360 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791.] mercîments de tous nos concitoyens bons patriotes. Nous nous sommes aussi transportés auprès de la chambre de commerce de cette ville, assemblée pour le même objet ; nous avons également reconnu, avec une extrême satisfaction, que l’unité de sentiments, l’unité d’action nous avaient tous ralliés autour de l’étendard de notre liberté. Vous recevrez en même temps, sans doute, l’expression de leurs vœux et des nôtres, et vous les trouverez uniformes. Pénétrés d’un saint respect pour la sagesse de vos lois, nous les maintiendrons de toutes nos forces. Vous pouvez donc compter, de notre part, sur une confiance et un courage inébranlables. « L’exécution de votre nouveau décret sur les gens de couleur nous a paru demander des mesures qui ne vous sont sans doute pas échappées. Il s’agit de renverser un préjugé barbare et révoltant, mais profondément enraciné; de faire revivre dans ces climats lointains les lois de la justice et de l’égalité; mais de changer les mœurs et l’opinion régnante : et vous aurez bien senti que pour opérer une telle révolution sans trouble et sans désordre, il faudrait envoyer sur les lieux une force suffisante pour en imposer aux malfaisants. Mais quels défenseurs choisirez-vous pour une si belle expédition? sera-ce des troupes de ligne? sera-ce des gardes nationales? C’est pour vous manifester notre vœu sur le choix de ces moyens, que nous avons pris la liberté de vous faire entendre nos voix. Ap nom de votre amour pour le bien public, au nom de toute la patrie, au nom surtout du bonheur particulier de nos colonies, nous vous conjurons d’adopter le dernier de ces deux partis. Nous sommes loin de douter de l’ardeur et du zèle de nos frères d’armes des troupes de ligne; mais nous n’avons pas, en général, la même confiance à donner à leurs chefs. Une trop funeste expérience nous a déjà plus d’une fois éclairés sur leur compte; mille exemples récents ont dû vous prouver combien la gangrène aristocratique qui tourmente les officiers, peut facilement se communiquer aux soldats. Nous ne vous citerons qu’un fait qui, s’étant passé sous nos yeux, nous a frappés davantage. Lorsque les derniers troubles survenus à Cahors obligèrent la municipalité de cette ville à solliciter près de nous des secours pour rétablir dans son sein le calme et la paix, il fut décidé d’y envoyer le second bataillon du régiment de Champagne. Personne alors n’aurait pu prévoir les suites fatales de ce départ; nous seuls avons eu Je pressentiment du malheur qui pourrait en résulter. Nous avons exposé, dans une adresse à notre départe - tement, combien des gardes nationaux rempliraient plus avantageusement une mission si délicate; mais nos réflexions étaient venues trop tard; le départ était fixé pour le lendemain matin, et Champagne se rendit à Cahors. A cette époque, aucun de nos concitoyens n’avait conçu le moindre soupçon sur les principes de ces braves camarades ; leur civisme nous était parfaitement connu; nous avions toujours tendrement fraternisé avec eux dans nos murs; la plus étroite intimité nous rendait inséparables ; et tout semblait nous garantir de leur part le succès de cette entreprise. Quelle subite métamorphose ! Vous avez su, Messieurs, les désordres qu'ils ont occasionnés par les insinuations perfides de leurs officiers : tant il est vrai de dire que la maligne influence d’un chef mal intentionné peut être bien dangereuse. Ce serait peut-être ici le cas de revenir encore sur l’utilité du licenciement de l’état-major de notre armée ; cependant, dans une adresse particulière, nous suivrons notre sujet. « Daignez, Messieurs, daignez céder aux instances que ne manqueront pas de vous faire tous les vrais amis de la Constitution, et que nous vous adressons ici, tant en notre nom particulier, qu’au nom de tous les braves Bordelais dont nous sommes les organes et les interprètes. Faites passer dans nos colonies un nombre suffisant de gardes nationales, pour y tenir en respect tous ceux qui voudraient se montrer rebelles à la loi. Déjà la capitale vous a fait voir son empressement à partir; et Bordeaux, qui s’est toujours montré sa digne émule, va marcher encore sur ses traces. Quand il s’agira de maintenir vos décrets, tout bon Français volera, s’il le faut, au bout de l’univers. Lorsque le bruit se répandit qu’il fallait se rendre sur nos frontières, noms fûmes les premiers à faire une conscription civique et militaire, et une foule de citoyens s’empressèrent à suivre notre exemple. Nous allons la reuouveler; nous allons offrir encore à la patrie, sur un autre hémisphère, notre fortune et notre vie. Nous avons prié les administrateurs de notre département d’ouvrir des registres pour cet effet; nous y serons les premiers inscrits, et nous sommes bien convaincus que la même cause produira le même effet. Ne doutez point de l’ardeur de tous nos frères ; il se pré.-enteraplus de volontaires que le besoin n’en pourra demander; et vous ne serez embarrassés que sur les moyens d’éviter les jalousies du choix et de la préférence. « Hâtez-vous Messieurs, d’employer les sages mesures que prescrivent les circonstances, pour nous faire jouir en paix du fruit de vos bienfaits ; il n’y a pas un instant à perdre. Déjà nous sommes instruits que les députés des colonies ont abandonné leur poste honorable dans votre auguste Assemblée; nous apprenons que des intérêts particuliers, prévalant dans les âmes égoïstes de beaucoup de colons, sur les vues d’intérêt général, d’injustes murmures se sont élevés contre la sagesse de votre décision ; nous savons que des complots se trament, que des trahisons se préparent pour enlever à la nation des propriétés respectables. Nous sommes bien convaincus que vous ne balancerez pas d’après toutes ces puissantes considérations ; et dans cette confiance, nous sommes, avec un très profond respect, Messieurs, vos très humbles serviteurs. » « Les patriotes du club du café national de Bordeaux. « Signé. DELORMEL, président ; LACOMBE, j. DEFRENNE, secrétaire; DURAND, secrétaire ; degrange; LALU, secrétaire. » (La lecture de ces différentes adresses et délibération est accueillie par les plus vifs applaudissements.) M. Prieur. Je demande l’impression de toutes les pièces qui viennent de vous être lues; je demande qu’elles soient insérées dans votre procès-verbal et déposées aux archives comme un monument précieux des vertus civiques que la Constitution a développées, et que M. le président écrive au directoire du département de la Gironde et à la chambre de commerce de Bordeaux pour leur exprimer toute la satisfaction de l’Assemblée. (Vifs Applaudissements.) En ce qui concerne l’adresse de Ja société des amis de la Constitution, je crois qu’il y a assez longtemps, Messieurs, que l’on calomnie ces sociétés, pour que vousnenégligiez pas une occasion 361 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791.J aussi importante de reconnaître la pureté de leurs intentions, en ordonnant que les preuves de leur civisme soient inscrites dans le procès-verbal de vos séances. ( Applaudissements à gauche. — Murmures à droite.) M. de lirîeu. Je m’oppose à la dernière partie de la motion de M. Prieur. Vous avez, par un décret, interdit aux sociétés particulières le droit de faire des pétitions. ( Murmures . — A gauche : Ce n’est pas une pétition, c’est une adresse.) Je réclame l’exécution de ce décret. M. Pétion de Villeneuve. Il est très important de décréter enfin les moyens d’exécution du décret rendu en faveur des hommes libres de couleur, issus de père et mère libres. J’appuie la motion de M. Prieur. Un membre : Gela devient très nécessaire, surtout depuis que le commerce de Bordeaux a fait le sacrifice de retarder le départ de ses vaisseaux pour les colonies, M. Prieur. Je ne suis pas étonné que M. de Yirieu s’oppose à une partie de la motion que j’ai faite; car il conclurait volontiers à ce qu’il fût défendu à tous les citoyens français d’être d’aucune société patriotique. M. de Virieu. Oui, je pense qu’il devrait être défendu à tout citoyen français d’être d’aucune société qui, sous le titre d’amîs de la Constitution, se permet de gêner les corps administratifs, d’influer sur leurs délibérations et d’exercer des actes d’oppression par tout le royaume. ( Murmures à gauche.) M. Gaultier-Biauzat. Il n’est question ici que d’une manifestation de vertus civiques ; je suis fort étonné que le préopinant s’oppose à ce que nous consacrions le patriotisme des citoyens qui nous en donnent des preuves si évidentes, lui qui s’est si souvent efforcé de nous persuader qu’il en avait. M. de Rostaing. Je ne contesterai pas l’authenticité des adresses qui viennent d’être lues; mais je demande qu’on rende justice à toutes celles qui vous ont été envoyées pour exprimer un vœu contraire, et qu’elles soient lues. A droite : Oui 1 oui ! M. Goupll-Préfeln. Toutes ces adresses dont on vous demande insidieusement, et sous une fausse allégation de justice, la lecture, tendaient à vous détourner de rendre le décret que vous avez pris, et pouvaient alors être lues. Mais aujourd’hui que la loi est faite, il n’est plus permis, la décence, le patriotisme devraient interdire à tout membre de l’As emblée de vous en demander la lecture. Je demande la question préalable contre ces étranges amendements. Quant à la motion de M. Prieur, je l’appuie; les actes de civisme du genre de ceux que le département de la Gironde vient de donner, méritent une mention honorable dans les travaux de l’Assemblée. (L’Assemblée, consultée, repousse les amendements par l’ordre du jour et décrète que les adresses et les délibérations dont il a été donné lecture seront im primées, annexées au procès-verbal, et que le président écrira au directoire du département de la Gironde et à la chambre du commerce de Bordeaux, pour leur témoigner la satisfaction de l'Assemblée nationale.) M. I�avle. Je demande que l'embargo mis sur plusieurs bâtiments prêts à partir pour l’Amérique et qui nous est annoncé par le directoire du département de la Gironde soit levé. M. Rewbell. Il faut renvoyer cette question au pouvoir exécutif. (L’Assemblée décrète le renvoi au pouvoir exécutif de la motion de M. Lavie.) M. le Président. J’ai reçu une lettre de M. le ministre de la marine dont je vais donner connaissance à l’Assemblée : « Monsieur le Président, « J’ai l’honneur de vous adresser copie de deux lettres; l’une est datée du 15 de ce mois, de M. du Chaffaud, commandant de division et le vaisseau l’Apollon , arrivant à Rochefort avec 1 bataillon du régiment ci-devant Poitou; l’autre est en date du 14 de M. Bélisac, commandant le vaisseau le Jupiter , arrivé à Brest avec 1 bataillon du régiment ci-devant Angoulême. « Il parait que sur l’avis de M. de Blanchelonde, qui avait transmis à M. de Béthune le récit de ce qui s’était passé à Port-au-Prince dans les premiers jours de mars, ce général, de concert avec les commissaires du roi aux Iles-du-Vent, s’est empressé de faire embarq uer sur ces deux vais-seaux 2 bataillons, et que M Duchilleau, commandant du bataillon, s’étant présenté au Gap le 15 avril, M. de Blanchelonde lui a [notifié que ses troupes étaient inutiles. « Les pièces dont M. Duchilleau m’annonce l’envoi ne me sont pas encore parvenues. « Je suis, avec respect, etc. « Signé : Thévenard. » M. 'Verchère de Reffye, secrétaire , donne lecture des 2 lettres annoncées dans la dépêche ci-dessus du ministre de la marine ; elles portent que le meilleur ordre et la discipline la plus rigoureuse régnent dans les équipages et les troupes, mais que les vaisseaux sont en insurrection à Port-au-Prince et qu’il est essentiel d’y porter un prompt secours. L’ordre du jour est un rapport des comités diplomatique, de Constitution et d'Avignon sur la pétition d'Avignon et du comtat Venaissin pour leur réunion à la France. M. de Menou, au nom des comités diplomatique , de Constitution et d'Avignon (1). Messieurs, je viens encore, d’après les ordres formels de l’Assemblée nationale, vous parler, au nom de la justice et de l’humanité, des malheurs auxquels sont livrés depuis trop longtemps les habitants de deux pays, qui, voulant la liberté et votre Constitution, n’ont, -au lieu de liberté, qu’une monstrueuse anarchie , au lieu de votre Constitution, que les horreurs de la guerre civile, et qui, désirant être Français, ont été, j’ose le dire, inhumainement repoussés par uneinfluence dont j’ignore les causes secrètes, mais dont le résultat a été la destruction de plusieurs milliers d’individus, qu’un seul mot de votre part conservait à la vie. Encore quelques jours de délai, les (1) Ce discours n’est pas complet au Moniteur.