’autres citoyens, ou la garde même qu'il commande, il doit alors avertir les violateurs de la liberté, de la propriété et de la sûreté d’autrui, que leurs actions sont proscrites par la loi, et qu’il a mission pour les réprimer ; et après les trois sommations prescrites par la loi martiale, il est en droit complet de faire de la force un usage suffisant pour arrêter tout crime ultérieur que la multitude voudrait se permettre. Pourquoi un commandant militaire a-t-il ce droit, sauf à en répondre et même indépendamment de la municipalité? C’est qu’il n’y a pas un homme qui n’ait ce même droit. Le jeune Anglais, dont je rougis d’ignorer le nom, qui a tiré l’épée, qui avec elle a sauvé la vie à M. Planter , et qui a contenu la fureur populaire dont ce négociant estimable avait été ou allait être la victime, n’était pas un citoyen, et cependant il a été récompensé, au nom de la nation française et des représen ¬ tants de la première commune de France, pour avoir employé la force et le courage militaire qu’il tenait du ciel, et empêcher le crime que des citoyens français avaient commencé et qu’ils auraient consommé sans lui. Ne refusons donc pas à nos troupes citoyennes, et qui ont prêté le serment d’être fidèles à la nation, à la loi et au Roi, le droit que nous n’osons refuser à un étranger, et que nous honorons chez lui lorsqu’il en a fait un si honorable et si noble usage. Je crois, Messieurs, que cet exemple suffit pour montrer à quel point il est aisé de rétablir la sûreté publique, partout où se trouvent des citoyens intrépides et honnêtes, et particulièrement partout où se trouvent les guerriers légaux de la nation. Il y a donc, Messieurs, une garantie naturelle contre les désordres nuisibles à la sûreté publique ; contre les violences qui pourraient menacer les biens et les personnes. Cette garantie, c’est Dieu qui vous l’adonnée, lorsqu’il a rendu les hommes naturellement sensibles et courageux, compatissants et liers. Il ne s’agit que de ne pas empêcher ceux qui sont et doivent être plus éminemment doués de ces qualités précieuses de les déployer pour la paix et l’utilité publique. A ce moyen qui vient du ciel et que vous n’avez le droit d’interdire à personne, vous en pouvez ajouter un autre qui vienne de vous et des lois, et qui sera également juste, c’est la garantie et les indemnités à fournir par les villes, paroisses et communautés où se seront commis des dommages, à ceux qui les auront essuyés ; cette garantie est juste ; car, ou la plus grande partie des habitants de la communauté ont pris part au désordre, et doivent en conséquence le réparer, ou cette majorité a négligé de contenir la minorité, et alors elle devient responsable de sa faiblesse. Réunissez ces deux moyens, Messieurs, et vous aurez pourvu à tous les maux sans avoir compromis aucune liberté, ni aucun pouvoir; vous aurez assuré le bien public par la seule exécution des premiers principes du droit naturel, eu ordonnant la garantie due par ceux qui ont commis un dommage, et en laissant au sentiment de l’humanité et du courage la liberté que vous voudriez leur ôter en vain de protéger la justice, l’innocence et la faiblesse. C’est dans cette conviction, Messieurs, que j’aurai l’honneur de vous proposer un projet de décret: j’ignore si vous l’adopterez. Peut-être mes collègues vous en proposeront-ils de meilleur. Ce que je sais, c’est qu’aucune loi temporaire ne balancera jamais chez moi l’autorité de la loi divine et humaine, qui crie dans mon cœur que je dois assistance à tout homme opprimé, d’une manière illégale, par un autre homme ou par une multitude d’autres. Ce que je sais, c’est que, lorsque je verrai commettre ce crime, je ne demanderai ni ordre ni conseil à personne ; j’accourrai, je défendrai mon frère par la raison, si elle peut être entendue, par l’épée, si je ne puis mieux : les hommes ensuite m’applaudiront ou me feront pendre, selon qu’il leur paraîtra expédient. ..... Me non civium ardor prava jubentium mente qualit solidâ. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, voulant assurer la tran-quilité publique, a décrété et décrète ce qui suit : Art. Ier. Lorsqu’il y aura quelque tumulte ou attroupement considérable, les officiers commandant les gardes nationales et les troupes-réglées feront mettre leurs troupes sous les armes et les porteront au lieu de l’attroupement. Art. 2. S’il n’y a que du bruit, les militaires, tant gardes nationales que troupes réglées, se tiendront paisibles dans le poste qui paraîtra le plus propre à couvrir le lieu ou les personnes qui pourraient paraître menacés. Us y attendront l’ordre de la municipalité. Art. 3. Si, avant l’arrivée des ordres delà municipalité, les gens attroupés commettaient quelques violences contre les biens ou les individus, comme jets de pierre, bris de portes ou de fenêtres, incendies de meubles ou de maisons, coups donnés à quelque citoyen, militaire ou autre, les deux officiers commandants des deux troupes, ou l’un des deux à défaut de l’autre, feront faire, après trois appels au bruit du tambour, les trois proclamations ordonnées par la loi martiale; et si, ensuite, le désordre ou les violences ne cessaient pas, ils emploieront la force pour les réprimer, et saisiront les coupables pour les livrer à la justice. Art. 4. Aussitôt que les violences auront cessé, et quelques coupables arrêtés, les officiers commandants feront cesser tout usage de la force. Ils dresseront de tout ce qui sé sera passé procès-verbal assermenté, et le remettront, par duplicata, tant à la municipalité qu’au juge du lieu, pour mémoire dans l’instruction du procès. Art. 5. Lorsque, par un attroupement, il aura été causé quelque dommage dans une ville, paroisse ou communauté, il sera réparé par une imposition mise sur tous les habitants, au marc la livre de toutes leurs impositions directes : sauf le recours desdites communautés sur les biens de ceux qui auraient fomenté les désordres dont les dommages seraient résultés. M. Duport. On vous a proposé d’investir le monarque de la dictature; on vous a proposé de décréter actuellement les bases du pouvoir exécutif; on vous a proposé l’exemple d’une nation voisine ; on vous a fait craindre les guerres que pouvait nous susciter cette nation, tandis qu’il est vrai qu’uu Anglais, dont nous admirons les talents, n’a pas craint de dire à l’assemblée législative de son pays que ce serait la lâcheté la plus insigne que de troubler en ce moment un peuple occupé à conquérir sa liberté etc., etc.