BAILLIAGE DE CHALONS-SUR-MARNE. CAHIER Des doléances du clergé du bailliage de Châlons-sur-Marne , remis à monseigneur V évêque , comte de Châlons , pair de France , élu député pour les Etats généraux en 1789 (1). Le clergé du bailliage de Châlons, assemblé dans la salie de l’hôtel de ville, en vertu des lettres de convocation des Etats généraux, et de l’ordonnance de M. le baron de Freval, grand bailli d’épée, présidée par monseigneur l’évêque, comte de Châlons, pair de France , Considérant que le désordre des ‘finances, le poids accablant des impôts, la masse effrayante de la dette publique, la multiplicité des abus et des maux qu’a fait naître l’incertitude de notre constitution, enfin le danger imminent de l’Etat, réveillent le patriotisme dans tous les cœurs; Considérant en outre que le Roi, profondément touché du malheur de ses peuples, ne veut plus d’intermédiaire entre lui et ses sujets, qu’il les rassemble autour de son trône pour apprendre d’eux-mêmes les sacrifices qu’il doit faire à leur bonheur et pour fonder la prospérité de l’Etat, non sur des réformes momentanées, mais sur üne constitution inébranlable ; Considérant enfin que cette heureuse renaissance doit être préparée dans les assemblées du bailliage, et que chaque ordre doit y apporter le tribut de ses lumières et de son zèle, Le clergé du bailliage reconnaît cette Providence éternelle dont l’action, toujours sentie et jamais aperçue, dispose seule du sort des empires ; il la remercie d’avoir inspiré au Roi cette grande résolution, dont le succès doit assurer également la gloire de son règne et le bonheur de la génération future ; et s’il se rappelle dans ce moment qu’il forme une partie du premier ordre de l'Etat, ce n’est que pour donner le premier exemple du dévouement le plus entier. Le premier objet de ses délibérations a été de charger son député de porter aux pieds du trône l’hommage de sa reconnaissance, de son amour et de son respect ; de rappeler ensuite à Sa Majesté l’engagement qu’elle a pris, à son sacre, de maintenir et faire respecter l’antique foi de nos pères, de continuer sa protection royale à l’Eglise de France, de la défendre contre les attaques des ennemis de la religion, qui sont toujours ceux de l’Etat, et de conserver au clergé séculier et régulier l’affection qu’il a toujours méritée par sa fidélité et son attachement. Après avoir rempli un devoir inspiré par le sentiment et commandé par la religion, le clergé du bailliage de Châlons présente à l’assemblée des Etats généraux son vœu sur les grands objets qui intéressent également tous les ordres de l’Etat ; il demande : (1) Nous publions ce cahier d’après un imprimé de la Bibliothèque du Sénat , ' ; SUR LA CONSTITUTION 1° Que l’ancienne constitution, essentiellement monarchique, et reposant sur la distinction réelle et permanente des trois ordres, soit conservée. 2° Qu’on assure le droit imprescriptible et inaliénable que les Etats généraux ont seuls et exclusivement de voter et consentir l’impôt. 3° Qu’on reconnaisse l’adhésion des trois ordres pour valider l’impôt et ses formes, de manière que deux ordres consentants ne puissent jamais engager le troisième, s’il est dissident. 4° Qu’on vote en conséquence par ordre et non par tête. 5° Qu’on fixe les limites de l’autorité confiée aux différents corps intermédiaires entre le souverain et la nation, lorsqu’elle n’est pas assemblée, de manière qu’ils ne puissent jamais, oubliant leur première institution et la nature de leurs fonctions, prétendre modifier, interpréter ou même rejeter les lois concernant l’administration générale et particulière qui auraient été sanctionnées par le concours de l’autorité royale et des Etats généraux ; qu’il soit arrêté en conséquence que toutes les ordonnances rendues de concert avec les représentants légitimes de la nation, seront vérifiées et publiées sans opposition ni délai. 6° Que, pour remédier efficacement au malheur de l’Etat et en prévenir le retour, il soit déclaré que l’on ne peut ni ne doit s’occuper de l’examen des questions relatives aux dettes publiques ou à l’état des finances que préalablement on n’ait reconnu comme loi fondamentale la convocation des Etats généraux, lesquels s’ajourneront à trois ans, sans qu’il soit besoin de lettres particulières ni d’autres règlements que ceux qui auraient été délibérés et consentis par les représentants de la nation dans leurs prochaines séances. 7° Que, dans l’intervalle des assemblées des Etats généraux, il n’y ait point de commission intermédiaire chargée de les représenter et de veiller à l’exécution de leurs arrêtes. 8° Qu’en exécution des promesses solennelles faites par le souverain, il soit établi des Etats particuliers dans toutes les provinces, et spécialement dans celle de Champagne, sur laquelle le poids des impôts s’est aggravé d’une manière si fâcheuse. 9° Que ces Etats provinciaux soient chargés exclusivement de l’assiette et de la perception des impôts, sous la condition d’abonnements particuliers, dont la proportion avec la masse générale du royaume aura été déterminée par les Etats généraux ; qu’on assure en même temps aux provinces l’autorité d’administration nécessaire pour opérer un bien réel et durable, et les délivrer de toutes les entraves qui retarderaient leur marche. • 10° Que toutes les exemptions pécuniaires soient abolies, parce qu’en supposant Pexereieë de la liberté nationale justement tempéré, et lq [Etats gén. 4789. Cahiers.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Châlons-sur-Marne.J concours de tous les ordres à l’administration de l’impôt, elles ne pourraient être qu’abusivement considérées comme une suite des prérogatives essentiellement distinctives, et tendraient à altérer le respect que tous bon Français doit conserver pour les principes dé justice constitutionnelle qui sont la base de toutes ces prérogatives. 11° Que le montant de la dette publique, pour qu’elle soit reconnue nationale, soit vérifié et constaté de la manière la plus authentique dans les Etats généraux. 12° Que si, en constatant la dette publique, il est reconnu qu’il a été accordé des intérêts au-dessus du taux fixé par la loi, ils soient réduits comme usuraires. 13° Qu’on propose aux Etats généraux, comme moyens de parvenir à liquider la dette : 1° la vente des domaines royaux, à laquelle les divers Etats provinciaux seraient chargés de procéder successivement, en détail, sur les lieux, pour la partie située dans leurs districts ; par conséquent, qu’on révoque la loi portée par les Etats de 1 356, qui déclarèrent les domaines du Roi inaliénables, loi aujourd’hui sans objet et sans motifs ; 2° les bonifications qu’une sage économie peut assurer dans toutes les parties de l’administration ; 3° la fixation invariable des monnaies et l’établissement d’une caisse nationale, dont les administrateurs seraient choisis par les Etats généraux, et comptables à eux seuls. 14° Que chaque année l’état des pensions et rentes viagères éteintes par la mort des rentiers soit rendu public, et que le bon résultant desdites extinctions forme une niasse destinée au remboursement de rentes foncières. 15° Que, conformément aux principes d’équité qui détermineront les trois ordres à consentir des impôts également répartis, toutes les provinces sans exception , et comme faisant partie du même Etat, contribueront aux charges publiques d’une manière proportionnée à leurs ressources, sans pouvoir se prévaloir de leurs capitulations particulières, dont les différentes clauses n’ont jamais pu justifier d’autres droits que celui de consentir l’impôt. Qu’il soit observé cependant que les raisons de commerce ou déposition peuvent apporter quelques modifications à cette règle générale. 16° Qu’on prononce la suppression et extinction permanente des droits de gabelle, dont les inconvénients et les abus sont malheureusement trop connus. Même vœu pour les aides. 17° Que tous impôts territoriaux ou personnels actuellement existants : la taille et ses accessoires, la corvée, la capitation et les vingtièmes, soient supprimés comme n’ayant jamais été consentis par la nation, ou ne l’ayant été qu’en partie, et sous des modifications et restrictions, tant pour la durée que pour la quotité, qui n’ont point été respectées, mais au contraire rendues de nul effet par des extensions arbitraires et fiscales. 18° Qu’on examine quel pourrait être le produit de l’impôt territorial, unique, propre à remplacer les impôts du même genre qui auraient été supprimés, et dont la répartition pût être également faite sur les trois ordres en raison de leurs propriétés. 11 doit être observé que l’impôt territorial en nature paraîtrait le plus juste, le plus simple et le moins dispendieux, en supposant 1° qu’il serait perçu dans une proportion modérée et telle que l’industrie agricole ne pût éprouver aucun découragement ; 2° que les soins de la perception seraient confiés aux Etats provinciaux ; 3° que cette perception ne pourrait jamais, sous aucun prétexte et dans aucune circonstance, être abandonnée à une compagnie de régisseurs ou de fermiers généraux, mais serait adjugée particulièrement dans chaque paroisse par les délégués des Etats provinciaux, en présence de la municipalité; 4° que les pailles seraient consommées dans les paroisses. 19° Que tous les contrats et effets soient enregistrés dans une chambre chargée de la répartition de l’impôt, trois mois après son établissement, et qu’au défaut d’enregistrement dans le délai ci-dessus déterminé , lesdits contrats et effets soient déclarés nuis, si le commerce n’en souffre pas. Que les effets royaux devenus immeubles fictifs soient taxés comme les réels immeubles. 20 Qu’il soit établi une capitation personnelle et proportionnelle aux facultés réelles. 21° Que les droits à établir sur les consommations soient dirigés principalement sur celles de luxe, afin que, portant sur le superflu, ils pèsent le moins qu’il sera possible sur les classes qui ont besoin d’être allégées. 22° Qu’on fixe les dépenses ordinaires pour tous les départements ministériels, et que cette fixation reste invariable jusqu’à la tenue des Etats suivants. 23° Qu’on détermine également la somme qui pourrait être distribuée en pensions ; qu’on supprime celles dont le motif paraît être insuffisant, et qu’on réduise celles qui seraient jugées trop fortes ; que Sa Majesté serait suppliée de vouloir bien, conformément à rengagement qu’elle en a pris elle-même avec la nation, en rendre l’état public à la fin de chaque année, ainsi que le compte général de ses finances. 24° Que, pour éviter ou diminuer au moins les frais occasionnés dans le régime actuel par les mouvements de caisse, le produit des impositions perçues dans chaque province serve à acquitter directement et sans déplacer les fonds les dépenses particulières, et même la partie des dépenses générales dont les objets se trouveraient compris dans l’étendue des districts provinciaux. 25° Qu’on vote la modération ou même la suppression de tous les droits domaniaux, ne réservant que ceux des papiers timbrés ou autres nécessaires pour conserver la notoriété des actes; mais qu’ils devraient être si légers qu’ils parussent plutôt aux contribuables une précaution sage qu’un impôt ; en conséquence, que les Etats provinciaux soient chargés de surveiller la fabrication des papiers, afin que la qualité des fournitures soit toujours conforme à celle des échantillons. SUR LA JUSTICE. 1° Qu’on s’occupe de réformer les abus qui existent dans l’administration de la justice, en sorte* qu’elle soit plus prompte, plus facile à obtenir, moins dispendieuse, et rapprochée des justiciables dans une proportion convenable et déterminée avec les rapports de population et d’étendue des provinces, particulièrement pour la Champagne. 2° Qu’on supprime les épices, et qu’elles soient remplacées par des honoraires fixes et suffisants. 3° Qu’on réclame l’abréviation des procédures, dont les formes soient simplifiées et dégagées de toutes les entraves de la chicane ; que, pour assurer l’exécution de ce vœu, on demande l’établissement d’un nouveau code criminel et civil, qui énonce d’une manière précise et invariable, 584 [États gén. 1789. Cahiers.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Châlons-sur-Marne. dans l’interprétation , les grands principes du droit public et particulier; en conséquence, qu’on interdise à tous les juges, soit supérieurs, soit inférieurs, l’usage de ce qu’ils appellent la jurisprudence de la cour, qui les rend arbitres de la loi, lorsqu’ils ne devraient en être que les organes. 4° Qu’il soit établi dans chaque province un nombre de tribunaux correspondant à celui des arrondissements, et auxquels ressortiraient toutes les causes, même celles pour les impositions, qui seraient jugées en première instance par une chambre particulière de ces bailliages ou présidiaux, et iraient ensuite par appel à la cour souveraine de la province. 5° Que le nombre des notaires soit réduit dans une proportion convenable. 6° Que les offices de procureur soient supprimés à la mort des titulaires, et que leurs fonctions soient réunies à celles des avocats. 7° Que dès à présent les charges d’huissiers-priseurs et de greffier des experts soient remboursées et éteintes. 8° Qu’on abolisse les droits de committimus , les privilèges du sceau du Ghâtelet de Paris, les commissions particulières, et toutes les évocations au conseil. 9° Que la juridiction consulaire soit maintenue, et que toute cause de commerçant à commerçant ou de particulier (de quelque qualité qu’il soit) à commerçant, pour marchandises fournies, soit jugée souverainement par les juges consuls. 10° Qu’il soit créé pour les pauvres, dans chaque province, auprès de chaque siège royal, un tribunal gratuit de paix, dont les juges soient choisis par les municipaux, et prononcent sur toutes les contestations, sauf aux parties à se pourvoir. 11° Qu’on assure la liberté individuelle de chaque citoyen, et qu’aucun ne puisse être arrêté que pour être remis à ses juges naturels. 12° Qu’il soit établi cependant dans le royaume un tribunal de confiance qui juge, toujours sous le sceau du secret, de la nécessité d’accorder quelquefois des ordres extraordinaires aux familles pour la détention d’un sujet qui compromettrait leur honneur, s’ils avaient recours à la publicité et à la lenteur des procédures ordinaires. 13° Que les Etats généraux, de concert avec le souverain , avisent aux moyens de vaincre ou d’affaiblir le préjugé injuste qui fait rejaillir sur une famille entière l’opprobre d’un de ses membres. 14° Que les corps ecclésiastiques et autres bénéficiers soient autorisés à recevoir le remboursement des censives différentes du droit seigneurial, ca-rités, lots et ventes, et à acheter des fonds pour placement de la valeur desdites censives au denier quarante, la carité trois fois, et les lots et ventes de même, sur le pied du dernier contrat, sans payer le droit d’amortissement ni obtenir de lettres patentes à cet effet, à la charge toutefois, par les corps et les particuliers, de justifier à l’ordinaire du remplacement. 15° Que les maîtrises des eaux et forêts soient supprimées ; que l’administration en soit confiée aux Etats provinciaux, et le contentieux renvoyé aux juges royaux. SUR LE BIEN PUBLIC. 1° Qu’en attendant qu’il soit possible de former un plan général pour abolir entièrement la mendicité, l’administration des dépôts soit confiée aux Etats provinciaux. 2° Que les aumônes du Roi soient répandues chaque année dans les provinces, et que la distribution en soit confiée à un bureau composé de l’évêque, d’un chanoine, d’un curé de la ville et deux de la campagne. 3° Que l’établissement des Quinze-Vingts soit supprimé, et que les fonds en soient répartis également dans toutes les provinces pour être distribués par le canal du même bureau, où l’on appellera de plus quatre notables nommés par les officiers municipaux. 4° Que l’on diminue le nombre des usines qui mettent des entraves à la navigation, et dont la multiplicité produit la rareté et la cherté des bois. 5° Qu’il soit défendu de planter des ozeraies dans le lit des grandes rivières. 6° Qu’on supprime les grau des routes qui seraient jugées inutiles par les Etats provinciaux. 7° Qu’on supprime également toutes les garennes qui existent sans titres, et celles mêmes qui, avec titres, ne sont pas revêtues des conditions prescrites par la loi. 8° Que, pour favoriser l’agriculture, sur laquelle pèsent toutes les charges, il soit établi une proportion plus juste entre le taux de l’intérêt de l’argent et le produit des fonds. 9° Que, l’incertitude des possessions étant une source de procès et de discussions continuelles en Champagne, il soit ordonné que chaque paroisse fera dresser un cadastre général des propriétés de son territoire, aux frais des municipalités et des propriétaires , opération qui deviendra d’ailleurs avantageuse à l’administration provinciale. 10° Que, pour remédier aux abus de l’administration des revenus des biens communaux dans les villes, dont les conseils sont vicieux dans leurs formations, dont l’administration est partagée en deux corps, où les communes ne sont pas appelées pour les élections, et où les échevins, excluant les conseillers, rendent leurs gestions mystérieuses, il soit ordonné que l’on appellera à l’avenir les députés de tous les corps pour l’élection ; qu’il sera formé un conseil composé d’un certain nombre de membres choisis dans les trois ordres, suivant la population des villes; que les comptes seront rendus conseil tenant; enfin, qu’il sera soumis à la surveillance des Etats provinciaux; qu’il en soit de même pour l’administration des hôpitaux. SUR LE COMMERCE. 1° Qu’il soit avisé aux moyens d’encourager le commerce, pour arrêter les suites funestes du traité consenti avec l’Angleterre, et qui a fait peut-être un tort irréparable à nos manufactures, particulièrement à celles de Champagne et de Normandie. Qu’il soit examiné s’il est avantageux de sanctionner ce traité, ou s’il est plus convenable de le rompre; 2° Qu’on discute les avantages et les inconvénients des privilèges exclusifs accordés ou vendus par des ministres avides à des compagnies dont les intérêts particuliers se trouvent presque toujours en opposition avec les véritables intérêts du commerce national. 3° Que, pour honorer le commerce et diriger vers le bien public le goût prédominant des Français pour les distinctions flatteuses, le Roi soit supplié d’accorder des lettres d’anoblissement aux négociants qui se seraient rendus recommandables par leur patriotisme et l’étendue de leurs spéculations, à condition qu’ils conti- [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [Bailliage de Châlons-sur-Marne.] ggg nueraient pendant cent ans une profession aussi honorable qu’utile. 4° Qu’on supprime toutes les barrières qui mettent des entraves au commerce intérieur, et qu’on les recule jusqu’aux frontières. SUR LA NOBLESSE. 1° Que, pour concentrer dans l’ordre de la véritable et ancienne noblesse le respect et les privilèges honorifiques dont il a toujours joui dans l’Etat, il soit établi que les Etats provinciaux se feront représenter et vérifieront les titres nécessaires pour justifier la noblesse d’extraction, à l’effet de dresser des nobiliaires exacts ; et qu’il soit ordonné que tous ceux qui différeraient après un délai donné, ou même qui refuseraient de s’y faire inscrire, seraient déchus des prérogatives de l’ordre auquel ils prétendraient appartenir. 2° Qu’on supprime et rembourse toutes les charges donnant la noblesse que le Roi, par le droit de sa couronne, ne peut jamais conférer sous aucune condition pécuniaire, mais seulement pour encourager les vertus patriotiques et récompenser les services rendus à l’Etat; que ces charges soient distinguées en deux classes : les premières, dont les fonctions seront toujours nécessaires pour le maintien de l’ordre et la distribution de la justice; les secondes, dont l’exercice est nul ou nuisible au peuple; que les premières soient conservées, mais sans privilège de noblesse, sinon pour les titulaires actuels; que le Roi puisse néanmoins accorder de son propre et libre mouvement le privilège de la noblesse aux magistrats ou aux autres qui auraient mérité cette distinction par celle de leur service ; que les secondes restent éteintes, sans avoir cependant un effet rétroactif. 3° Que le Roi veuille bien faire remettre aux Etats, lors de leurs séances périodiques, l’état des anoblissements accordés. 4° Que l’assemblée des Etats généraux mette au nombre des objets les plus dignes de fixer l’attention du Roi et d’exciter sa sensibilité, la nécessité de venir au secours de la noblesse pauvre de son royaume, qui a la générosité de renoncer à une partie de son nécessaire en renonçant à toute exemption pécuniaire, qui fait à l’Etat les mêmes sacrifices que la haute noblesse sans avoir les mêmes dédommagements, et qui éprouve tous les besoins du tiers-état sans profiter de ses ressources. SUR LE CLERGÉ. 1° Que l’ordre du clergé, pour prouver au Roi et à la nation qu’il n’a témoigné tant d’attachement à ses formes antiques que parce qu’il les regardait comme le dernier monument de l’ancienne liberté nationale en matière d’impôt, et qu’il n’a jamais considéré ses privilèges distinctifs comme ur moyen de se soustraire aux charges, non-seulement consent, mais sollicite la suppression de tout impôt distinctif et le remplacement par une imposition commune aux trois ordres. Qu’en conséquence les décimes et chambres diocésaines soient abolies. 2° Que les dettes qui ne pourraient être considérées que comme des anticipations sollicitées par le souverain, toujours nécessitées par les besoins de l’Etat, dont les impositions annuelles qu’elles représentaient étaient l’hypothèque et le moyen de remboursement, dont la masse ne s’est accumulée que parce que de nouveaux besoins de l’Etat ont successivement sollicité de nouveaux emprunts avant le remboursement des premiers dons gratuits, soient mises au nombre des dettes nationales. 3° Que le clergé, qui n’acquiert plus, qui n’est qu’usufruitier, qui, régénéré sans cesse par les deux autres ordres, ne peut se considérer que comme le dépositaire des biens dont il jouit, ne puisse, dans aucun cas, consentir l’aliénation de ses propriétés. 4° Que les droits honorifiques des corps étant pour eux des propriétés qui intéressent leurs dignités et leurs prépondérances, le clergé soit maintenu dans la jouissance des siens, qui lui sont précieux comme monument de son antiquité et de son lustre, comme privilèges distinctifs accordés par nos rois et avoués par la nation. 5° Que le clergé, en renonçant à la forme des dons gratuits, s’adresse au Roi et à la nation assemblés pour obtenir: 1° la conservation de tous ses autres privilèges, dont le corps et les individus ont toujours joui ; 2° le retour périodique de ses assemblées qui auront désormais pour objet tout ce qui peut intéresser la religion, la morale et la dicipline ecclésiastique. 6° Qu’il y ait, en conséquence, tous les ans, un synode dans chaque diocèse ; que tous les trois ans on assemble un concile provincial ; que tous les objets qui y auront été traités soient portés à un concile national qui aurait lieu tous les cinq ans, auquel seraient députés un évêque de chaque province, un régulier et deux représentants du second ordre, dont un au moins serait pris dans la classe de MM. les curés. 7° Que la décadence des études étant devenue malheureusement trop sensible, il soit créé un corps enseignant, dont le clergé présentera le régime, et aura seul la surveillance. 8° Que la loi qui accorde des effets civils aux non catholiques soit interprétée relativement aux droits de patronage affecté aux fiefs qu’ils pourraient posséder ; que cet article ayant déjà excité le zèle du Parlement et les inquiétudes de la dernière assemblée du clergé, on suspende le droit de patronage attaché aux fiefs, jusqu’à ce qu’ils rentrent en des maius catholiques, et qu’en attendant on le fasse exercer par l’ordinaire. 9° Que, malgré la tolérance civile accordée aux non catholiques, le culte extérieur de la religion catholique et romaine soit le seul eu France, et qu’il soit reconnu comme une loi fondamentale. 10° Qu’on s’oppose à la suppression de tout bénéfice ayant office public; qu’on sollicite vivement, en conséquence, la cassation de l’arrêt du conseil qui a ordonné la suppression de toutes les saintes chapelles du royaume, et notamment celle de la Sainte-Chapelle de Paris, qui est le dernier monument de la piété de saint Louis. 11° Qu’on restitue au clergé les biens qui lui ont été enlevés par la suppression de plusieurs ordres religieux , tels que les Grammontains, Saint-Ruf, les Antonins, les Célestins et autres. 12° Que le Roi et la nation prennent sous leur protection spéciale tous les ordres religieux, et les mettent à l’abri de l’influence de la commission, ou de toute autre semblable, en attendant que les premiers conciles nationaux prononcent sur les moyens les plus sûrs de rendre la conservation de tous les ordres religieux de plus en plus utiles à l’Eglise et à l’Etat. 13° Que Sa Majesté soit suppliée d’assimiler les propriétés de mainmorte à celles de la noblesse et du tiers-état, et retirer ses arrêts -du 21 janvier 1738 et du 7 septembre 1785, concernant 586 [États gén. 1789. Cahiers.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [Bailliage de Châlons-sur-Marne.! les formalités à observer pour les constructions et reconstructions des bâtiments appartenant aux gens de mainmorte. 14° Qu’il soit pourvu à une dotation suffisante des fabriques. 15° Que les collateurs ne puissent être prévenus qu’un mois après la vacance. 16° Que les collateurs soient obligés, par une loi expresse, de donner aux curés J a moitié des canonicats de cathédrales et collégiales vacants par mort. 17° Que les annexes qui sont trop éloignées pour pouvoir être desservies commodément par le curé de la mère-église, et qui sont assez considérables pour exiger la résidence .d’un pasteur, soient érigées en titre de cures. 18° Que dix ans d’exercice dans une cure de campagne supplée au droit de gradué pour posséder une cure de ville. 19° Que les dispenses de temps d’études pour obtenir des degrés dans les universités soient abolies. 20° Que les classes les plus laborieuses et les plus utiles aux yeux de la religion et de l’Etat doivent avoir les premiers droits aux bienfaits de Sa Majesté; il serait injurieux aux principes de justice et de sagesse qui la caractérisent, qu’on pût soupçonner qu’elle exclue, par un principe d’administration, les curés de son royaume des grâces ecclésiastiques; en conséquence, qu’elle soit suppliée de les faire participer à ses bienfaits en raison même de leur utilité; que, conformément aux règles canoniques, les pensions sûr tous les bénéfices consistoriaux ne puissent excéder le tiers du revenu. * 21° Que la gloire du clergé et la reconnaissance de tous les citoyens réunissant le vœu des trois ordres pour améliorer le sort de MM. les curés, le plan qui sera présenté à la nation leur assure une existence honorable dans leurs vicariats, dans le cours de leurs fonctions pastorales, et même dans leur noviciat, leurs maladies et leur vieillesse. En conséquence : Qu’on dote, pour les jeunes gens qui se destinent au sacerdoce, des maisons d’éducation gratuite, dans lesquelles ils seront admis au concours. Qu’ou fixe la portion congrue des vicaires à 500 livres, celle des curés de campagne à 1000 livres au moins, et celle des curés de ville à 1500 livres au moins. Qu’on fonde, pour les curés que leur âge ou leurs infirmités mettent hors d’état de remplir les fonctions du ministère, non des maisons, mais des pensions de retraite. Que, pour rendre les portions congrues et les pensions indépendantes des révolutions que peuvent éprouver le prix des denrées et la valeur des espèces, on les fixe en grains. 22° Que les dîmes, dont l’abandon a réduit au strict nécessaire plusieurs églises cathédrales et collégiales du royaume, sans enrichir les curés, soient considérées comme un moyen insuffisant de parvenir aux augmentations et établissements ci-dessus proposés; que ce moyen soit encore rejeté comnie destructeur de plusieurs établissements utiles, tels que les collèges, les hôpitaux, les séminaires, les communautés religieuses, dont la dîme est le soutien. 23° Que, d’après les obstacles qu’éprouverait de la part du souverain la réunion d’un grand nombre de bénéfices consistoriaux, et d’après les inconvénients qu’entraînerait celle des autres bénéfices. et l’extinction d’un grand nombre de titres, il ne puisse être procédé par la voie des réunions à la dotation des cures et des établissements projetés; 24° Que cependant, pour y parvenir sans attaquer aucune propriété, sans affaiblir le clergé par l’extinction d’aucun titre, et sans exciter les plaintes d’aucun contradicteur, Sa Majesté soit suppliée d’ordonner que tous bénéfices qui ne seraient pas à charge d’âmes, et qui viendraient à vaquer, demeurassent un an sans que le nommé commençât à en toucher les fruits qu’après une année révolue. 25° Qu’en conséquence il soit établi un séquestre qui jouirait pendant un an du revenu de tous les bénéfices, qui ne nuirait point au droit de collateur, mais retarderait la jouissance du nouveau pourvu, et qui acquitterait les charges du bénéfice pendant ladite année. 26° Que la masse des fonds déposés dans le séquestre serve a l’acquit des charges diocésaines, à l’augmentation nouvelle des portions congrues, aux pensions de retraites et autres établissements utiles au diocèse. 27° Que l’administration ordinaire du séquestre soit confiée à une commission ou bureau, dont les membres seraient choisis par le clergé du diocèse , lequel bureau serait composé d’un représentant des abbés, d’un représentant des chapitres, de quatre curés, dont un régulier, du syndic et du trésorier, et serait toujours présidé par l’évêque ou son représentant. 28° Que le bureau rende, chaque année, un compte public et imprimé de sa dépense et de sa recette ; que le compte, avant d’être livré à l’impression, soit rendu dans une assemblée composée des personnes ci-dessus désignées, et en outre de deux députés de chaque doyenné. 29° Qu’en outre ce séquestre établi dans chaque diocèse, il en soit établi un général à Paris, auquel correspondraient 4ous les séquestres particuliers. 30° Que l’objet de cette correspondance soit d’établir une solidarité respective entre les diocèses ; qu’à cet effet chaque séquestre diocésain verse dans le séquestre général l’excédant annuel de sa recette, ou y puise le déficit de sa dépense. Que ce séquestre général rende annuellement aussi le compte de sa recette et de sa dépense dans une assemblée composée de représentants de chaque diocèse, et le rende public par la voie de l’impression. 31° Que Sa Majesté soit suppliée de consentir la suppression des économats, qui excitent depuis longtemps la réclamation de tous les ordres, et que chaque séquestre diocésain soit chargé du soin confié çi-devant aux économats de veiller aux réparations dépendantes des bénéfices vacants. 32° Que Sa Majesté soit également suppliée de permettre que quelques-unes des riches abbayes qui sont vacantes, ou viendraient à vaquer, restent dans les séquestres diocésains, jusqu’à ce qu’un nombre suffisant d’autres bénéfices vacants fournissent auxdits séquestres des revenus proportionnés à leurs besoins, en sorte que les curés et autres personnes intéressées au succès de ce projet entrent incessamment en jouissance des augmentations et pensions projetées. 33° Que MM. les curés proposant de faire le sacrifice du casuel tarifé qui leur est accordé, le dédommagement dû à chacun d’eux soit réglé dans le synode diocésain, et fasse partie des charges ordinaires du séquestre général. 34° Que s’il arrivait (ce qui ne paraît pas possible, d’après les calculs particuliers à quelques fÉtats gén. 1789. Cahiers. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliags de Châlons-sur-Marne.] 587 diocèses) que les fonds de cet économat général fussent encore au-dessous de ses charges, il soit permis alors de chercher des ressources auxiliaires dans la réunion des bénéfices qui seraient, ou trop modiques pour nourrir un ecclésiastique, ou trop considérables pour être le patrimoine d’un seul. CAHIER De V ordre de la noblesse du bailliage de Châlons-sur-Marne , remis à M. de Pintinville de Cernan, élu député aux Etats généraux , le22mars 1789 (1). Avant de présenter les vœux que forme la noblesse du bailliage de Châlons pour le rétablissement des affaires publiques, elle croit devoir porter £& pied du trône l’hommage du très-profond respect, de„la fidélité inviolable et de la vive reconnaissance dont elle est pénétrée pour Sa Majesté; elle éprouve avec transport les sentiments que doit inspirer à tous ses sujets un roi qui, n’écoutant qu’une vertu sublime, a conçu le projet de fonder le bonheur de son peuplelsur la liberté publique , qui , des désastres mêmes de son royaume, va recueillir une gloire plus solide que celle que les triomphes eussent pu lui assurer. En vain le désordre qui s’est introduit dans l’administration des finances aura creusé, pendant des siècles, un précipice où semblait devoir se perdre la nation ; la sagesse de son auguste roi lui fait trouver, dans les malheurs de l’Etat, les principes d’une nouvelle prospérité. Sa gloire va devenir celle de ses sujets, et leur amour un sentiment profond et réliéchi, dans lequel il trouvera la récompense de ses vertus. Tel est le pur hommage qu’offre à Sa Majesté la noblesse de son bailliage de Châlons, et qui doit l’assurer d’une fidélité qu’elle est prête à faire éclater en toute circonstance. Et pour atteindre au but qu’elle se propose, elle va lui présenter les vœux et les demandes qu’elle forme pour le bonheur et la gloire de son monarque, et la félicité de son peuple. Art. 1er. Pour prévenir les variations qui sont survenues fréquemment dans les formes de convocation des Etats généraux, ainsi que dans la proportion des représentants des provinces et de chacun des trois ordres, Sa Majesté sera suppliée de permettre que ces formes soient fixées invariablement par la première assemblée qu’elle a convoquée pour le 27 avril prochain en sa ville de Versailles. Art. 2. De permettre aussi que le retour périodique des Etats généraux soit fixé par la délibération qu’ils prendront sur cet objet, et que Sa Majesté voudra bien approuver pour être érigée en loi fondamentale. Art. 3. Sa Majesté est également suppliée d’ordonner que les délibérations des Etats généraux seront prises par chacun des ordres séparément, sans que les deux ordres, formant un même vœu, puissent jamais obliger celui qui formerait un vœu contraire ou différent ; néanmoins les ordres seront libres de se réunir pour opiner par tête sur un objet particulier, lorsqu’il aura été voté dans chacun des trois ordres d’employer cette forme de délibération en commun et par individu. Art. 4. Il sera proposé aux Etats généraux d’examiner s’il ne serait pas possible d’établir une combinaison des suffrages recueillis par individus dans chaque ordre, telle que, sans sou-(1) Nous publions ce cahier d’après un ipiprimé delà pibliathègue du Sénat, mettre précisément un ordre à la volonté des deux autres réunis, elle produisît cependant un résultat qui dût être considéré comme le vœu général des trois ordres ; par exemple, dans le cas où les ordres ne pourraient se réunir au même avis, les voix individuelles seraient comptées dans chaque ordre; et s’il arrivait que deux ordres réunis, pour former la même demande, offrissent chacun cinq sixièmes des voix dont il sérail composé, et que le troisième, quel qu’il fût. présentât un tiers de ses voix,- qui se joindraient à l’avis des deux autres, la délibération serait censée être unanime dans les trois ordres. Get exemple uniquement présenté pour expliquer plus clairement l’idée. Art. 5. Il ne sera porté aucune nouvelle loi constitutionnelle, ni dérogé à aucune des anciennes lois qui intéressent la constitution, que sur la demande ou le consentement des Etats généraux. Quant aux lois particulières qui seront portées par Sa Majesté pour le maintien de l’ordre public et l’administration intérieure, elles seront vérifiées et enregistrées par les cours souveraines, autant qu’elles ne contiendront rien de contraire aux lois constitutionnelles, pour être exécutées par provision seulement, jusqu’à ce qu’elles aient été ratifiées par les Etats généraux lors de leur première assemblée. Art. 6. Toutes les lois portées par Sa Majesté, d’après la demande ou le consentement des Etats généraux, seront enregistrées dans les différentes cours souveraines, pour qu’elles aient à s’y conformer et à les faire exécuter. Art. 7. Sa Majesté sera très-instamment suppliée d’assurer la liberté individuelle de tous ses sujets par l’abolition de toutes lettres de cachet et autres ordres arbitraires, de manière qu’aucun citoyen ne puisse être arrêté que provisoirement, et pour être remis, dans un délai qui sera fixé par la loi, entre les mains de ses juges naturels. Il n’y aura d’exception que dans le cas où une famille solliciterait l’ordre de séquestrer un de ses membres qui la déshonorerait; et il ne sera reçu aucun mémoire à cet effet qu’il ne soit signé de six parents, ou autres personnes domiciliées et notables, lequel mémoire sera remis dans un dépôt particulier, et communiqué à la personne détenue en vertu dudit ordre, qui pourra se pourvoir, par elle-même ou toute autre personne pour elle, contre ceux qui l’auront signé, et les traduire devant les tribunaux ordinaires, qui décerneront contre eux, en cas d’infidélité dans l’exposé, tels dommages et intérêts, même telle peine qu’il appartiendra, et ordonneront l’élargissement de la personne privée injustement de sa liberté. Art. 8. Sa Majesté sera suppliée de permettre qu’aucune imposition ni perception de droits ou emprunts ne pourront être établis qu’au préalable les droits qui appartiennent à chaque citoyen individuellement et à la nation entière, n’aient été reconnus et invariablement fixés. Art. 9. II ne sera porté aucune loi bursale que sur la demande et le consentement de la nation. Quant aux lois particulières relatives à la perception de l’impôt, qui seront portées par Sa Majesté, elles seront vérifiées par les cours souveraines, qui ne pourront les enregistrer que provisoirement et autant qu’elles ne contiendront rien de contraire à la demande et au consentement des Etats généraux. Art. 10. Sa Majesté sera suppliée de foire présenter aux Etats généraux, par son ministre des finances, un tableau du produit de toutes les im-