276 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin 1791.] M. I�e Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Messieurs, vous avez adopté hier l’article premier de Ja quatrième section du litre 1er du Code pénal, concernant les délits des particuliers contre le respect et l’obéissance dus à la loi et à l’autorité des pouvoirs constitués pour la faire exécuter. Vous avez à continuer aujourd’hui la discussion de 4 articles importants sur la résistance à la force publique par sédition ou rébellion. Vos comités vous proposaient d’établir trois degrés: le premier, lorsque laforcefpublique d’un canton aurait été repoussée par un attroupement; le second, lorsque l’attroupement aurait résisté à l’action de la force publique de tout un district; et enfin le troisième, lorsque l’attroupement continuant aurait encore opposé résistance à toute la force publique du département. L’examen de cette question ayant eu lieu de nouveau aux comités, les comités vous proposent aujourd’hui, Messieurs, d’ajourner, mais pour un très bref délai, ces articles importants. Voici sur quoi est fondé cet ajournement. Vous voyez que c’était sur plus ou moins de résistance à la force légitime, à la force publique, qu’étaient gradués ces différents délits; mais il est une première question à décider : c’est de savoir de quelle manière agira la force publique. Votre comité de Constitution se proposait de vous présenter un projet de décret relatif à l’action de la force publique et à trois sortes de réquisitions; mais, jusqu’au moment où vous aurez rectifié les principes, il est impossible d’établir des lois pénales qui portent sur ce système-là. D’après cela, je demande à M. le Président de mettre l’ajournement aux voix. (L’Assemblée consultée décrète l’ajournement des articles 2, 3, 4 et 5 de la quatrième section du titre 1CT.) M. Malouet. Je demande s’il y a quelque chose de changé relativement à la loi martiale ( Dénégations .), car ces articles me paraissent l’annuler totalement. M. Fe Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Pour rassurer M. Malouet, je puis lui assurer que le comité est unanimement d’avis que les articles en question ne changent rien à la loi martiale. Les articles 2, 3, 4 et 5 étant ajournés, nous passons à l’article 6 de la quatrième section du titre Ier. Le voici : u Quiconque aura outragé verbalement ou par geste un fonctionnaire public au moment où il exerçait des fonctions, sera puni de la peine de la dégradation civique. « S’il portait Poutrage jusqu’à le frapper, la peine sera de deux années de prison. » M. Martin. Vous intervertissez par cet article l’ordre des peines. La dégradation civique est une peine plus grande que celle de la détention pendant deux années. M. Le Pelletier-Saint-Fargeau , rapporteur. Voici ma réponse. La peine de la détention, toutes les fois qu’elle aura été prononcée par une procédure par juré, sera toujours précédée d’une exposition du condamné attaché à un carcan au milieu de la place publique et sur un échafaud. D’ailleurs, l’homme qui est détenu pendant deux ans est aussi dégradé civilement, car il y a un autre article qui explique quels sont les suites et les effets des condamnations et qui dit que quiconque sera condamné à la peine de la gêne et à la peine de la détention, ainsi que celui qui est dégradé civiquement, sera privé de tous ses droits de citoyen actif, perdra tous scs droits civils; que celui qui a été condamné à la perte de la liberté sera dégradé de ses droits de citoyen pendant la durée de sa peine et, dans le cas qui nous occupe, pendant les deux années de détention. Ainsi, d’un côté, l’homme est flétri dans son honneur, puisque la peine est également infamante, puisqu’il est exposé à la même honte civile, puisqu’il est également attaché à une potence pendant deux heures, dans les deux cas; et en outre, lorsque la détention y est jointe, il perd sa liberté pendant deux ans. M. Garât l'aîné. La rébellion contre les exécuteurs de la force publique et contre les applications de la loi est, de tous les attentats de ce genre, le plus alarmant et celui qui compromet le plus l’ordre public. Il est donc de la sagesse des législateurs, en insérant dans un code pénal des peines contre ces sortes de crimes, d’y mettre la plus grande sévérité. Leur appliquer la dégradation civique et la détention pendant deux ans, qui ont été déjà prononcées contre des crimes plus légers, c’est diminuer aux yeux du peuple la gravité des attentats dont nous parlons. Je demande donc pour la première espèce de rébellion 2 années de détention et 4 années pour la seconde. M. Duport. J’appuie la dernière proposition du préopinant; mais il me semble qu’il n’a pas fait attention à l’article, car je suis, relativement à la première partie de cet article, d’un avis entièrement opposé au sien. Je conçois combien ceux qui sont les organes de la loi doivent obtenir de respect de chacun ; mais en cherchant à leur faire regarder la justice comme une divinité, il faut prendre garde de la leur présenter comme odieuse. Or, je crois qu’au-tant il est vrai de dire que quiconque frapperait un juge ou un fonctionnaire pnblic doit encourir une peine très forte, autant il est vrai qu’il est beaucoup trop sévère de mettre une peine aussi forte que celle de la dégradation civique pour celui qui l’outragerait, soit verbalement, soit par geste. Prenez garde à ce qui se passe dans un tribunal. Il y a une différence bien grande entre un homme qui entend un jugement qui lui est contraire, qui a la conviction intime qu’il a été condamné injustement et qui se laisse entraîner par un premier mouvement à un geste ou à une parole indiscrète, et un homme qui frappe un juge. Ce dernier, sans doute, a encouru la peine de la dégradation civique ; il faut punir la violence, mais il faut la punir par une peine qui lui soit en quelque sorte adaptée. Jamais vous n’accoutumerez personne à croire qu’un homme qui a fait un geste contre un juge est un homme infâme : Le public croit que c'est un homme violent et voilà tout. D’après cela, je pense que dans l’article la peine n’est pas attribuée à l’action ; et ensuite je dis qu’elle est trop forte pour l’action et que si, pour une injure dite dans l’auditoire, on poursuit une procédure par juré, cela sera une chose très inutile pour faire observer le respect dans l’auditoire même. ( Applaudissements .) 277 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin 1791.] En conséquence, relativement à la seconde partie de l’article qui dit que, quand un individu se portera jusqu’à frapper un fonctionnaire dans ses fonctions, il sera puni de la peine de 2 années de prison; je suis d’avis d’aggraver la peine, ainsi que M. Garat l’a proposé, parce que, à la vérité, rien ne peut excuser un homme qui frappe un juge. Relativement à la première partie qui porte que, quand un individu aura outragé un fonctionnaire, verbalement ou par geste, il sera puni de la dégradation civique, je suis d’avis que ce n’est pas le cas d’aggraver la peine et que ce délit ne doit être puni que par forme de police correctionnelle. M. Garat l'aîné. J’adopte. M. lue Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. L’article, comme vous voyez, comprend deux parties : Quant à la première, il vous a paru peut-être sévère, d’après les observations de M. Duport, de prononcer la peine de la dégradation civique contre quiconque se serait permis une injure contre un juge. Or, le membre du comité de Constitution, qui est chargé de la rédaction du Gode de la poli e correctionnelle, m’a montré un article dans ce Code, qui punit par des peines graduelles des injures légères. Ainsi, je crois qu’on peut retrancher pour le moment cette première partie de l’article et la renvoyer à la police correctionnelle. En ce qui concerne la seconde partie, j’adopte l’aggravation proposée par les préopinants et je propose pour l’article la rédaction suivante : Art. 6. « Quiconque aura frappé un fonctionnaire public au moment où il exerce ses fonctions sera puni de la peine de 4 années de gêne. » (Get article est mis aux voix et adopté.) M. Fe Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Voici les articles 7, 8 et 9 : « Art. 7. Quiconque, par force, aura délivré ou tenté de délivrer des personnes détenues légalement ; quiconque les aura délivrées par adresse, sera condamné à la peine de la prison pendant deux années. « Art. 8. Si ladite violence est exercée avec un attroupement ou avec armes, les auteurs, instigateurs et complices dudit attroupement ou les-dites personnes armées seront punies de 4 années de prison. « Art. 9. Si ladite tentative est exercée avec attroupement et armes, la peine sera de 6 années de gêne. » M. Prieur. Je ne trouve pas que votre article soit juste, car il inflige la même peine à la force et à l’adresse. La force peut occasionner de très grands malheurs et je ne l’emploierai que parce qu’il y aura résistance et choc des deux côtés ; mais si je n’emploie, pour entrer dans la prison, que l’adresse, qui ne peut nuire à personne, qui ne peut occasionner aucun meurtre, je ne suis pas aussi coupable que dans le premier cas. M. Fe Pelletier-Saint-Fargeau, rapporteur. Je propose de renvoyer ce dernier cas à la police correctionnelle. M. Prieur. C’est ce que j’ai voulu proposer. M. Fréteau-Saint-Just. Je ne suis pas du tout d’accord avec les deux préopinants. 11 me semble qu’un homme qui, par adresse, enlève un prisonnier d’Etat, doit être puni d’une manière plus grave que celui qui enlève un prisonnier accusé d’un crime ordinaire et qui ne va pas à la mort. Je crois donc qu’il faut réserver une peine plus grave pour le premier crime dont j’ai parlé. M. de Folle ville. En général, je trouve les peines infligées pour la violation des prisons beaucoup trop légères ; car les prisons sont véritablement les sauvegardes do la liberté. Ge n’est pas un paradoxe ; je ne le dis que d’après Jean-Jacques Rousseau, qui observe que l’inscription la plus vraie et la plus significative qu’on puisse mettre au-dessus des gênes et des prisons est le mot libertas. En effet, ce sont là les vrais attentats contre la liberté : toutes violations de prisons sont des crimes essentiellement dirigés contre la sûreté publique, contre la Constitution. En résumant ce que j’ai dit, je demanderais que la peine pour la violation de prisons commise par un seul individu fût au moins de deux années de gêne ; pour violation commise par attroupement en armes, de 6 années; et qu’enfiu on punît de mort ceux qui se permettraient d’attenter contre cette sauvegarde de la liberté. Voilà mon amendement sur les articles. M. Fréteau-Saint-Just. 11 faut renvoyer cette discussion à la séance de demain, car if y a une nuance qui n’a encore frappé personne et qui est de la plus grande importance. Si l’attroupement est un peu considérable et que, sous prétexte de délivrer un prisonnier auquel je m’intéresse, j’ai effectivement ouvert la porte à un grand nombre de prisonniers, certainement mon délit prend, aux yeux de la loi, un caractère bien autrement important que si je n’eusse enlevé qu’un simple particulier. Je demande donc le renvoi à demain. (Assentiment.) (L’Assemblée décrète le renvoi de la discussion à la séance de demain.) M. le Président annonce l’ordre du jour de la séance de ce soir. La séance est levée à trois heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. TREILHARD, EX-PRÉSIDENT. Séance du jeudi 16 juin 1791, au soir (1). La séance est ouverte à six heures du soir. Un de MM. les secrélaires fait lecture des adresses suivantes ; Adresse de l'assemblée primaire du canton ae Dammartin , département de Seine-et-Marne, formée pour l’élection de ceux qui doivent nommer les députés à la prochaine législature. Cette adresse est ainsi conçue : « Messieurs, « La Constitution a commencé le bonheur de la France, c’est à elle de l’achever. Il ne peut (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.