[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 janvier 1790.J 297 garnison et qu’en arrivant dans différentes villes, quelques ci-devant privilégiés avaient refusé de loger des officiers ou des soldats ; qu’il était instant pour établir l’égalité que l’Assemblée nationale avait consacrée, de déclarer que tous les citoyens indistinctement participeraient à cette charge publique. M. le baron de Menou propose ensuite un projet de décret qui est adopté en ces termes : « L’Assemblée nationale ayant , par ses précé-« dents décrets , ordonné l’égale répartition de « toutes les charges publiques, déclare que tous « les citoyens , saüs exception, sont et devront « être soumis au logement des gens de guerre , « jusqu’à ce qu’il ai tété pourvu à un nouvel ordre « de choses. » L’ordre du jour appelle ensuite le rapport de l’affaire de Marseille. M. l’abbé Maury, rapporteur, monte à la tribune. M. Blin. Je demande que M. le Président annoncela censure prononcée hier contre M. l’abbé Maury et que ce dernier descende à la barre pour y faire son rapport. M. le Président allait mettre cette proposition aux voix lorsque les membres siégeant à droite ont tous crié qu’il excédait ses pouvoirs et queM. l’abbé Maury ne devait pas descendre de la tribune. — Beaucoup se sont levés et se sont répandus avec emportement au milieu de la salle. M. l’abbé Maury a voulu parler. Les membres siégeant à gauche ont crié qu’il ne serait entendu qu’à la barre. (L’Assemblée est dans un grand tumulte pendant plus d’un quart d’heure), M. le Président ayant obtenu un moment de silence dit qu’il va lire le décret de censure. Un membre du côté droit dit que la censure est insérée au procès-verbal et que la chose est faite. M. l’abbé Maury qui est resté à la tribune, avec un grand calme, demande par l’organe de M. Lavie, que lecture lui soit faite de son décret. M. le Président demande à l’Assemblée s’il fera cette lecture; l’affirmative est décidée et elle a lieu au milieu d’un désordre général. L’Assemblée étant devenue plus calme, M. l’abbé Maury fait son rapport ainsi qu'il suit : M. L’abbé Manry lit le rapport sur laprocédure prévôtale de Marseille (1). Messieurs, des insurrections populaires, troublèrent fréquemment la tranquillité de la ville de Marseille, durant le cours de l’année dernière ; elles s’y renouvelèrent quatre fois, depuis le 23 mars jusqu’au 8 du mois de décembre. Une déclaration de Sa Majesté attribua au parlement d’Aix la connaissance immédiate des troubles qui avaient agité cette ville et une partie de la Provence. S’il faut en croire M. le comte de Mirabeau, « la Provence se soumit à (1) Le rapport de M. l’abbé Maury n’a pas inséré au Moniteur. « cette loi de sang ; mais Marseille, qui, dans les « assemblées primaires, s’était élevée contre le « parlement de Provence, contre l’intendant qui « présidait cette cour; Marseille, où le parlement <« désignait déjà ses victimes parmi les chefs de « cette milice qui défendait le peuple, et que le « peuple défendait à son tour ; Marseille, dont la « seule émotion populaire avait eu pour cause « une juste vengeance contre ses oppresseurs; « Marseille contesta l’attribution du parlement, « qui demandait une année pour entrer dans » Marseille par la brèche, comme un roi méconnu, « mais vainqueur, punit des sujets rebelles. Eh ! « qu’importait, en effet, que Marseille fût dé-« truite, si le parlement était vainqueur ? » M. le comte de Garaman, commandant pour le Roi en Provence, fut envoyé à Marseille, avec quelques régiments pour y rétablir la tranquillité. Les troubles recommencèrent le 23 du mois de juillet, et la consternation des bons citoyens fut d’autant plus générale, que la sédition s’était déjà signalée par les meurtres, par le pillage et par un incendie ; mais avant cette époque mémorable du 23 juillet, le parlement d’Aix, avait manifesté des sentiments d’humanité fort différents des projets sanguinaires que lui impute, sans pudeur, M. de Mirabeau. Ce fut, en effet, sur la demande expresse de cette compagnie que le Roi fit expédier des lettres d’amnistie générale, le premier du mois d’aoùt. Le Roi rappelle d’abord, dans cet acte solennel de clémence, qu’il avait accordé, le 16 avril précédent, des lettres-patentes par lesquelles, il attribuait à sa Cour du parlement d’Aix, la suite et le jugement, en première et dernière instance, de toutes les procédures qui auraient lieu relativement aux émotions populaires de la Provence. « Mais à peine l’instruction fut-elle commencée, « dit le Roi dans les lettres d’amnistie, que notre « parlement nous fit connaître combien ce dou-« loureux ministère répugnait à son cœur, et « combien il désirait d’arriver au moment où il « pourrait, en se livrant à son penchant naturel, « solliciter lui-même une amnistie générale; et « le 23 juillet, il a pris un arrêlépar lequel, après « l’exécution de quelques condamnations inévi-« tablement nécessaires au maintien de Tordre, « il nous supplie d’accorder des lettres de pardon « général, et délibère de surseoir à toute exécu-« tien, et même à toute instruction ultérieure, » jusqu’à ce que nous ayons pu lui faire connaî-« tre notre volonté. » M. le comte de Mirabeau conciliera difficilement cet honorable témoignage que Sa Majesté a rendu aux dispositions pacifiques de son parlement d’Aix, « dès le commencement de l’instruction », avec le projet qu’il ose imputer à ces vertueux magistrats, d’avoir voulu entrer dans Marseille par la brèche. Les lettres d’amnistie furent enregistrées au parlement d’Àix, le 11 du mois d’août 1789 ; mais a clémence du souverain, si noblement sollicitée par les ministres des lois, n’ayant pu étouffer tous les germes de la sédition que les ennemis du bien public ne cessaient de répandre à Marseille, il fallut recourir aux poursuites juridiques, pour protéger plus efficacement la tranquillité des citoyens. Les communes de Provence s’adressèrent, le 22 du mois d’août, à M, le comte de Garaman, pour obtenir, par son intervention, l’activité du prévôt général de la maréchaussée. Les maires et échevins écrivirent, le 23 du mois d’août, à M. le garde des sceaux et à M. le comte de Saint-Priest, pour demander, disent-ils dans 298 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. '[23 janvier 1790.] leurs lettres, du nom de tous le s citoyens, non-seulement l’exercice de la juridiction prévôtale à Marseille, mais encore une plus grande attribution de pouvoirs pour ce tribunal, pendant la durée des troubles. Sa Majesté se rendit au vœu des communes de Provence et de la municipalité de Marseille. La commission royale fut expédiée , et le sieur de Bournissac, prévôt général de la maréchaussée, magistrat dont l’intégrité égale les lumières, et dès longtemps généraiement estimé ou plutôt vénéré en Provence, vînt établir son tribunal avec tout le courage du patriotisme, au milieu de cette ville où les séditieux se montraient encore plus redoutables à leurs juges qu’à leurs concitoyens. Le siège prévôtal fut institué par le Roi dans le fort Saint-Jean, où le sieur de Bournissac tient encore aujourd’hui ses séances. Ici, Messieurs, il importe que nous nous formions d’abord des idées justes et précises sur la juridiction prévôtale, que l’on confond si souvent avec l’autorité judiciaire des grands prévôts de l’armée. La France jouit de cette institution depuis plusieurs siècles. Mais ce fut surtout sous le règne de Henri II, que la maréchaussée, soumise d’abord au commandement du connétable, et encore unie aujourd’hui au tribunal suprême des chefs de la milice française, reçut une organisation légale, et forma une nouvelle branche du pouvoir judiciaire. La nécessité de réprimer les gens de guerre, qui .abandonnaient leurs drapeaux, au moment de la paix, pour se livrer aux plus effrayants brigandages, détermina nos rois à leur donner des juges armés, qui, par l’activité de leurs recherches et la promptitude de leurs jugements en première et dernière instance, purgèrent le royaume de tous ces perturbateurs de la tranquillité publique. Louis XIV, jaloux de conserver à ses peuples celte police militaire, consacra le titre second de son ordonnance criminelle de 1670, à régler la compétence, les limites et les formes de la juridiction prévôtale. Cette loi fameuse, à laquelle la Francejdoit le repos et l’ordre public, dont elle jouit depuis plus d’un siècle, avait besoin sans doute d’être modifiée sous plusieurs rapports, et l’Assemblée nationale a profité sagement du progrès des lumières, pour opérer cette réforme universellement désirée. Mais, quelque jugement que l’on porte de l’ordonnance de 1670, ie titre II, qui est relatif à la juridiction prévôtale, sera toujours citécomme l’un des chefs-d’œuvrede la législation moderne. M. le chancelier d’Aguesseau, par la déclaration de 1731, relative aux maréchaussées, a encore perfectionné l’organisation et les services de ce corps militaire. La France est partagée en trente-trois prévôtés de maréchaussée, qui se subdivisent en cent quatorze lieutenances ou sièges de justice prévôtale; les grands prévôts ont à leurs ordres trente-trois compagnies, divisées en brigades, à sept ou huit lieues de distance les unes des autres ; et la totalité de la maréchaussée s’élève à cinq mille hommes d’une probité et d’une valeur éprouvées. C’est à cette légion peu nombreuse, et qui ne coûte à l'Etat qu’environ quatre millions chaque année, qu’est confiée la police du royaume. Une activité continuelle et dégagée de tout intérêt personnel dans la recherche des coupables comme dans leur jugement, rend sans cesse présents sur les grandes routes, et dans toutes les paroisses, ces juges militaires, qui réunissent la force d|& armes à l’autorité des lois ; et c’est l’exercice combiné de ce double pouvoir, qui fait de la France l’Etat le mieux policié de l’Europe. On ne pourrait pas attendre de la maréchaussée, la même élévation de sentiments et le même zèle, si les guerriers qui la composent, n’étaient que les agents ou les recors des tribunaux. Chaque siège est composé d’un prévôt ou d’un lieutenant, d’un assesseur, d’un procureur du Roi et d’un greffier. Dès que la maréchaussée a arrêté en flagrant délit, ou sur la clameur publique, un citoyen prévenu d’un crime capital, elle lui fait subir un interrogatoire ; mais, après ce premier acte de la procédure qui confronte la conscience du coupable avec la loi, elle est obligée de s’adresser au présidial du ressort, conformément à l’article 15 du titre 2 de l’ordonnance de 1670, pour faire juger la question de compétence. Ce jugement préalable, équivaut, en quelque sorte, aux deux degrés de juridiction que chaque Français peut réclamer en matière criminelle. Ce n’est qu’après avoir fait déclarer le cas prévôtal par les juges royaux, qui peuvent encore le dépouiller de sa juridiction ordinaire par la simple prévention, que le prévôt de la maréchaussée jouit de l’attribution en dernier ressort. Lorsque sa compétence est déterminée par le juge royal, son siège est soumis, comme tous les autres tribunaux, aux formes générales de la precédure et spécialement à l’ordonnance criminelle de 1670. 11 ne peut prononcer aucun jugement sans l’intervention de sept juges, parmi lesquels deux seulement appartiennent au corps delà maréchaussée. Les cinq autres sont choisis parmi les gradués ou les juges royaux. Le rapporteur du procès dont l’opinion à tant d’influence sur le jugement de l’accusé, n’est jamais tiré du corps de la maréchaussée ; et le prévôt qui le nomme n’a pas le droit de confier ce ministère à l’un de ses officiers. Cette explication rapide démontre à l’Assemblée nationale que les sièges prévôtaux, si souvent uliles pour prévenir les crimes par la promptitude des châtiments, ne présentent d’ailleurs rien d’effrayant aux citoyens, ni par les formes, ni par les lois, ni par les juges qui distinguent cette juridiction. Voilà, Messieurs, par quelles précautions légales la maréchaussée est devenue parmi nous une institution digne d’être imitée par tous les peuples de l’Europe, qui l’enyient à la France. C’est un établissement vraiment admirable, une puissance d’opinion, qui, en changeant simplement le nom des juges ordinaires, inspire l’effroi le plus incalculable, investit l’imagination des méchants de la prévoyance habituelle de leur supplice, et maintient le bon ordre -en ajoutant à l’ascendant de la force publique toutes les salutaires impressions des terreurs particulières. Les tribunaux prévôtaux, utiles dans tout le temps au royaume, lui deviennent d’autant plus précieux aujourd’hui, qu’ils sont les seuls dont l’activité n’ait point été interrompue. Mais c’est surtout dans les émeutes populaires, que la juridiction prévôtale doit être invoquée par le patriotisme. Aussi avons-nous vu les officiers municipaux de Marseille demander au gouvernement, au nom de tous les citoyens, que le sieur de Bournissac, prévôt général de Provence, leur fût envoyé pour réprimer les insurrections dont cette cité célèbre venait d’être le théâtre. A peine le sieur de Bournissac se fût-il rendu dans cette ville, que l’esprit de faction s’y manifesta de rechef, huit jours après l’enregistrement des lettres d’amnistie ; une nouvelle sédition éclata le 19 du mois d’août, et les troubles qui agitèrent Marseille pendant deux jours, occasionnèrent le [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 janvier 1790.] 299 meurtre du nommé Garcin sur la place de la Tourette. Le sieur de Bournissac, qui s’était transporté à Marseille, pour y rétablir le bon ordre, ayant reçu des plaintes juridiques du procureur du Roi, contre les auteurs de cette émeute, déploya son caractère public, forma son tribunal, intruisit le procès des accusés, et rendit différents décrets, qui les mirent en fuite, ou les constituèrent prisonniers. La vigilance et la fermeté de ce magistrat ramenèrent promptement le calme dans la ville de Marseille ; il n’y resta bientôt plus de traces des insurrections populaires, que les procédures commencées au tribunal du grand prévôt, pour les punir. Le sieur de Bournissac, qui n’a encore prononcé aucun jugement définitif, poursuivait alors paisiblement ses instructions avec la vigueur la plus propre à intimider les factieux -, mais, avant de parler de ses procédures, il importe, Messieurs, de vous faire connaître d’abord les principes et le caractère de ce même juge que l’on a osé vous démontrer comme un homme de sang. Votre comité des rapports va mettre sous vos yeux une pièce originale, qui suffira sans doute pour confondre cette calomnie. Vous n’aviez encore rien statué, Messieurs, sur la réforme de l’ordonnance criminelle ; mais les provinces, instruites à l’avance de vos intentions, attendaient de vous ce bienfait national. Lorsque vous eûtes rendu ce décret provisoire du 8 octobre dernier, l’exécution devait en être suspendue jusqu’à ce qu’il fût enregistré dans les différents cours du royaume. Le parlement d’Aix était alors en vacances, et le sieur de Bournissac se trouvait, à cette époque, dans toute l’activité des procédures dont il avait commencé l’instruction. Daignez écouter avec attention, Messieurs, l’acte que jp vais avoir l’honneur de vous lire. Cette pièce a pour titre, Délibération du conseil muni-nicipal de la ville de Marseille, présidé par M. d'André , commissaire du Roi : Du 31 octobre 1879, après midi : « Après la lecture de la proposition de M. Le Jourdan, qui a été appuyée par deux membres du conseil, M. le commissaire du Roi ayant mis la matière en délibération, il a été délibéré unanimement de députer vers M. le grand prévôt, pour le prier de suspendre jusqu’à la promulgation, en cette ville, du décret de l’Assemblée nationale, sur les procédures criminelles, la poursuite de la procédure extraordinaire qu’il a prise et qu’il prend à Marseille, et de prier M. le commissaire du Roi, ici présent, de se joindre à la sollicitation du conseil, et que les membres qui seront députés séance tenante, auront la bonté de faire leur rapport, conseil tenant ; M. le commissaire a déclaré qu’il appuiera de tout son pouvoir, la réclamation déterminée par le conseil. De suite, le conseil a chargé ses députés de porter une copie de la délibération qu’il vient de prendre, à M. le grand prévôt, pour rapporter au conseil la réponse qu’ils obtiendront : « Messieurs les députés, de retour, ont dit que M. de Bournissac, grand prévôt, les avait accueillis favorablement, et qu’après avoir pris lecture dé la délibération du conseil, il leur avait témoigné combien il était sensible aux sentiments d’humanité et de bienfaisance qui animent le conseil, et leur a déclaré qu’il déférait volontiers à sa demande. Le conseil a prié MM. les députés de présenter à M. de Bournissac des remerciements. « Signé : AiLHÀUD, « Notaire , secrétaire de la communauté. » Ainsi, Messieurs, ce grand prévôt, qui vous a été déféré par M. de Mirabeau, comme un juge sanguinaire, vous est présenté par le conseil municipal de Marseille, comme le plus modéré et le plus doux des magistrats. Ce même officier, que nous verrons bientôt accusé, auprès de l’Assemblée nationale, d’avoir contrevenu à ses décrets, se hâtait de les exécuter avant qu’ils lui fussent notifiés légalement. C’est le conseil municipal de Marseille qui lui a rendu ce glorieux témoignage, le 16 novembre dernier ; et c’est encore le même conseil qui a délibéré et déclaré, le 11 décembre suivant, ne vouloir prendre aucune part aux dénonciations de M. de Mirabeau contre le grand prévôt. Or, Messieurs, dans un moment de fermentation et de mécontentement général, où vous avez reçu de tant de corps municipaux, des plaintes innombrables contre les divers agents de tous les pouvoirs, votre comité a pensé que la délibération, le certificat et la déclaration de la municipalité de Marseille, étaient d’un très grand-poids, et qu’une exception si glorieuse au prévôt général de Provence méritait d’être remarquée par l’Assemblée nationale. Tandis que le sieur de Bournissac remplissait à Marseille, avec tant de modération et de succès, la mission qui lui avait été confiée, il vous était dénoncé, Messieurs* comme ayant contrevenu à ce même décret, dont il avait exécuté d’avance les dispositions. Votre décret ne fut. enregistré, en effet, au parlement d’Aix, que le 4 novembre, à la sénéchaussée de Marseille, le 10 du même mois, et le 18, au siège prévôtal. Le prévôt général fit même plus que vous n’aviez prescrit, puisqu’il suspendit, en faveur des accusés, non seulement les jugements définitifs, mais encore la poursuite de l’instruction, que vous n’aviez pas défendue. Trois procédures complètes ne furent pas jugées et ne le sont pas même encore. Le sieur de Bournissac se vit donc accusé en même temps, et à Marseille, dans plusieurs écrits répandus avec la plus grande profusion, et auprès de l'Assemblée nationale, par une dénonciation formelle. M. le comte de Mirabeau nous déféra ce juge comme coupable de plusieurs violations de notre décret sur la procédure criminelle. Votre comité ne vous rappellera pas, dans ce moment, les différents griefs qui furent imputés à ce magistrat. Le développement du rapport amènera la discussion la plus détaillée des diverses inculpations sur lesquelles vous devez prononcer aujourd’hui. M. l’abbé de Villeneuve, député de Marseille, appuya la dénonciation de M. le comte de Mirabeau ; et il vous dit que les sieurs Rébéquy, Pascal et Granet, décrétés par le prévôt, avaient toujours été choisis pour remplir, dans la ville de Marseille, des emplois importants. Il a paru prouvé à votre comité, que 'assertion de l’nonorable membre n’était point exacte. Avant les troubles de Marseille, ces trois citoyens n’avaient jamais été appelés par la municipalité à des emplois d’aucun genre, si l’on en excepte la qualité de commissaires du peuple, qui leur fut donnée au moment de l’insurrection, dans une assemblée illégale. Sur l’exposé de ces deux députés de Marseille, vous rendîtes, le 8 de ce mois de novembre, un décret qui accueillit leur plainte, et renvoya le 300 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 janvier 1790.1 prévôt général de Provence au Châtelet, comme îrévenu du crime de lêse-nation, pour avoir désobéi à votre nouvelle loi, relativement aux procédures criminelles. Ici, Messieurs, vous allez entendre le sieur de Bournissac lui-même discuter dans une adresse qu’il eut l’honneur de vous présenter, les différentes accusations intentées contre lui par M. le comte de Mirabeau. L’adresse est conçue en ces termes : c Messeigneurs, « Mon devoir et ma délicatesse m’avaient obligé le 15 de novembre, de réclamer votre justice contre les auteurs des imputations également fausses et atroces, que les journalistes et autres folliculaires de toute espèce avaient hasardées contre moi et mon tribunal, sous le nom de M. le comte de Mirabeau. Plein de confiance en la sagesse et l’intégrité qui caractérisent les représentants de la nation, je ne me suis permis aucun doute sur la justice de vos opinions à cet égard ; et je n’ai pas hésité d’espérer qu’une réparation aussi éclatante que le scandale, en rassurant les vrais citoyens, vengerait tout à la fois et l’autorité qu’on a affecté de méconnaître et la justice qu’on a voulu avilir, et l’auguste Assemblée dont on a osé compromettre les membres. Encouragé par une si juste confiance, et par l’approbation unanime de tous les citoyens amis de l’ordre, et subordonnant mes opérations aux règles nouvelles qu’il a plu à l’ordre de prescrire, j’ai continué l’exercice de mon ministère, sans m’arrêter à la multiplicité des sarcasmes et des pamphlets dont certains accusés et leurs adhérents n’ont cessé d’inonder cette ville. « Je n’ai pas cru que ces tentatives, quoiqu’in-fiuiment multipliées, dussent mériter mon attention, dès qu’elles étaient annoncées comme l’ouvrage direct des accusés et de leurs fauteurs ; et je ne les ai envisagées que comme la ressource ordinaire des coupables, toujours ennemis déclarés du tribunal quelconque qui poursuit leurs délits. Mais je croirais aujourd’hui manquer à l’auguste Assemblée de la nation, à la justice, au bon ordre et à moi-même, si je gardais le silence sur le nouvel outrage qu’on a osé me faire aux yeux de toute la France, sous le nom de M. de Mirabeau, dans plusieurs journeaux récents, et notamment dans le Courrier français du 26 novembre, numéro 144, de l’imprimerie de Gueffier, où l’on s’est permis de rapporter dans les termes suivants la prétendue motion de cet honorable membre de votre Assemblée, du 24 du même mois. « M. le comte de Mirabeau a parlé de nouveau sur les procédures prévôtales qui ont lieu à Marseille, et dont il avait déjà entretenu l’Assemblée le 4 de ce mois. Il a dit que le prévôt n’avait tenu aucun compte des décrets de l’Assemblée nationale; qu’il assurait, dans une lettre adressée à MM. les députés de Provence, être dans l’impossibilité de rendre sa procédure publique, vu que les témoins ont déposé sur la foi du serment, et qu’ils ne consentiront jamais à la publicité de leurs dépositions, que ce même prévôt depuis l’époque du décret, a fait enfermer les prisonniers dans une prison d’Etat ; et qu’il rendait sa prétendue justice dans un fort, ayant à ses ordres six mille hommes de troupes réglées. M. de Mirabeau demandait, pour l’Assemblée, la communication d’un mémoire de ce terrible juge, lequel doit se trouver au comité des rapports, et que le pouvoir exécutif fût requis de subroger un autre prévôt, à qui l’on donnerait pour assesseurs les membres de la sénéchaussée de Marseille. Mais l’Assemblée s’est déterminée à renvoyer cette affaire au comité des rapports, qui probablement ne tardera pas à solliciter sa juste sévérité contre un magistrat accusé d’être le vengeur d’un intendant que dénonce la commune entière, et l’instrument des haines parlementaires contre les bons citoyens.» — Ce sont les expressions de M. le comte de Mirabeau. « Si quelque chose peut surpasser la juste indignation que de pareilles imputations ont dû m’inspirer, c’est celle, sans doute, dont M. de Mirabeau n’aura pas manqué d’être pénétré lorsqu’il aura vu, par cet imprimé séditieux, la diatribe absurde et calomnieuse qu’on a eu l’audace de lui attribuer personnellement. « Des accusations démenties par leur invraisemblance ; des plaintes que ni le conseil muni-pal de Marseille, ni aucun citoyen ami de l’ordre, ne sauront en aucun temps avouer; des suppositions détruites par vos propres connaissances ; des allégations anéanties par le bons sens ; des raisonnements dont la fausseté est démontrée par des vérités locales, que la notoriété publique s’empressera toujours de confirmer ; enfin un dessein évident et formel de tromper votre auguste Assemblée, et de faire tomber sur les bon s citoyens la punition qui n’est due qu’aux perturbateurs du repos public: tout cela ne saurait être l’ouvrage d’un de vos honorables membres ; tout cela ne peut être que le résultat des intrigues secrètes des méchants, qui, toujours ennemis de la loi, n’affectent en ce moment de la réclamer que pour pouvoir la violer pius impunément. « On suppose d’abord que je nai tenu aucun compte des décrets de l’Assemblée nationale. Mais une imputation aussi téméraire, et aussi fausse est plus qu’anéantie par la marche notoire de mes opérations. J’ai si peu oublié la soumission que je dois à vos décrets que, bien avant de les avoir reçus, j’en ai anticipé l’exécution à la première occasion qui s’est présentée. « Le décret concernant la justice criminelle, a été enregistré au parlement d’Aix, le 4 novembre et le 10, à la sénéchaussée de Marseille. Il n’est parvenu ministériellement que le 17 à mon tribunal, où il a été enregistré le 18. Cependant, dès le 13 octobre, j’avais adhéré au vœu du conseil municipal, qui désira la suspension des orocès extraordinaires, déjà ordonnée, jusqu’après a publication de la nouvelle loi. J’eus même 'honneur de vous faire savoir que j’avais porté mon adhésion au delà du vœu du conseil, puisque j’avais suspendu, en même temps, le jugement définitif de deux procédures dont la confrontation était terminée. « Depuis cette époque, il n’a été fait à mon tribunal aucune opération qui n’ait été conforme à la nouvelle règle. Plusieurs décrets qu’il a fallu rendre sur des informations antérieures, n’ont été déterminés que d’après le concours de trois opinions. Il ne s’y est plus fait de nouvelles informations sans l’assistance de deux notables ; et j’ai déjà employé une multitude considérable de séances publiques à la lecture des procédures, faite à plusieurs accusés, à la nomination des conseils qu’ils ont choisis ou que je leur ai nommés d’office suivant leur gré. Tous ces faits constatés par la notoriété publique, et par les registres de mon tribunal, sont certainement suffisants pour anéantir la première accusation que le tAssembiée nationale. ) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 janvier 1790.J libelliste a eu l’audace de mettre dans la bouche de M. de Mirabeau. « D’après une calomnie aussi caractérisée, je ne puis qu’être assuré de la mauvaise intention qui en dirige les auteurs, et je ne serais pas surpris qu’ils osassent me faire un nouveau crime de la suspension que j’ai cru devoir mettre à quelques réquisitions que l’état de la procédure rendait prématurée. « C’est précisément à l’époque où j’attendais, avec une entière soumission, ce qu’il plairait à votre sagesse de statuer sur mes observations du 9 novembre ; c’est au moment où, par une suite de la cabale formée contre moi, il n’était plus resté qu’un seul écrivain à mon greffe ; c’est dans une circonstance où plusieurs des accusés impliqués dans la grande procédure, n’avaient ni fourni leurs réponses, ni même comparus, que plusieurs décrétés et leurs adhérants se sont fait un jeu d’augmenter mon embarras en surchargeant mon tribunal d’une foule de requêtes insidieuses, par lesquelles, affectant de réclamer tous à la fois, et presque dans le même moment, la connaissance ainsi que les copies de la procédure entière , et toutes les autres facilités que la justice de vos décrets leur accorde, ils ont cru voir un sûr moyen de m’incriminer sur une suspension qui, bien loin d’être l’effet de ma volonté, n’était qu’une suite forcée des circonstances. Ils se plaindront peut-être de ce que j'ai refusé de faire droit à leurs réquisitions mais ils en imposeront à la vérité. Je ne leur ai rien refusé; j’ai renvoyé seulement en l'état , des demandes qui étaient prématurées, et que je me ferai un devoir d’acueillir au premier instant où l’état et la marche de la procédure que vos décrets ont réglée, l’exigeront. « Le journaliste ajoute, toujours en se déclarant l’écho de M. de Mirabeau, que dans une lettre adressée à MM. les députés de Provence, j’avais assuré d’être dans l’impossibilité de rendre ma procédure publique, vu que les témoins ont déposé sous la foi du serment, et qu'ils ne consentiront jamais à la publicité de leurs dépositions-« Uu fait très certain, c’est que je n'ai jamais eu l’honneur d’écrire à MM. les députés de Provence, M. de Mirabeau ne peut l’ignorer, puisqu’il est membre de la députation ; il n’est donc pas possible que cette allégation soit de lui. « La vérité est que je n’ai rien écrit à personne à ce sujet, si ce n’est ce qui est consigné dans ma lettre du 9 novembre. J’ai cru qu’il était de mon devoir de présenter à votre auguste Assemblée mes observations et mes doutes sur des objets d’autant plus importants qu’ils tiennent à la tranquillité et à la sûreté publiques. Il vous est facile, Messeigneurs, de remettre cette lettre du 9 novembre sous vos yeux. C’est l’amour du bien, c’est mon respect et ma déférence pour vos décrets, qui me l’ont dictée, et un coup d’œil sur son contenu et sur les assurances qu’elle vous offre d’une pleine soumission à vos lois suffira pour faire juger les intentions de l’écrivain quelconque, qui, en passant sous silence les diverses observations que sa malice n’a pu tronquer, s’est attaché à travestir à son gré la seule qui pût être empoisonnée par son style et par sa manière de les présenter. « S’il en faut croire encore le libelliste, depuis l'époque du décret de l’Assemblée naitonale, j'ai fait enfermer les prisonniers dans une prison d'Etat. « Votre décret a été rendu le 8 et le 9 du mois 301 d’octobre, sanctionnné le 10, enregistré à Paris le 14; à Aix le 4 novembre; à la sénéchaussée de Marseille, le 10; parvenu ministériellement à mon tribunal, le 17, il y a été enregistré le 18. Or, il constate, en effet, et il résulte de toutes les preuves possibles, que c’est les 11 et 12 octobre, que d’environ 70 prisonniers détenus alors, trois d’entre eux seulement ont été transférés au Château d’if. Cette observation suffit d'abord pour anéantir la première fausseté par laquelle on annonce leur transport à une époque postérieure au décret. a II ne manquait plus à l’injustice des hommes mal intentionnés que de me faire un crime d’un transport qui a été de ma part un acte d’humanité et de déférence aux volontés du commandant du fort Saint-Jean, et au désir même des trois prisonniers. Ce fut avec l’agrément de M. Je comte de Caraman ; ce fut d’après les plaintes de la garnison, qui, n’étant pas assez nombreuse pour fournir un excédant de sentinelles, se trouvait vexée par la multiplicité des postes ; ce fut d’après la demande réitérée du commandant, à qui les visites multipliées que recevaient ces trois prisonniers, donnaient de justes inquiétudes sur la sûreté du fort, menacé par des placards journaliers ; ce fut d’après les sollicitations fréquentes qui m’étaient adressées de la part des trois prisonniers, dont les chambres étroites et mal disposées eussent été inhabitables à l’entrée de l’hiver, que je me déterminai, à leur très grande satisfaction, à les faire transférer au château d’If, où, en attendant que la marche de la procédure l’exige autrement, ils jouissent, aux yeux du public� de toutes les facilités et de toute l’aisance qui peuvent se concilier avec leur détention. « Je rends, ajoute-t-on, ma prétendue justice dans un fort, ayant à mes ordres 6,000 hommes de troupes réglées. é d’avoir refusé d’obéir aux décrets de l’Assemblée, et d’avoir débouté les sieurs Rébecquv, Pascal, Grunet et autres, de la demande pareux"f.iite de la copie des procédures. Cette accusation n’a ni bmine foi ni vérité; et je croyais l’avoir suffisamment prévenue dans la lettre que j’ai en l’honneur d’écrire à l’Assemblée, le 6 du courant, laquelle annonce les motifs, non d’un refus, mais bien d’une suspension à laquelle je me suis vu fon é autant par la lettre que par l’esprit des décrets de l’Assemblée. « Par l’article XII de celui dont il s’agit, il est prescrit que l'accusé prêtera ses réponses après avoir entendu la lecture des pièces de la procédure; d’où il résulte que la sagesse uis fait une loi de déférer aveuglément à de pareilles réquisitions, qui m’ont été faites, à peu près à la même époque, par d’autres accusés, dans des procédures isolées, qui n’étaient pas susceptibles des considérations auxquelles la lettre et l’esprit des décrets de l’Assemblée m’ont forcé d’avoir égard: cela est constaté par l’alte-tation ci-jointe. « J’avais à considérer que tandis que l’Assemblée ordonnait que la copie des procedures fût remise à l'accusé interrogé, l’Assemblée entendait par là même que cette procédure ne fût pas manifestée à celui qui aurait différé ou refusé de répondre, et que si l’Assemblée n’avait prétendu accorder que vingt-quatre heures, pour réfléchir sur ses réponses, à l’accusé qui venait d’obéir à la justice, en subissant même de plein gré son interrogatoire, 1 intention de l’Assemblée n’avait pu être d’accorder un temps illimité à celui qui n’obéit pas, pour diriger le plan de ses réponses d’après la communication de la procédure, n’étant pas naturel de croire que l’Assemblée ait entendu traiter les réfractaires avec plus de faveur que ceux qui obtempèrent à la loi. J’avais à considérer que dans la procédure où les sieurs Rébecquy, Pascal, Granet et autres sont accusés, il y a un grand nombre d'autres complices décrétés, les uns de prise de corps, les autres d’ajournement personnel, les autres d’as-signé pour être ouïs, qui, refusant de comparaître et de satisfaire aux décrets de mon tribunal, n’en ont pas moins une liaison intime et une correspondance établie avec leurs complices dé enus ; et qu’au moyeu de cette liaison, assez constatée par la communication qu’ils se font, aux veux de toute la France, de toutes leurs réquisitions particulières et de mes décrets, livrer ainsi prématurément la copie de la procédure à un seul d’en-tr’eux, ce serait la livrer à tous à la fois, manquer es-entiellement à la disposition textuelle des décrets de l'Assemblée, et rompre les mesures que sa sagesse a tracées pour assurer la marche de la justice. « D après le concerttrès-notoire qui règne entre 308 [Assemblée nationale.] tous les complices de cette procédure, il ne dépendrait que d’un décrété desimpie assigné pour être ouï, de venir prêter quelques réponses peu propres à éclaircir les faits graves qui en forment les principales charges, pour avoir le moyen de se faire délivrer une copie entière de la procédure, et pour la transmettre à tous les autres accusés, cachés ou fugitifs, dont il serait l’agent, contre le vœu exprès de l’auguste Assemblée. « Déterminé par ces considérations, qui ne m’ont été suggérées que par ma soumission profonde aux décrets de l’Assemblée et par le désir de les exécuter en tout point, j’aurais regardé comme une désobéissance formelle aux lois de l’Assemblée, l’adhésion pure et simple, dans ces circonstances, à la demande prématurée que les sieurs Rébecquy, Granet et autres m’ont faite de cette copie. Mon décret, au bas de leur requête, n’a point été un refus, mais seulement un avis que leur demande était faite trop tôt, et ne pouvait avoir son effet que lorsque L’état de la procédure me permettrait d’y souscrire, sans offenser la sagesse des décrets de l’Assemblée. « C’est d’après cette détermination, que me servant des termes adoptés en style judiciaire clans cette province, j’ai mis au bas de leur requête : il sera poursuivi EN L’ÉTAT, ainsi qu'il appartient. « Il est convenu chez tous les praticiens que ce mot en l'état exclut l’idée de déboutement, et qu’il est consacré pour exprimer une simple suspension autorisée par les circonstances où la demande est formée. « Tels sont, Monseigneur, les motifs qui m’ont déterminé à suspendre la remise demandée par les susnommés, de la copie des procédures dont il s’agit. Ce n’est qu’après la plus mûre réflexion que j’ai regardé ce parti comme l’unique, qui pût, en conformant la marche de mes opérations aux décrets de l’Assemblée nationale, vous prouver ma scrupuleuse attention à les exécuter ; et ce n’a pas été une légère satisfaction pour moi, lors-qu’ayant fait part de ma détermination à un grand nombre de magistrats et de jurisconsultes, et notamment à tous MM. les lieutenants-criminels des principales villes de la Provence, iis ont tous unanimement décidé que, dans l’état des choses, les décrets que j’avais rendus étaient les seuls qu’il me fût permis d’inscrire au bas de ces requêtes. « J’ai de plus l’honneur de vous assurer que M. le commissaire du Roi, en plein conseil municipal, s’est rendu publiquement garant de la droiture de mes intentions à cet égard, et il a déclaré aux citoyens que mes décrets étaient conformes à l’opinion unanime de tous les criminalistes de plusieurs villes, dont il avait demandé l’avis à ce sujet, et notamment les juges d’Aix, de Marseille et de Toulon. « C’est donc sans bonne foi et sans vérité qu’on a osé m’accuser d’avoir désobéi aux décrets de l’Assemblée. J’ai eu l’honneur de vous assurer que mon devoir le plus cher serait de m’y conformer, et la profession de foi que je renouvelle à cet égard ne variera jamais. « L’affectation avec laquelle on fait dire aux accusés que cette suspension, qu’ils appellent mal à propos un déboutement, a été nuisible à leurs droits, est aussi contraire à la bonne foi et à la vérité, que l’audace avec laquelle on les présente à l’auguste Assemblée de la nation, comme gémissant au fond des cachots, soulevant vers elle des mains chargées de chaînes. La vérité est que depuis leur détention, impérieusement déterminée par des charges très graves, ils n’ont jamais vu [23 janvier 1790.] ni cachots ni chaînes; qu’ils n’ont été transférés au château d’If que d’après leurs réquisitions plusieurs fois réitérées, et qu’ils y jouissent de la plus grande aisance et de toutes les facilités qui peuvent se concilier avec une détention; j’en appelle au témoignage de M. le comte de Cara-man. Il est encore très certain que la suspension dont il s’agit ne leur a porté aucune sorte de préjudice, puisque rien ne s’opère et ne peut s’opérer contre eux dans cette procédure, jusqu’à ce qu’elle soit parvenue à l’état où elle doit être relativement à leurs coaccusés. « Mal à propos, affirme-t-on que j’ai refusé d’en entendre quelques-uns qui ont demandé jour et heure pour être interrogés. Vous connaîtrez bientôt le faible de cette objection, lorsque j’aurai l’honneur de vous informer que cette demande ne m’a été faite qu'en me prescrivant de transférer au palais le siège de ma justice, et d’abandonner le tribunal où Sa Majesté a cru devoir me placer pour éviter de graves inconvénients, dont on continuait de me menacer même à l’époque où cette translation était requise. « Mal à propos encore, affectant d’oublier toutes les formes judiciaires, veut-on faire envisager cette suspension en l’état, comme un moyen d’anéantir la loi et de parvenir à juger les détenus sans leur donner connaissance de la procédure, dans le cas où un seul contumax aurait négligé de prêter ses réponses. « Une telle objection n’est pas même spécieuse, puisque les détenus ne peuvent être jugés avant que la contumace de leurs coaccusés ait été instruite, et qu’après cette instruction terminée, rien ne s’opposera plus à la communication ordonnée .par les décrets de l’Assemblée nationale. S’adressant enfin à M-Agasse, fils de M. Agasse président : « Et vous, jeune enfant, fils d’un père que nous honorons, venez aussi recevoir de la famille qui vous adopte un témoignage de sa tendre amitié. » La députation s’étant rendue avec MM. Agasse sur les gazons du Louvre, où le bataillon, conduit par M. le duc a’Aumonl, chef de la division, était assemblé en uniforme et en armes; le commandant de bataillon, après avoir pris l’agrément de M. le marquis de Lafayette, commandant général, et de M. de Gouvion, major général, a fait lecture d’un arrêté pris le jour d’hier en l’assemblée des citoyens; et adressant la parole aux jeunes Agasse, il leur a dit : « Le bataillon Saint-Honoré vous a provisoirement conféré à vous, Monsieur, le grade de lieutenant de grenadiers à la suite, et à vous, Monsieur, fils de notre président, celui de lieutenant à la suite de la première compagnie, et se flattant d’en obtenir la confirmation de la municipalité et de M. le commandant-général, il me charge de vous en offrir les décorations ; recevez-les de votre général, ainsi que ces deux épées, et souvenez-vous, dans tous les instants de votre vie que ces hommages sont rendus à la vertu, et que la vertu ne saurait jamais être obscurcie que par des fautes personnelles. » Aussitôt. M. le commandant général ayant fait battre un ban, a fait reconnaître les deux jeunes officiers à la tête du bataillon. M. Gauthier de Claubry, citoyen du district, et député à la commune, a prononcé au bataillon un discours relatif à la circonstance. Le bataillon a défilé devant le général, et s’est