271 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.] « Déclare vendre à la municipalité de Rungis les biens compris dans ledit état, aux charges, clauses et conditions portées par le décret du 14 dudit mois de mai, et pour le prix de 183,589 livres 5 den., payable de la manière déterminée par le même décret. » DOUZIÈME DÉCRET. « L’Assemblée nationale, sur le rapport, qui lui a été fait par son comité de l’aliénation des domaines nationaux, de la soumission faite par les commissaires de la commune de Paris, le 26 juin dernier, pour, en conséquence de son décret du 17 mars précédent, acquérir, entre autres domaines nationaux, ceux dont l’état est annexé à la minute du procès-verbal de ce jour, ensemble des estimations faites desdits biens les 26, 27, 28, 30, 31 août; 1er et 2 septembre; 20, 24, 25, 26, 27, 28, 29 et 30 octobre; 3, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 16, 17, 18, 22, 23,24 et 25 novembre derniers, en conformité de l’instruction décrétée le 31 mai dernier; « Déclare vendre à la commune de Paris les biens compris dans ledit état, aux charges, clauses et conditions portées par le décret du 14 mai dernier, et pour le prix de 3,109,540 liv. 5 sous 5 den., payable de la manière déterminée par le même décret. » M. de La Itochefoucault, au nom dit, comité d'aliénation , fait part à l’Assemblée de plusieurs ventes faites par la municipalité d’Orléans : il résulte que les biens se vendent au denier 30 du prix des baux, et qu’évalués 1 92,500 livres, ils ont monté, par l’adjudication, à 351,675 livres. M. ïe Président. L’ordre du jour est le rapport des comités réunis, militaire , des rapports et des recherches, sur l'affaire de Nancy (1). M. Brûlart ( ci-devant de Genlis, marquis de Sillery), membre du comité des rapports , monte à la tribune et s’exprime en ces termes : Messieurs, l’opinion publique n’est point encore fixée sur les causes du fatal événement qui vient de se passer à Nancy ; dans ces temps malheureux de divisions et de discordes civiles, chaque parti rejette sur celui qui lui est opposé les désastres qui arrivent, et nous en avons un exemple frappant dans la circonstance fâcheuse où nous nous trouvons. C’est au milieu de cette obscurité politique que vos comités ont cru devoir s’occuper des moyens de découvrir les principales causes de cet événement; c’est ce crime national qu’il faut dévoiler. Nous ne nous sommes point abusé sur les difficultés que nous devions rencontrer, étant chargé de vous faire un pareil rapport; de grands malheurs en ont été les suites; beaucoup de fautes ont été commises, et il n’y a point de classes de citoyens auxquelles nous ne puissions faire quelques reproches. Nous avons encore à redouter les opinions qui se sont formées d’après les récits plus ou moins exagérés des différents partis; mais vos comités vous doivent la vérité tout entière; ils sentent redoubler leur courage à proportion des difficultés qu’ils ont à vaincre, et iis rempliront la tâche laborieuse qu’ils ont entreprise. Nous aurons à gémir longtemps des suites fu-(1) Ce rapport est très incomplet au Moniteur. nestes, des erreurs dans lesquelles les citoyens ont été entraînés; cependant en politiques, nous devons les regarder comme une leçon terrible pour tous les citoyens du royaume; qu’ils apprennent du moins, en voyant les malheurs de Nancy, les dangers de résister aux lois sages que vous venez d’établir; qu’ils calculent combien il est dangereux de se livrer sans réflexions à l’impétuosité des passions : et qu’ils se pénètrent enfin de cette grande vérité, que chaque citoyen, dans l’emploi qu’il exerce dans la société, doit concourir individuellement au bonheur et à la tranquillité générale, et qu’il devient coupable quand il en détruit l’harmonie. Les ministres de la religion, les magistrats, les citoyens, les officiers, les soldats, chacun dans les emplois qu’ils exercent, ont une influence incalculable sur le sort des autres citoyens, et nous allons bientôt, vous en présenter un exemple frappant. Le plus grand incendie peut quelquefois provenir d’une étincelle, qu’un souffle salutaire aurait arrêté. Que les deux partis qui divisent maintenant la France, jettent les yeux sur les grandes destinées de cet Empire, si l’union renaît parmi eux ; et qu’ils frémissent en voyant les suites de nos discordes. Le sang a déjà coulé, la nation est irritée : Citoyens! réfléchissez qu’au pointoù noussommes arrivés, aucune puissance, aucun moyen ne peut déranger l’ordre immuable que la nation vient d’établir elle-même. Qu’il serait insensé au parti qui s’oppose à la volonté générale, d’espérer, recouvrir déchaînés la nation généreuse qui vient de s’en dégager, et qu’à l’époque où nous en sommes il faut nous vaincre ou obéir. Nous allons commencer le funeste récit que nous avons à vous faire. Représentants de Ja nation, pesez-en dans votre sagesse toutes les circonstances; ne perdez pas de vue que ce sont nos frères qui se sont égarés, et que c’est la nation entière qui, dans ce moment, est leur juge. Vous avez sous les yeux le rapport de MM. les commissaires du roi. Cette pièce authentique doit être notre guide dans celui que nous avons à vous faire. La suite des événements y est racontée avec une scrupuleuse exactitude. L’analyse de ce mémoire nous a paru nécessaire, nous devons rapprocher tous les faits, les combiner ensemble; et démêler s’il se peut la vérité, au milieu de cette foule d’événements qui se succèdent avec tant de rapidité; cependant, avant de les suivre dans leur intéressant travail, nous devons remettre sous les yeux de l’Assemblée les différentes époques où elle a été instruite des progrès de l’insurrection de Nancy. L’Assembiée nationale avait prononcé un décret le 6 août dernier, dont le but était de rappeler à l’ordre et à l’obéissance quelques régiments qui s’en étaient écartés. Ce décret fut envoyé à Nancy, et malgré les lois qu’il prescrit, la garnison de cette ville se permit quelques actes d’insubordination, et des démarches qui y étaient absolument contraires. Le 16 août, on lut à l’Assemblée une lettre de M. Dénoué; il vous faisait un détail effrayant des troubles, de la révolte des régiments, de la dilapidation delà caisse militaire ; elle annonçait des projets funestes ; les soldais armés parcouraient les rues le sabre à la main, et les meilleurs citoyens fuyaient la ville pour se soustraire au malheur inévitable qui la menaçait. Une lettre si alarmante parut exagérée, à quelques députés du même département ; ils avaient des lettres dans lesquelles les détails étaient (Assemblée nationale.] ARCHIVES PAPdLEMENTAlRES. [6 décembre 1790.] 272 moins funestes ; ils osèrent combattre le rapport de la mu ici palité de Nancy, qui confirmait ces détails par son procès-verbal, dont on vous fit également la lecture; mais ce rapport fut impérieusement défendu par les députés de cette ville. Vous renvoyâtes aux comités militaire, des rapports et des recherches, les avis que vous veniez de recevoir; ne pouvant délibérer que sur les détails officiels qu’ils avaient sous les yeux, ils se pénétrèrent de la nécessité de rétablir l’ordre et d’en imposer aux soldats réfractaires aux décrets que vous aviez prononcés le 6 de ce mois. Vous adoptâtes le décret du 16 août, que vos comités avaient rédigé le même jour; il fut sanctionné par le roi et envoyé à Nancy. Deux jours après, vous fûtes instruits que huit soldats du régiment du roi, députés par leurs camarades, s’étaient rendus àParis; qu’ils y étaient venus avec des permissions signées des officiers supérieurs de leur régiment, et des passeports en règle de Ja municipalité; que cependant, au moment deleur arrivéeàParis, ieministtv de laguerreavait donné l’ordre de les faire conduire eu prison. Vous ordonnâtes à vos comités de prendre connaissance decetteaffaireetde vousenrendrecompie. Iis décidèrent que le ministre de la guerre serait requis de supplier le roi, de permettre que les huit soldats, détenus au secret à l’bôtil de la Force, fussent transfères à l'hôtel des Invalides, où ils devaient se rassembler le lendemain pour les y entendre. Les soldats du régiment du roi parurent devant vos comités, et l’un d’eux, prenant la parole, raconta tous les faits qui sont rapportés dans le mémoire qu’ils ont distribué. Vos comités délibérèrent sur le parti qu’il y avait à prendre avec les soldats; ils jugèrent qu’au degré d’effervescence où se trouvait la garnison de Nancy, la nouvelle de l’arrestation des députés pouvait y occasionner les plus grands désordres; ils jugèrent prudent d’envoyer promptement dans cette ville deux de ces députés, pour annoncer à leurs camarades que l’Assemblée nationale les avait écouté avec bonté et qu’elle examinerait leurs réclamations. Ils décidèrent que les six autres resteraient aux Invalides; et ceux-ci donnèrent leur parole d’honneur de ne pas sortir de l’hôtel. M. Pescheloche, aide-major de la garde nationale de Paris, oflrit d’accompagner les soldats qui partaient pour Nancy ; vos comités louèrent son zèle et acceptèrent ses offres. Quelques moments de calme et de retour à l’ordre dans la garnison vous furent annoncés par le ministre de la guerre; mais vos espérances ne tardèrent pas à s’évanouir. Vous reçûtes, le courrier d’après, la nouvelle de l’arrivée de M. de Malseigne à Nancy. Cet officier général, chargé de recevoir les comptes des régiments, crut ne pouvoir allouer une demande que le régiment de Châteauvieux lui faisait, et son refus devint la cause d’une nouvelle insurrection doDt les progrès furent si violents, que chaque courrier nous apportait des détails nouveaux, et toujours plus alarmants. Vous reçûtes, à la barre, des députés de la garde nationale de Nancy, qui se coQteutèrent de vous donner presque les mêmes détails que les soldats du régiment du roi avaient faits à vos comités réunis : ils ne vous parlèrent point de l’objet de leur mission, ayant appris que les troubles avaient recommencé depuis leur départ. M. Pescheloche arriva de Nancy, et vint confirmer les mauvaises nouvelles que vous aviez reçues ; et, sans pouvoir vous donner aucun détail positif, il vous instruisit que M. de Malseigne, qui s’était retiré, à Lunéville, y avait été poursuivi par des cavaliers de mestre de camp ; que les carabiniers avaient chargé cette troupe; qu’ils en avaient tué et fait prisouniers plusieurs ; que la garnison de Nancy était partie pour venger ses camarades; que la conduite sage de la municipalité de Lunéville avait suspendu leur fureur; que la garnison était rentrée à Nancy, et que les carabiniers avaient ramené M. de Malseigne que l’on avait jeté dans un cachot: que M. Dénoué, commandant à Nancy, avait également été mis en prison, et que quelques officiers du régiment, du roi qui avaient voulu le défeudre, avaient été blessés. Votre consternation fut extrême à ces nouvelles affligeantes; vous décidâtes d’envoyer une proclamation aux troupes rebelles, et vous les menaciez de la rigueur de votre ju-tice, s’ils n’obéissaient point à la loi. Otte proclamation n’était que confirmative du décret que vous aviez prononcé le 16, et déjà M. ne Bouille, instruit des désordres qui régnaient à Nancy, avait rassemblé les troupes de ligne de son commandement, ainsi que des gardes nationales, et il marchait vers les rebelles pour faire obéir à vos décrets. Vous apprîtes le malheureux événement du 31 aoû1, et vous décréiâtes que Sa Majesié serait suppliée d’envoyer deux commissaires pour faire les iu foi mations et découvrir ies coupables, de quoique qualité qu’ils fussent. Le roi nomma MM. Bon-Claude Cahier et Honoré Duveyrier, pour remplir cette commission importante. Leur nomination tranquillisa les bons patriotes : ou redoutait ies suites de cet événement : l’opinion n’était point encore fixée. Les patriotes de Nancy faisaient entendre leurs cris, et les ennemis de la Révolution annonçaient que le calmo était rétabli : il était donc essentiel d’y envoyer des amis de la liberté et de l’ordre, pour rassurer et défendre l’une, et rétablir l’autr*. MM. les commissaires emmenèrent avec eux MM. Gaillard et Leroi, leurs anus, qui voulurent bien leur servir de secrétaires et les seconder dans leurs importantes fonctions. C’est d’après leur rapport que nous allons vous donner un détail de cette suite d’événements malheureux. MM. les commissaires du roi annoncent que les différents récits, qui leur ont été faits, ont presque toujours été dictés par le plus vif de tous les intérêts, par Fiutérêt de l’opinion. C’est donc particulièrement de ce prestige que nous avons dû nous garantir : cependant vous allez successivement entendre des officiers, des soldats, des juges, des officiers municipaux, des citoyens. Le résultat des événements est le même dans tous les récits ; mais les différents partis rejettent sans cesse sur celui qui lui est opposé les causes criminelles des désastres : chacun d’eux démasque son caractère par la nature des plaintes qu’il porte : les magistrats, les officiers accusent hautement les soldats, les citoyens ; et ceux-ci ont besoin d’être rassurés par les commissaires pour avoir le courage de se plaindre de leurs supérieurs. Cependant, Messieurs, les commissaires vous annoncent qu’ils n’out aucunes preuves certaines des causes inconnues, mais soupçonnées jusqu’à présent : ce sont des patriotes qui chercheut à justifier, dans l’opinion publique, les ennemis de la Révolution. C’est à l’époque de notre glorieuse Révolution qu’il faut remonter pour juger les causes des 273 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.] malheurs de la ville de Nancy : suivons un moment le rapport de MM. les commissaires. La situation politique de cette ville, longtemps le séjour des ducs de Lorraine, enrichie par S'a-nislas, l’éloignait, plus qu’aucune villedu royaume, des changements heureux, fruit de notre Constitution : presque tous les habitants étaient privilégiés et vivaient d’abus; le duc Léopold avait prodigué des lettres de noblesse, et ces familles étaient d’autant plus jalouses de ces chimères, que leur existence était plus nouvelle. Le parlement, la chambre des comptes jouissaient des avantages de trouver dans les émoluments de leurs places un revenu fixe et honnête, sans avoir été obligés de payer leurs charges ; ces places, toutes de faveur, étaient remplies par des hommes qui devaient tout à la cour qui les avait favorisés : il existait encore un grand nombre de tribunaux inférieurs; une intendance, un bailliage, une chambre des eaux et forêts, une chambre consulaire, une juridiction prévôtale ; enfin tous établissements combinés par la fiscalité ; un chapitre noble, et un commerce considérable par la position de la Lorraine, hors des barrières de France. Cette ville avait pour garnison, depuis 7 ans, une troupe également privilégiée, le régiment du roi. L’officier et le soldat avaient leurs relations dans la classe où les fixait leur rang; les officiers avec les nobles, les soldats avec le peuple. Des rapports nombreux et unanimes attestent que quelques jeunes officiers du régiment du roi se faisaient un plaisir de provoquer les jeunes citoyens et de les battre pendant la nuit ; nous désirions pouvoir douter de ces faits, mais nous les attribuons principalement à la composition de ce régiment. Vous savez, Messieurs, qu’indépendam-ment des officiers de ligne attachés aux différentes compagnies, il était d’un usage très ancien de recevoir à la suite de ce régiment une foule de jeunes gens qui servaient sans appointements ; ils y profilaient de quelques établissements utiles, et commençaient leur éducation militaire dans ce corps. Cette jeunesse nombreuse, peu surveillée, dans l’effervescence des premiers moments d’indépendance, remplies des fausses idées d’une supériorité héréditaire, était souvent le fléau des villes où ce régiment était en garnison; c’est dans le peu de réflexion de cet âge que nous avons trouvé quelques motifs d’indulgence. Nous ne pouvons omettre la note de MM. les commissaires, qui remarquent que jamais le jeune Désilles ne mérita un pareil reproche, qu’il fut toujours l’exemple des jeunes gens de son âge: nous le verrons bientôt en devenir le héros, et l’objet éternel de nos regrets. Enfin, Messieurs, le 14 juillet 1789 arrive : la Bastille tombe, le despotisme est renversé; la loi prononce, tous les hommes sont égaux. Les nobles et les officiers ne calculent que les sacrifices qu’ils seront obligés de faire : le peuple et les soldats élèvent leurs bras vers le ciel, et reçoivent avec transport la liberté qui leur était encore inconnue. Dans toutes les circonstances où l’intérêt public fu* agité, la division et le mécontentement éclataient : les privilégiés rétractèrent l’égalité des impôts auxquel ils avaient consentis clans leurs cahiers. Ils refusèrent des armes aux gardes nationales au moment de leur établissement. Ils voulurent s’opposer à l’augmentation de vingt-cinq hommes par compagnie, que proposa lïe Série, T. XXI. M. de La Valette, sur le principe que tous les citoyens étant frères, on ne devait pas priver les citoyens peu fortunés de l’honneur de défendre la patrie. Pour balancer celte augmentation, ils créèrent une vingt-huitième compagnie. On assure qu’elle fut composée de citoyens dont les principes étaient opposés au vœu reconnu de la nation. Au mois de décembre 1789, les soldats citoyens éprouvèrent des difficultés de la part de la commune, pour une fédération qu’ils voulurent faire avec leurs frères d’armes des pays voisins; et lorsqu’elle fat effectuée, au mois d’avril 1790, la commune déciara séditieux et calomnieux l’arrêté de la garde nationale, relatif à cette fédération. Lorsqu’il fut question des élections, les citoyens à leur tour annoncèrent, par des écrits, à quelles vertus civiques on devait s’attacher pour le choix des élus. La commune proposa de réclamer, pour la province de Lorraine, l'exécution du traité de Vienne ; et lorsqu’elle envoya, le 22 décembre 1789, des députés à Paris, elle arrêta « que des termes dont « ces députés se serviront on ne pourrait en induire « aucune adhésion , ni opposition aux décrets en « général, où à aucuns des arrêtés en particulier « de V Assemblée nationale ; et que , dans aucuns « cas , les pouvoirs ne pourront être montrés à per - « sonne, pas même aux députés de la province à « V Assemblée nationale. » Vos comités, Messieurs, vous supplient de méditer ces arrêtés de la commune avec attention: c’est l’opinion de la ville qui est tracée dans ce peu de mots: il est aisé d’y reconnaître l’opposition formelle et clandestine à l’établissement de la Constitution, et la crainte d’être découvert dans les moyens cachés dont on voulait se servir pour opérer sa destruction. Nous venons de vous présenter les faits que nous pouvons regarder comme les principales causes des divisions qui tourmentent les habitants de la ville de Nancy. Portons nos regards maintenant sur les troupes. Nous serons quelquefois obligés de suivre mot à mot le rapport de MM. les commissaires du roi : le récit qu’ils ont mis sous vos yeux est l’extrait fidèle des arrêtés et des procès-verbaux des municipalités et des directoires ; et nous ne pouvons mieux faire que d’adopter l’analyse qu’ils ont faite, qui est de Ja plus scrupuleuse exactitude. Ce fut quelques semaines après la prise de la Bastille que les soldais du régiment du roi, qui toujours avaient été l’exemple de l’armée, sans aucun motif de plaintes contre leurs officiers (ils en conviennent) demandèrent, avec tumulte, la liberté des portes, l’exemption de l’appel de quatre heures. Les soldats, interrogés sur cet acte d’insubordination, conviennent qu’au moment où tous les citoyens étaient dans Fivresse delà liberté qu’ils venaient d’acquérir, ils crurent avoir le droit de la réclamer pour eux-mêmes. Les officiers résistèrent d’abord, mais ils cédèrent ensuite ; et l’effet de cette première condescendance de leur part fut incalculable. La discipline militaire ne veut ni tort ni grâce; ou l’ordre était juste, dans ce cas, les officiers ne devaient jamais consentir à le rétracter; ou il était évidemment inutile, et, dans ce dernier cas, ils auraient dû l’abolir et épargner à leurs soldats la faute qu’ils commirent en cette occasion. 274 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.] Unecompagnieentière de grenadiers se soulève pour empêcher un de ses camarades de subir la peine de la prison. On fit q elques exemples indispensables ; les plus animée furent congédiés avec cartouches jaunes; mais (ce qui n’ciuitpas d’une exacte jus-tic< ) on congédia également quelques-uns des soldatsqi lavaient demandé la libellé des portes; et les officiers, en punissant ceux-ci, ne réfléchirent (tas sans doute qu’ils s’accusaient de faiblesse d’avoir d> nné h ur assentiment à la demande tumultnaire < ui leur avaii été faite. Le m mbre des soldats p mis, pour l’une et l'antre lauie, p' ut se monter à trente environ. C< s deux évé. entenls jeiè eut de la défiance entre les nfliciers et leurs soldats. Le nouvel uniforme des gai des citoyenne*, en récha» liant leur < omage, étui-nt souvent IL bjet du « édain des je nés olficiers; plusieurs affaires part cul ères en fur. nt la si.-i e ; les g. >r les natiu-nales < nreut souvent l’avaniage, et ces succès aigrirent encore les esprits. M. Nicolas, im min e de la ci mmune, futdépu'é vers les chefs des corps p' ur arrêter les suites d’i ne alla re qui devait avoir lieu : les officiers supérieurs rejondirent qu’ils y veilleraient pour l’a\t nir, mais que, relativement au cunbut d i jour, h s olliciers l’avai t uécidé, il > ne pouvai nt J’eni|êcln r sai s p rU'e ce|. î üe leurs camarades qui devait être le champion. Il n’est aucune en constance où des chefs de corps puissent faire une pareille réponse à un officier public. Les soluats témoignèrent le désir de porter le ruban nauouul; et vo> iaï» t y être autoris s par l’exemple de leurs olfirurs, ceux-ci tepoi dirent qu’ils n’avaient point d orure, rd - nationale représentait que les dt crets dt l’Assemb ee accordaient la droite aux ganes nationales, il répondit qu’il se ....... des decrets. Cette cédai aiiin est signée de M. Coüny, major de la garde natnnale, et de plusieurs autres ei-toy' i s, et attestée pai u< mbre de personnes. Nous ne pouvons vous dissimuler que nous sommes étonnés que le commandant du régiment n’aii pas i-évèiement puni cet officier; cet exemple aurait invinciblement prouvé le respect du corps pour vos décrets, et personne n’eût plus ose les ei freindre. Les gardes nationales de plusieurs départements se rassemblèrt nt,au mont Sainte-Geneviève, le 19 avril ; ils invitèrent les soldats du régiment du roi à prendre part à cette fête, et à venir prêier le serment avec eux : le régiment de Diestre-de-camp avait consenti à y assister : les officiers du régiment du roi firent naître de grandes difficultés; ils n’avaient par l’ordre de se coaliser avec les citoyens. Ces résistances n’étaient pas ignorées, et faisaient une vive impression sur l’esprit des soldats et des citoyens. Pourquoi faut-il que nous ayons à vous raconter d'aussi pi éiils motifs de divisions! Qu’il ctait encore facile, à celte époque, de prévenir tous les troubles qui ont suivi ! Cependant la fédération eut lieu; les esprits mal disposé» par la résistance que les officiers avaient mise pour v. nir à cette fête, firent quel-qm s observations fâcheuses; ils remarquèrent que les olficiers étaient venus en habit négligé et en re ingote uniforme ; mais l’on observe que le temps était extrêmement froid. On remarqua qu’en défilant vis-à-vi* les gardes nationales, les soldats avaient l’aune au bras : M. de. Lanjainet assu/e av ir f >it le conunandeme if de porter les armes et plusieurs soldats l’aiterdenl. Il est encore un fait plus grave, mais n’y ayant qu’un se I témoin qui en i épo e, l’accusation est nulle, et vos comités Lonl n j tée. Vers le milieu du mois d’avril, le régiment du roi s Y tait opposé tumiil ueusemeot à ce que M. de La Lorensie, premn r lieutenant coin el, prît le commandement du régi ueut; les sol 1 ats intenoges ont répondu qu>' l’extrê ne sévérité de M. ne La Lorensie les avait engagés à cette l'a u-se d< marche : la dnfèrence d’o union n’e tre pour rjcn dans cet acn* d’in uliordinaiiou ; les soldats ne e plaignent point de la jU'tice, mais de la sevé'ité de M. ne La Lorensie; ils ont commis Une grande faute dans cette occasion. On en congédia tnmie-cinq avec des cartouche' jaune-. Vous avez proscrit, LVless.eurs, ces espèces ne cartouches dont on a tant abusé dans les régiment-depuis nue année, et sans doute vous avez [iris une sage m sure. Les officiers, en général, dont non-sommes inen éloignés de vouloir attaquer le i atriotisme, n’oqt point encore assez réfléchi sur les droits des hommes que vous avez consacres : depuis plusieurs années, on avait adopté une discipline militaire contraire à la loyauté de notre nation, et • lie était suivie si impérieusement dans quelques régiments, qu’il est possible que le souvenir des anciennes offenses ait occasionné quelques mouvements irréguliers dans les troupes; mais nos braves soldats commencent à savoir qu’ils . ont les objets de nos sollicitu les; et quand ils en seront pleinement convaincu'', il3 ne s’écarteront plus de la subordination que l’honneur leur prescrit. Les devoirs rigoureux qui nous sont imposés nous obligent de dire aux olficiers supérieurs, qu’au moment où ils se sont aperçus de la fermentation qui agitait leur corps, il eut encore été facile de l’arrêter. En elfet, ils avaient la confiance de leurs soldats : ce régiment ne s’etait jamais écarté des régit s de la discipline : les sol i ats voulaient tous obéir aux démets de l’Assunblée nationale; il fallait donc les convaincre, en leur présentant sa s cesse la loi qu’ils outrageaient; les hommes sont partout ies mêmes, ils se soumettent à la raison, lorsqu’elle leur est présentée avec les formes de la bienveillance. Nous arrivons, Messieurs, à l’affaire du nommé Roussière, racontée de tant de diverses laçons. MM. ies commissaires du roi ont pris sur cet événement les renseignements les plus exacts et les plus multipliés ; nous allons suivre le récit qu’ils eD fout ; « Dans les derniers jours du mois de mai, un « soldat raconte à ses camarades que, la veille, « étant en sentinelle à la Pépinière, entre dix « heures du soir et minuit, il a vu le nommé « Roussière, soldat du régiment du roi, en habit « bourgeois, l’épée au côté, et un bonnet de poil {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.] 275 < sur la tête, provoquer au combat deux citoyens « qui se promenaient sur la terrasse de la Pépite nière; qu’il a vu également quatre officiers du « régiment du roi, MM. de Cheffontaine, Bissy et « Charittebella, dont l’un avait l’épée nue sous « le bras, suivre à dix pas le nommé Roussière ; « que les officiers ordonnèrent à la sentinelle « d’arrêter les deux bourgeois; qu’il observa « que, dans ce cas, il était indispensable d’arrêter c les mêmes officiers, en « habit bourgeois. « Les esprits s’échauffent dans le régiment; on « saisit Roussière. interrogé, il avoue qu’il était « sollicite à cette action par ce-quatre officier - ; « il e-’l mis au cachot par ordre de l’Etai -major. « Les scodats demandent que son procès lui « son; fait, et qu'il soit p msé aux banderoles; les « officiers te condamnent à trois mois de cachot. « Cette peine paraît trop douce aux soldats ; « ils craignent surtout qu’on ne fasse évader le « coupable, et nue la véii'é ne s’échappe avec « lui; ils demandent encore un jugement qui « condamne Roussière aux banderoles et à une « expulsion honteuse. « Sur les représentations des officiers, qu’il « faut un ordre du ministre, pour infliger m e « semblable peine, ils se contentent de iVxpnl-« sion; Roepsière est amen''1 au milieu du quur-« tier. Le nommé Bourguignon, grenadier, place « sur sa tête un bonnet de papier, sur leouel on « lit d’un côté, Iscariote ; et, de l’antre : C'est ainsi « que l'honneur punit la bassesse. M. de Moutluc, « cadet, voit placer le bonnet, et s’écrie: Que « fais-tu là, grenadier? Bourguignon rénond: Vous « le voyez, mon officier ; M. de Muntluc ajoute: « Tu me le payeras. « Enfin Roussière est conduit aux portes de « la ville par un détachement de soldats, sans « officiers; et MM. de Cheffontaine, Bissy et « Charittebella, compromis par la déclaration de « Roussière et par celte du nommé Bazire , senti tinelle sur la terrass ■ ne la pépinière au moment « de l’attaque, disparaissent quelques jours « après. » Rapporteurs fidèles, nous ne devons, Messieurs, ni aggraver ni atténuer aucuns délits; mais il est de notre devoir de vous rendre compte des plus petits détails. La faute des officiers du régiment du roi paraît évidente dans celte circonstance; mais nous devons vous instruire que le plus âgé de ces officiers a dix-huit ans et demi, que les autres n’en ont que seize à dix-sept; qu’il est possible à cet âge de commettre une grande faute, sans être coupable d’un crime calculé et réfléchi. Si, dans l’aventure du nommé Roussière, quelques anciens officiers se trouvaient compromis nous ne balancerions pas à trouver les criminels; nous les accuserions devant vous, parce que nous en préjugerions l’intention coupable d’avoir voulu mettre la division entre les citoyens et les troupes; mais cette opinion cède à l’examen des accusés: sans doute, il faut tes punir de leur imprudence : mais il en existe peut-être parmi nous un grand nombre, qui, à seize ans, ont commis de grandes fautes, et qui n’en sont pas moins aujourd’hui les défenseurs du peuple, et les juges de ces jeunes imprudents. La jeunesse doit être avertie, mais il faut de l’indulgence avec elle; vous êtes les pères de la patrie, vous les traiterez sans doute comme vos enfants, vous les réprimanderez sans les perdre. Les soldais du régiment ne calculèrent point l’âge des officiers compromis; ils murmurèrent de ce que leur faute n’avait été ni constatée ni punie. Il s’était formé, depuis le printemps, un comité composé, dans son origine, de quelques soldats du régiment du roi, à l’imitation de toutes les sociétés politiques qui se sont établies depuis le commencement de la Révolution; iis nommèrent un président, des secrétaires, et firent un règlement pour la police de leur assemblée. On a sans cesse attribué à ce comité toutes les fautes du régiment du roi ; et depuis l’époque où vous avez aboli ces comités rnditaires, l’animosité are tou-blé contre celui-ci. Nous avons sous les yeux le procès-verbal de leurs séances, signé chaque joui1 du président et des secrétaires. On y remarque un respect extrême pour les décrets de l'Assemblée nationale, un amour passionné pour la liberté et les principes d’honneur qui ont toujours conduit ce brave régiment. Le journal de ces procès-verbaux finit à la séance qui fut tenue le 11 juillet 1790. Il paraît que les réclamations les plus serieuses de ce comité furent celles présentes à M. de Balivière, pour susoendre la nomination des cadets gentilshommes aux places d officiers, et elles étaient fondées sur un de vos décrets, qui prescrivait, les nominations privilégiées. La lettre écrite à M. de Balivière est du ton le ni us respectueux. L’Assemblée nationale a prudemment agi en abolissant les comités militaires; les soldats, peu instruits des affaires politique-, discutaient saris cesse sur des objets qui leur étaient peu connus. L’organisation militaire est maintenant fixée par vos déciets, et ta seule manière de les inter-pré er est d’y obéir. Quelques jours après la fédération qui s’était passée avec joie et décence, cinq on six cents soldats, rassemblés au quartier, se mirent à crier : Point de comité, nous ne voulons être gouvernés que par nos officiers! Quelques soldais assurent que cette réclamation avait été provoquée par les officiers. Il est certain que le comité s’était. permis d’examiner la conduite de quelques-uns de leurs camarades, et qu’ils avaient porté plainte contre quelques soldats tombés dans des fautes très graves. Les officiers crurent pouvoir profiter de ces dispositions et ie lendemain ils firent courir un ordre dans les chambrées des soldats, pur lequel ils déclarent que, connaissant le bon esprit du régiment, ils avaient vu sans crainte les associations, mais qu’ils voient avec plaisir que le vœu général du régiment est pour leur suppression; que les soldats doivent être assuiés de trouver toujours, dans leurs officiers, des chefs prêts à leur rendre la plus exacte justice. Le lendemain il y eut une dispute au cabaret entre plusieurs soldats et fusiliers, et deux grenadiers membres du comité. L’infériorité du nombre détermina ces derniers à se rendre au quartier, où ils se plaignirent qu’on avait voulu les assassiner parce qu’ils étaient membres du comité; les grenadiers s’irritent; on cherche les agresseurs, ou les maltraite, on les conduit en prison; les officiers les font sortir; bientôt après 276 [6 décembre 1790.] [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ils sont forcés de les remettre en prison; et enfin la municipalité intervient et conseille de les faire conduire à la tour, où ils sont encore. Les procès-verbaux de la municipalité, que nous avons sous les yeux, annoncent que cette querelle causa la plus vive agitation dans le régiment; que trois fois les officiers requirent la municipalité de se rendre aux casernes ; que M. Dénoué, commandant dans la place, annonce le dessein pris par les soldats, de se rendre à Paris avec leurs armes et la caisse militaire; qu’il a demandé le rassemblement des gardes nationales et les préparatifs de la loi martiale, et que la municipalité a trois fois envoyé des députés au quartier. Vous ne remarquerez pas sans étonnement, qu’au moment ou l’on portait contre les soldats des plaintes aussi graves, trois fois les officiers municipaux, députés au quartier, rapportèrent que tout était tranquille, etque lessoldats étaient prêts à se conformer aux désirs des officiers municipaux. La municipalité prononçait qu’il n’y avait [tas lieu à délibérer sur la pétition du commandant de la place, et elle était remerciée de son zèle par les officiers eux-mêmes. Quelques soldats accusaient hautement leurs officiers d’avoir engagé les neuf spadassins arrêtés à chercher querelle aux membres du comité : une accusation aussi grave méritait d’être examinée avec la plus scrupuleuse exactitude. MM. les commissaires les ont interrogés séparément, ainsi que le grand nombre de soldats intéressés, et ils n’ont accueilli aucune preuve de cette coupable connivence; quelques déclarations leur apprennent seulement que ces neuf soldats, excellents tireurs d’armes, avaient été plusieurs fois entendus, parlant de l’argent qu’ils allaient dépenser au cabaret, comme d’un argent qui n’appartenait à aucun d’eux, mais à tousj Les accusateurs disent, dans leur mémoire, que l’un des neuf accuses reçut de M. de Gompiègne, officier major, 6 livres ;*et qu’interrogé sur cette libéralité, M. de Gompiègne a répondu que c’était pour la récompense de s’être battu contre un citoyen. M. de Compiègne a effectivement donné 6 livres au nommé Riondé, l’un d’eux : il est également vrai que Riondé s’était battu le jour même ou le lendemaiu de la fédération du mois d’avril, au mont Sainte-Geneviève, époque où M. de Compiègne n’était point au régiment, qu’il n’a rejoint que le 13 juin 1790. M. de Gompiègne, dans le mémoire qu’il a remis au comité militaire, dit : « que le nommé « Riondé, soldat de la colonelle, avait reçu plu-« sieurs coups de sabre à la fédération, qu’il était « encore convalescent lorsqu’il le rencontra; qu’il « lui dit de passer chez lui, qu’il lui donnerait « de quoi l’aider dans sa convalescence ; que cet « homme n'y vint pas, et que trois semaines « après l’ayant rencontré, il lui donna six francs.» H est encore à remarquer que M. de Gompiègne a été lieutenant de la colonelle pendant longtemps, et que ce soldat lui était particulièrement connu et recommandé. Vos comités, Messieurs, ne peuvent trouver dans ce fait, qui est prouvé, aucune trace de séduction employée par M. de Gompiègne. La méfiance des soldats augmentait chaque jour ; s’ils eussent été persuadés que leurs officiers partageaient leurs sentiments, aurions-nuus à gémir en voyant les soldats patriotes s’égarer, perdre toute mesure, et se porter à des excès qu’il est de notre devoir de réprimer? Nous ne pouvons déguiser leurs torts, mais je vois sans cesse M. Dénoué S" plaindre, à la municipalité, des soldats : celle-ci médiatrice inutile; et les soldats abandonnés à eux-mêmes, sans chefs, sans amis: quel devait en être le résultat? La révolte décidée dont vous allez entendre les effrayants details. Le procès-verbal du comité militaire du régiment du roi, finit ainsi que je l’ai dit ci-dessus, à la séance du 11 juillet; nous n’avons par conséquent aucunes notions certaines des objets qui y furent discutés. On assure que ce fut dans ce comité qu’il fut résolu de demander les comptes du régiment. Get avis réunit tous les soldats au comité : ils étaient persuadés qu’il leur revenait au moins vingt louis à chacun. La garnison de Metz avait exigé ses comptes, et leur avait donné cet exemple dangereux. Malgré la fermentation qui régnait, le service avait été fait jusqu’alors avec la plus grande exactitude, c’était le seul point que les soldats avaient respecté: la première faute dans ce genre devait nécessairement détruire toute espérance : elle arriva. Le 2 août, bourguignon, ce même grenadier qui avait mis l’inscription Iscariote, sur la tête du nommé Roussière, était de garde à la porte royale ; M. de Montluc, frère de celui qui avait dit à cette occasion, à Bourguignon, qu’il le lui payerait, commandait ce poste. Observateur exact de la discipline, la retraite battue, il ordonne aux soldats de sa garde de rentrer sous la colonnade qui environne le corps de garde ; Bourguignon, refuse d’obéir, la consigne était positive, à la vérité elle avait été négligée depuis longtemps, mais ce n’en était pas moins un devoir de l’exécuter à la première réquisition ; M. de Montluc, en descendant la garde, donne l’ordre à Bourguignon de se rendre en prison ; la compagnie de grenadiers s’v oppose : on en porte plainte àM. Dénoué, qui interdit le service à cette compagnie. Toutes les compagnies de grenadiers réclament pour leurs camarades ; M. Dénoué interdit toutes les compagnies de grenadiers du régiment; le régiment prend parti pour les grenadiers ; M. Dénoué interdit tout le régiment et la discipline est à jamais perdue. M. Dénoué requiert la municipalité de rassembler les gardes nationales pour faire le service, conjointement avec les régiments de Château-vieux et de Mestre-de-camp. Les soldats du régiment du roi annoncent qu’ils ne céderont leur service à personne ; ils prennent les armes, et la municipalité requiert à son tour le commandant de la place de révoquer l’interdiction qu'il a prononcée ; il cède aux circonstances, et les portes de la ville sont gardées par un régiment coupable. Ce fut cette insubordination qui provoqua le décret du 6 août. Les soldats avouent que le décret fut connu le 9 à Nancy, par les papiers publics; et ce fut le 9 que, le régiment étant en bataille, deux soldats par compagnie sortent des rangs, et demandent que messieurs de l’état-major se rendent chez le major pour entendre leurs récriminations, ce sont leurs propres expressions. Un d’eux lit un mémoire, auquel les officiers répondent que, la manutention du régiment leur ayant toujours été absolument étrangère, ils ne peuvent leur donner aucuns détails. Les soldats faisaient remonter ce compte jusqu’en 1767, époque de la mort de M. de Guerehi. M. de Missimieux, trésorier du régiment, vieillard de 78 ans ; et qui, depuis plus de cinquante [G décembre 1790.) [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. années, remplit avec honneur les fonctions de cette administration, leur répond qu’il n’existe de registre que depuis 1776; ce vieillard est mis aux arrêts pour quelques heures. M. du Châtelet, colonel de ce régiment, indirectement compromis dans le mémoire que les députés des soldats du régiment du roi avaient remis au comité militaire, a voulu, pour sa propre satisfaction, remettre à ce même comité un mémoire dans lequel il entre dans les détails de la manutention de ce corps. M. du Châtelet, en établissant sa comptabilité, n’a point voulu entreprendre sa justification ; sa probité reconnue n’avait nul besoin de cette preuve : mais il a voulu démontrer ce qu'une sage ' co-nomie pouvait opérer. Malgré tous les établissements utiles qu’il a créés dans ce régiment; malgré les soins qu’il prenait pour veiller à l’éducation des enfants des soldats et à leur entretien ; il résulte de ce compte, qu’à l’époque où il a succédé à M. de Guerchi, il n’y avait dans la caisse du régiment qu’environ 48,000 livres ; et qu’au moment où les soldats osaient douter de son administration, il y avait dans la caisse 460, 000 livres. Dans les procès-verbaux de la municipalité, du 9 août, on voit une lettre du commandant de la ville, dans laquelle il est dit, que les grenadiers et quelques soldats se permettent de consigner leurs officiers ; que même il y a eu des voies de fait contre ceux qui se sont présentés à la grille; qu’on les a menacés de tirer sur eux, de plonger la baïonnette. Le même procès-verbal annonce qu’au même instant une députation des soldats vint, à la municipalité, communiquer une lettre écrite par le commandant de la ville au commandant du régiment ; et lui demander en même temps s’il était vrai qu’il eût requis la loi martiale. Interrogés sur le sort de leurs officiers, ils répondent que, dans un instant, leurs officiers seront libres : la municipalité leur observe que le décret du 6 août rend la demande qu’ils font de leurs comptes illégale. Ils répondent que le décret n’est pas sanctionné, et qu’il n’a pas force de loi : la municipalité envoie un de ses membres au quartier ; il est reçu avec respect ; ils invitent M. Dénoué à se tranquilliser, et à ne point alarmer ta ville de ses craintes ; et finissent par demander à la municipalité la continuation de ses bons offices. Cependant l’indiscipline continuait ; ils voulaient leurs comptes avant l’arrivée officielle du décret. Le lendemain, 10 août, il y eut une nouvelle séance, dont le résultat fut qu’il serait délivré aux soldats une somme de 150,000 livres, qui, partagée entre eux, leur procura à chacun 73 livres. Les officiers se plaignent que cette somme leur a été arrachée par la violence, et les soldats s’en défendent; vous trouverez, Messieurs, dans le rapport de MM. les commissaires, une instruction écrite de la main même d’un officier supérieur du régiment ; il donne des détails qui annoncent formellement que les soldats ne furent point coupables de ce nouveau crime. Cette instruction dit qu’un des officiers supérieurs avoua, dans cette séance, que probablement ils pourraient obtenir la rentrée de quelques retenues qui avaient été faites aux soldats, retenues que l’ancien régime et l’usage des corps autorisaient. Que tes soldats crièrent de toutes parts : de l'argent ; que les officiers proposèrent 100,000 livres ; qu’ils en voulaient 200,000 ; mais que, par capitulation, iis 277 cédèrent à 150,000 livres qui leur furent offertes. Que les officiers, en rendant compte des motifs qui les avaient déterminés, avaient donné pour raison, qu’ils craignaient que leur refus n’aigrît trop les esprits et ne compromît les autres officiers du corps. Cette somme de 150,000 livres, distribuée aux soldats, ôta tout espoir de retour à l’ordre; elle produisit en même temps deux effets bien funestes ; le premier fut de rallier la dernière classe des citoyens avec les soldats; le second d’entraîner les deux autres régiments dans le3 mêmes excès. Le 11 août, deux soldats de Châteauvieux ont été passés par les courroies dans �'intérieur des casernes; on dit qu’une heure suffit à l’accusation, la procédure, le jugement et l’exécution. Comme cet événement a eu les suites les plus funestes. MM. les commissaires ont désiré prendre sur ce fait les éclaircissements les plus exacts; ils se sont adressés à M. de Salis, major de ce régiment, et lui ont demandé la connaissance officielle du conseil de guerre tenu pour ce jugement; les officiers suisses se sont constamment refusés à cette communication, et ont allégué leur capitulation particulière qui les rends maîtres absolus de la police et de la justice de leurs corps. Les motifs en furent cependant bientôt publics. On assure que les deux soldats avaient été chez leur major, lui représenter que les décrets de l’Assemblée nationale autorisant les soldats à prendre connaissance de leurs comptes , ils venaient pour le prier de leur faire cette communication. Nous n’avons aucune notion de la manière et du ton avec lesquels les soldats lui lirent cette proposition. Les soldats punis prétendent ne point s’être écartés du respect qu’ils devaient à leurs officiers. De cette affaire, nous ne connaissons que la demande des comptes, et la sévérité de la punition. Si la capitulation particulière des suisses nous interdit d’examiner si les soldats étaient coupables, comme cette punition est la principale cause des événements malheureux qui ont suivi, nousavons le droit de dire à MM. les officiers suisses, qu’au moment où le régiment du roi venait défaire la même demande, à l’instant où les officiers avaient consenti à leur donner unesommede 150,000 livres, il était probable que le régiment du roi prendrait pour une insulte, une punition ordonnée pour une faute dont iis étaient coupables : qu’ils ne pouvaient ignorer le danger d’effervescence qui enflammait toutes les têtes; et qu’il eût été peut-être de leur prudence et de leur sagesse de temporiser dans cette circonstance. MM. les commissaires rapportent que M. de Salis leur a dit qu’ils avaient été trouvés saisis d’écrits incendiaires, tendant à demander des comptes; que la loi les condamnait à être pendus comme séditieux, et qu’on leur avait fait grâce contre son avis. L’exécution était à peine achevée, que les motifs en furentconnus,et qu’aussitôt le quartier des Suisses fut environné d’une multitude nombreuse et indignée; on reprochait aux officiers leur avidité; on disait que les seuls ennemis des décrets de l’Assemblée nationale avaient pu ordonner cette punition, puisque les soldats n’étaient trouvés coupables par eux que pour en avoir demandé l’exécution. Le mal lit des progrès rapides; les deux régiments français, persuadés que les deux Suisses sont innocents, prennent les armes, vont aux casernes des Suisses, forcent la porte de la pri- 278 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790. J son, délivrent les deux condamnés et obligent, les armes à la main, le lieutenant-colonel à 1 s réhabiliter. On les promène en triomphe dans toute la ville, et on leur donne asile dans les casernes du régiment du roi et au quartier de Mestre-de-camp. Les officiers suisses sont gardés, les capitaines des deux soldats punis se sauvent, et M. de Salis reste caché pendant trente-six heures. Le 12 août, on devait publier le décret du 6 ; M. Dénoué avait donné l’ordre à tous les régiments de rester à leur quartier. Malgré l’ordre, ils prennent les armes, se rendent à la place Royale; et l’on vit, dans le rang des grenadiers du régiment du roi, un des so'dats suisses, et le second dans les rangs d’une des compagnies de Mestre-de-camp. . M. Dénoué était à la maison commune. Je vous ai rapporté que les soldats avaient remis à la municipalité une lettre que cj général avait écrite à M. de Balivière, commandant du régiment du roi. M. Dénoué terminait cette lettre en disant que l’Assemblée nationale s'occupait de réprimer le brigandage des troupes. Ce terme, contre lequel on les avait tous animés, lotsqu’il fut prononcé sans aucune intention fâcheuse pour eux, par un de uns meilleurs patriotes (1) ; ce terme, dis-je, avait choqué le régiment du roi. Une dé. u'aliou du régiment vint demander M. Dénoué; ou promit, sur l'honneur, qu’il serait respecté; mais on exigea la rétraction du mot fat ai qu’il avait prononcé. Il arrive sur la place Royale, un soldat lit la lettre de M. Dénoué à haute voix. Celui-ci répond : qu ayant toujours été satisfait du régiment du roi, et ayant servi pendant trente années, il n'avait jamais eu V intention de leur appliquer le nom de brigands : qu'au contraire, il les regardait comme des militaires pleins d’honneur. Il passe dans tous les rangs, le décret est proclamé : cependant tout espoir est perdu pour le retour à l’ordre et à la discip ine. Le même jour, les deux Suisses sont conduits chez le major du régiment; ou le charge de leur donner à chacun six louis de décompte, et 100 louis pour les dédommager de leur punition. La violation vient à bout de toutes les entreprises coupables, et le lendemain 13, les Suisses forcent leurs officiers de leur délivrer un acompte de 27,000 livres que M. de Vaubecourt leur prêta. Le même jour, les cavaliers de Mestre-de-camp demandèrent aussi de l’argent; il se saisirent de leur quartier-maître, et mirent une garde à leur caisse : les ofliciers s’adressèrent à la municipalité pour obtenir ces fonds nécessaires pour les calmer. Le même soir, les soldats suisses vinrent demander à la municipalité la permission de donner à souper à leurs camarades; la municipalité y consent et leur recommande la paix. Chaque jour les torts s’aggravent ; le 14, deux cents soldats vont enlever la caisse militaire et la transporter à leur quartier; ils se justifient en disant que la honte de voir la caisse du régiment gardée par la maréchaussée les a entraînés daus cette faute. Cependant cette caisse est déposée au quartier; ils dressent un procès-verbal de ce qu’elle contenait, et le lendemain elle fut trouvée intacte, suivant le rapport même des officiers. Dans toute cette malheureuse affaire, on ne cesse de voir l’honneur à l’instant de triompher des désordres les plus coupables : vous voyez ces soldats témoigner à leurs officiers des respects et de la déférence; et au moment où ils sont livrés à eux-mêmes, ils oublient toute mesure. L’état effrayant où se trouvait la ville de Nancy détermina les corps administratifs et le commandant de la place à faire part à l’Assemblée nationale du danger qui tu menaçait. Le 15, les cavaliersde Mestre-de-camp se firent donner une somme de 24,000 livres. Le régim nt du roi revenait de son ivresse; le comité qui lui-même commençait à convenir que l’on disait uaiss la ville que l’insubordination était portée au dernier degré, écrivit une lettre circulaire à toutes les compagnies, dans laquelle il énonçait la résolution d’envoyer à Paris huit députés pour porter leurs réclamations et faire entendre leurs plaintes. Les chefs y consentent, leur délivrent des congés et une somme de 3, 000 livres pour les Irais de leur voyage. Le même jour, les Suisses témoignent leur repentir; ils rentrent sous la discipline ordinaire, et ils prononcent un nouveau serment. Cependant ils gardent encore les arrêtés de compte qu’ils avaient fait souscrire à leurs officiers. lies nouvelles que, vous aviez reçues de Nancy vous firent prononcer le décret du 16; il arriva le 19 à Nancy. Ce décret fut transcrit sur tous les registres des corps administratifs : il est notoire qu’il fut envoyé dans toutes les cliambres dns soldats; mais il ne lut point proclamé à la tète des troupes, ni puhfié ni affiché dans la ville. Nous avons le droit de demander compte aux corps administratifs de cal oubli île leurs devoirs. Ils s’exécutent en disant : 1° que le terme littéral du décret n'en ordonnait pas positivement la publication; 2° que, dans une conférence où assistaient les membres du corps administratif, les principaux officiers de la garni on et de la garde nationale, on décida, que l'affiche avait paru d'un usage infiniment dangereux pour la sûreté publique , et que L'on a craint l explosion quelle pouvait occasionner ; 3° que la garue nationale, en offrant sa médiation, avait demandé que l’on suspendit la publication de la loi, assurant qu’elleserait capable de porter les trois régiments aux dernières extrémités. Nous allons leur répondre : 1° Qu’un des articles du décret donnait aux soldats pour manifester leur repentir, vingt quatre heures, à compter de la publication du décret. Il est donc évident que la publication en était littéralement ordonnée ; 2° Dans aucun cas, il n’est permis aux corps administratifs d’interpréter une loi, ni d’en suspendre l’exécution : il existe un décret qui les rend responsables et coupables de forfaiture, s’ils diffèrent la publication des lois décrétées par l’Assemblée nationale et sanctionnées par le roi : aucune raison ne pouvait donc en différer la publication. Ce decret avait été envoyé dans toutes les chambres des soldats; ils eu avaient donc tous une parfaite connaissance, et ce u’était point la crainte d’une insurrection nouvelle que l’on devait redouter. Tous les décrets de l’Assemblée nationale avaient été proclamés, notamment celui du 6. Eu ne remplissant pas, dans cette circonstance, (1) M. Dubois de Graucé. 279 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.) la même formalité, ils pouvaient douter de la vérité de celui du 16. Je vous prie n’observer, Messieurs, que par la seule médiation de la uarde nationale, les trois régiments ont siené l’acte de repentir, que bientôt je vous ferai connaître. Ce moment était décisif, maison le laissa encore échapper; les régiments étaient inquiets; fatigués de leur désobéissance, ils commençaient à faire d’amères réflexions : la publication du décret les eût peut être ramenés à l’obébsance, car ils ne demandaient qu’une occasion pour abjurer leurs erreurs. Dans une suite d’événements où toutes les passions sont sans cesse en opposition et en contradiction les unes avec les autres, les cœurs indifférent', qui ne jugent que parles phrases froides et compassées d’un procès-verbal, ne sont pas dignes de conduire ni d’apprécier les actions des hommes. On menait de recevoir à Nancy la nouvelle de l’arrestation de huit soldats députés à Paris : on ignore comment cet avis est parvenu; il est certain qu’il n’a pu être donné par aucun des soldats arrêtés : la preuve en e.'t dans les lettres qu’ils écrivirent à M. le maire de Paris et à leurs camarades des prisons de la Force où ils étaient détenus. Cette nouvelle plongea les soldats dans la plus grande consternation. A cette époque, la garde nationale de Nancy proposa sa médiation; elle fut reçue avec transport de la part des troupes. Les régiments du roi, de Mestre-de-camp et de Chàœauvbux , signèrent tous uu acte de repentir; il était sincère; on voulut encore en nouter ; nous avons sous les yeux la lettre du commandant de la place, auquel cet acte fut porté. Nous y remarquons le doute qu’il conserve de la sincérité du repentir : nous au ions désiré y trouver cette confiance honorable, qui, enchaînant les troupes réfractaires à ta lot, par le sentiment de l’honne r, les eût pour jamais rappelés à l’obéissance et à l’ordre. L’acte du repentir était conçu en ces termes : « Nous soussignés, sous-officiers, grenadiers, « soldats, cavaliers, des régiments du roi, infante-« rie; Mestre-de-camp, cavalerie et Châteauvieux « suisse, composant la garnison de Nancy; « Ayant reçu une députation en forme, de la « garde nationale de ladite ville de Nancy, qui « nous a représenté, avec autant d'énergie que de « patriotisme, les conséquences fâcheuses des « erreurs dans lesquelles nous aurions pu lom-« ber, désirant ne laisser aucun doute sur les sentiments dont nous sommes animés, et prou-« ver à l’Asse > blée nationale l’absolu dévoue-« ment dont nous sommes pénétrés pour la nation ; « Supplions 1 Assemblée nationale, Sa Majesté « et nos chefs, d’oublier les erreurs que nous « aurions pu commettre : nous promettons et « assurons, sur notre honneur, d’exécuter ponc-« tuellement toutes les règles de la discipline « militaire, et de ne jamais nous écarter des « décrets de l’Assemblée nationale sanctionnés « par le roi. « Nous invitons, en conséquence, MM. de la « garde nationale, de porter aux législateurs notre « soumission la plus parfaite, comme aussi de « réclamer la liberté des députes du régiment du « roi, arrêtés à Paris, d’invoquer l’indulgence de « l’Assemblée nationale pour eux, comme pour « nous-mêmes. Ils sont priés également dé s’ein-« ployer pour obtenir le redressement de nos << griefs, et nous mettre en situation de ne laisser « aucun doute sur notre patriotisme et nos vrais « sentiments, en promettant la soumission la « plus absolue pour tout ce qui sera décidé à cet « effet. » (Les signatures des députés de chaque compagnie des trois régiments.) MM. André et Henri, de la garde nationale de Nancy, furent députés auprès de vous, Messieurs, pour venir solliciter votre indulgence pour les soldats députés, et en même temps vous présenter l’acte de rep ntir des trois régiments. Vous tes avez entendus à la barre; mais ils ne pureut s’acquitter de leur mission, les désordres ayant recommencé dans ta ville depuis leur dépa t. M. Pescheloche, aide-najor de la garde parisienne, arriva le 21 à Nancy, avec les deux soldats que vos comités avaient cru de leur rudetice u’y envoyer : vous avez entendu les détails que cet officier vous a donnés à son retour : il m’a remis le journal exact des événements qui lui sont personnels pendant son séjour à Nancy : vous connaissez, Messieurs, le zèe de cet officier, et les soins actifs qu’il s’est donnés pour remettre le calme dans la garnison; mais, obligés impérieusement de nous en rapporter aux informations prises par MM. les commissaires, nousalluns continuer notre récit d’après leur rapport. L’événement qui aurait dû apporter le calme dans la garnison, va la replonger dans les plus grands excès. M. de Ma beigne arrive le 24: cet officier général avait l’ordre d’examineret derecevo ries comptes des différents régiments qui y étaient en garnison : les troubles de Nancy ôtaient déjà con ms, et le désir d’en imposer aux soldats détermina sans doute le choix de cet officier. Jamais son nom ne fut prononcéqu'à côtéd’unq action valeureuse; mais ce genre de gloire, qm lui est si parfaitement acquis, peut-être n’était pas celui qui étau le plus nécessaire dans cette circonstance. L’insurrection de Nancy avait sa source dans la différence d’opimon des h ibitants; il valait mieux les convaincre, que de tent -r de les soumettre par la force. Cet ancien général, accoutumé de marcher à la tête de soldats obéissants, crut devoir employer le ton qui lui avait tant de fois réussi; mais il ne servit (ainsi que vous allez en juger) qu’à aigrir les esprits davantage. Du moment que les soldats oublient le respect qu’ils doivent a leurs chefs, ils perdent toute mesure; et, en fait de discipline militaire, il n’y a point d’intervalle entre l’obéissance et le crime. M. de Mabeigne se rend aux casernes des Suisses; il examine leurs comptes avec les députés qu’ils avaient nommés : il accorde plusieurs de leurs demandes; mais il refuse une de celles qui lui sont faites : il représente aux soldais qu’il ne peut allouer cet article sans y être autorisé par l’Assemblée nationale; il propose aux soldats de rédiger un mémoire; il en charge l’un d’eux, nommé Cerisier, et il invite les députés de faire part au régiment de ces décisions. Il descend dans la cour du quartier, les Suisses y étaient rassemblés : il leur parle de leur faute, leur rappelle l'antique gloire de leur nation ; mais I s officiers suisses conviennent eux-mêmes que l’énergie de ses expressions avait abri les soldats sans les cor. vaincre; üs se (daignaient d’avoir éié insultés, et demandaient satisfaction. Le lendemain, malgré l’inqUietudedes officiers sur le retour de M. de Maiseigne au quartier, il voulut y aller, et il apprit en y entrant, de Cerisier , 280 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.] que son travail n’était pas fait, que les soldats n’étaient point d’accord. Deux hommes par compagnie furent rassemblés : on prit le vœu de ces députés : deux voulaient de l’argent, deux autres voulaientêtre jugés par les cantons suisses, et le reste acceptait la décision de l’Assemblée nationale. On porta au régiment le vœu de la majorité : tous les soldats s’écrièrent: De l'argent, et que le général juge tout de suite ; le général descendit; mais ils étaient trop animés pour l’entendre : ils se ressouvinrent du discours de la ville; iis lui en firent des reproches, et plusieurs criaient de ne point le laisser sortir du quartier. M. de Malseigne voulut sortir, quatre grenadiers étaient à la grille. Il existe trois rapports différents du fait qui se passa à cette époque; les officiers, les soldats comptent le fait diversement : écoutons M. de Malseigne lui-même, qui, en présence de trois soldats suisses, raconte à la municipalité son aventure, et elle est certifiée par les trois soldats suisses qui étaient présents : a qu’a-« lors il avait forcé la résistance qu’un lui oppo-« sait, et qu’il se retirait lorsqu’il vit venir à lui « des soldats qui lui présentaient la baïonnette, « et voulaient l’arrêter; qu’il avait tiré son épée « pour leur faire le commandement de se retirer; « mais que les soldats le menaçant, et poussant « près de son corps les baïonnettes, il s’était vu « forcé de parer leurs coups et de se défendre: « qu'il ne savait s’il en avait blessé quelques-uns; « mais que son épée s’étant rompue, il avait été u obligé de prendre celle du prévôt général. » Le point essentiel à constater, est que dans cette occasion M. de Malseigne a été grièvement insulté ; vous vous rappelez sans doute, Messieurs, que M. Pescheloche, en vous racontant ce fait, vous dit qu'il rencontra M. de Malseigne qui se retirait Vépée à la main, comme un officier doit serelirer en pareil cas , et sans marcher trop vite. Il s’était rendu chez M. Dénoué; mais incontinent, il fut assailli par une soixantaine de soldats de Ghâieauvieux. Les officiers du régiment du roi défendirent les portes sans se servir de leurs armes, et cette nouvelle s’étant répandue, le régiment du roi qui était rentré dans l’ordre, blâmant hautement la couduite des Suisses, marchait au nombre d’environ six cents hommes, pour dégager le général. M. de Gouvernet, qui se trouvait à Nancy, se mit dans le rang des grenadiers ainsi que M. Pescheloche. Le calme fut rétabli avant i’arivée de ce détachement, et M. de Lanjaniet fit le commandement de retourner au quartier. Le général renouvela encore ses propositions aux Suisses, rien ne put les ébranler : ils disaient que leurs députés seraient mis en prison comme ceux du régiment du roi; et ils ne voulurent jamais se rendre aux invitations pressantes de MM. Dénoué, Pescheloche, du président de la commune et de M. Gouvernet, qui offrait de les mener dans sa voiture. Les termes du procès-verbal de la municipalité annoncent que les soldats du régiment du roi et ceux de Mestre-de-camp improuvaient hautement la conduite des Suisses dans cette affaire. La journée du 26 se passa en démarches inutiles, pour amener les Suisses à un accommodement ; ils refusèrent même l’offre qu’on leur tit de consigner la somme qu’ils demandaient à la municipalité, jusqu’à la décision de l’Assemblée nationale. M. de Malseigne leur donna l’ordre de partir le lendemain pour Sarrelouis ; ils refusèrent d’obéir. C’est à cette époque où nous voyons M. Desmottes, aide-de-camp de M. de la Fayette, d’après les mesures concertées avec quelques membres du directoire du département et M. de Malseigne, faire partir dans la nuit plusieurs courriers porteurs d’une lettre dont M. de la Fayette l’avait fait dépositaire, et qui contenait une invitation fraternelle aux gardes nationales, dans le cas où leur concours serait requis. Le patriotisme de M. de la Fayette nous est connu à tous et nous ne pouvons douter quecene soit ce sentiment qui lui ait dicté ces sages mesures. Les gardes nationales de toute la France devaient se rappeler avec plaisir qu’il avait été leur organe à la prestation du serment de la fédération générale: nous devons encore ajouter qu’à cette époque on semait des bruits de contre-révolution en Lorraine, et qu’il y avait lieu de craindre que les gardes nationales n’eussent conçu les mêmes craintes. Cependant, comme il est de notre devoir de tout dire, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer qu’au milieu d’un peuple libre, la loi doit désormais avoir assez de poids sur les citoyens, pour les déterminer à obéir aux ordres des magistrats du peuple, sans avoir besoin d’y être invités par la confiance qu’ils peuvent avoir dans un ou plusieurs citoyens, et qu’il serait dangereux pour la liberté publique, que quelques-uns d’eux eussent assez d’influence pour déterminer, par une simple lettre, les gardes nationales éloignées à leur réquisition. M. Desmottes chargea également les courriers d’une lettre de sa part, dans laquelle il annonçait aux gardes citoyennes que le régiment de Cha-teauvieux était le seul qui persistait dans le désordre et que leur secours serait nécessaire s’il continuait de refuser d’obéir. Le lendemain 27, le directoire du département s’assembla à six heures du malin, et tit la réquisition qui avait été annoncée par les lettres de M. Desmottes. Elle était conçue en ces termes : « Vu la réquisition, en date d’hier, adressée « au directoire du département de la Meurthe, par « M. de Bouillé, officier général, etc.; toutes les « gardes nationales du département de la Meurthe, « armées de fusils, sont requises de se rendre « sans délai , en la ville de Nancy, pour prêter « mainforte conformément au décret sanctionné « par Sa Majesté, à M. de Malseigne, officier géné-« ral, employé dans ladite ville, pour l’exécution « des derniers décrets sur la discipline militaire en « se joignant aux troupes qui y seront employées « de même ; à l’effet de forcer le régiment suisse « de Chateauvieux, rebelle auxdits décrets, de « rentrer dans l’obéissance. » Cette réquisition fut sur-le-champ envoyée à la municipalité. La municipalité ni les officiers suisses ne firent dans cette journée aucunes tentatives pour déterminer le régiment de Ghâteauvieux à exécuter l’ordre, qu’il avait reçu, de partir pour Sarrelouis. Les gardes nationales arrivaient de tous côtés, elles avaient été prévenues pendant la nuit, et, dès le 27, un grand nombre s’était rendu à Nancy; quelques détachements étaient armés de fusils, d’autres étaient sans armes, mais toutes manquaient de munitions. Nous vous prions, Messieurs, d’observer combien il est pressant de pourvoir à l’armement des gardes nationales, surtout de celles qui sont (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.] sur nos frontières. L’établissement de cette armée de citoyens est le rempart de la liberté publique, et il est évident qu’il serait illusoire, si l’on négligeait plus longtemps de les mettre eu défense. Le régiment du roi, à cette époque du 27, était encore dans les mêmes sentiments qu’il avait manifestés depuis quelques jours, ceux de l’obéissance ; on en a une preuve certaine, puisque, le 27 au matin, ce régiment lit une députation au conseil d’administration des gardes nationales, pour leur représenter l’inutilité d’un si grand rassemblement de gardes nationales, disant que, s’il ne s’agissait que de soumettre le régiment de Châteauvieux, ils étaient plus que suffisants, réunis aux gardes nationales de la ville. Le commandant de la garde nationale répondit qu’il ignorait les motifs qui les avait fait appeler; mais qu’il était probable qu’elles ne s’étaient pas rendues à Nancy sans avoir reçu des ordres des corps administratifs. Les citoyens de la ville de Nancy témoignèrent également la même inquiétude; dix citoyens se présentèrent à la municipalité, et demandèrent la convocation générale de la commune. La municipalité, sans donner aucun motif de l’arrivée des gardes nationales voisines, leur répond qu’elle a obéi à la réquisition du directoire du département; elle refuse la convocation de la commune, en disant qu'elle seule est responsable de la tranquillité pttblique. L’ignorance où on laissait les citoyens, sur l’objet de l’arrivée des gardes citoyennes, et la méfiance qui, dans une ville divisée d’opinions, s’empare si facilement des esprits, furent cause que chacun des partis chercha à séduire et à entraîner dans le sien les gardes citoyennes nouvellement arrivées. On jeta quelques doutes sur M. de Malseigne ; on disait qu’il était un faux général, et qu’il venait avecM. de Bouillé pour faire une contre-révolution. M. de Malseigne assure avoir fait lire ses pouvoirs à la tête du régiment suisse; mais n’était-il pas du devoir des officiers publics n’atténuer ces propos séditieux en donnant à ces pouvoirs la plus grande authenticité? sans doute : cependant, ils gardèrent le silence, et ces bruits dangereux se propagèrent. Plusieurs voitures pleines de soldats suisses se promenèrent l’après-midi dans la ville et, par dérision du drapeau rouge, ils faisaient flotter un des stores de ia voiture, qu’ils avaient arraché, et venait à passer. Quiconque connaît à fond l’es-« prit infernal des ministres, et suit de près leurs <« manœuvres et leur activité, ne doutera pas un « instant qu’ils ne soient très capables de cette « démarche, et que pour éviter à leurs commis-« saires ordonnateur s le sort de Trouard , ils « iTaient eu l’idée de les patenter, sous prétexte « que le pouvoir exécutif a le droii, sans con-« sulter l’Assemblé> , de prendre les informations « sur les déparlements et municipalités. Nous « savons d’ailleurs que les projets actuels de la « cour, beaucoup mieux combinés que jamais, « sont, en ce moment, de faire tous les efforts « possibles, soit avec de l’argent, soit avec des « promesses, soit avec des intrigues bien liées, « pour corrompre des municipalités et des dé-« partements, et en même temps pour dissoudre « l’armée, afin qu’au milieu de l’automne et au « commencement de l’hiver, les brigands qui sont v i ta i de la fai e publier à Nmcy. L leur oh ena que dé, à il en avait envoyé plus de cent cm plante cxemplai-e-: : mais sa i-doute ils furent intercep é-, c < pourraient faire leurs réclamations qu’à i’i i s-« pecteur qui s> ra n mimé à cet effet, et pro* « noucer sur leur légitimité; ayant usé de vio-« lence non seulement contre leurs officiers, « mais encore contre l’officier général chargé de « l’examen et d>* la vénfi ation des comptes, « lequel officier ils ont vu arrêter, et q .e plu-« sœurs soldats ont tenté d’a�as-iner en pré-« sence de leurs camarades, qui les excitaient à « ce crime; ayant commis deuuis plusieurs jours « plusieurs actes de rébellion, le régiment de « Citât-auvieux partieuliè ement, s’étant refusé « d’en monder le repentir, de rentrer dans « l’ordre et d’obéir au décret qui l’ordonnait ; « avant de plus refuse d’exécuter l’ordre du roi, « qïii lui ordonnait de partir de Nancy, pour se « rendre à Sarrelouis, et rompu enfin tous les « liens de la discipline et de l’obéissance, au « mépris lies décrets de l’Assemblée nationale et « des ordres du roi, que la nation suisse a servi « avec faut de zèle, et une fidélité à laquelle, « depuis plusieurs siècles, aucun corps suisse « n’a manqué, et dont le régiment de Chàteau-« vieux do me l’exemple inoui jusqu’à ce jour; « des cavaliers de Mestre-de-camp ayant pour-« suivi M. de Malseigne, leur inspecteur géné-« ral, le sabre à la main, jusqu’aux portes de « Lunéville, y ayant attaqué les carabiniers ; « enfin une partie de cette garnisoD s’étant portée « hors de lu ville pour attaquer 1ns troupes des-« ti nées à assurer l’exécution des décrets de « l’Assemblœ nationale et des ordres du roi. « Etant donc nécessaire de réprimer de pareils « excès, de forcer à l'obéissance aux lois les « corps qui s’y seraient soustraits. « En vertu du décret de l’Assemblée nationale, « du 16 août, et des ordres du roi qui enjoignent « aux corps administratifs, aux gardes nationales, « aux troupes de ligne et aux généraux qui les « commandent, d’assurer l’exécution des lois et « du décret : d’employer tous les moyens que la « force peut donner pour faire rentrer les soldats « dans l’obéissance, et d’appuyer la justice à « laquelle les fauteurs et instigateurs de cette « rébellion doivent être livrés pour être jugés et « punis suivant la rigueur des lois. « Ordonnons aux troupes de marcher d’après « l’ordre qui leur en sera donné, et à l’heure « qui leur sera indiquée pour exécuter le décret « de l’Assemblée nationale, sanctionné par le roi, « conjointement avec les gardes nationales, qui « se réuniront à celles de Nancy, pour contraindre, « par la force, les soldats rebelles à la soumission 288 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.] « aux lois. Invitons les gardes nationales qui « sont dans les murs de Nancy, à se réunir aux « troupes qui marcheront pour l’exécution du « décret, au moment de leur arrivée aux portes « de cette ville, et engageons les fidèles soldais « et les bons citoyens à réunir leurs efforts en <, veitu de leur serment pour l’exécution des lois « et des décrets, et pour le rétablissement de « l’ordre et de ia tranquillité dans la ville de « Nancy. » « A Tou!, le 30 août 1790. Signé : BOUILLE. » Vous observerez, Messieurs, que M. de Golini était arrivé à quatre heures et demie à Nancy, et jusqu'à la fin nu jour, il y avau plus de temps qu’il n’en fallait pour donner à celte proclamation toute la publicité qu’elle méritait. Au lieu de cette sage mesure, on abandonna la garnison à son erreur. La journée du 30 se passa en préparatifs de défense que la garnison commandait et exécutait, et que les opérations timides des corps administratifs semblaient justifier. Nous voilà parvenus à la fatale journée du 31 août 1790, époque qui sera malheureusement fameuse dans notre histoire, résultat funeste des passions des hommes, de la diversité de leurs opinions, de la faiblesse de ceux qui par devoir devaient éclairer leurs concitoyens, et de la fureur d’une troupe égarée, qui, dans cette malheureuse journée, fut criminelle, en croyant défendre les lois de la Constitution. Le 31 août, à cinq heures du matin, M. Dénoué, toujours retenu aux casernes du régiment du roi, envoya à M. Poirson, président de ia commune, la lettre suivante de M. de Bouille : « Je suis arrivé en vertu d’un décret de l’Assem-« blée nationale sanctionné par ie roi, pour ré-« tablir l’ordre dans la ville de Nancy, et ia dis-« cipline parmi les troupes de cette ville. Si les « soldats, honteux de tant d’excès, veulent donner « un acte de repentir, le premier témoignage « que j’en demande, c’est la délivrance de M. de « Malseigne, à qui j’ordonne de venir me joindre « sur la route de Pont-à-Mausson, où je serai à « la tête des troupes sur les dix heures; je ferai « ensuite connaître mes ordres ultérieurs : sinon, « je rallierai aux troupes fidèles tous les bons « citoyens des gardes nationales; et les soldats « traîtres à la patrie verront ia nation entière « marcher contre eux pour punir leur rébellion, « et les forcer d’obéir à la loi et au roi. » M. Poirson porte cette lettre à i’hôtel-de-ville, et ce n’est pas sans étonnement que nous voyons qu’il est obligé d’en convoquer les membres : sur les sept heures du matin le conseil décide que cette lettre sera imprimée et répandue avec profusion ; il ne décide cependant pas qu’elle sera imprimée en placard et affichée. Cette précaution était indispensable pour désabuser toutes les classes des citoyens. Quatre officiers municipaux sont chargés de la porter à la garnison; et de reiour, ils annoncent que les soldats opposent toujours la plus criminelle résistance. En effet, les soldats continuèrent d’exiger des corps administratifs des décisions propres à confirmer l’erreur des citoyens, et à leur faire regarder ia défense de cette ville comme une défense légitime. Les soldais vinrent demander à la municipalité de laire battre la générale pour faire prendre les armes à tous les citoyens sans distinction; la municipalité les renvoie au département qui d’abord les refuse; et il finit par y consentir. La municipalité fait battre la générale; et le département requieit les carabiniers d’accourir à Nancy, pour la défense de ia ville. Les soldats du régiment du roi montent à l’hôtel-de-ville, ils se plaignent à la municipalité qu'étant chargés de pourvoir à la sûreté de la ville, ils sont, eux, obligés de tout faire; qu’ils ont placé les canons aux portes, maisqu’ilsne peuvent en même temps porter les armes et servir les pièces. ils demandent que le tambour de la ville batte la caisse pour inviter tous les citoyens qui ont servi dans l’artillerie de se rendre aux portes de la ville pour y manœuvrer le canon : les réflexions de la municipalité sont inutiles, et le tambour, au nom de là municipalité, fait cette funeste invitation aux citoyens. Elle produit l’effet le plus fatal. Un exemplaire de ia proclamation de M. de Bouillé se trouvait par hasard entre les mains d’un officier ou d’un soldat choyen : elle venait d’être lue à haute voix et elle, avait fait l’impression la plus favorable, lorsque le tambour de la municipalité vint en détruire l’effet, et persuader, plus que jamais, que la liberté de la ville était en danger Le corps municipal, toujours obéissant aux ordres des soldats, fit placer aux portes de la ville des détachements de la garde nationale avec ceux des troupes de ligne : les ordres étaient donnés verbalement au major qui les transmet-t ai l par écrit aux difiérents détachements. Ges malheureuses troupes trompées pouvaient-elles se dispenser d’obéir à des ordres aussi précis? Il est également certain que, par les ordres de la municipalité, et sur la demande des suidais, les gardes nationales furent chargées, pendant cette journée, du service intérieur de la ville. L’ordre est eu original dans les mains du commandant des gardes nationales ; il est conçu en ces termes : « MM. les officiers municipaux requièrent M. le « commandant de ia garde nationale de donner « les ordres nécessaires pour que les gardes na-« tionales qui sont en cette ville fassent le ser-« vice dans l’intérieur de la ville, aux beu et « place des troupes de ligne, qui en ont fait la -< demande, et qu’elles veillent à ia sûreté et tran-« quillite publique. » Aucunes démarches des corps administratifs ne désabusaient les citoyens qui, ne voyant pas la force qui les maîtrisait, obéissaient à tous les ordres qu’ils croyaient être donnés par leurs magistrats : on a vu des officiers du bailliage, des vieillards demander des fusils, et se mettre dans les rangs de la troupe nationale. Les soldats suisses exigèrent encore dans cette matinée, de leurs officiers, une somme de 27,000 livres. Les procès-verbaux rapportent que les officiers municipaux retournèrent au quartier du régiment du roi, vers dix heures du matin, et que les soldats commencèrent à faire quelques réflexions. M. Poirson, président de la commune, dit que les sobhts se présentèrent eux-mêmes pour engager le département à faire une députation à M. de Bouillé. Quaire soldats partirent pour aller trouver le général qui, pour lors, était a Frouare , environ à deux lieues de Nancy. On avait préparé des lettres circulaires, et les soldats du rêgimeul du roi se vantaient haute- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.] ment qu’avant une heure tous les soldats de l’armée de M. de Bouillé seraient désarmés. M. de Bouillé n’avait avec lui que des détachements de régiments; et les soldats de Nancy, voyant beaucoup d’uniformes differents, crurent son armée au moins de 15,000 hommes. Le général reçut la députation en présence de son armée; il leur dit qu’il ne pouvait entrer en explication avec des soldats rebelles, et leur dicta ses volontés. Les troupes de M. de Bouillé les accablèrent de mépris, et il fut obligé de leur donner une escorte pour assurer leur retour. Les officiers municipaux ne revinrent point à Nancy; ils demandèrent àM. de Bouillé un ordre pour rester auprès de lui, et il le leur refusa; ils s’excusent, en disant qu’ils étaient fatigués d’avoir été jusqu’à Frouard à pied; et l’on ne peut dissimuler que leur retour à Nancy, qui était si vivement attendu, aurait produit un effet bien différent de la lettre qu’ils envoyèrent, où les volontés de M. de Bouillé étaient tracées. Leur lettre était ainsi conçue : « Nous n’avons que l’instant de vous mander « les intentions de M. de Bouillé que voici : » 1° Il n’entend et ne veut entendre aucune « proposition de paix, que ses conditions ne « soient remplies ; « 2° Il exige que la garnison de Nancy sorte de <•> la ville, ayant à sa tête MM. de Malseigne et « Dénoué, ou qu’elle se range paisiblement « dans ses quartiers, après avoir remis les deux « généraux entre les mains du détachement qui « doit reconduire les députés; « 3° Que quatre hommes par régiment des plus « mutins, et reconnus pour chefs de la discorde, « soient à l’instant envoyés à l’Assemblée natio-« nale pour y être jugés suivant la rigueur des « lois. « Si les régiments persistent dans leur opiniâ-« treté, dans deux heures après l’arrivée des « députés, il entrera lui-même dans Nancy à « force ouverte, et se propose de passer au fil de « l’épée tout homme qui sera trouvé les armes à « la main. » Examinons maintenant l’ordre de M. de Bouillé avec impartialité; depuis que je suis chargé de ce rapport, j’ai souvent entendu des plaintes contre sa sévérité. M. de Bouillé arrivait à Nancy pour faire obéir au décret de l’Assemblée nationale. La garnison de Nancy avait outragé la loi, devait-il capituler avec elle? Non, sans doute. Cependant il leur prescrit ce qu’ils ont à faire pour montrer leur soumission; c’est à ce prix qu’il suspend le glaive de la loi. Ce ton-là était le seul qu’il devait employer pour inspirer le respect et la terreur qui doivent accompagner celui qui marche à ce nom sacré. Nous devons, en même temps, lui dire qu’on lui reproche la demande qu’il a faite de quatre soldats des différents corps pour les envoyer à l’Assemblée nationale. Nous ne pouvons nous empêcher de remarquer qu’au degré d’effervescence qui existait dans la garnison, il ne pouvait espérer qu’elle obéirait à un ordre aussi rigoureux. Nous n’avons qu’une question à lui faire : quelles personnes auraient pu déterminer le choix des victimes? Il connaît mieux que nous l’importance de ne donner que des ordres que l’on puisse éluder, et l’impartialité des représentants de la nation les oblige de dire que cet ordre leur a paru impossible dans l’exécution. lrt Série. T. XXI. 289 Cette lettre arriva à Nancy vers trois heures après midi. Les soldats qui commençaient à connaître toute l’irrégularité de leur conduite, inquiets de leur situation et de l’approche de M. de Bouillé, s’étaient déterminés d’eux-mèmes à envoyer une seconde députation, composée de quatre soldats de chaque régiment. Elle joignit M. de Bouillé, qui se trouvait alors plus près de la ville avec son armée. Il reçut encore cette seconde députation, et en leur présence il dicta la réponse. Elle est écrite de la main de M. de Gouvernet et signée par le général : « Dans une heure, M. de Malseigne et M. De-« noue seront dehors de la ville, ainsi que « les trois régiments, reposés sur les armes et « attendant mes ordres; sinon j’entre à coups de « canon. « Signé : BOUILLÉ. » Ces députés revinrent à Nancy et s’empressèrent de publier la volonté de M. de Bouillé. Il ne parait pas que cette seconde réponse ait influé sur le parti que les régiments avaient résolu de prendre. La première députation était de retour à trois heures, ainsi que nous l’avons dit ci-dessus; la municipalité fit imprimer sur-le-champ la lettre qu’elle venait de recevoir; elle fut lue à quelques gardes nationales rassemblées sur la place royale. On peut assurer que la totalité des gardes nationales et des citoyens eu ait eu connaissauce; car, malgré les ordres que la municipalité avait donnés aux gardes citoyennes de se rassembler sur la place, elle avait également ordonné de laisser aux portes les gardes nationales qui y étaient placées. Nous devons dire qu’elle a requis les officiers de faire lire cette lettre aux gardes nationales qui se trouvaient aux portes, et de leur ordonner de poser leurs armes dès que M. de Bouillé paraîtrait. Ces précautions ne furent pas sans doute suffisantes an milieu du trouble qui existait, MM. les commissaires, malgré leurs reclieimfies, n’ont pu se procurer les preuves de leur entière exécution. Cependant les soldats du régiment du roi s’étaient retires à leur quartier. On leur avait lu la lettre du général; on leur avait fait l’énumération de ses forces; ils connaissaient les dispositions des troupes, par la manière dont les députés avaient été traitas, ils se mirent unanimement à crier : La loi! la loi! et se déterminèrent à souscrire aux ordres du général. Ils envoyèrent aux autres régiments faire part de leurs résolutions, et ceux-ci promirent d’imiter leur exemple. H était pour lors quatre heures du soir. Une députation du régiment du roi vint annoncer à la municipalité la résolution des régiments. Ou les conjura de l’exécuter et, en passant sur la place Royale, Ils en prévinrent les gardes nationales, et ils en furent reçus avec transport. Quelques moments après on vit passer M. De noue sur la place Royale, à la tête d’un détachement de grenadiers et de chasseurs; il allait à la Conciergerie délivrer M. de Malseigne ; mais les soldats, qui gardaient ce général, refusèrent de le rendre, et menaçaient sa vie ; on courut avertir la municipalité de ce nouvel incident : Ideux officiers municipaux et deux notables se transportèrent sur-le-champ à la prison, avec 19 290 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.] leurs écharpes, et délivrèrent M. de Malseigne. Cette circonstance, Messieurs, ne vous échappera pas : au moment où les soldats paraissaient le plus animés, deux officiers municipaux, revêtus de leurs écharpes, paraissent et les calment. L’aspect imposant des organes de la loi, suffit pour suspendre leur fureur ; quelle leçon terrible pour les corps administratifs, de ne s’être pas servis de leur influence pour éclairer tes citoyens! et quelles preuves plus évidentes pouvez-vous avoir de l’erreur où la garnison était des véritables motifs de l’arrivée de M. de Bonifié ? Ces infortunés soldats croyaient défendre la loi ; puisqu’ils obéissaient aux officiers municipaux, du moment que ceux-ci les commandaient. On fait entrer les deux généraux dans une voitue, et on les conduit au camp de M. de Bouillé, à travers mille dangers et une multitude extrêmement animée. Les grenadiers qui les escortaient, craignant quelques coups désespérés, leur firent prendre un chemin détourné et plus long, et la municipalité, sentant combien il était nécessaire que M. de Bouillé fût instruit de ces details, députa vers lut deux officiers municipaux, et deux notables pour lui apprendre la soumission des régiments. Dans ce même temps les trois régiments, ayant à leur tête un grand nombre de b urs officiers, sortaient de la ville pour se ranger en bataille dans la prairie, près du pont de Maxeville, et dans le faubourg des Trois-Maisons, conformément aux ordres qu’ils en avaient reçus du général. A cette époque une compagnie de gardes nationales, commandée par M. de La Cour, des ci-devant gardes-françaises , qui était passée dans le faubourg des Trois-Maisons, se rendit tout entière à l’armée de M. de Bouillé. On avait répandu dans la ville le bruit de la paix faite ; un garde nationale à cheval parcourait les rues, et annonçait cette heureuse nouvelle. On assure que Nancy renfermait dans son sein une multitude d’étrangers mal intentionnés, d’inconnus intéressés au désordre ; c’est un fait que l’on ne peut contester. Il est également certain que les compagnies de gardes nationales fixées à un nombre déterminé, se sont trouvées portées à un nombre beaucoup plus considérable ; et que la plupart n’étaient pas connues de leurs officiers. Il est également prouvé que même des citoyens de Nancy ont résisté opiniâtrement aux apparences ue la paix, et l’on entendait se mêler à ce nom touchant et consolateur, ceux de perfidie et de trahison. Les soldats qui conduisaient MM. Dénoué et de Malseigne disaient : Nous sommes trahis, on nous livre , on nous mène au supplice ; d’autres couchaient en joue les généraux que des citoyens couvraient de leurs corps. Cependant les portes de Stainville et de Stanislas étaient toujours gardées par des détachements des trois régiments et de la garde nationale. Ces soldats résistaient opiniâtrement aux ordres de leurs officiers : les gardes nationales qui voulaient quitter leurs postes étaient menacées par les soldats, et même par quelques-uns de leurs camarades. Les gardes nationales n’avaient pas encore reçu Tordre de la municipalité de se retirer ; cet ordre a été donné très tard, peut-être même après les premières hostilités. M. Poirson dit que cet ordre n’a été donné qu’au raomeut où l’on fut certain que les troupes sortaient de la ville et que cette précaution avait été nécessaire, parce que la garnison avait menacé la garde de tirer sur elle, si elle V abandonnait ; il n était pas sûr de la faire retirer avant de s' cire assuré de la sortie des troupes. Or, il est certain que l’instant de la sortie des troupes et de la première fusillade a été très voisin. Un officier du régiment du roi rapporte que son régiment et le régiment de Ghâteauvieux, soi tant par deux portes différentes, se rencontrèrent et furent étonnés d’entendre des coups de fusil à la porte de Stainville. Le rapport des officiers suisses est le même. Il est donc évident que l’ordre donné par la municipalité aux gardes nationales de se retirer n’est arrivé qu’après les premières hostilités. MM. Dénoué et Malseigne venaient d’être remis entre les mains de M. de Bouille, qui les avait embrassés devant toute l’armée. Ce généra), dans la persuasion que la paix était conclue, envoie à Nancy dix soldats de la garde nationale de Metz, pour marquer les logements. D est essentiel, Messieurs, de ne pas perdre de vue dans ce moment une seule circonstance. Ecoutons d’aborrl M. de Bouillé dans le récit qu’il fait lui-même : « J'approchai mon avant-garde des portes de la " ville, qui étaient garnies de troupes du peuple « armées, et de canons. D me vint encore une « députation de la municipalité et des officiers du « régiment du roi ; je fis arrêter une seconde fois « les troupes à trente pas des portes, et je pus « parler aux députés qui étaient sortis par une « autre. Leur ayant répété ce que je leur avais « déjà dit, sur la sortie de la garnison fiors de « la ville pour y recevoir mes ordres, ils me di-« rent qu’on sortait pour les exécuter, et que les « régiments se rendaient dans une prairie voi-« sine que j’avais indiquée, et qui était sur ma « gauche. « Je partis sur-le-champ pour aller joindre « mon avant-garde, et empêcher qu’il ne se « commît aucune hostilité, ayant entendu déjà « tirer quelques coups de fusil. En même temps « qu’une partie de la garnison sortait par une « des portes, celle vis-à-vis de laquelle était mon <• avant-garde, était toujours fermée et gardée par « des soldats des trois régiments, du canon chargé « à mitraille, et du peuple. Je fis toujours avan-« cer les volontaires qui étaient à la tête de la « colonne, et deux pièces de canon, avec ordre « d’entrer de force si l’on s’opposait à leur pas-« sage. Je fis sommer en même temps la garde « de cette porte de se rendre, le reste de la gar-« nison étant déjà hors de la ville et disposé à se « soumettre; ils y répondirent par un coup de « canon chargé à mitraille, et une décharge de « mousqueterie, qui tua le capitaine, deux offi-« ciers et la moitié des volontaires, lesquels « ripostèrent par une décharge, et enfoncèrent « les portes. Alors fine fut plus possible de rete-« nir les troupes; je fis avancer pour soutenir « l’avant-garde, les grenadiers et les Suisses qui « suivaient; ils forcèrent le poste, s’emparèrent « du canon, tuèrent ce qu’ils rencontrèrent, et « débouchèrent sur une grande place qui abou-« tissait à la porte; je les y suivis et les formai « eu bataille avec une centaine de hussards. Nous « fûmes bientôt assaillis de coups de fusil, des « maisons voisines et des débouchés de toutes « les rues. Pour nous soutenir je fus forcé de « faire avancer mes troupes, et de les faire attaquer [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790. J « par les différentes rues pour gagner les points « principaux de la ville et les casernes des trou-« pes. Les officiers et les soldais, persuadés qu’ils « étaient trahis par la garnison, furent animés « d’une ardeur qu’il ne fut plus possible, et « qu’il eût même été dangereux d’arrêier. Il s’en-« gagea un combat furieux dans les rues, qui « dura près de trois heures. Je n’avais que « 2,400 hommes d’infanterie de ligne et 7 à 800 « hommes de gardes nationales, tant de Metz que « de Toul, de Pont-à-Mousson et des environs; « les troupes et la populace armée, formaient « plus de 10,000 hommes. » Maintenant, Messieurs, examinons ce qui se passa dans l’intérieur de la ville quelques instants avant les premiers coups tirés. Les régiments obéissaient aux ordres de M. de Bouillé : ils étaient sortis de la ville, tout annonçait la paix; mais les portes étaient encore gardées par quelques détachements qui, ignorant peut-être le parti sage que leurs camarades avaient pris, crurent ne pas devoir abandonner le poste qui leur était confié. L’armée de M. de Bouillé n’était plus qu’à trente pas de la porte de Staiu ville : la paix que l’on avait prononcée comme certaine ôtait toute défiance à ces troupes; on n’a pu découvrir ce qui redoubla la rage du détachement qui défendait cette porte : l’ordre de mettre le feu au canon fat donné. Je suspends, Messieurs, pour un moment, l’horreur que vous inspire une résolution aussi désespérée; détournez les yeux de cette affreuse tragédie, et si dans cette malheureuse journée nous avons à gémir de trouver des Français criminels et parjures à leurs serments, nous avons à nous glorifier de l’action héroïque du jeune et valeureux Desille, dont vous connaissez déjà tous les détails. Mais dans ce moment c’est la nation elle-même qui transmet aux races futures le noble dévouement de ce jeune héros et qui honore sa tombe de ses regrets. L’ordre fatal était donné de mettre le feu au canon : Desille ne consulte que le salut et l’honneur de ses concitoyens, il se jette sur les pièces, les couvre de son corps: « Qu’allez-vous faire ? * dit-il arrêtez! Serez-vous assez criminels pour « tirer sur vos frères qui viennent ici vous dé-« fendre de vos propres fureurs? Si rien ne peut « suspendre votre rage, tirez 1 Desille ne verra pas « le crime du régiment du roi ! » MM. Desbourbes et Nicolas, deux citoyens vertueux, amis des lois et de la liberté, se joignent à Desille et le serrent dans leurs bras. On les arrache avec fureur de dessus les pièces; l’intrépide Desille se place entre les rebelles et l’armée de M. de Bouillé : le crime se consomme, on met le feu au canon; la mort vole de toutes parts, et l’infortuné Desille tombe percé de quatre coups de feu. Brave Desille, la nation vous honore; elle a détruit les vaines distinctions delà naissance; mais votre nom n’en sera que plus célèbre dans les siècles à venir. Notre sainte Constitution est fondée sur la justice et la bienfaisance : vous êtes mort pour elle, nous adoptons votre famille. C’est un bien qui nous appartient. Un jeune citoyen de Nancy, nommé Haener, voyant Desille percé de coups, se jette au milieu des combattants, l’emporte dans ses bras ; et nous lui devrions les jours de ce héros, sl les blessures n’eussent pas été mortelles; nous devons à son action des éloges et des marques d’estime. MM. Desbourbes et Nicolas se rendirent à 291 l’hôtel de ville, et le combat était engagé au moment de leur arrivée. Le corps municipal, ayant requis le commandant des gardes nationales de les faire retirer, se trouvait exposé aux menaces des étrangers et des inconnus, qui ne voulaient pas exécuter l’ordre et qui voulaient empêcher les autres de l’exécuter. � Il est donc prouvé, par tous les rapports, que l’ordre donné par la municipalité aux gardes nationales de se retirer, a été donné si tard que la plupart n’ont pu en avoir connaissance, le feu ayant commencé, peut-être, avant que l’ordre fût donné. MM. les commissaires ont deux déclarations, dont l’une atteste que lorsque l’on entendit delà place Royale une décharge de grosse artillerie, suivie d’une fusillade bien soutenue; on n’avait pas eu le temps de porter l’ordre à toutes les compagnies de se retirer; et dont l’autre atteste,. que lorsque l’on donna les ordres de se retirer, le feu était commencé depuis quelques minutes. Par le détail de M. de Bouillé, que je vous ai lu, vous avez vu, Messieurs, que le moment où l’on tira sur ses troupes fut celui où son armée enfonça les portes et pénétra dans la ville. Municipalité de Nancy, dans le résumé que nous ferons, nous examinerons la conduite que vous avez tenue dans cette circonstance critique. Poursuivons et achevons ce funeste récit. M. de Bouillé, sur la nouvelle qui semblait assurer la paix, avait, comme je l’ai dit ci-dessus, envoyé dix gardes nationales de Metz pour préparer des logements. Il avait changé la disposition de sa marche; son armée, divisée d’abord en deux colonnes, devait entrer de la ville par les portes de Stain ville et de Stanislas. Croyant ne plus trouver de résistance, il la fit ranger sur une seule colonne pour entrer par la porte de Stainville. Il avait demandé aux officiers municipaux le chemin le plus court pour aller trouver les régiments qui l’attendaient dans la prairie. MM. Dénoué et de Malseigne étaient arrivés sur ces entrefaites, il conversait avec eux et les officiers municipaux, et les assurait que si les troupes de Nancy tenaient leur parole, il n’y aurait pas une amorce de brûlée. Tels étaient ses discours, lorsque deux officiers vinrent l’avertir de quelques mouvements : il piqua son cheval du côté de la ville, et on entendit un coup de canon et des coups de fusil. Il serait intéressant de connaître celui qui a mis le feu au canon; on assure que ce fut un cavalier de Mestre-de-camp, qui tira son mousqueton sur la lumière; celui-ci s’en défend, et produit des témoins qui assurent que, parmi les soldats tués à cette porte, on a trouvé une mèche allumée entre les mains d’un soldat suisse. Ce qu’il y a de certain, c’est que les premiers coups out été tirés par les soldats qui gardaient les portes, et que c’est à la porte de Stainville que le feu a commencé. On ne peut se peindre la commotion universelle produite par ce signal de guerre, au moment où tout le monde commençait à croire à la paix; la ville retentit des cris de perfidie et de trahison. Les trois régiments qui étaient hors de la ville, reposés sur les armes, ainsi que l’ordre de M. de Bouillé le prescrivait, au bruit du canon et des coups de fusil, partagés entre la soumission et la fureur, s’ébranlent, rentrent dans la ville au pas de charge, et cependant à l’exception d’une centaine d’hommes qui se débandèrent dans les rues, 292 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.) le régiment dn roi rentra dans son quartier, et Chânauvieux à la citadelle. Le tégi (oent de Mesire-de-camp fut plus difficile à co tenir; M. de Burgat, lieutenant-colonel, s’é ail absente au moment où le régiment venait de sortir de la ville, les cavaliers s’imaginè ent qu’il avait été se joindre à M. de Bouillé; ils se dispersèrent par bandes pour le chercher : ils furent cependant contenus par MM. Danglant et de Bassignac. Je suis avec plaisir dans ce moment le rapport de MM. les commissaires : ils disent, en parlant de ce s deux officiers, qu’on ne peut trop recommandi r, à la naiion et au roi, lems bons prn cipes et leur lionne conduite. Bans le même temps la municipalité ne pouvait faire exécuter l’ordre tardif qu’elle avait donné aux gardes nationales de se retirer. Ceux qui voulaient obéir étaient appelés lâches . traîtres , menacés et poursuivis par ceux qui voulaient voir de la trahison jusque dans l’exccutiou de cet ordre. La municipalité fut dans ce moment en but à leur fureur; on tira quelques coups de fusil dans les fenêtres de la salle où elle était rassemblée; et les dix des gardes nationales de Metz, venues pour les logements, jutèrent de la défendre si elle était attaquée. Le récit imprimé de la municipalité ajoute qu’une pièce de canon a été braquée contre l'hôiel de ville, et qu’un oilicier de l’armée de M. de Buuilié avait sabré celui qui allait y mettre le feu . Le fait est exact, excepté la direction de la pièce qui était poiDtée sur une colonne des troupes de M. de Bouillé qui arrivait par la rue de l’Esplanade. Il est prouvé que ce sont des étrangers, pour la plupait inconnus, qui, joints aux soldats dispersés, se sont jetés dans les maisons pour fusilier par les caves et fenêtres : que les mêmes hommes attendaient au coin de la rue les détachemeuts de l’armée de M. de Bouillé, faisaient feu sur eux, et se portaient ensuite au coin d’une autre rue. M. Pointcarié, commandant de la garde nationale, lut exposé au plus grand daDger, eu voulant suspendre leur iureur. A l’attaque imprévue de la porte de Stainville, M. de Bouille avait repr s sa première disposition; une coloni e entrait par la porte Stainville, et l’autre fut également forcée de combattre pour forcer la porte Stauislas : la grille en fut ouverte à coups de canon; et cette colonne en entrant fut également fusillée des fenêtres et des caves des maisons voisines. Je ne vous ferai point, Messieurs, l’horrible récit des cruautés inouïes qui furent exercées dans ce moment. C’est un des malheurs des hommes de perdre tout sentiment d’humanité dans les guerres d’opinion ; et nous en avons depuis longtemps la triste expérience. Tous les citoyens sont égaux devant vous. Dans les registres de la municipalité, il est dit qu’une pauvre femme, celle du sieur Humbert , consigne d'une des portes, après avoir tenté tous les moyens de calmer la fureur des soldats, couraDt le hasard d’être massacrée par eux, jeta sur la lumière d’un canon où ils allaient mettre le feu, un vase plein d’eau, et qu’elle empêcha cette pièce de partir. Femme Humbert, la Dation vous marque son estime de cet acte de patriotisme l MM. les commissaires louent la conduite généreuse des troupes de M. de Bouillé, qui n’ont jamais opposé aux attaques perfides et meurtrières qu’on leur faisait, qu’une courageuse indulgence. La colère < t la vei geance pouvaient porter le fer et le feu dans les maisons, d’où la mort sortait presque sûre de l’impunité. Eh bien! ces maisons ont été respectées, et aucune propriété n’a été violée. Ils ajoutent que l’on a particulièrement remarqué l’acharnement du régiment de Lbâteauvieux. Le relevé exact des enterrements fait par la municipalité porte le nombre des morts de celte journée à 94, saos compter les blessés qui sont en grand nombre, et dont plusieurs oui déjà péri. A sept heures du soir M. de Bouillé était maître de tous les portes. (C’est lui qui parle en ce moment.) « Je fus seul au quartier du régiment du « roi; je les trouvai eu bataille : dès qu’ils me <« virent, ils s'écrièrent qu’ils allaient mettre bas « les armes ; ils me témoignèrent leur repentir ; « je leur remontrai leurs fautes ; ils m’assurèrent « quecen’étaient point eux qui avaient commencé « les hostilités ; ils me parurent très repentants ; « je leur ordonnai de sortir de la ville et de «■ prendre le chemin de Verdun ; à huit heures « ils éiaient en roule avec un détachement de « hussards, que les so dats m’ont demandé pour « les garantir de la fureur des troupes. On con-« tinuait encore à tirer dans la ville, mais à huit « heures le feu cessa. J’envoyai des ordres aux « débris de Chàteauvieux de partir sur-le-champ « avec les ofticiers pour Vie et Marsal , ce qui fut « exécuté. Je me rendis ensuite à l’hôiel de « ville : je m’occupai avec le directoire et le dé-« partement du rétablissement de l’ordre ; au-« jourd’hui tout est calme, les citoyens sont dans « la plus entière satisfaction; j’ai fait rentrer, « dans leurs quartiers respectifs, une partie des « troupes, et je n’ai gardé ici que trois bataillons « suisses avec 300 hommes du régiment Royal-« liégeois, et 5 ou 6 escadrons. J’ai ramassé les « prisonniers des régiments rebelles, qui se mon-« lent à 400, et j’ai remis au ministère public « ceux qui m’ont été désignés comme les plus « coupables; je prendrai vos ordres pour les sol-« dats pris les armes à la main ; pour ceux de « Chàteauvieux, je fais teoir demain un conseil « de guerre, par les deux autres régiments « suisses, pour juger les coupables de ce régi-« ment, conformément aux lois particulières des « Suisses; je présume qu’il y eu aura beaucoup * de condamnés à être pendus. Il est bien néces-« saire de profiter de cet événement et de la cir-« constance pour faire un exemple imposant pour « l’armée, et utile à la chose publique. « Les gardes nationales de Metz, ainsi que cel-« les des environs, ses ont conduites avec un zèle, « un courage et un dévouement à la chose pu-« blique, qui leur fait infiniment d’honneur. Je « recommande à la nation et au roi les veuves et « les enfants de ces malheureuses victimes de « l’exécution des lois. « Aucun citoyen, à l’exception de ceux qui ont « été vus les armes à la main, n’a été molesté, et « la discipline la plus exacte a régné parmi les « troupes, qui méritent les plus grands éloges « par leur courage et leur zèle patriotique. » Le lendemain de cette fatale journée, la proclamation de M. de Bouillé, qui devait apprendre aux citoyens de Nancy les motifs de son arrivée, fut affichée, et leur apprit ce qu’il avait fait. » Examinons ce qui se passa à Nancy les jours qui suivirent la fatale journée du 31. M. de Bouillé observa lui-même, et témoigna 293 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.] son étonnement de ce que les gardes nationales ne faisaient aucun service ; cette observation en fit placer une en sentinelle à la porte de la municipalité. On lui demanda des ordres pour régler ce qui pouvait intéresser la police et l'administration, ou plutôt ce qui intéressait l’opinion alors dominante, pour réformer la garde nationale, pour emprisonner les personnes que l’on désignait ; pour fermer et saisir dans ses papiers le club patriotique, auquel on affectait d’attribuer les fautes de la garnison et les malheurs de la ville : on voulut, sans le dire, donner à M. de Bouillé une autorité dictatoriale. Je répète les propres termes de MM. les commissaires, i i s sont précieux et jetteront un grand jour sur ia conduite de M. ne Bouillé. Le général déclare qu’il n’était venu que pour exécuter le décret de l’Assemblée nationale, et réduire par la force, puisque la force avait été indispensable, une garnison rebelle ; qu’il n’avait dans la ville aucune autorité administrative ;que les administrateurs étaient en fonctions, qu’ils pouvaient désormais les exercer paisiblement. Instruit par des demandes réitéré s que l’on continuait à saisir, en sens inverse, l’objet de sa mission, M. de Bouillé, après avoir réglé toutes les choses militaires, s’est éloigné de Nancy dès le 2 de septembre, le surlendemain de son expédition. Ce fut à cette époque, Messieurs, que vous apprîtes les malheurs de Nancy, par une lettre officielle de M. de la Tour-du-Pin ; elle était accompagnée d’uue lettre de la main du roi; je dois ia remettre sous vos yeux. Que ceux qui csent protester contre vosdécrets, l’écoutentavec attention; ils y verront le chef suprême de l’armée leur donner l’exemple du respect que l’on doit avoir pour la loi , et le serment civique que chacun de nous a prononcé. Ils y verront la douleur du premier citoyen du royaume, en voyant sesenfauts s’égarer, et la confiance qu’il a dans la nation, en ne doutant pas de son retour à l’ordre et à l’obéissance aux lois : « Saint-Cloud, le 2 septembre 1790. « Messieurs, « J’ai chargé M. de la Tour-du-Pin de vous « informer des événements quiont rétabli l’ordre « et la paix dans la ville de Nancy. Nous le de-« vons à la fermeté et à la bonne conduite de « M. de Bouillé, à la fidelité des gardes nationales « et des troupes qui, sous ses ordres, se sont « montrées soumises à leur serment et à la loi. Je « suis douloureusement affecté de ce que l’ordre « n’a pu être rétabli sans effusion de sang; mais « j’espère que ce sera pour la dernière lois et « que désormais on ne verra plus aucun régi-« ment se soustraire à la discipline militaire, « sans laquelle une armée deviendrait le fléau « d’un Etat. » Signé : Louis. » Les malheurs de Nancy furent racontés de tant de manières différentes, que vous dccniâtesdaus votre sagesse de pri r le roi d’envoyer de-commissaires pourconnaiire leicoupables, dequelque qualité et condition qu’ils fussent. MM. Gainer de Gerville et Duveyrier furent nommés par le roi, et c’est d’après leur intéressant rapport que je viens de parler. Il nous reste à connaître la situation de Nancy au moment de leur arrivée, et cet examen fixera votre opinion sur les causes de cette fatale insurrection. Vous connaissez, Messieurs, les jugements rendus par les justices réunies îles régira mts de Vigie et de Castella. Vingt-trois soldatsdu régiment de Cbàteauvieux furent condamnés à la mort, quarante et un aux galères pour trente années et soixante et onze renvoyés à la justice de leur régiment. Nous détournons les yeux de cette sanglante exécution ; ils ont été jugés suivant les lois de leur pays : cet examen n’est pas de notre compétence, la r ligion et les lois d’u e nation doivent être res -e ;table-< pom des législateurs. La capitulation, aveu les cantons s lisses, est à l’instant de se reno iveler, et nous formons des \œux pour qu’un des articles de ce traité fasse jouir ceux de Cette brave et généreuse nation, qui sont pour ainsi dire naturalisés avec nous, des avantages de notre heureuse Constitution, en les assimilant aux mê ries formes que nous, pour la tenue des conseils de guerre. MM. les commissaires arrivèrent le 5 à Nancy. Dans quel état ont-ils trouvé cette ville infortunée? la terreur et la consternation étaient peintes sur tous les visages ; les soldats en exagérant leur patriotisme étaient tombas dans les fautes les plus criminelles ; tous les citoyens qui, depuis le commencement de la Révolution, avaient manifesté leurs sentiments avec quelque énergie, furent regardés et traités comme complices des soldats ; plusieurs d’entre eux (M. Molevaut entre autres, un des meilleurs citoyens de Naucy) furent insultés publiquement aux cérémonies funèbres qui furent faites aux houorables martyrs de la loi. On dirigea contre eux cette procédure décrétée le 16 contre les instigateurs des troubles : les magistrats de Nancy suivirent alors l’exécrable exemple que le tribunal de Paris venait de leur donner ; ils voulurent faire le pro ies à la Révolution, et les citoyens, les plus recommandables par leur vertu et leur patriotisme, furent décrétés. Un propos insignifiant, uu geste de curiosité, un sourire, furent des motifs suffisants pour déterminer leur décret ; et c’est avec horreur que nous avons vu ces juges, le directoire du département et la municipalité, demander que l’Assemblée nationale leuraccordàt tes pouvoirs en dernier ressort et sans appel. Toutes les formes inquisitoriales furent employées; on lança un monitoire, nous eu avons remis uu exemplaire au comité de Constitution; sans doute, il vous présente a ses réflexions sur cet usage barbare qui ne tend qu’à alarmer les consciences. Nous avons lieu d’espérer qu’avec l’beureuse Constitution que nous veuuns d adopter, ces formes serout désormais inutiles pour engager les bons citoyens a dénoncer ceux qui voudront s’opposer à l’exécution des lois. Les couleurs nationales étaient proscrites, la cocarde et l’uniforme forcés de secacber : la municipalité avait désarme la garde nationale: chacune des compagnies se regardait comme irréprochable ; mais dans le nombre des capitaiues, il y eu avait qui voulaient qu’elles fussent recréées de nouveau et composées suivant leurs déiestables principes. Pendant la journée du 31, les soldats vainqueurs arrêtaient tous Ceux qu’ils trouvaient tes armes à ia uiaiu , mais les jours sutvauts tes proscriptions commuaient eueore, ou emprisonnait sans forme, sans décret, et sans qu’il fût [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.] 294 possible de connaître la puissance en vertu de laquelle on emprisonnait. Les prisons étaient pleines, les boutiques étaient fermées, et U s émigrations étaient nombreuses. M. rie Bouillé avait refusé l’ordre qu’on lui demandait pour faire fermer le club pa rio-tique. M. Dénoué se transporte à la municipalité, avec un ollicier rie Royal-Normandie, et dénonce le club, disant que l’on y attirait déjà des soldats de lu nouvelle garnison, et qu’il était instant de prévenir les effets des séductions dont la garnison précédante avait été victime. La municipalité n’hésite pas un moment; elle envoie deux de ses membres, accompagnés d’une trentaine de soldats, au lieu des séances de cette société; elle se fait ouvrir les armoires et bureaux, s’empare de tous les papiers en l’absence de tous les membres, sans en faire aucun inventaire; et fière de cette capture, elle envoie aubailliage ces pièces, pour être jointes à la procédure instruite contre les instigateurs de la révolte des troupes. Quelques soldats de la garnison nouvelle, dont la modération avait été recommandable, tirent éclater quelques signes de ressentiment contre les habitants de Nancy. Il y eut des plaintes fréquentes, des insultes faites aux femmes et aux cabaretiers, et il y avait tout lieu de craindre que la garnison ne voulut prendre le ton d’une armée victorieuse. Les pays voisins manifestaient ouvertement, contre les habitants de Nancy, des sentiments de colère et de vengeance, et ils s’exhalaient à Metz avec plus de vivacité que partout ailleurs. MM. les commissaires, en apprenant ces détails, connurent toute la difficulté de la commission dont ils étaient chargés; ils jugèrent qu’une commotion violente et un développement subit de l’autorité qui leur était contiée, pouvait tout perdre, et ils préférèrent la voix de la conciliation, qui finit toujours par triompher lorsqu’elle est employée avec les formes douces qui inspirent la confiance. Je me sers de leurs propres expressions; « ils crurent qu’il suffisait, « pour rétablir l’équilibre, d’appliquer quelque * baume sur cette blessure profonde, et de ré-« pandre partout l'influence du génie de i’As-« semblée nationale et des vertus de Sa Ma-« jesté! Leur première visite fut au brave Desille; il vivait encore! Ils le trouvèrent dans son lit de douleur; il écouta le décret de l’Assemblée nationale, les mains jointes et les yeux remplis de larmes; il le prit de ses mains défaillantes, et le porta sur son cœur, avec ce saint respect que tout citoyen doit avoir quand il entend la loi elle-même applaudir à ses actions. MM. les commissaires déclarèrent que leurs maisons seraient ouvertes à tous les citoyens : ceux-ci commencèrent à reprendre quelques espérances quand ils furent certains de la bienveillance de ceux qui les écoutaient, ils jugèrent qu’on leur avait envoyé des consolateurs, et ils osèrent faire entendre leurs plaintes. Nous ne devons point oublier dans ce moment que MM. les commissaires distinguent MM. Biaise, Poirson, Molevaut, Desbourbes et Nicolas comme des citoyens et des magistrats dignes de la confiance des peuples. Les couleurs nationales reparurent, ils en donnaient l’exemple. Vous serez encore plus à portée déjuger des sentiments particuliers des principaux habitants de la ville, en apprenant que ces commissaires conciliateurs sont taxés de partialités, et plus d’une fois j’ai entendu dire que tous les bons citoyens s’étaient éloignés d’eux, et qu’ils n’avaient été entourés que des auteurs reconnus des troubles. La sévérité du bailliage a été suspendue, les emprisonnements arbitraires ont cessé, et tous ceux qui n’étaient pas dans le cas d’être décrétés ont été rendus à la liberté. M. de Bouille, sur la nouvelle de l’arrivée de MM. les commissaires, était revenu à Nancy, et les avait pour ainsi dire prévenus, sur l’inconvénient de laisser dans cette ville une troupe nécessairement aigrie par le ressentiment d’une résistance meurtrière autant qu’mattendue. Enfin le calme succédant aux mouvements impétueux, ou reconnut que l’accusation faite contre le club des amis de la Constitution était évidemment fausse, puisque cette société ne s’était point assemblée d puis quinze jours. Leurs papiers furent lus, et leurs détracteurs furent en état de juger eux-mêmes que les vrais amis de la liberté et de la Constitution sont les premiers à donner l’exemple de l’obéissance aux lois. Ou y trouva la preuve non suspecte des efforts faits pour ramener la garnison à l’obéissance et à l’exécution de la loi. De toutes parts, Messieurs, vous entendez les ennemis de la Constitution attaquer ouvertement ces associations, où l’on se tient en garde contre leurs manœuvres obscures, et où les vrais principes sont développés : le temps est passé où la volonté d’un seul suffisait à l'avilissement de tous. Pourquoi ces vaines clameurs? Ont-ils l’espoir de voir jamais renaître l’époque honteuse où, par l’ordre d’un ministre, on vit dans un seul jour tous les clubs de Paris fermés, et ce qui est encore plus inconcevable, tous obéir avec respect à cet ordre insolent! Maîtres à présent de nos pensées, nous n’en devons compte qu’à la loi ; ta société des amis de la Constitution est heureusement affiliée à toutes celles du royaume ; une correspondance exacte nous instruit des manœuvres clandestines et perfides que l’on trame contre nous : nous embrassons l’Empire dans toute son étendue; et nous avons sans cesse les yeux ouverts sur tons ceux qui veulent s’opposer à vos lois ; je conçois que ces sociétés sont redoutables à cette espèce de gens; mais quels que soient leurs détracteurs, elles n’en seront pas moins, après l’Assemblée nationale, le rempart éternel de la liberté publique, et l’effroi des mauvais citoyens. La patience de MM. les commissaires a ramené successivement l’ordre dans toutes les parties : la garde nationale, qui était divisée, s’est insensiblement réunie; on a fait quelques changements indispensables, et elle a repris maintenant ses fonctions. Le voyage de MM. les commissaires à Metz devint nécessaire pour éclairer les citoyens de cette ville, et détruire l’esprit de vengeance dont ils étaient animés contre les habitants de Nancy. En parlant de cette cité, ils laissent échapper le sentiment consolateur dont ils sont pénétrés, en voyant à Metz, au milieu des forces militaires, la Constitution assise sur les plus inébranlables fondements ; et l’un des boulevards de l’Empire devenir celui de la liberté. La municipalité de Metz a été vivement affligée de n’avoir pas été nommée dans le décret qui approuvelaconduiie des autres municipalités. Les citoyens de cette ville pouvaient avoir des soupçons sur leurs magistrats, eu voyant le silence de l’Assemblée nationale, et nous croyons, Mes- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.] �95 sieurs, qu’il est de votre équité, de rendre une justice éclatante à ces bons citoyens, qui jusqu’à présent ont été les plus zélés défenseurs de vos lois et de vos décrets. Il nous reste encore à vous parler des deux procédures qui s’instruisent à Nancy ; la première, en exécution du décret du 16, contre les instigateurs des troubles de la garnison; la seconde, contre les excès commis dans la journée du 31. Vos comités vous feront part de leurs réflexions à ce sujet, dans le résumé qu’ils vont vous faire. Nous n’avions à vous rendre compte que du résultat des informations de MM. les commissaires; depuis cette époque, nous avons reçu plusieurs pièces intéressantes dont nous devons vous entretenir, sans pouvoir en tirer aucune conséquence. Ges pièces sont : 1° Le compte rendu du régiment du roi, devant M. de Frimont, maréchal de, camp, certifié par tout le corps. Il paraît que les soldats de ce régiment n’étaient fondés à répéter qu’üne somme de 6,000 et quelques cmtaines de livres, et qu’ils ont touché 198,720 livres ; 2° Le désaveu de toutes les compagnies du régiment du roi, du mémoire imprimé par les huit soldats députés. Nous avons également reçu d’autres pièces, telles que les mémoires imprimés de la municipalité et du directoire du département : les faits sont absolument les mêmes, mais souvent altérés par l’esprit de parti que nous avions prévu. Vous êtes maintenant instruits de la conduite que M. de JBouillé a tenue; il n’a marché qu’au nom de la loi; et, couvert de son égide, il a fait respecter vos décrets méconnus; il a juré d’obéir à la nation, à la loi et au roi; et ce n’est point dans les âmes de cette trempe, que l’on doit craindre la versatilité des sentimeuts. Je n’ai rien à ajouter à la marque de votre estime, dont vous l’avez honoré. Nous devons aussi, Messieurs, mettre sous vos yeux le travail de MM. les commissaires du roi : pendant plus d’un mois que leur mission a duré, leur patriotisme a réussi à calmer les troubles qui désolaient cette ville infortunée; ils étaient aidés dans ce travail pénible par MM. Gaillard et Leroy, qui, ainsi que je vous l’ai dit, s’étaient déterminés à les accompagner, uniquement guidés par leur amour pour le bien public. Nous devons des éloges au zèle patriotique qu’ils ont tous montré dans cette importante et difficile commission. Nous ne terminerons point ce rapport sans vous remettre sous les yeux la conduite vraiment civique des gardes nationales de Metz; quelques-uns de ces braves citoyens ont accompli le serment qu’ils avaient fait de mourir pour le soutien de vos lois; vous avez honoré leurs cendres; et c’est dans le même champ où ils avaient prononcé le serment solennel, que vous avez consacré leur apothéose. Nous portons nos regards sur les dangers qui nous environnent de toutes parts; et notre inquiétude s’évanouit en connaissant le dévouement patriotique de ces braves citoyens. Sans eux, que deviendrait notre liberté quenos ennemis cherchent à détruire? Quelques citoyens isolés peuventse laisseréblouir par des promesses et des espérances, mais nous n’avons rien à craindre des tentatives que l’on oserait faire pour les séduire; nos braves gardes nationales, du septentrion au midi et de l’est à l’ouest de ce vaste Empire, ont tous juré de maintenir notre heureuse Constitution, et tous seront fidèles à leurs serments. Et vous, bons patriotes de Nancy! si longtemps opprimés pour les sentiments que vous avez îffu-ni lestés, reprenez courage : l’Assemblée nationale veille sur vous, et elle ne souffrira pas que les ennemis du bien public vous accablent; les bons citoyens sont faciles à reconnaître, ils aimeut leurs frères et obéissent aux lois. Résumé. Vous venez d’entendre, Messieurs, les détails exacts de la malheureuse catastrophe arrivée à Nancy. Vos comités en ont pesé toutes les circonstances avec la plus scrupuleuse attention ; votre opinion doit être maintenant fixée. Nous reconnaissons à Nancy toujours ce même esprit de division dans les opinions, qui sans cesse le heurtant en sens contraire fermente dans toutes les têtes, et, suivant l’intérêt de chaque individu, y produit des explosions plus ou moins exagérées. Une circonstance qui sans doute ne vous est point échappée, c’est la situation de Nancy à l’époque où MM. les commissaires du roi "y sont arrivés. La cocarde nationale y était proscrite; les gardes nationales se tenaient cachées; la municipalité était triomphante, et ne parlait que des dangers qu’elle avait courus, et voulait justifier la coupable inertie qu’elle avait manifestée dans les moments périlleux ; tous les amis reconnus de la Constitution, traités comme fauteurs des désordres; 1 enlèvement de leurs papiers et la dissolution de leurs assemblées injustement ordonnés; des meilleurs citoyensde la vil le décrétés, les juges ne trouvant de coupables que dans les amis de la liberté, et proposant, de concert avec les corps administratifs, qu’on leur attribuât le pouvoir de juger eu dernier ressort, pour mettre le complément au désespoir des bons citoyens; en un moi, Nancy était, à l’arrivée de MM. les commissaires du roi, dans cet état avilissant où elle eût été au moment d’une contre-révolution opérée. C’est à cette guerre d’opinions que nous attribuons tous les malheurs de cette ville. La majeure partie des habitants ne pouvait que perdre à la révocation actuelle; et, dans le commencement de ce rapport, je vous ai détaillé les intérêts politiques qui l’entraînaient à l’ancieu système. Quelques citoyens distingués ne calculèrent point les pertes qu’ils pouvaient faire; ils ne virent que le bonheur de la nation, et ils adoptèrent avec transport vos décrets; ils étaient favorables à cette classe malheureuse de citoyens, si longtemps outragée. Ceux-ci si joignirent a eux, et la ville fut divisée en deux partis absolument opposés. La nombreuse garnison de Nancy ne put rester indifférente, et l’effervescence, qui a régné dans le royaume en même temps, se lit également sentir au milieu d’elle. Au moment d’une révolution, chaque homme doit prendre un caractère: l’adopter ou la combattre. Nous ne blâmons ni les uns ni les autres, chacun doit parler et agir d’après sa conscience; mais le caractère le plus dangereux est celui qui n’en manifeste aucun aux deux punis. Dans les pièces nombreuses que nous avons examinées, il n’existe de plai 1 te que contre cinq ol'liciers du régiment du roi. Nous avons mis sous vos yeux les details des reproches qui leur sont 296 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES {6 décembre 1790.] faits ; nous avons cru devoir dire à leur décharge ce qu’il cous était permis de remarquer. Nous vous avons parlé de l’âge de ces jeunes officiers, et nous y avons trouvé un motif d’indulgence. Nous devons encore vous ajouter qu’il n’existe contre eux que les dépositions des nommés Bazire et Roussière, dont le premier est maintenant décrété et désavoué par tout son corps, et le second en a été chassé. Nous devons également ne pas vous laisser ignorer que dans le nombre des officiers blessés dans la malheureuse journée du 31, un jeune enfant de 16 ans, M. de Bouthillier, fils d’un de nos collègues, tombant sous le coup qui le frap-faii , et entendant donner l’ordre de le porter à l’hôpital, s’écria : Si j'en dois mourir , portez-moi sous les drapeaux du régiment. Jeune enfant, n’oubliez jamais que la nation a écouté avec intérêt le récit que je viens de lui faire ; que vos sentiments patriotiques répondent toujours à la valeur que vous avez montrée. Nous devons profiter de cette circonstance pour donner aux officiers de l’armée un avis salutaire. L’organisation militaire que vous venez de décréter leur apprendra que les soldats qu’ils commandent peuvent devenir leurs égaux et les commander eux-mêmes, si leurs talents développés leur méritent la confiance de la nation. Qu’ils oublient cette incroyable prérogative qui donnait le droit à quelque-' citoyens de commander aux autres. Notre heureuse Révolution, en abolissant ces vaines distinctionsde la naissance, les a remplacées par celles des talents et du mérite, les seules dignes d’un peuple libre. Qu’ils ne perdent pas de vue que quand la nation a parlé, elle doit être obéie. Que par leur état, ils sont les défenseurs de notre Constitution, et qu’ils doivent par conséquent être les premiers à donner l’exemple de l’obéissance aux lois. Qu’ils ont, ainsi que leurs soldats, fait le serment solennel d’obéir à la nation, à la loi et au roi, et que ceux-ci leur désobéiraient s’ils osaient y contrevenir. Qu’ils imitent le chef suprême de l’armée, qui est venu au milieu de nous jurer de maintenir la Constitution, et qui est fidèle à son serment. Qu’ils réfléchissent combien nous avons honoré leur état. Qu’ils se rappellent que, dans l’ancien système, à l’exception de quelques familles privilégiées, qui se partageaient sans pudeur les premières places de l’armée, le reste des citoyens languissait dans les grades subalternes : les peines, les fatigues, les hasards étaient pour eux: les grâces, la fortune et les honneurs, pour cette classe de favoris que notre sage Constitution vient de niveler au rang de tous les autres citoyens. Nous ne pouvons nous empêcher de remarquer encore que si, depuis le commencement de la Révolution, nous avons à nous plaindre de l’oubli de la discipline dans quelques régiments, les chefs de ces corps ont presque toujours été opposés au système actuel ; et que nous n’avons que des éloges à donner aux régiments dont les officiers ont senti le bonheur et l’honneur de commander à des hommes libres. Les citoyens de Nancy, qui avaient adopté la nouvelle Constitution, ne virent plus dans les soldats que leurs amis prêts à la défendre si elle était attaquée. Ceux-ci, voyant que dans le système actuel on commençait à les regarder comme des citoyens, essayèrent de jouir des fruits de cette liberté qu’on leur annonçait : ils commirent quelques fautes de discipline qui, étant restées impunies, les entraînèrent par degrés à la révolte la plus décidée. C’est avec douleur que nous sommes obligés de convenir que ces mêmes soldats, dont nous aurions cités le patriotisme pour exemple, se sont rendus coupables en l’exagérant. Ces infortunés soldats n’ignoraient pas les manœuvres criminelles des ennemis du bien public; ils entendaient souvent autour d’eux les mêmes propos qui tant de fois ont mérité votre improbation ; ils avaient juré de défendre la Constitution, ils la croyaient en danger; et, d’erreurs en erreurs, ils se sont précipités dans l’abîme où ils sont aujourd’hui. C’est un devoir impérieux pour nous de leur faire connaître toute l’étendue de leurs fautes. Nous devons rappeler aux soldats qu’ils sont les défenseurs de la patrie, et qu’ils en seraient le lus terrible fléau s’ils cessaient un moment d’o-éir à la loi; qu’ils se rappellent l’esclavage d’où nous les avons tirés; qu’ils voient les jours de gloire qui leur sont réservés, si leur conduite répond à nos espérances. La noble fonction de protéger les citoyens leur est confiée; mais nous devons garantir ceux-ci d’être opprimés par eux; qu’ils pensent que ce sont leurs frères, leurs enfants qui sont sous leur garde, et qu’ils ne peuvent s’écarter de l’ordre sans être parricide envers eux : oui, soldats! vous êtes la sentinelle vigilante dans laquelle nous mettons notre confiance, et l’armée entière doit être pour la nation ce que le brave d’Assas fut pour elle à Closter-camp: fidèles au poste qui vous est confié, vous devez périr pour elle, et son estime en sera le prix. Avez-vous pu oublier un moment le respect que vous devez à vos chefs. Régiment du roi ! portez vos yeux sur vos drapeaux, voyez-les triomphant à* Parme et à Guas-tai le; peut-être existe-t-il encore parmi vosbraves vétérans, quelques-uns de ceux qui se distinguèrent à Prague. Les champs de Lawfeldt et de Fontenoy attestent également votre gloire: avec quel transport je ferais votre éloge, et quelle tâche pénible je remplis! Sont-ce ces mêmes soldats qui ont désobéi à leurs chefs ; qui les ont obligés à leur donner des sommes qui ne leur étaient point dues; qui ont osé poursuivre leur inspecteur général ; qui sont sortis de leur garnison avec le projet coupable d’attaquer une garnison voisine de la leur ; qui ont violé l’asile d’un vieux général élevé parmi eux ; qui ODt traîné en prison, qui ont frappé et blessé leurs officiers qui voulaient le défendre ; qui ont désobéi aux décrets de l’Assemblée nationale, et qui ont mis le comble à leurs crimes, en osant tirer sur leurs frères ! Infortunés camarades ! Régiment du roi et régiment de Mestre-de-camp, mon devoir m’oblige de rendre compte de vos attentats; mais je dois en même temps mettre sous les yeux de l’Assemblée nationale les fautes capitales de ceux qui devaient vous guider et vous donner des conseils. Maintenant examinons la conduite des corps administratifs. Dans Le long récit que vous venez d’entendre, vous avez été à portée de suivre toutes leurs actions; leur éloignement pour le système actuel, a percé malgréeux, etnous avons droit de nous en plaindre: ils ne sont magistrats du peuple qu’en vertu de nos décrets, et c’est pous y obéir qu’ils ont été choisis parle peuple. Pourquoi les corps administratifs ne se sont- [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 décembre 1790.J ils pas servi de leur ascendant sur les troupes, pour les ramener à l’obéissance, puisqu’il est prouvé, parleurs procès-verb;iux, que les troupes leur marquaient la plus grande confiance ? Pourquoi n’ont-ils pas publié le décret du 16 août ? Pourquoi n’ont-ils pas donné la plus grande authenticité à la proclamation de M. de Bouillé? Pourquoi les députés envoyés de Toul ne sont-ils pas venus eux-mêmes rendre compte de leur mission ? Pourquoi ont-ils consenti à faire battre la générale dans la matinée du 31 ? Pourquoi ont-ils donné l’ordre au tambour d’avertir les citoyens qui connaissaient la manœuvre du canon, de se rendre aux portes pour se servir des pièces ? Pourquoi ont-ils donné l’ordre aux gardes nationales de faire le service intérieur? Pourquoi ont-ils envoyé des émissaires pour requérir les régiments de suspendre leur marche, et pour ordonner aux carabiniers de venir les joindre? Pourquoi ont-ils refusé la convention de la commune, qui leur était demandée, et qui aurait mis tous les citoyens en état d’être instruits des véritables motifs du rassemblement des gardes nationales et de l’arrivée de M. de Bouillé? Ils nous répondent qu’ils ont été forcés à toutes ces faussesdémarches par l’autorité que les soldats exerçaient sur eux. Us nous ont assurés qu’ils périraient dans leurs chaises curules. Quels efforts ont-ils donc faits pour l’exécution d’un si noble dessein ? Magistrats du peuple! connaissez-vous l’étendue des devoirs qui vous sont imposas? Le peuple, au moment de vos élections, en vous investissant du pouvoir de le commander, vous prescrivit l’obligation impérieuse de le protéger et de le défendre! Qu’avez-vous fait pour remplir ces obligations sacrées? Au moment où les trois régiments ont consenti d’obéir aux ordres de M. de Bouillé, croyez-vous que, si les officiers municipaux, revêtus de leurs écharpes, eussent imité le brave maire de la ville d’Aix, l’intrépide Espariat , ils n’eussent pas, comme lui, arrêté la fureur des soldats et suspendu le carnage? Si vous vous fussiez exposés à périr, nous parlerions dans ce moment de votredé-vouement patriotique, au lieu de dénoncer à l’As-semblee nationale votre coupable pusillanimité. Bans le rapport que vos comités viennent de vous faire, ils ont cru devoir écarter toute considération particulière; ils vous devaient la vérité, et vous venez de l’entendre. La tâche pénible dont nous étions chargés est remplie. Vos comités ont senti l’importance du décret qu’ils vous proposeraient d’adopter ; depuis près d’un mois ce décret intéressant les occupe, et ils m’ordonnent, en vous rendant compte de leurs discussions, de vous faire part des motifs qui les ont déterminés à celui que bientôt nous allons vous soumettre. .Nous ne noussommes point abusés sur les fautes qui ont été commises de part et d’autre ; et peut-être la sévérité des principes devait-elle nous imposer l’obligation de borner à cette découverte notre examen. Cependant nous n’avons pu nous défendre de considérer que la malheureuse catastrophe de Nancy n’était que le résultat funeste des passions et des opinions différentes sans cesse en opposition, enflammées, aigries par des malentendus continuels, par des soupçons exagérés; entretenus par la crainte de ceux qui pouvaient éclairer le peuple, et dans un désordre 297 aussi difficile à prévoir qu’à réprimer, nous avons eu la triste conviction que les citoyens peuvent s’égarer quelquefois et devenir coupables en croyant servir la bonne cause. En effet, Messieurs, il est évident que si tous les citoyens de Nancy, sans distinction, avaient tous senti également les bienfaits delà condition nouvelle que vous venez de donner à la France, tous se seraient réunis pour concourir à son succès. Nous avons malheureusement trop souvent l’expérience de l’aigreur qui existe entre les citoyens divisés d’opinion, et nous avons cru, Messieurs, pouvoir, dans cette circonstance, demander votre indulgence en faveur d’une cité entière composée d’individus de toutes les classes, qui, n’ayant aucun conseil, est malheureusement tombée dans tous les excès. Vous en connaissez tons les détails; il ne nous reste qu’à vous peindre l’état où se trouve maintenant cette ville infortunée. Au moment où je vous parle, Nancy, incertain de son sort, du jugement que vous allez porter, offre le spectacle effrayant d’une méfiance universelle; chacun redoute d’être plus ou moins compromis. Une foule de citoyens se sont déjà éloignés de leur patrie, les patriotes se trouvent confondus avec les citoyens douteux ; en un mot, cette malheureuse ville est plongée dans le deuil et la consternation. Vos comités ont pensé que si vous ordonnez d’informer contre tous ceux qui ont eu part à ces troubles, l’esprit de parti, qui jusqu’à présent a été la cause principale des désastres qui sont arrivés, va se réveiller avec plus de fureur que jamais; qu’il est impossible de découvrir la vérité, sans une instruction qui va renouveler toutes les haines, quand nous devons chercher à les éteindre. Vos comités ont encore considéré que, dans une telle procédure, tous les ennemis de la Constitution seront à la vérité accusés par les patriotes, mais que ceux-ci seront également opprimés par les dispositions du parti contraire. Nancy, déjà consterné par la scène qui vient d’ensanglanter ses murailles, va devenir encore le théâtre d’une guerre intestine, de vengeances particulières ; et peut-on en calculer les suites funestes? Vos comités ont pensé qu’ils avaient rempli un devoir rigoureux en faisant connaître aux corps administratifs, aux officiers municipaux, à quelques citoyens, à quelques officiers, aux soldats, les fautes dans lesquelles ils sont tombés; mais ils ont été frappes des dangers d’une procédure fondée sur des propos, des opinions prononcés avec plus ou moins d’énergie, et des actions qui n’ont été que le résultat funeste des erreurs dans lesquelles les citoyens de toutes les classes ont été entraînés par la diversité de leurs opinions; ils ont pensé que le sang qui avait déjà coulé pouvait servir d’expiation aux fautes dans lesquelles les partis différents ont pu tomber; et c’est dans ce principe qu’ils ont adopté que sera rédigé le décret qu’ils vont avoir l’honneur de vous soumettre. A l’égard des régiments du roi et de Mestre-de-camp, qui ont donné un exemple jusqu’alors inoui dans l’armée française, vos comités ont pensé qu’ils devaient adopter l’opinion déjà formée de toute l’armée, et ils ont unanimement conclu au licenciement de ces deux corps. Vos comités ont l’honneur de vous proposer le projet de décret suivant: