[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1789.] 247 curé de Woël, Colinet, curé de Ville-sur-Iron, Turpin, Bazocher, Ulvy. » M. le «lue d’AlgùlIIon. Une espèce de réprobation publique a marqué l’échange de Sancerre; je ne sais pas si elle est fondée ou non, mais M. d’Espagnac se plaint dans sa requête d’un fait qui paraît mériter l’attention de l’Assemblée ; il assure qu’une commission du conseil juge cetle affaire dans ce moment. Ces commissions sont proscrites par nos cahiers, et le Roi ne serait-il pas juge et partie? je propose comme amendement que toute commission du conseil sera annulée, l’Assemblée se réservant d’en connaître après les recherches quelle aura ordonnées. M. le marquis de Bonnay. Je n’ai entendu qu’un plaidoyer contre M. d’Espagnac ; il est de droit naturel que M. d’Espagnac soit entendu comme on l’a accordé au procureur du Roi de Falaise; je demande qu’il soit entendu après que le comité aura fait le rapport de cette affaire et que sa requête soit imprimée et distribuée dans les bureaux. ( Voyez plus loin les deux requêtes de M. le comte d’Espagnac annexées à la séance de ce jour.) M. Redon appuie la formation d’un comité qui s’occuperait sans délai de tous les domaines en général et de l’échange de Sancerre en particulier. Il propose de le composer de 12 membres. M. Jtfalès, en appuyant la formation du comité, demande qu’il soit composé de 35 membres, un par chaque généralité. Cet amendement mis aux voix est adopté. En conséquence, le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale a décidé qu’il sera nommé un comité de trente-cinq personnes , savoir : un par généralité, pour la recherche et l’examen de tous les engagements, échanges, concessions et aliénations quelconques des biens et domaines de la couronne, et spécialement du comté de Sancerre. » M. le Président indique, pour l’ordre du jour de la séance de demain à neuf heures, les objets précédemment ajournés et les finances. La séance est levée. ANNEXE à la séance de l’Assemblée nationale du 2 octobre 1789. Nota. Ces annexes comprennent les pièces suivantes : 1° Supplique du comte d’Espagnac, mestre de camp de cavalerie, à l’Assemblée nationale, concernant l’échange du comté de Sancerre. 2° Seconde supplique du comte d’Espagnac, à l’Assemblée nationale, au sujet de l’échange de Sancerre. 3° Rapport du comité des finances sur les dépenses actuelles du département de la guerre. 4° Vues sur la liquidation de la dette publique, par M. d’Argentré, évêque de Limoges, député. 5° Vues générales sur l’impôt des aides, les inconvénients de sa suppression et la possibilité de sa réforme. 6° Motion sur un nouveau régime de finances, par M. le baron d’Allarde. Supplique du comte d’Espagnac, mestre de CAMP DE CAVALERIE, • A L’ASSEMBLÉE NATIONALE (1). (Echange du comté dé Sancerre.) [Imprimée par ordre de V Assemblée nationale.) Sous un Roi restaurateur des droits de l’homme et de la liberté publique, au moment où la responsabilité des ministres est décrétée par l’Assemblée nationale, et leur conduite surveillée par la nation entière, un ministre, spécialement chargé de la garde et de la défense des lois, viole, à mon égard, la plus sacrée, la plus importante de toutes les lois, celle sans laquelle toutes les autres lois seraient illusoires. C’est à regret qu’il m’opprime, j’aime à le croire. Je pourrais même, s’il le fallait, indiquer les sources et suivre les sinuosités du torrent qui l’entraîne. Mais il vaut mieux, s’il est possible, arrêter les progrès du mal que de perdre du temps à en rechercher les auteurs. Au mois de mai 1777, M. Taboureau, contrôleur général des finances, est convenu avec M. le duc de Béthune et moi que j’achèterai le comté de Sancerre, que je le donnerai au Roi, en échange de la forêt de Russv et d’autres objets, sauf les soultes à régler par l’événement des évaluations ; et que le Roi donnera le comté de Sancerre à M. le duc de Béthune en échange de la principauté d’Enrichemont. Le 21 juin 1777, j’ai acheté le comté de Sancerre, sur la foi de cette convention. Le 2 juillet 1777, M. Necker a remplacé M. Taboureau dans l’administration des finances. Le 31 août 1777, M. Necker a pris un bon du Roi pour l’échange de Sancerre contre la forêt Russy, à condition que je renoncerai a toute soulte, quel que soit le sort dès évaluations , et que si je me trouve devoir une soulte, par l’évéûement de ces mêmes évaluations, j’en fournirai le montant en fonds de terre. J’ai refusé cet échange, à cause de la condition qu’on m’imposait. Le comté de Sancerre est donc resté à ma charge. J’ai augmenté cette terre par des acquisitions. Je l'ai améliorée par de fortes avances, par un travail assidu de sept années, et par une administration bien entendue. J’en avais porté le revenu â 122,000 livres; mais j’avais contracté plus de 2 millions de dettes, qui me coûtaient tous les ans plus de 140,000 livres de frais ou d’intérêts. J’avais compté sur la fortune de mon beau-père: on sait par quels désastres cette ressource m’est échappée. Ma ruine était donc inévitable, et je n’étais ruiné que pour avoir acquis Sancerre, sur la foi d’un ministre du Roi, et parce qu’un autre ministre n’avait pas cru devoir tenir les conventions faites avec son prédécesseur. J’ai renouvelé la proposition de l’échange en 1784 ; je me suis adressé directement au Roi. Le Roi, dans un travail avec M. de Galonné, a vérifié par lui-même les faits que je lui avais exposés. Il a enfin consenti à l’échange par un premier bon du 21 mars 1784. Il l’a ratifié et modifié par un second bon du 25 septembre 1784. Il l’a de nouveau ratifié et modifié par un troisième bon du 13 lévrier 1785. (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1789.] 248 M. de Galonné n’était pour rien dans les deux premiers bons. Ce n’est .que par le troisième bon que le marquisat d’Hattonchâtel a été compris pour la première fois dans l’échange. C’est alors que M. de Galonné a commencé à avoir un intérêt personnel à l’échange. Le contrat d’échange et les lettres patentes ont été enregistrés aux chambres des comptes de Paris, de Nancy et de Bar, et aux parlements de Louai, de Metz et de Nancy. La reconnaissance de la plupart des objets donnés par le Roi en contre-échange a été faite en 1786. La chambre des comptes a même jugé l’évaluation d’un de ces objets. Tel était Tétât des choses lors de l’Assemblée des notables en 1787. Un des membres de cette Assemblée, trompé par de faux exposés, a dénoncé l’échange de San-cerre comme une déprédation de M. de Galonné. La disgrâce de M. de Galonné a été le résultat de cette dénonciation et de quelques autres encore. M. l’archevêque de Toulouse l’a remplacé trois semaines après. Un ordre verbal de ce nouveau ministre a suspendu les opérations de la chambre des comptes pour les évaluations. Un libelle diffamatoire contre ma famille et contre moi, a paru vers la lin de novembre 1787, sous le titre d 'Observations de la ville de Saint-Mihiel sur l'échange du comté de Sancerre. Le 18 décembre 1787, j’ai rendu plainte au lieutenant criminel du Châtelet contre les quidams, auteurs , imprimeurs, colporteurs et distributeurs du libelle, et contre leurs complices adhérents. Je connaissais bien les quidams. Je connaissais surtout l’auteur et le correcteur; mais j’ai cru ne devoir pas me hâter de les indiquer. Le nom du correcteur aurait fait reculer d’effroi le lieutenant criminel et le procureur du Roi. Onze jours après ma plainte, un arrêt du Conseil d’Etat, rendu du propre mouvement du Roi , a nommé une commission, composée de membres du conseil, pour examiner l’échange. Le 16 février 1788, un second arrêt du Conseil d’Etat, rendu aussi du propre mouvement du Roi, a commis le sieur Lorry, inspecteur général du domaine, pour être procédé à sa poursuite et diligence, à l’exécution du précédent arrêt. Le 25 avril 1788, un troisième arrêt du Conseil d’Etat a ordonné qu’il me serait donné communication d’une requête du sieur Lorry, qui tendait à faire déclarer nul mon contrat d’échange et à faire réunir au domaine les objets qui m’avaient été donnés en contre-échange. Ainsi l’on soumettait toute ma fortune au jugement d’une commission extraordinaire, composée de juges choisis à mon insu et sans mon aveu. Cette commission a été plusieurs fois décomposée et recomposée, toujours sans mon aveu. Quatre magistrats s’en sont successivement déportés. Us ont été remplacés sans que j’aie été consulté. D’un autre côté, je ne pouvais obtenir la permission d’informer sur ma plainte. Le procureur du Roi refusait de donner des conclusions. Je n’ai forcé sa résistance que par un appel en déni de justice. J’ai obtenu enfin la permission d’informer trois mois après la plainte rendue. Cinq témoins ont été entendus. Le délit a été prouvé, et les coupables convaincus par leurs propres aveux quant à l’impression et à la distribution du libelle. C’était le moment que j’attendais pour démasquer les quidams, auteur et correcteur, pour joindre à ma plainte quelques pièces de conviction et pour faire entendre de nouveaux témoins. Les contradictions et les lenteurs du Châtelet m’avaient conduit aux premiers jours du mois de mai, jours affreux, qui ont préparé les plus beaux jours de la France. Toutes les cours souveraines étaient condamnées à l’inaction. C’est le moment qu’ont choisi le procureur du Roi et.le lieutenant criminel du Châtelet pour se débarrasser d’une affaire qui les fatiguait, parce qu’elle pouvait les compromettre. Le 16 mai 1788, une ordonnance du lieutenant criminel m’a renvoyé à me pourvoir sur ma plainte devers la commission que le Roi avait formée au conseil royal des finances pour l’examen de l’échange. A quoi tendait donc une marche si illégalement, si cruellement combinée? On voulait qu’un tribunal désavoué par la loi disposât arbitrairement de ma fortune et de mon honneur. L’inspecteur du domaine demandait que la commission déclarât nul mon contrat d’échange, et qu’elle me dépouillât de tous les objets qui m’avaient été donnés en contre-échange. On voulait donc bien que la commission disposât de ma fortune. On disait que cet échange était une déprédation scandaleuse des domaines du Roi, que j’avais reçu cinq fois plus que je n’avais donné. La commission paraissait avoir été nommée pour examiner l’échange. On ne pouvait savoir s’il y avait inégalité dans l’échange que par le résultat des évaluations de la chambre des comptes; et le ministre principal, qui avait créé cette commission, défendait à la chambre des comptes de continuer ses évaluations ! 11 voulait donc que la commission, chargée d 'examiner l’échange, annulât l’échange sans examen , sans connaissance de cause, et par conséquent arbitrairement. On disait qu’il y avait obreption et subreption dans mon échange ; que le Roi n’y avait consenti que parce que je l’avais trompé ; que j’avais employé des manœuvres frauduleuses pour déterminer le choix des objets qui m’avaient été donnés en contre-échange. On voulait que la commission prononçât sur ces inculpations déshonorantes. On voulait donc qu’elle disposât aussi de mon honneur. Le principal ministre avait été le correcteur, le réviseur du libelle diffamatoire. Il avait créé la commission onze jours après ma plainte contre les diffamateurs ; et le lieutenant criminel me renvoyait à me pourvoir devers cette commission sur ma plainte en diffamation ! Le principal ministre voulait donc se donner pour juges contre moi des commissaires qu’il avait lui-même choisis. La France était alors sans tribunaux, et les lois sans force ; j’étais seul contre un homme armé de toute puissance : j’ai osé lui résister. J’ai entrepris un long ouvrage (1). J’y ai prouvé la loyauté de mon échange et l’illégalité du tribunal auquel on voulait me soumettre. J’y ai défendu les lois du royaume et les droits du citoyen. En rendant hommage aux vertus et aux lumières des magistrats dont on avait composé la commission, en déclarant que je les aurais volontiers acceptés pour arbitres, que je les aurais peut-(1) Ma requête au Roi, de 239 pages in-4°. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1789.] 249 être choisis moi-même , j’ai refusé de connaître leur tribunal, parce qu’il était désavoué par la loi; j’ai déclaré que ]e n’accepterais jamais des juges qu’on m’avait donnés malgré moi; j’ai réclamé les tribunaux de la loi qui n’avaient pas encore repris leur activité. J’ai proclamé d’avance le principe de la responsabilité des ministres, que l’Assemblée nationale a consacré depuis ; je me suis déclaré l’accusateur de M. l’archevêque de Sens. L’ouvrage touchait à sa fin. On imprimait à mesure que j’écrivais : c’était pour me servir de l’expression d’un écrivain célèbre, , c’était au milieu de son pouvoir et de son crédit, c'était sur les marches du trône que j'aurais voulu apercevoir mon oppresseur , et lui adresser la parole. Il ne m’en a pas donné le temps : sa retraite a devancé de quelques jours la publication de ma requête au Roi. Fugitif, et proscrit par tous les gens de bien, il avait encore le pouvoir de nuire (1); je le savais, et j’ai bravé sa vengeance, j’ai présenté ma requête au Roi le 21 septembre 1788. J’étais au service de Sa Majesté depuis 22 ans. Une lieutenance des gardes du corps, qui est est venue à vaquer alors, m’était dévolue. Non-seulement je n’ai pas eu la lieutenance, mais de plus le Roi m’a fait demander la démission de ma sous-lieutenance. Je l’ai donnée sans hésiter, sans murmurer, bien plus affligé d’avoir eu le malheur de déplaire au Roi, que de la perte de mon emploi. Ma retraite n’a point ressemblé à celle de mon ennemi ; j’ai emporté l’estime et les regrets de mes supérieurs et de mes camarades. Peu de jours après la restauration de la magistrature, jvai interjeté appel au parlement de Paris de l’ordonnance du lieutenant criminel, qui me renvoyait à me pourvoir devers la commission sur ma plainte en diffamation. J’ai eu bien de la peine à me faire recevoir appelant. C’est pourtant une chose déformé qu’on ne refuse à personne ; mais il était écrit que je serais tour à tour la victime de toutes les passions et de toutes les vertus humaines. On savait que M. l’archevêque de Sens allait être impliqué dans ma plainte. Plus ce ministre était odieux aux magistrats et à la nation, plus le parlement a cru devoir mettre de circonspection et de générosité dans ses procédés. On a proposé de consulter avant tout M. le garde des sceaux. Je ne sais même s’il n’a pas été consulté. J’ai enfin obtenu un arrêt qui me recevait appelant de l’ordonnance du lieutenant criminel. J’ai demandé au parlement un tribunal légal pour continuer mon information et recevoir ma plainte additionnelle. Je n’avais d’autre partie que M. le procureur général. La cause était placée; messieurs les gens du Roi étaient prêts à porter la parole ; mais, par je ne sais quel nouveau scrupule, l’audience m’a été refusée. On paraissait craindre de juger trop précipitamment une cause de cette importance ; on désirait que j’y misse une solennité que je croyais prématurée. On voulait que je lisse développer mes moyens de défense par un avocat, lorsque je voulais m’en rapporter à messieurs les gens du Roi. Le refus de l’audience a ôté le résultat de cette diversité d’opinions. Deux mois après, on a paru vouloir me juger. J’étais alors à Sancerre, occupé à mettre en (1) Son frère le comte de Brienne était alors ministre de la guerre, et les gardes du corps avaient passé quelque temps auparavant du département de la maison du Roi dans celui de la guerre. ordre les titres et les renseignements nécessaires pour le travail du commissaire de la chambre des comptes. Le parlement a eu égard à mon absence. Elle a été prolongée par la convocation des assemblées élémentaires. Et lorsque j’ai été libre enfin, j’ai appris que l’auteur du libelle diffamatoire était député à l’Assemblée nationale. J’ai cru devoir suspendre alors toutes les poursuites. La personne des représentants de la nation était sacrée et inviolable à mes yeux, avant même que l’Assemblée nationale l’eût déclarée telle. C’est par cette suite d’événements que, sur une plainte portée au mois de décembre 1787, il n’y a pas encore de décret, et que l’information et la plainte même ne sont pas encore complètes. J’ai eu le bonheur de trouver plus d’activité dans la chambre des comptes, pour les évaluations. M. l’archevêque de Sens était bien parvenu à ralentir aussi les opérations de cette cour, mais enfin la loi l’a emporté sur la volonté d’un seul homme. La chambre des comptes a ordonné, le 8 février 1788, qu’avant de passer outre au rapport des reconnaissances faites des objets échangés, les procès-verbaux desdites reconnaissances, ensemble toutes les pièces qui y ont servi, seront communiqués aux administrateurs généraux du domaine, pour donner leur avis, consentir ou contredire les opérations du commissaire dans le délai de deux mois. Cette espèce d’instruction contradictoire avait été jusqu’alors inusitée dans les échanges. Mais je n’ai eu garde de me plaindre de celte forme nouvelle, puisqu’elle ne tendait qu’à soumettre les évaluations à des épreuves plus rigoureuses. Les administrateurs des domaines n’ont pas cru devoir se présenter à la chambre des comptes. Après la retraite de M. l’archevêque de Sens, le commissaire, chargé de procéder aux reconnaissances des objets échangés, est allé faire celle du comté de Sancerre. Si mon procureur ne s’est pas trompé dans les notes qu’il a prises sur les résultats des opérations du commissaire, l’évaluation du comté de Sancerre, soit pour le revenu, soit pour le principal, ira un peu au-dessus de celle que j’en avais faite en 1784. Et cependant je me crois en droit d’y ajouter encore la valeur de plusieurs droits considérables, que le commissaire a refusé de reconnaître, parce qu’ils lui ont paru contentieux, quoiqu’ils soient établis sur des titres clairs et authentiques, et qu’ils ne soient ni prescrits dans le fait, ni prescriptibles dans le droit. Et quand je voudrais négliger ces objets, maintenant que les opérations du commissaire de la chambre des comptes sont finies, pour la plupart des domaines qui m’ont été donnés en contre-échange, et qu’il ne reste à Sancerre qu’un seul article à reconnaître, et quelques fausses déclarations des vassaux à discuter, je crois avoir des instructions assez positives sur les résultats des reconnaissances faites, et sur la valeur des objets non encore reconnus, pour pouvoir affirmer que les domaines qui m’ont été donnés en contre-échange, et la soulte qui m’a été donnée pour la plus-value, égaleront à peine le comté de Sancerre. La chambre des comptes se disposait à continuer le jugement des évaluations. J’attendais avec quelque impatience qu’elles fussent achevées pour fixer entin l’opinion publique sur la loyauté de mon échange. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1789.] 250 [Assemblée nationale.] J’ai vu ma patrie en danger; j’ai vu sa liberté tour à tour menacée, contre le vœu du meilleur des Rois, par l'aristocratie et l’ochlocratie. J’ai oublié alors mes affaires personnelles, je me suis oublié moi-même, je me suis dévoué tout entier à la chose publique. C’est au moment où j’exécutais avec quelque succès les mesures sagement combinées par la municipalité et par M. le marquis de la Fayette, pour mettre à l’abri de toute insulte, Paris, Versailles et l’Assemblée nationale, c’est alors, dis-je, que j’ai appris que l’ancienne commission, jadis créée par M. l’archevêque de Sens, maintenant ravivée par M. l’archevêque de Bordeaux, allait prononcer sur la nullité de mon échange. Je ne l’aurais pas cru, si M. l’archevêque de Bordeaux et plusieurs membres de la commission ne me l’eussent confirmé. Non, je n’aurais jamais cru qu’un ministre, spécialement chargé de maintenir l’ordre public établi par les lois du royaume pour l’administration de la justice, eût voulu soumettre la fortune et l’honneur d’un citoyen au jugement d’une commission extraordinaire; lorsque toutes les lois du royaume promettent à tous les citoyens qu’ils ne pourront être jugés que par les tribunaux que la loi a déterminés ; lorsqu’elles défendent aux chanceliers et gardes des sceaux, de ne bailler, ni sceller aucune lettre pour ôter la connaissance des matières hors de leur s juridictions ordinaires, et lescommeltre à d'autres; lorsqu’elles déclarent nulles telles lettres de commissions, quand même elles auraient été scellées par les chanceliers et gardes des sceaux; lorsqu’elles défendent à toutes cours et juges d’obéir à de pareilles lettres (1). Non, je n’aurais jamais cru qu’un garde des sceaux, des conseillers d’Etat, des maîtres de requêtes, eussent voulu attribuer une juridiction contentieuse sur un citoyen, soit au conseil royal des finances, soit à un département quelconque du conseil du Roi, soit à une commission formée de membres du conseil ; lorsque le conseil du Roi n’est, par son essence, qu’un conseil d’administration ; lorsque les lois du royaume déclarent qu’il n’est ni ne peut devenir tribunal contentieux ; lorsqu' elles lui défendent de s’occuper des causes qui gissent en juridiction contentieuse(2) . Je savais bien que ces lois avaient ôté plus d’une fois violées. Mais je ne pensais pas qu’elles puissent l’être en présence de l’Assemblée nationale par un ministre citoyen choisi parmi les membres de cette Assemblée; lorsque ces lois étaient l’expression du vœu national dans tous les âges de la monarchie, et au moment où les cahiers des assemblées élémentaires demandaient l’abolition des commissions (3). Je pensais qu’il était encore moins possible, que le conseil du Roi, ou un département, ou une commission du conseil eussent une juridiction contentieuse, soit sur les causes domaniales en général, soit sur les causes concernantles échanges du domaine. (1) Ordonnances du roi Jean, de l’an 1355; de Charles VI, de 1408 et 1413 ; de Louis XII, du 12 décembre 1499; de François P»-, de l’an 1539; d’Henri IV, de l’an 1597 ; et de Louis XIV, de l’an 1648. (2) Ordonnance de Blois, de l’an 1579; règlement d’Henri IV, de l’an 1594 ; édit du même Roi, de l’an 1598 ; déclaration de Louis XIV, du 22 octobre 1684. (3) Etats de Tours sous Charles VIII, d’Orléans sous Charles IX, de Blois en 1576 sous Henri III. ( Voyez de plus les cahiers des bailliages en 1789.) Les lois du royaume attribuent la connaissance exclusive des causes domaniales, aux trésoriers de France en première instance, aux cours de parlement en dernier ressort fl). Les causes concernant la validité des contrats d’échange sont évidemment comprises dans cette attribution générale des causes domaniales. D’autres lois ont fixé la compétence, pour les questions relatives à la lésion et aux évaluations des domaines échangés. C’est dans la chambre des comptes que sont pris les commissaires pour les évaluations; c’est aussi dans la chambre des comptes que les lettres patentes portant rectification de mon contrat d’échange, ont pris les commissaires pour les évaluations. Par ces lois, le Roi s’est interdit la faculté de choisir dans son conseil les commissaires pour ces évaluations. Ces lois interdisent encore au conseil du Roi de prendre connaissance des questions relatives aux contrats d’échange avant que les procès-verbaux des évaluations soient consommés. Alors même ce n’est pas une juridiction contentieuse qu’elles ont attribuée au conseil, mais seulement des fonctions d’administration pour conseiller au Roi de confirmer les évaluations déjà faites, ou d’en ordonner de nouvelles (2). Quelle que soit donc la nature des contestations qui s’élèvent sur les échanges du domaine de la couronne, jamais le conseil, ni aucun département, ni aucune commission du conseil, ne peuvent en connaître comme tribunal contentieux. Quand le conseil du Roi pourrait devenir tribunal contentieux, quand il n’y aurait aucun inconvénient à réunir dans la même main le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif, il me semble qu’il y en aurait beaucoup à constituer le Roi juge dans sa cause contre un de ses sujets. Or, il serait juge dans sa cause, si son conseil avait une juridiction contentieuse sur les causes du fisc; car le conseil du Roi ne juge pas, n’est pas un corps délibérant; il n’a que la voix consultative. Le Roi écoute l’avis des membres de son conseil; mais il juge seul; son avis, sa volonté, prévaut sur tous les besoins. J’ai déclaré, je déclare encore, que je voudrais n’avoir, entre le Roi et moi d’autre juge que le Roi. Je voudrais qu’il me fût permis de plaider ma cause devant lui, devant lui seul, contre le plus redoutable de mes détracteurs, même contre M. l’archevêque de Sens. Mais l’honneur m’interdit même cet espoir. En confirmant l’échange, le Roi n’aurait fait qu’un acte de justice ; et l’on croirait qu’il m’a fait grâce. La loyauté de l’échange a été soupçonnée ; cet échange a excité la clameur publique, a produit une espèce de scandale public : le scandale ne peut cesser que par une instruction judiciaire et publique ; c’est aux yeux de la nation entière que je dois prouver la loyauté de l’échange. Si j’ai trompé le Roi, sf j’ai violé les lois, si j’ai augmenté mon patrimoine aux dépens du domaine, je dois être puni et dépouillé ; mais je ne puis l’être que par un jugement légal ; et ce (1) Ordonnances du roi Jean, de l’an 1363; de Charles VII, du mois d’avril 1453 ; édit de Crémieu de l’an 1536; édit de mai, de l’an 1543; édits du mois d’avril 1627 et du mois de mars 1683. (2) Edit du mois d’octobre 1711 ; déclaration du 14 août 1712. [2 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] jugement légal ne peut être rendu que par le tribunal dépositaire des lois, et conservateur du domaine. Si j’ai été calomnié, je dois être vengé ; et je > ne puis l’être encore que par le tribunal de la loi. En un mot on a violé la loi à mon égard, puisqu’on a voulu me soustraire aux tribunaux institués par la loi el me soumettre à un tribunal désavoué par la loi. C’était un acte d’oppression, j’ai eu le droit de résister à l’oppression. Mais si mes forces individuelles ne suffisent pas pour résister efficacement, la nation me doit l’appui de toute sa force ; car la première condition du pacte social est que le droit de chacun soit protégé par la force de tous. Les assemblées élémentaires ont regardé l’abolition des commissions du conseil comme une des réformes les plus urgentes : elles ont prié l’Assemblée nationale de s’en occuper sans délai. Divers événements ont interverti l’ordre des travaux de l’Assemblée nationale. Si elle ne peut pas s’occuper dans cet instant de cette suppression tant désirée par la nation, je la supplie de suspendre du moins l’activité de la commission établie contre moi. J’espère qu’elle ne voudra pas qu’un abus, dont la réforme est inévitable et prochaine, puisse encore, sous ses yeux, immoler une victime. Signé : le comte d’EsPAGNAC. Lettre de M. le prince de Luxembourg à M. le comte d’Espagnac pour lui donner sa démission . Versailles, le 26 septembre 1788. Le Roi m’a ordonné, Monsieur, de vous demander la démission de votre place de sous-lieutenant de ses gardes du corps ; je vous prie de vouloir bien me l’envoyer et de ne pas douter du chagrin que j’ai d’être chargé d’un ordre pareil. Vous connaissez mes sentiments d’inviolable attachement avec lesquels j’ai l’honneur d’être, Monsieur, Votre très-humble et très-obéissant serviteur. Signé : le prince de Luxembourg. Démission de M. le comte d'Espagnac. Pénétré du plus profond dévouement pour les volontés du Roi, j’obéis à son exprès commandement, en remettant entre les mains de M. le prince de Luxembourg la démission de mon emploi, attendant de la justice de Sa Majesté, de sa religion mieux instruite, de son amour pour la vérité, de la bonté de ma cause et de la loi que j'invoque, que Sa Majesté me rappellera auprès de sa personne pour continuer à lui donner des preuves du zèle ardent que mon attachement particulier pour elle, plus encore pour mon devoir, m’a toujours inspiré pour son service. Versailles, le 26 septembre 1788. Lettre de M. le comte d'Espagnac au Roi. Sire, L’honneur et le droit m’imposaient la loi de dire la vérité à Votre Majesté, mais quand l’un et 251 l’autre de ces motifs d’une vertu courageuse ne me l’eussent pas commandé, j’y aurais été entraîné par la confiance que tout votre peuple a dans les vertus de Votre Majesté, et dans son amour pour la justice. M’aurai t-on montré coupable aux yeux de Votre Majesté? Les grandes occupations qu’elle s’impose pour le bonheur de ses sujets l’auraient-elles empêché de lire ma requête? Ou bien la calomnie, cette ressource des méchants, quand ils se voient démasqués, m’aurait-ellè imputé des intentions répréhensibles? Ah! Sire, dans le chaos d’idées qui déchirent mon cœur, et qui l’alarmeraient si celui de Votre Majesté m’était moins connu, j’ose en appeler à Votre Majesté elle-même. On m’a demandé ma démission au nom de Votre Majesté. Elle m’a donc déjà jugé coupable... Coupable sans avoir été entendu! Coupable sur la simple délation d’hommes intéressés encore à la tromper ! Entraîné par une obéissance aveugle aux ordres de Votre Majesté, j’ai remis ma démission entre les mains de M. le prince de Luxembourg, et je l’ai supplié de mettre aux pieds de Votre Majesté mes très-humbles supplications pour me rappeler auprès de sa personne, lorsqu’une justice rigoureuse et impartiale aura éclairé sa religion. Je suis avec le plus profond respect, Sire, » De Votre Majesté, Le plus humble, le plus dévoué, le plus soumis de vos sujets. Signé : le comte d’EsPAGNAC. Lettre de M. le comte d'Espagnac à M. le prince de Luxembourg. Mon prince, Vos prévenances, vos bontés, votre sensibilité, ont adouci l’amertume de l’ordre rigoureux dont vous étiez chargé; recevez-en mes très-vives actions de grâces. Puisse le ciel éloigner à jamais de vous la calomnie et les méchants ! Mon cœur est encore tout froissé des coups qu’ils m’ont portés. Moi, auteur d’un libelle qui blesse le respect dû au Roi? Ahl mon prince, engagez donc ce monarque si vertueux, et si digne d’entendre la vérité, à lire ma requête, à s’identifier pour quelques heures à ma situation, à se dire qu’il faut que l’houneur offensé soit bien impérieux sur l’âme d’un honnête homme, pour l’engager à risquer son état et sa fortune, à l’effet de poursuivre une juste vengeance. Que Sa Majesté daigne encore suspendre son jugement. Qu’elle daigne attendre que les lois aient prononcé, lequel de M. l’archevêque de Sens ou de moi a mérité d’éprouver sa disgrâce. Eh! que sommes-nous devant les lois? Tous les rangs ne se confondent-ils pas devant cette auguste sauvegarde des conventions sociales? N’est-ce pas môme sur elle que se fonde l’autorité des rois adorés de leurs peuples? Si M. l’archevêque de Sens est coupable, sa tête est, comme la mienne, soumise à la puissance des tribunaux, qui ne sont, à bien dire, qu’une émanation des droits confiés à l’autorité souveraine. Sans cela, le faible serait continuellement écrasé par le fort. L’erreur des bons rois n’est jamais à craindre ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1789.] [Assemblée nationale ARCHIVES PARLEMENTAIRES. que pour un temps. Si le mensonge paraît quelquefois élever un mur d’airain autour de leur palais ; si, dans ce moment terrible, ils sont inaccessibles à la voix de l’innocence opprimée; la moindre lueur soudaine de vérité les ramène bientôt à la justice et à l’amour de leurs peuples; c’est ce qui fonde mon espérance et diminue l’amertume de mes regrets. Dans le premier instant d’une si douloureuse séparation d’un corps, où j’ai servi les seize plus belles années de ma vie; dans ce moment cruel et inattendu, où vous m’avez paru plus affecté que moi-même, j’ai oublié de vous parler de l’avenir qu’on me prépare. J’ai vingt-deux ans de service, je suis dans la force de l’âge, j’ai une âme ardente pour le bien de l’Etat, j’aime ma patrie avec idolâtrie. Dois-je être condamné à une triste inaction ? Tous les individus des corps réformés de la maison du Roi ont eu un temps très-long pour se remplacer; et parmi mes anciens camarades, tous ceux, sans exception, qui ont quitté, même avant le temps prescrit par les ordonnances, ont eu non-seulement des retraites, mais même la faculté de rentrer au service. Cette dernière faculté me sera-t-elle ravie, à moi, dont tout le crime est d’avoir eu le courage d’attaquer un ministre injuste et méchant ? L’adoucissement à mes maux est dans vos mains, mon prince. Je ne vous demande pas, dans cet instant orageux, de faire valoir mes droits ; mais seulement de les mépager de manière qu’ils ne se perdent point. Je ne réclame aucune grâce pécuniaire; de quelque nature qu’elles fussent, elles ne satisferaient point mon cœur. Je demande seulement, au nom des services de mon père, au nom du corps distingué dont vous êtes le digne chef et l’ami, au nom même du malheur qui me poursuit, et que je n’ai point mérité, je demande, dis-je, seulement d’être employé, d’une manière utile, au Roi et à ma patrie. • Vous m’avez montré trop de sensibilité pour que je m’étende davantage sur le chapitre de mes intérêts personnels. Les hommes tels que vous s’imposent avec moi la tâche honorable de défendre les opprimés sans calculer ni le3 peines ni les dangers. J’ai l’honneur de vous adresser copie de ma lettre au Roi, copie de ma démission, copie de la lettre à mon corps. Je partirai dans quelques jours pour ma terre, afin d’éviter les nouvelles tracasseries que pourrait encore me susciter la calomnie. Je renfermerai même ma douleur au fond de mon cœur, afin qu’elle n’éclate point au dehors ; et tout entier à ma défense, je ne prendrai aucun repos que je n’aie obligé le Roi et la nation à s’intéresser à mon sort; et alors peut-être vous trouverez les moyens de me dédommager en partie des peines cruelles que j’aurai éprouvées. J’ai l’honneur d’être, etc. Signé: le comte d’EsPAGNAC Paris, ce 30 septembre 1788. Réponse de M. le prince de Luxembourg à M. le comte d' Espagnac. Je suis bien sensible, Monsieur, à la lettre que vous m’avez écrite. Elle ajoute encore aux regrets que j’ai, ainsi que tous vos anciens camarades, de vous perdre. Vous recevrez d’eux une réponse qui vous prouvera leur façon de penser. Quant à moi, Monsieur, la mienne vous est connue, et vous ne devez pas douter que dans tous les moments, je ne cherche les occasions de vous rendre la justice qui vous est due, et de vous convaincre des sentiments d’attachement inviolable avec lesquels j’ai l’honneur d’être, Monsieur, Votre très-humble et très-obéissant serviteur. Signé : le prince de Luxembourg. Versailles, le 2 octobre 1788. Réponse de MM. les officiers des gardes du corps du Roi à M. le comte d' Espagnac. Nous avons reçu votre lettre, notre cher et ancien camarade. Nous l’avons lue avec le plus vif intérêt : elle a ajouté à nos regrets de vous perdre, à l’estime que vous n’avez jamais cessé de mériter parmi nous, et à l’amitié que nous vous promettons pour la vie. Nous faisons les vœux les plus sincères pour que le Roi vous rende ses bontés; c’est avec ces sentiments, notre cher et ancien camarade, que nous sommes et que nous serons éternellement. Signé : Le comte de Béon ; — le chevalier de Grille ; — le marquis de Meün ;— le comte de Grouchy; — le comte de Tilly;— Barry; — de Pouy ; — le marquis de Rennepont ; — le vicomte de Vil-lers-la-faye ; — le chevalier Angenoul ; — le comte de la Marthonie ; — le chevalier de Bon-sol; — le marquis de Tilly ; — le marquis de Monspey ; — le marquis de Villaines ; — le comte de Pontmartin ; — le comte d’Albignac ; — le comte de Saint-Marsault ; — le comte de QuiNEMONT ; — le comte d’Agoult, premier aide-major ; — le comte de Saint-Asties ; — le vicomte de Busseuil ; — le comte de Sainte-Aulaire. Nota. — Cette lettre a été signée par les officiers des guets de juillet et d’octobre, alors rassemblés à Versailles; et depuis, par des lettres particulières, le surplus du corps m’a témoigné les mêmes sentiments. Extrait du cahier des doléances, plaintes et remontrances de l’assemblée du tiers-état de la sénéchaussée de Brive, à la suite duquel est l'article suivant . Après que l’assemblée a eu pris lecture des divers cahiers de doléances, présenté par les membres qui la composent, elle a cru devoir y insérer en forme de motion particulière, dictée par l’affection et le patriotisme, que la maison d’Espagnac avait rendu pendant très-longtemps des services distingués en tout genre, à ses Rois et à sa patrie, tout comme aussi qu’elle avait constamment joui de la considération la mieux méritée, ce qui rendait la disgrâce momentanée de M. le comte d’Espagnac, sous-lieutenant des gardes du corps du Roi, pénible à tous ses concitoyens ; qu’en conséquence, il convenait de rendre public leur vœu pour son rétablissement; et à cet effet, ladite assemblée a unanimement délibéré, que ses députés aux états généraux seraient chargés de supplier très-humblement Sa Majesté de lui ac- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1789.] 253 corder le retour de ses bontés, et de le rétablir dans son grade militaire. Nous, soussigné, greffier de la sénéchaussée et siège présidial de la ville de Brive, déclarons le susdit article, extrait mot à mot sur ledit cahier. A Brive, ce 16 avril 1789. Signé : LA ROCHE, greffier. Nous, soussigné, conseiller du Roi, lieutenant général, civil et de police, de la ville et sénéchaussée de Brive, certifions à tous ceux qu’il appartiendra que le seing de Me la Roche, greffier, ci-dessus apposé, est son vrai seing, et que foi peut et doit y être ajoutée partout où besoin sera. Fait à Brive en notre hôtel, ce 16 avril 1789. Signé : DE LA BASTILLE, lieutenant. général, et par ordonnance, Duclaud. Correspondance du comte d'Espagnac avec M. le garde des sceaux. Avant de présenter ma supplique à l’Assemblée nationale, j’ai cru devoir en prévenir M le garde des sceaux. Je lui ai écrit la lettre suivante : elle lui a été remise le samedi 19 septembre 1789, sur les sept heures du soir. Lettre du comte d’Espagnac à M. le garde des sceaux. Monseigneur, C’eût été un grand bonheur pour moi d’obtenir de vous la justice, que je suis forcé de demander à l’Assemblée nationale ; je m’en étais flatté quelques instants. Vous parûtes même, Monseigneur, autoriser cet espoir, lorsqu’après avoir entendu ma réclamation contre la commission établie par M. l’archevêque de Sens, vous m’invitâtes à vous présenter un mémoire sur cet objet. Je fus cruellement détrompé deux jours après; je reçus l’avis très-positif que la commission était ajournée par vos ordres, Monseigneur, et qu’il était irrévocablement résolu que le conseil jugerait l’échange ; j’ai donc été obligé d’adresser à l’Assemblée la supplique qui vous était destinée. Je prends la liberté de vous en envoyer un exemplaire ; daignez le lire, Monseigneur! Peut-être détruira-t-il les fausses notions qu’on vous a données sur cette affaire. Peut-être penserez-vqus enfin qu’il est impossible que le conseil, ni aucune commission du conseil, prononce sur la validité du contrat d’échange de Sancerre, ni qu’il en suspende l’exécution. Si vous me donnez la certitude d’une inaction absolue du conseil et de la commission, jusqu’à ce que la chambre des comptes ait achevé les évaluations, comme je ne veux faire aucun éclat sans nécessité, l’exemplaire que j’ai l’honneur de vous envoyer sera le seul qui sortira de mes mains. Mais, comme le péril est imminent pour moi et mes co-échangistes, je vous supplie, Monseigneur, de m’honorer d’une prompte réponse. Votre silence serait pour moi la preuve que vous persévérez dans la résolution que vous avez déjà manifestée. Dans ce cas, je n’aurais pas une minute à perdre, et je présenterais lundi prochain ma supplique à i’Assemblée nationale. Qu’il me serait doux de pouvoir éviter une lutte de cette espèce, et de ne devoir qu’à vous ma tranquillité 1 Je suis avec le plus profond respect, etc. Signé : Le comte d’Espagnac. Réponse de M. le garde des sceaux. A Versailles, ce 20 septembre 1789. J’attendais en effet, Monsieur, le mémoire que vous m’aviez annoncé pour réclamer d’autres juges , et pour qu’avant tout, les évaluations de l’objet de l’échanqe de Sancerre fussent consommées. Cette attente ne devait pas me porter à interrompre l'examen de l’affaire, et vous deviez être bien sûr que vos moyens de récusation ou de délai seraient attentivement et impartialement discutés. J’en ai prévenu MM. les conseillers d’Etat, que j’ai trouvés dans les mêmes sentiments. Vous m’apprenez aujourd’hui, Monsieur, que, d’après des avis très-positifs, dites-vous, vous vous déterminez à adresser à l’Assemblée nationale le mémoire qui m’était destiné. Ce mémoire commence par une phrase , où je suis personnellement taxé de violer, à votre égard, la plus sacrée, la plus importante de toutes les lois. Vous me proposez, ensuite , de décider seul la question déférée au conseil du Roi, et vous ajoutez que, si je vous donne la certitude d’une inaction absolue du conseil, l’exemplaire imprimé du mémoire que vous m’envoyez sera le seul qui sortira de vos mains. Enfin vous insistez sur une prompte réponse, vous me dites même que mon silence vous portera à présenter dès demain votre mémoire à l’Assemblée nationale. Eh bien, Monsieur, je vous y invite de nouveau ; car, comme je vous l’ai déjà ait, ce n’est pas moi qui craindrai les regards, ni les principes de l’Assemblée nationale. Le reproche personnel à moi est même à mes yeux un motif déterminant pour vous réitérer cette invitation. Je le mérite trop peu pour le craindre, et je paraîtrais peut-être le craindre, si je ne bornais pas là ma réponse. On ne peut rien ajouter aux sentiments avec lesquels je suis, Monsieur, très-parfaitement à vous. Ainsi signé : J. M. Archevêque de Bordeaux. Explication de la Correspondance. J’ai appris dans les premiers jours de septembre que la commission formée par M. l’archevêque de Sens, pour juger mon échange, allait reprendre son activité, que c’était M. le garde des sceaux qui la mettait en mouvement. J’ai eu l’honneur de voir M. le garde des sceaux, le vendredi 4 septembre 1789 ; je lui ai expliqué de vive voix les motifs qui me faisaient désirer de n’être pas jugé par la commission, ni par le conseil, et les raisons qui me faisaient penser que je ne pouvais pas l’être, surtout en présence de l’Assemblée nationale. M. le garde des sceaux a paru touché ; il m’a répondu très-affectueusement, m’a invité à lui 254 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. adresser un mémoire sur ce] objet, et m'a ajouté, comme il le dit dans sa lettre : « Ce ne sera pas moi qui craindrai les principes de l'Assemblée nationale », ou, comme je crois l’avoir entendu, « Ce ne sera pas moi qui contrarierai les principes de V Assemblée nationale ». Les deux versions reviennent à peu près au même. Je vois dans l’une et dans i’aqtre la promesse très formelle que je ne serai jugé, ni par la commission, ni par le conseil ; car il est bien certainement impossible que le conseil ou un démembrement du conseil me juge, d’après les principes de l’Assemblée nationale et d’après les cahiers des assemblées élémentaires. Le surlendemain 6 septembre, je reçois, dans la matinée, l’avis très-positif , que la commission doit s’assembler, le mercredi 9 ou le jeudi 10, pour s’occuper de l’échange de Sancerre, et qu’elle s’assemble par l’ordre de M, le garde des sceaux. J’ai dû en conclure que l’ordre avait été donné dans l’intervalle du 4 au 6, c’est-à-dire, le lendemain du jour où M. le garde des sceaux m’avait demandé un mémoire, en me déclarant qu’il ne contrarierait pas , ou qui! ne craindrait pas les principes de l’Asseniblée nationale. M. le garde des sceaux dit que l’attente de mon mémoire ne devait pas le porter à interrompre l'examen de l'affaire. Il ne m’appartient pas de juger ce que M. le garde des sceaux devait faire. Je dirai seulement ce que j’ai dû croire qu’il ferait, d’après ce qu’il m’avait dit le 4 septembre. Je lui demandais l’inaction absolue du conseil, et de la commission sur l’échange de Sancerre, jusqu’à ce que les évaluations fussent consommées. 11 m’a invité à lui présenter un mémoire sur cet objet. Devais-je m’attendre que le lendemain, sans avoir reçu mon mémoire, sans m’avoir donné le temps de le faire, il ajournerait la commission pour s’occuper de mon échange ? Je lui disais que, d’après les principes de l’Assemblée nationale, et d’après ceux des assemblées élémentaires, il était impossible que je fusse jugé, soit par le conseil, soit par une commission du conseil. Il m’a répondu, j’ai cru du moins l’entendre, que ce ne serait pas lui qui contrarierait les principes de l’Assemblée nationale. S’il m’a dit cela, j’ai dû croire que les principes de l’Assemblée nationale étaient aussi les siens. Je n’ai donc pas dû m’attendre que dès le lendemain il se hâterait de donner un ordre contraire aux principes de l’Assemblée nationale. S’il m’a dit, comme il le croit, que ce ne serait pas lui qui craindrait les principes de l’Assemblée nationale, sans doute il n’a pas voulu me dire par là qu’il bravait les principes de l’Assemblée nationale, mais seulementqu’ilnedevaitpaslescraindre, parce qu’ils étaient d’accord avec les siens. Dans ce cas encore, je n’ai pas dû m’attendre que dès le lendemain il ajournerait une commission, dont il savait que la prescription était dans le vœu et dans les principes de l’Assemblée nationale et de la nation entière. Si donc j’ai conclu de la réponse de M. le garde des sceaux, qu’il ne ferait pas ce qu’il a fait, il me semble que ce n’est pas ma faute. M. le garde des sceaux paraît vivement blessé de la première phrase de ma supplique, où il est, dit-il, personnellement taxé de violer , à mon égard, la plus sacrée, la plus importante de toutes les lois. Je ne crois pas avoir exagéré l’importance de la loi, qui veut qu’aucun citoyen ne puisse être jugé que par les tribunaux institués par la loi. Je ne crois pas m’être trompé, lorsque j’ai dit que cette loi était violée par l’attribution d’une (2 ectobre 1789.) juridiction contentieuse, soit au conseil du Roi, soit à toute espèce de commission extraordiraire. Me serai-je trompé, lorsque j’ai attribué à M. le garde des sceaux cette violation de la loi? Je sais bien que ce n’est pas lui qui a formé la commission, ni qui a attribué une juridiction contentieuse sur mon échange au conseil royal des finances ; aussi ai-je reporté cette première violation de la loi à M. l’archevêque de Sens, à qui elle appartenait, Mais, depuis la retraite de M. l’archevêque de Sens, la commission et le conseil royal des finances avaient cessé de s'occuper de mon échange ; ils étaient dans une inaction absolue. Par qui ont-ils été remis en activité? Par qui la commission a-t-elle été ajournée ? De qui dépendait-il de leur donner le mouvement, ou de le suspendre? Le pouvoir excitatif n’appartenait certainement qu’à M. le garde des sceaux ; et je le respecte trop, pour croire qu’il puisse dire, que l’ajournement de la commission n’est pas de son fait. Je n’ai donc pu attribuer qu’à lui la seconde violation, la violation actuelle de la loi. M. le garde des sceaux a cru voir dans ma lettre du 19 septembre, que je lui proposais de décider seul la question déférée au conseil du Roi. Me permettra-t-il de lui dire qu’il a mal saisi le sens de ma lettre ? Je n’ai point reconnu qu’il y eût aucune question légalement déférée au conseil du Roi, puisque j’ai, au contraire, dénié au conseil du Roi toute espèce de juridiction me concernant. Je me suis plaint précisément de ce que des questions me concernant, avaient été déférées au conseil du Roi par M. le garde des sceaux ; et c’est en cela que j’ai fait consister la violation de la loi. Je n’ai donc point proposé à M-le garde des sceaux de porter un jugement, soit seul, soit dansleconseil duRoi,sur aucune question me concernant. Je lui ai seulement proposé de réparer un fait qui lui était personnel, et qu’il pouvait réparer alors, sans éclat et sans inconvénient. Il ne l’a pas voulu ; son opinion m’inquiéterait, si je n’étais pas rassuré d'avance par l’opinion publique. Signé : le comte d’Espagnac. SECONDE SUPPLIQUE DU COMTE D’ESPAGNAC, MESTRE DE CAMP DE CAVALERIE, A L’ASSEMBLÉE NATIONALE (1)% (ÉCHANGE DU COMITÉ DE SANCERRE.) (Imprimée par ordre de V Assemblée nationale.) Un arrêt du conseil d’Etat, rendu sous le ministère de M. l’archevêque de Sens, avait établi une commission composée de quatre conseillers d’Etat et d’un maître des requêtes, pour procéder à l’examen de tout ce qui concerne la forme et le fond du comté de Sancerre, etc ..... pour, sur le compte qui en serait rendu au Roi par les commissaires, être par lui statué en son conseil royal des finances, en présence et de l’avis desdits commissaires, ce qu'il appartiendrait. Un second arrêt du Conseil d’Etat, rendu sous le même ministre, avait commis le sieur Lorry, inspecteur général du domaine, pour être procédé, à sa poursuite et diligence, à l’exécution du présent arrêt . Un troisième arrêt du Conseil d’Etat, rendu sous le même ministre, sur la requête de l’inspecteur général du domaine, avait ordonné qu’avant de faire droit sur cette requête, elle me serait (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur.