84 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 avril 1790.] fatiguer, épuiser la nation, et amener enfin la plus terrible catastrophe. Or, cette mesure grande, ferme et vigoureuse, est celle des assignats. Et remarquez en même temps combien elle est simple, combien elle est à portée de tous les esprits; peut-être même est-ce son extrême simplicité qui lui enlève un grand nombre de partisans. Je ne sais pourquoi, mais en tout, les idées simples sont celles que les hommes adoptent les dernières, et avec le plus de difficulté. On pourra trouver sans doute quelques inconvénients dans le système des assignats, parce qu’il n’est aucun système humain qui en soit exempt ; mais, certes, il n’en est point qui présente d’aussi immenses avantages, et je ne crains pas de le dire, il est le seul qui puisse sauver la chose publique. — J’adopte donc le projet de M. de Mirabeau , et je me réserve d’y faire quelques amendements. M. de Talleyrand, évêque d’Autun , monte à la tribune pour continuer la discussion. Un grand nombre de membres demandent que la discussion soit fermée et qu’on aille aux voix. M. Charles de Lameth. 11 y a quatre questions à résoudre : la première, s’il y aura des assignats; la deuxième, s’ils seront forcés dans la circulation ; la troisième , quelle sera la mesure des intérêts; la quatrième, à quelle somme on portera les assignats. Je demande que la discussion soit fermée sur l’ensemble seulement et qu’ensuite elle ne soit close que successivement sur chacune des questions. M. Boutteville-Dumetz. Je propose de fermer la discussion sur les deux questions suivantes qui ont été complètement débattues : les assignats auront-ils un cours libre ou forcé? les assignats porteront-ils intérêt ou non ? M. le baron d’Allarde. La discussion n’a commencé qu’hier, en réalité; la question est assez importante pour qu’elle dure trois jours. M. le comte de Croix. Avant de fermer la discussion, je prie le comité des finances de nous faire connaître l’opinion du premier ministre des finances. M. Démeunier. On peut fermer la discussion sur la totalité du plan, sans l’interdire sur chaque article en particulier. Quant à la question faite par M. de Croix, nous savons que le premier ministre des finances espère le salut de la chose publique de la création des assignats. Ceci me donne l’occasion de répondre à M. de Cazalès que les inconvénients du papier-monnaie ont été débattus, mais qu’il ne s’agit pas de papier-monnaie, mais seulement d’assignats, de délégations assurées et fixes sur des biens existants, désignés, très supérieurs en valeur aux assignats à émettre. L'Assemblée, consultée, décide que la discussion est fermée sur le fond. L’article lor est lu. M. le marquis de Lancosne. Je propose d’introduire dans cet article une disposition pour que les porteurs de contrats sur le clergé soient payés concurremment avec les porteurs d’assignats et que les intérêts des créanciers du clergé soient payés dans les provinces. M. l'abbé Breuvard. Je demandeque les dettes contractées parles curés delà province de Flandre pour reconstructions de presbytères soient à la charge de. la nation comme les autres dettes du clergé. M. Anson, rapporteur. Il n’existe plus que des domaines nationaux; il n’y a plus de domaines de la couronne, ou de domaines ecclésiastiques. Lorsque la nation réserve sur deux milliards quinze à seize cents millions pourservirles deux cents millions des dettes du clergé, on ne fait aucun tort à ses créanciers : les admettre à exercer un privilège sur les premières ventes, ce serait perdre l’eflet des assignats et susciter des moyens d’embarras, sans aucune utilité pour ceux qui les feraient naître. M. le marquis d’Estourmel. L’amendement dç M. Breuvard est de toute justice. Je l’appuie en demandant qu’il soit étendu au clergé des provinces belgiques. M. Merlin. L’amendement est sans objet, parce que les dispositions de l’article 1er comprend, sous le nom générique de clergé, non seulement le clergé de France, mais encore le clergé d’Alsace, des provinces belgiques et de toutes les provinces de l’Empire. M. Martineau. Il faut renoncer au salut de l’Etat ourejetertous les amendements. On propose de donner un privilège aux créanciers du clergé; mais a-t-on fait attention que si toutes les dettes générales ou particulières sont mises à un rang privilégié, il ne sera pas vendu un arpent de terre qu’il ne survienne une infinité d’oppositions. On propose de rembourser les contrats du clergé; mais la nation doit rembourser premièrement les dettes les plus onéreuses, celles qui coûtent 6 ou 7 0/0 et non celles qui n’en coûtent que quatre. Voici la grande différence entre les créanciers du clergé et ceux des particuliers. Je demande si le clergé, dans l’état ancien, eût vendu une propriété quelconque ; je demande, dis-je, si en ce cas le porteur du contrat eût pu demander son remboursement? On conviendra que non. Il en est de même aujourd’hui des ventes partielles que fera la nation et on doit décider de même, surtout parce qu’après les assignats il restera huit fois plus de biens qu’il n’en faut pour les dettes du clergé. M. Treilhard.L’amendementque je viensvous proposer ne doit entraver en aucune façon la circulation des assignats. Voici en quels termes il est conçu : « Il sera délivré à ceux qui justifieront avoir légalement con tracté avec le clergé, des biens ecclésiastiques jusqu’à concurrence de leurs capitaux si les créanciers le désirent. « En conséquence les quatre cents millions de biens ecclésiastiques qui doivent être aliénés en exécution des décrets des 2 novembre et 17 mars derniers seront affranchis et libérés de toutes hypothèques et privilèges envers lesdits créanciers au clergé. » M. Roederer. Cet amendement, s’il était adopté, ferait perdre tout le fruit de l’opération actuelle. M. Fréteau. Afin de rendre l’amendement de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (17 avril 1790.] M. Treilhard acceptable pour (out le monde, je propose de retrancher le second paragraphe et de commencer le paragraphe premier par ces mots ; En outre des quatre cents millions, il sera délivré, etc... M. Rewbell. L’amendement et le sous-amendement étant contraires à l’esprit qui a guidé vos décrets, j’en demande le rejet. M. Démeunier. Je rends pleine justice aux intentions de M. Treilhard et je les partage ; mais je pense qu’il y aurait quelque imprudence à mettre en vente pour 150 millions de biens du clergé, en plus desquatre cents millions décrétés. Néanmoins, je ne verrais aucun inconvénient à terminer l’article par ces mots : « L’Assemblée se réserve de statuer sur les moyens de rembourser ou d’éteindre les dettes du ci-devant clergé. » M. Anson. Je suis fort étonné que ce soit dans l’Assemblée nationale qu’on élève des doutes sur la valeur de la garantie nationale. Je demande la question préalable sur tous les amendements. M. le Président met aux voix la question préalable et l’Assemblée décide qu’il n’y a lieu à délibérer sur aucun des amendements. L’article lor est ensuite relu, mis aux voix et décrété dans les termes suivants: « L’AssembIéev nationale a décrété et décrète : Art. 1er. « A compter de la présente année, les dettes du clergé sont réputées nationales ; le Trésor public sera chargé d’en acquitter les intérêts et capitaux. « La nation déclare qu’elle regarde comme créanciers de l’Etat tous ceux qui justifieront avoir légalement contracté avec le clergé, et qui seront porteur de contrats de rente, assignés sur lui ; elle leur affecte et hypothèque, en conséquence, toutes les propriétés et revenus dont elle peut disposer, ainsi qu’elle le fait pour toutes ses autres dettes. » (On demande que la suite de la discussion soit renvoyée à demain.) M. de Toulongeon. Je propose, au contraire, de décider que la séance ne sera pas levée tant que l’Assemblée n’aura pas statué sur les quatre premiers articles qui sont en discussion. (Cette motion est adoptée.) L’article 2 est lu. M. Merlin. Je propose de substituer dans cet article aux mots de : dette générale , ceux-ci : dette légale. M. A ns on, rapporteur. Au nom du comité, j’accepte l’amendement. M. le Président met aux voix l’article 2 ainsi amendé. Il est adopté en ces termes : « Art. 2. Les biens ecclésiastiques, qui seront vendus et aliénés en vertu des décrets des 19 décembre 1789 et 17 mars dernier, sont affranchis et libérés de toutes hypothèques de la dette légale du clergé, dont ils étaient ci-devant grevés, et aucune opposition à la vente de ces biens ne pourra être admise de la part desdits créanciers. » M. Anson, rapporteur. Vous avez statué, dans une précédente séance, sur les objets contenus 85 dans l’article 3° et c’est par ce motif que j’en demande la suppression. Je prie l’Assemblée de passer tout de suite à l’article 4e, qui deviendra le 3e par l’effet du retranchement que je viens d’indiquer. (Cette proposition est mise aux voix et acceptée.) L’article 4°, devenu le 3®, est mis à la discussion. M. le comte de Mont joye-Vaufrey demande une exception pour la province d’Alsace, relativement à la circulation des assignats. M. Liavie, députe de la môme province. L’Alsace s’estime heureuse de participer à tous les droits des Français; elle ne souffrirait point une exception qui serait injurieuse pour elle ; d’ailleurs, comme la circulation du numéraire ne peut être qu’activée parles assignats, la province y gagnera. M. le marquis de Toulongeon. Je demande que les assignats soient considérés comme monnaie courante seulement pour solder la dette exigible, mais qu’ils ne puissent être appliqués au paiement de la dette différée. M. Anson demande le rejet de tous ces amendements par la question préalable. La question préalable mise aux voix est adoptée. M. Dupont (de Nemours) propose deux nouveaux amendements qui sont combattus par le rapporteur et rejetés. M. Merlin. Comme les étrangers pourraient refuser de recevoir, en France, les assignats comme monnaie courante, je propose de modifier la rédaction de l’article et de dire : « auront cours de monnaie, entre toutes personnes, dans toute l’étendue du royaume.... » (Cet amendement est adopté.) L’article 4, devenu le 3e, est ensuite mis aux voix et adopté en ces termes : « Art. 3. Les assignats créés par le décrets des 19 et 21 décembre 1789, auront cours de monnaie, entre toutes personnes, dans toute l’étendue du royaume, et serontreçus comme espèces sonnantes dans les différentes caisses publiques et particulières. » M. le Président ajourne l’Assemblée à demain, neuf heures du matin, et lève la séance à quatre heures et demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE MARQUIS DE BONNAY. Séance du samedi 17 avril 1790 au matin (1). La séance est ouverte à 9 heures du matin. M. Drevet de Reaujour, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance du jeudi au soir. M. le prince de Rroglie, autre secrétaire , lit celui de la séance d’hier. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.