[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1er mai 1790.] 349 je dirai donc: 1° que la multiplicité du nombre des tribunaux actuels répandus dans un grand nombre de villes et bourgs, qui ne seront pas chefs-lieux de district, fournirait de nombreux sujets à l’établissement nouveau, et que, par ce moyen, les campagnes seront plus promptement débarrassées d’un véritable fléau. — Je dirai encore que la proportion des cinq sixièmes de gens de loi n’est rien moins qne rigoureuse : moins il y en aura, mieux ce sera. Le jury de M. l’abbé Sieyès a la propriété d’être compatible avec des abus actuels que nous ne pouvons détruire; mais. on ne peut ni ne doit lui faire un reproche de ce qu’il existe moins d’abus qu’il ne leur fournissait de places.— On ajoute que les citoyens se décideront difficilement à devenir des jurés, à quitter leurs affaires personnelles pour s’occuper des affaires publiques. — Je réponds, comme M. Cha-broud, ou l’on calomnie la nation française, ou la nation française ne mérite pas la liberté.— Il n’y a pas deux manières de voir: ou nous voulons la liberté, et alors il faut la vouloir telle qu’elle est, avec ses peiues, ses travaux, sa sévérité, ou il faut redemander la servitude ; cette servitude tranquille qui permet à l’homme de dormir dans sa corruption, et de s’occuper de lui, exclusivement de lui, et jamais de la société. Lorsque vous avez divisé le royaume en quatre-vingt-trois départements, rappelez-vous ce que l’on vous disait de toutes parts: « Pensez-vous, pensez-vous, disait-on, que des provinces laissent morceler leur territoire; que des provinces qui ont des capitulations particulières en fassent le sacrifice à une constitution dont l’existence et la solidité sont encore un problème aux yeux d’un grand nombre d’hommes ? Eh bien ! Messieurs, les vaines terreurs ne seront point arrêtées; vous avez préjugé le consentement que persoene, en effet, n’a voulu vous refuser; vous avez divisé le royaume d’après des vues aussi vraies que profondes; vous vous êtes dit : La France voudra tout ce qui est juste et sage; faisons-le donc sans hésiter, et effectivement la France entière l’a voulu. Voilà, Messieurs, ce qu'il faut vous dire encore aujourd’hui. Voyez, dans leur véritable jour, les objections qui vous sont faites : elles ont toute leur source, ou dans l’habitude qui attache à des erreurs, ou dans l’intérêt qui s’oppose à tout ce qui le blesse. Le langage de ce dernier ne pourra sans doute vous séduire. Le langage de l’habitude ne doit pas être plus écouté. On nous parle d’expérience. Elevés, nourris, vieillis dans les abus, dans un ordre de choses oppressif et mal calculé, qui de nous peut vanter son expérience? Que sont pour la raison et la liberté les annales de l’erreur et de la servitude, sinon le recueil des fautes qu’il est important qu’elles évitent? Or, que reste-t-il à combattre? L’allégation d’une impossibilité d’exécution : j’ai cherché à la détruire en insistant par un mode de juré, qui réunit, à tous les avantages de celui de M. Duport, la facilité d’exécution. M. Duport et les membres qui ont parlé dans le même sens se sont réunis pour combattre ce juré vraiment praticable; ils ont ainsi fortifié les préjugés et les raisons des adversaires de tout juré. Je crois avoir répondu à ces raisons. Vous n’écouterez point les préjugés. Je ne dis fplus qu’un mot. En prononçant sur la première question d’une série que l’on ne s’est pas obstiné sans intention à vous présenter comme utile, vous allez faire véritablement ce que M. Thouret avait l’air de redouter dans mon système; vous allez vous engager dans une route dont vous ne pourrez plus changer la direction ; vous allez arriver ou à la liberté ou à un nouveau mode de servitude. Si vous écartez les jurés, soit au criminel, soit au civil, vous écartez en même temps les assises; vous consacrez l’appel, la hiérarchie de tribunaux, vous ressuscitez l’ancien système; on vous proposera bientôt de placer les tribunaux aux districts, vous n’en voudrez pas aux départements pour ne point les multiplier; vous aurez alors vingt, trente, plus ou moins, de tribunaux suprêmes; alors vous aurez les parlements, alors vous aurez ce qui est incompatible avec la liberté, et voilà, Messieurs, ce qui suivra forcément, naturellement d’une première erreur, de la réjection des jurés. Alors, Messieurs, la postérité, cette postérité qui vous jugera, se dirait ce que vous ne voulez pas qu’elle dise : Il y a une vérité pour laquelle l’Assemblée nationale de 1790 n’était pa-mûre. Je conclus à ce que vous admettiez le juré au civil et au criminel, et à ce que, considérant le jury de M. l’abbé Sieyès comme un véritable juré, vous permettiez de vous le présenter lorsque nous en serons au détail d’organisation . ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ GOUTTES-Séance du samedi 1er mai 1790, au matin (1). M. le comte de Crlllon, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du jeudi 29 avril au soir. Il ne se produit aucune réclamation. M. le comte de liKarsanne-Fontjnliane propose le projet de décret suivant tendant à supprimer le droit d'aubaine : « L’Assemblée nationale, persuadée que le moment approche, où toutes les nations de la terre reconnaîtront enfin que, sous les différents gouvernements qui les régissent, elles ne sont réellement que des fractions de la grande famille, a décrété et décrète que, d'après les principes de paix et de fraternité qu’elle a adoptés envers toutes les nations, le droit d’aubaine, seul vestige subsistant encore du régime féodal, est et demeurera perpétuellement aboli dans toute l’étendue de l’empire français. » (Ce projet de décret est renvoyé au comité des domaines.) M. Legoazre de Hervélégan, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, vendredi, 30 avril. M. Rewbell présente une addition au décret adopté, dans la séance d’hier, sur les conditions requises pour devenir Français. Elle est décrétée en ces termes : « Sans que par le présent décret l’Assemblée nationale entende rien préjuger sur la question des juifs, qui a été et qui reste ajournée. » M. Voidel. Je propose que mardi prochain, 4 mai, anniversaire de l’ouverture des Etats généraux, il soit chanté un Te Deum dans l’église des Capucins, en mémoire de cet heureux événement. (1) Cette séance est incomplète an Moniteur.