(Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 janvier 1790.) 230 M. Fréteau appuie la motion en l’amendant ainsi : Les acte s se feront sur papier libre, mais en double, l'un restera à la municipalité, Vautre sera envoyé au district. M. Grangier observe que la motion de M. Ra-mel-Nogaret ne peut être relative qu’aux actes notariés, attendu que les règlements actuels affranchissent de ces formalités les actes des corps administratifs. M. Régnault d’Espercy demande le renvoi au comité des finances pour qu’il présente des articles sur cet objet. Un autre membre demande l’ajournement. M. Mougins de Roquefort réclame le renvoi au comité de Constitution. Ces trois propositions sont mises aux voix et rejetées. M. le Président met aux voix le décret qui est rendu en ces termes : « L’Assemblée nationale a décrété que tous les actes relatifs aux élections faites en exécution de ses décrets, et les délibérations qui seront prises pour la constitution des municipalités et autres corps administratifs, ainsi que pour toutes les opérations administratives, seront exempts de la formalité du contrôle et des droits de papier timbré, par quelques personnes que lesdits actes ou délibérations soient reçus ; « Que lesdits actes et délibérations seront transcrits de suite, et sans intervalle, sur le registre à ce destiné, coté par pages, et paraphé par première et dernière feuille par le président de l’Assemblée ; « Que lesdits actes et délibérations seront faits doubles, et qu’une expédition en sera envoyée au district pour y être transcrite. » M. le marquis de Lancosne monte à la tribune, mais comme son organe est trop faible pour se faire entendre, M. Guillaume prend sa place et donne lecture de sa motion. Nous ne pouvons, dit-il, nous dissimuler que les difficultés sans nombre que le trésor public éprouve dans la recette de diverses impositions ne soient les principales causes de notre désarroi financier. Plusieurs de ces impositions ayant été anéanties par le fait et devant l’être réellement, le vœu général a été depuis longtemps, à leur égard, fortement exprimé. Les autres éprouvent une perception lente et difficile, par la misère qui accable le peuple. Cependant l’Etat a des dettes que nous regardons comme sacrées ; l’Etat a des charges non moins indispensables. Nous devons nous presser d’adopter des moyens pour subvenir à toutes ces dépenses. Prenons nos mesures pour fixer nos idées sur un nouveau système de finances et sur un nouveau plan d’imposition, qui , en brisant les anciennes formes multipliées j usqu’à l’infini, fasse disparaître cette foule onéreuse d’impôts de toute espèce et la voracité de l’oppression du fisc sous laquelle nous gémissons depuis si longtemps; adoptons enfin un mode d’impôt simple, facile à répartir, dont la perception douce et économique et point oppressive, en fasse supporter le poids sans murmure. Je fais donc revivre les motions de M. de La Rochefoucauld et de M. Defermon, proposées il y a quelques jours et je demande la nomination d’un comité d'imposition de onze membres, chargé de s’occuper de la partie des impositions du royaume, et de présenter à l’Assemblée un plan sur cet objet essentiel. Je propose de décréter que ces onze commissaires devront travailler avec un député de chaque généralité, pour en tirer des lumières sur les localités du royaume; il sera même permis à ce comité d’appeler, dans certains cas, les étrangers à son travail. M. l’abbé Maury. Depuis huit mois, nous sommes assemblés, depuis huit mois, nous désirons régénérer le royaume, et nous nous sommes à peine occupés des finances. Le mot peuple est souvent prononcé dans nos discours ; il est temps qu’il soit pour quelque chose dans nos décrets. Celui de Paris est bien digne de pitié; il ne vit que de ses capitaux ou de son commerce : ses capitaux sont sans produit, puisque les rentes sur 1 ’hô tel -de-ville sont suspendues ; son commerce est nul ; les gens riches ou s’éloignent, ou resserrent leurs richesses. C’est du bonheur du peuple qu’il faut surtout nous occuper ; les classes privilégiées ont déjà fait de grands sacrifices. Ce n’est pas assez : je demande qu’on abolisse, dès ce moment, tous les droits qui se perçoivent aux barrières sur les consommations communes. Je ne propose pas de faire ce qui est arrivé si souvent, c’est-à-dire de détruire sans remplacer ; je propose au contraire de remplacer sur-le-champ la perception abolie par un impôt sur le luxe. On interrompt l'opinant, en le rappelant à l’ordre et à la question. M. l’abbé Maury. Je ne crois pas que ces réflexions soient étrangères à la question : personne ne prendra la défense du luxe, qui doit enfin devenir utile au patriotisme, après n’avoir servi qu’à la dépravation des mœurs. Je demande que le comité dont l’établissement est proposé nous donne le moyen de supprimer sur-le-champ les aides, impôt vraiment désastreux pour les campagnes; que cet impôt soit remplacé par des octrois sur les villes... Je crois aussi qu’il est indispensable d’établir un comité particulier, chargé spécialement d’examiner la dette publique arriérée, les dettes des provinces, les payements de l’hôtel-de-ville, etc. M. l’abbé Colaud de la Salcette propose à l’Assemblée de décréter que provisoirement et jusqu’à ce qu’elle ait définitivement statué sur la disposition des biens ecclésiastiques, les revenus de tous bénéficiers autres que les archevêques et évêques, excédant la somme de 3,000 livres de revenu net, seront employés au soulagement des )auvres. — On ne peut se récrier contre ma pro-Dosition, a-t-il dit; mille écus suffisent à un homme pour vivre et les prêtres dans l’état de détresse où nous sommes doivent donner l’exemple des plus grands sacrifices envers les pauvres. (Cette motion est couverte d’applaudissements ). M. Regnaud de Saint-Jean-d’Angely. Quand M. l’abbé Maury a demandé qu’on vînt au secours du peuple, on a reconnu l’esprit qui doit être attaché à son caractère. On a senti davantage encore cet esprit dans la motion que vient de proposer le préopinant, et qui serait adoptée avec empressement si les législateurs ne devaient pas faire céder l’enthousiasme à la réflexion. Je crois qu’elle doit être renvoyée au comité ecclésiastique, qui, par son travail, nous fera connaître avec [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 janvier 1790.) 281 précision l’étendue des sacrifices qu’on peut demander au clergé. Il est dangereux de se livrer à des motions anticipées, qui peuvent exciter le peuple en le trompant par des espérances exagérées. Les aides sont un impôt cruel que vous avez déjà jugé, et qu’il est dans votre intention de ne pas laisser subsister désormais. Les barrières sont un objet plus odieux encore ..... Il faut accélérer la nomination d’un comité ; il faut que ce comité nous propose un plan qui remplace ou réforme tous les impôts actuellement subsistants ; il faut qu’il nous procure un revenu égal à nos besoins. Mais, pour cela faire, ce comité doit connaître l’étendue de ces besoins. Nous devons donc statuer sur les motions qui nous ont déjà été présentées ; elles embrassent les créances des villes, celles des provinces, et la liquidation de la dette, qui, sans être constituée, ne fait pas moins partie de celle que vous avez mise sous la sauvegarde de la nation. Je demande donc qu’on nomme un comité de liquidation et un comité d’impositions. M. Ce Couteulx de Cantelen, membre du comité des finances , observe que la dette est constatée, que ce travail est sur sa fin, et qu’il pourra être soumis à l’Assemblée dans le courant de cette semaine. Il appuie ensuite la formation d’un comité d’impositions, qui serait ajouté à celui des finances et qui en ferait partie. 11 opine enfin pour un examen sérieux de la question des impôts sur le luxe comme tendant à ruiner ce même peuple qu’on voudrait soulager. 250,000 individus, marchands ou manufacturiers de la capitale ou de Lyon, ne sont occupés qu’à des objets de luxe. M. Blin. M. l’abbé Maury vous propose de décréter sur-le-champ la suppression d’un impôt considérable ; il veut soulager le peuple, et par une contradiction bien étrange, il vous engage à créer des octrois dans les villes ; il veut qu’on taxe le luxe, et le salut du peuple est l’objet de ce désir ; il n’a donc pas vu qu’il réduit ainsi deux cent mille hommes à n’avoir pas de pain : il est aisé de prouver que cet impôt miséricordieux du luxe mettrait sans pain le quart du royaume. Je vais présenter un seul exemple à l’appui de mon opinion. Une livre de lin vaut 15 ou 20 sous; sous des mains industrieuses elle devient coupon de dentelle, et sa valeur est de 800 livres. Ce changement a fait vivre vingt-cinq ouvriers pendant six mois. On propose l’établissement de deux comités ; le premier ne servirait à rien, puisqu’il aurait pour objet la liquidation de la dette, et que depuis quelques jours votre comité des finances a fait imprimer cet état de liquidation. On pourrait, dans le sein de ce dernier, former le nouveau comité dont on demande la création pour le système général d’impositions. M. le vicomte de Noailles vote pour la nomination d’un comité d’impositions et d’un autre de sept personnes seulement pour constater l’état au vrai de la dette publique. Il combat la motion de M. l’abbé Maury, sur le luxe, et celle de M. l’abbé Colaud sur les revenus ecclésiastiques. M. Duquesiioy regarde l’établissement de ces deux comités comme inutile, dés que le comité des finances s’est occupé de ces objets ; il se résume en proposant l’adjonction de quelques membres de l’Assemblée aux deux sections du comité des finances et en demandant la question préalable sur la nomination des deux comités; M. de Cazalès. L’impôt n’est dû qu’autanfc qu’il est nécessaire, et les bornes du besoin sont les bornes naturelles de l’impôt. Il suit de ce principe que vous ne pouvez accorder aucun impôt sans connaître les besoins de l’Etat, à moins que vous ne vouliez qu’on prenne sur les besoins réels du peuple pour satisfaire aux besoins imaginaires du gouvernement. Il faut donc d’abord nommer un comité qui nous indique ces besoins, en nous présentant la quotité de la dette, son origine et ses progrès. Le comité d’impositions doit être également établi ; c’est l’objet le plus intéressant et le plus délicat de notre travail. Je demande, à raison de l’importance de toutes ces matières, qu’on accorde aux finances trois jours par semaine. M. Barnave. Je demande à répondre à M. l’abbé Maury. On a cherché à soulager la capitale, et les classes les plus indigentes de la société : il s’est étrangement trompé dans l’ap-Rlication des principes purs qui le conduisaient. . propose de remplacer les impôts de consommation par des impôts de luxe : ainsi, il ruine Paris, et porte atteinte au commerce national. Je crois plus conforme à son objet de vous proposer, non pas une loi, mais une maxime à reconnaître, Les Anglais nous en ont donné l’exemple ; imi-tons-les, et convenons, tant que nos manufacturés n’auront pas repris leur état florissant, de ne nous servir que des marchandises fabriquées en France. Quant à la proposition de M. de la Salcette, qui veut réduire tous les ecclésiastiques bénéficiers à un revenu de 3,000 livres, elle est digne d’une plus grande attention : réduite aux bénéfices simples, elle se trouve parfaitement analogue à ce que vous avez fait sur les pensions. Si vous avez pu réduire celles-ci à mille écus, à plus forte raison pouvez-vous réduire les bénéfices simples à pareille somme ; d’ailleurs, en décrétant que les moindres cures vaudraient 1,200 livres, vous aviez nécessité une dépense à laquelle ces bénéficiers doivent concourir. La proposition de M. de la Salcette est donc juste et conforme à vos décrets sur les pensions et sur les biens ecclésiastiques. Je pense qu’il faut décréter cette proposition, en y mettant cependant pour amendement que vous exceptez les évêques et archevêques, sur Je sort desquels vous vous réservez de statuer. Le comité d’impositions sera vraiment néces saire. M. de Canteleu, organe du comité des finances, en a reconnu l’utilité. Il n’en est pas de même de celui qui serait chargé de la liquidation de la dette : ce travail appartient au comité des finances , qui depuis longtemps s’en est occupé. M. de Bobespferre. J’appuie une partie de l’avis du préopinant. Les biens ecclésiastiques appartiennent au peuple. Demander aux ecclésiastiques des secours pour le peuple, c’est ramener ces biens à leur première destination. Je demande qu’on mette en délibération la motion de M. de la Salcette avec l’amendement de M. Barnave. M. Charles de Cameth. J’ai entendu, avec le plus vif intérêt, mais sans surprise, la motion [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 janvier 1790.) 232 philantropique de M. l’abbé Maury... (On rit). M. l’abbé Maury se lève pour interrompre l’opinant. M. Charles de Lameth. Embarrassé du nombre des motions et des orateurs, je ne puis désigner celui dont il s’agit que par son nom. Il faut bien que je lui rappelle, avec Montesquieu, que la vertu même a besoin de limites ; qu’en voulant attaquer le luxe qui corrompt les moeurs, on ne peut oublier que nous ne cherchons point à constituer une nation nouvelle, mais à régénérer une nation dont le luxe fait la richesse, et pour laquelle le luxe est un besoin : une nation qui, comme les rois, est condamnée à la magnificence. J’observe, en passant, qu’il est plus aisé d’égarer le peuple que de le secourir ; que l’honneur de la popularité ne s’acquiert ni dans une, ni dans deux séances. J’observe que le préopinant se trompe souvent sur l’esprit des décrets de l’Assemblée, et je rappelle en peu de mots une erreur de cette nature, dont la circonstance actuelle renouvelle le souvenir, lin jour M. l’abbé Maury a réclamé avec force en faveur des domestiques ; il a dit qu’on les séparait des autres citoyens : il n’a pas voulu voir que l’Assemblée, en les privant d’être électeurs ou éligibles, a craint seulement l’influence dangereuse de celui qui commande sur ceux qui doivent obéir, et qu’elle a redouté ce que pourrait faire dans les élections un homme qui aurait vingt domestiques... Dans un moment où le peuple a besoin de repos, il ne faut point chercher à l’agiter... Renoncer à la faculté de secourir le peuple, c’est enlever un plaisir au cœur bienfaisant de M. l’abbé Maury. Ne pouvant donc faire croire sans danger au peuple que nous pouvons, si nous le voulons, le soulager des impôts qui l’obsèdent, cherchons un autre moyen. La motion de M. de la Salcette ne peut pas nous l’offrir, car elle iroduirait un changement trop fort pour des ïrélats qui ont 1 million, 800,000 livres, 500,000 ivres de rentes: nous voulons, s’il est possible, :’aire le bonheur de tous, en ne faisant le mal-leur de personne. On peut offrir à M. l’abbé Maury, et à tous les ecclésiastiques dont il est ’orgâne , une facilité pour remplir leurs vues bienfaisantes. Que le clergé, au lieu de payer pour sa contribution patriotique le quart de son revenu, en donne la moitié; ce second quart sera versé dans la caisse des départements, et employé directement à secourir les indigents. Mais il est impossible de supprimer les impôts sans les remplacer. On a prouvé que le remplacement proposé par M. l’abbé Maury était plus nuisible au peuple que l’impôt même. Notre recette est si faible que nous ne pouvons la diminuer sans nous résignera la banqueroute. 11 faut donc ou prendre le moyen que je propose, ou renoncer à tous les moyens. Le comité d’impositions me paraît inutile. 11 faut demander au comité des finances le plan dcmt il s’est occupé, et lui donner des adjoints, s’il en a besoin, pour l’aider dans son travail. M. Anson. J’étais au comité des finances pendant la discussion ; je ne peux donc y prendre part : je me borne à présenter des faits qu’il peut être utile de connaître en ce moment. Le comité des finances s’est occupé : 1° de la réduction générale des dépenses; 2e de rassembler les renseignements nécessaires pour le travail de l’imposition. On en avait par généralités ; la nouvelle j division du royaume les rend inutiles ; il faut à présent s’en procurer paroisse par paroisse. Le temps qu’emploiera indubitablement cette recherche fait regarder comme peu pressant l’établissement du comité d’impositions. Le comité sur l’arriéré de la dette paraît plus nécessaire. M. leduc delà Rochefoucauld. Un comité d’impositions sera sans doute utile; il examinera le tarif des impôts sur les denrées. C’est sur les consommations les plus nécessaires que portera la diminution la plus considérable, et cette diminution ne sera point une charge pour l’Etat. M. Turgot diminua les droits sur les poissons frais et salés, et le produit de l’impôt augmenta. Ainsi, il y a une grande probabilité que les vues bienfaisantes de M. l’abbé Maury seront remplies sans courir aussi sûrement à la banqueroute. Quant à la motion de M. l’abbé de La Salcette, elle doit être profondément discutée. Je pense qu’il ne faut délibérer que sur le comité d’impositions. On relit les différentes motions. M. l’abbé Maury veut se justifier, et dit qu’on a probablement mal saisi la motion qu’il a faite. Il dit qu’il a seulement énoncé le vœu que les commissaires s’occupassent delà suppression des impôts qui portent sur les comestibles communs. On demande l’ajournement et la question préalable sur la création du comité d'impositions. M. Rœderer soutient qu’il faut distinguer les faits et les principes de finances; que si l’ancien comité a dû s’occuper des faits, l’autre aura pour objet la législation de l’impôt. La mission du premier finit au moment où les éléments sont rassemblés... Il est impossible de demander l’ajournement ou la question préalable. L’Assemblée décide qu’il y a lieu à délibérer. On va aux voix par ordre sur les diverses motions. La motion de M. le marquis de Lancosne est adoptée dans les termes suivants : L’Assemblée nationale décrète : « Qu’il sera nommé un comité d’impositions composé de onze membres choisis dans l’Assemblée, auquel comité celui des finances remettra les instructions et matériaux qu’il a rassemblés sur les impositions actuelles. » La seconde motion, portant l’imposition sur le luxe, et l’établissement du comité de liquidation, est retirée par M. l'abbé Maury. Enfin, la motion sur les biens du clergé faite par M. l’abbé Golaud de la Salcette est ajournée. M. le vicomte de Moailles. Le comité militaire est prêt à rendre compte de son travail sur la constitution de l’armée, sur la paie des officiers, Ibas-officiers et soldats, et sur tous les objets qui ont rapport à celte partie. Je prie l’Assemblée de fixer un jour pour la lecture de ce document. L’Assemblée décide que le rapport sera entendu le premier, demain matin. M. le Président lève la séance et indique celle de demain pour neuf heures du matin.