-464 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [âl août 1789.] ment à tous les objets qui sont et qui seront décidés par elle. Cet acte adressé au sieur Kerve-legan, député à l’Assemblée nationale, avec une lettre d’envoi, signée du sieur Kerquelon-Pen-nenjean, doyen, des cinquante gentilshommes, et du sieur de Carné leur secrétaire, a été déposé sur le bureau de l’hôtel de ville de Quimper. On a lu ensuite les procès-verbaux des deux séances de l’Assemblée nationale du 19, et celui de la séance d’hier. M. Buzot s’est excusé d’accepter la nomination qui a été faite de lui pour le comité des informations, attendu qu’il a déjà été nommé dans son bureau membre du comité de rédaction. M. le Président a mis à la discussion l'article 7 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. M. le chevalier Alexandre de Lameth, prenant la parole, présente deux articles ayant pour objet de développer d’une manière plus énergique les principes des articles 7, 8, 9 et 10 du projet du comité. Voici en quels termes ils sont rédigés : c 1® La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a évidemment de bornes que celles qui assurent à tous les autres membres de la société la jouissance des mômes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. « 2° La loi ne peut défendre que les actions évidemment nuisibles à la société : tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. » Ces nouveaux articles sont devenus l’objet des débats. Plusieurs amendements ont été proposés. MM. Camus, Blin, Mougins de Roquefort et Martineau demandent la suppression du mot évidemment, placé dans le premier article. Si ce mot évidemment subsiste, disent-ils, c’est rendre tous les citoyens juges de la loi : il en résultera pour le législateur une incapacité de défendre les actions nuisibles; chacun dira : la loi n’a pas dû défendre cette action parce qu’elle n’est pas nuisible : donc la loi sera nulle. Le mot évidemment est retranché. M. Martineau propose un amendement. Le second article commençait ainsi : la loi ne peut défendre , etc. Il propose de changer le mot peut en doit. M. Duport s’élève contre cette proposition ; il trouvait plus d’énergie dans le mot peut. La déclaration des droits, dit-il, est pour empêcher les abus du Corps législatif. Substituerez-vous le mot doit; c’est supposer à ce corps la faculté, la puissance d’en commettre, et ce mot le réduit à une incapacité absolue. Pour abréger cette discussion, un membre a proposé, par forme de sous-amendement, de mettre les deux mots ne peut et ne doit. L’amendement de M. Martineau est adopté. M. de la Luzerne, évêque de Langres , voulait ajouter la liberté civile et proposait de dire la liberté civile consiste , etc. Cette objection a entraîné dans une discussion sur le droit naturel et sur le droit civil. M. l’évêque de Langres disait qu’il ne peut être question ici delà liberté naturelle, mais delà liberté politique; que telle action était conforme à l’une et contraire à l’autre. Cette opinion a été combattue par plusieurs membres, et surtout par MM. Populus, Volney et Rhédon. M. Rhédon. Jusqu’à présent les articles ne peuvent être entendus que de l’homme qui n’est pas encore en état de société; et là où il n’y a pas de société, il ne peut y avoir de loi. C’est quand la loi est faite que ‘la société se forme, et que l’homme est alors placé sous l’empire de la loi. De quoi s’agit-il jusqu’ici, dans la déclaration des droits? De la liberté naturelle, des droits que tout homme apporte en naissant. Ce n’est donc pas encore ici le moment de parler de la liberté; il s’agit, non pas de l’homme gêné dans l’exercice de ses droits, mais de l’homme avec la plénitude de ses droits. La liberté porte sur les droits naturels ou sur des conventions. Parlez vous des premiers, alors vous ne pouvez prononcer que le seul mot de liberté. Parlez-vous de la liberté conventionnelle, alors vous parlez de la liberté civile. Ces réflexions font rejeter l’amendement de M. l’évêque de Langres. M. D’André. M. de Lameth a voulu abréger, je vais abréger davantage. Il vous propose deux articles ; je n’en propose qu’un : c’est celui du comité des cinq. Le voici : m La liberté du citoyen consiste à n’être soumis qu’à la loi, et à n’être tenu d’obéir qu’à l’autorité établie par la loi ; à pouvoir faire, sans crainte de punition, tout usage de ses facultés qui n'est pas défendu par la loi. * Un membre s’élève contre la définition de la liberté donnée par M. de Lameth. Ce n’est pas assez, dit-il, de dire que la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui; il faut dire davantage. 11 faut intéresser les mœurs et les commander; c’est là le premier but des lois. Nous avons une définition plus exacte et plus noble dans les premières lois de l’univers: Liber-tas est non solum quod liceat, sed etiam quod ho-nestum sit. On va aux voix sur les articles et les amendements, et la rédaction de M. de Lameth est décrétée ainsi qu’il suit : « 1° La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ; ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ; « 2° La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. » On met ensuite à la discussion l’article XI, destiné à rappeler une des plus belles prérogatives attachées au nom de citoyen, celle de pouvoir être admis à toutes les places et emplois de la société. M. BarrèredeVIeuzac. Vous voulez exciter l’émulation, en apprenant à tous les hommes que dans un empire bien constitué la dignité de leur vocation est la même, et que les préjugés ne doivent pas jouir de ce qui n’appartient qu’au [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [±i août 1789.] 465 talent. Je propose en conséquence de donner une forme plus énergique et plus étendue à l’article XI, en statuant surtout que le droit d’exercer les divers emplois de la société ne peut être arbitraire ni exclusif. C’est par de pareilles expressions que, dans leurs déclarations des droits, les Américains ont extirpé tous les germes des aristocraties. M. de Beauharnais propose l’article suivant pour remplacer les articles 11, 12, 13, 14 et 15* du projet: a Du principe de l’égalité civile dérive que les peines portées par la loi doivent être infligées sans aucune distinction, suivant les délits et les crimes, et que les emplois et les places doivent être accordés, sans aucune distinction, aux talents et à la vertu; tous les citoyens y sont admissibles suivant la mesure de leur capacité. » M. Martineau propose d’autres articles qui trouvent beaucoup d’approbateurs : t Art. 1er. La loi est une convention des citoyens réunis; elle se forme par la volonté générale. Comme il n’est personne qui n’ait concouru par soi-même ou par ses représentants à la formation de la loi, il n’est personne aussi qui ne soit obligé de s’y soumettre ; il n’est personne qui ne soit forcé de faire ce qu’elle commande; il n’est personne qui ne soit forcé de ne pas faire ce qu’elle défend. < Art. 2. S’il résiste, il se révolte contre la loi. « Art. 3. Tout citoyen appelé ou saisi au nom de la loi doit se soumettre à la loi, ou au magistrat qui parle au nom de la loi. « Art. 4. Tout citoyen ne peut être appelé, saisi ou mis en prison, qu’au nom de la loi, que dans les cas prévus par la loi, et avec les formes qu’elle a prescrites. « Art. 5. Tous les hom mes sont égaux aux yeux delà loi; elle inflige à tous les mêmes punitions, et elle les appelle tous aux dignités, aux places et aux emplois de la société, sans autre distinction que celle des talents et de la vertu. » M. Camus a présenté ensuite un projet qui laissait subsister l’article IX du projet du sixième bureau et le dernier de M. Martineau. « Art. 1er. Les lois n’étant que des conventions faites par la société, chaque citoyen doit y concourir par lui-même ou par ses représentants. « Art. 2. La volonté de la loi subsistant dans l’ordre des volontés particulières, ne peut imposer la nécessité d’obéir à ce qu’clle ne prescrit pas. » Ces deux articles ne remplissant pas ce que portent les articles qu’on veut supprimer, l’Assemblée ne marque aucun empressement de les adopter. M. Chapelier est le seul qui parle en faveur de l’article 11 du sixième bureau; il y fait un amendement, celui de retrancher le mot récompense. M. Target propose également, sans aucun succès, les articles suivants: « Art. 1er. La loi est l’expression de la volonté générale ; elle seule peut commander par l’organe des magistrats, et tous les citoyens y sont soumis. « Art. 2. Tous les citoyens ont le droit de coopé-rermédiatementouimmédiatementà sa formation. Tous les citoyens doivent aussi jouir également des avantages qu’elle procure. Ainsi ils sont tous lra Série, T. VIII. appelés, sans distinction, à tous les emplois civils, ecclésiastiques et militaires. « Art. 3. Aucun citoyen ne peut être arrêté, accusé ni puni, que dans les cas prévus parla loi; tous les citoyens, coupables de même crime, sans distinclion, sont sujets aux mêmes peines. » MM. de Volney et Pison du Gai and croient qu’il est plus conforme à la série naturelle des idées de placer et traiter l’article 12 avant le 11, comme étant relatif à établir le caractère que doit avoir la loi; mais la motion de M. de Volney n’a pas réussi. M. Martineau propose une rédaction qui embrasse plusieurs articles. M. Vernier veut qu’on se borne à rédiger le onzième, et que l’on y conserve l’expression du devoir de tout citoyen, d’être comptable de ses talents, de son industrie et de ses vertus à la société. M. Mounier. La déclaration des droits étant le guide du législateur, on ne doit pas employer des expressions qui puissent le gêner; il est possible que dans la législation on déclare le genre de propriété nécessaire pour être juge ou comptable en finances, et il ne faut pas compromettre des idées de cette importance par des expressions vagues; on ne peut pas dire que tous les citoyens ont le droit d’être appelés, mais bien qu’ils sont admissibles, sans distinction de naissance, suivant leurs talents ou leur capacité. M. Deschamps, député de la noblesse, insiste sur les mots, selon leur capacité. Tous les citoyens ne sont pas également capables, dit-il, vous ne voulez pas sans doute faire un soldat d’un curé. M. de Gouy-d’Arcy propose ensuite un article unique qui rendait avec précision le vœu des cinq articles. M. Delandine les réduit à deux ; M. l’évêque de Langres, MM. Lanjuinais, Duport, Salé de Choux et autres membres, font diverses observations qui ont été terminées par une autre rédaction de M. Buzot et une autre de M. Legrand. M. de Talleyrand-Périgord, évêque d'Au-tun, fait une rédaction plus heureuse, qui a réuni tous les suffrages à la première lecture. Elle est conçue en ces termes : « La loi étant l’expression de la volonté générale, tous les citoyens doivent concourir personnellement ou par représentation à sa formation ; elle doit ê! rela même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont susceptibles de toutes les places, de tous les emplois publics, selon leur capacité. » L’Assemblée témoigne son empressement à adopter cet article, elle demande à aller aux voix. On allait y aller sur chaque projet par ordre de priorité, la motion de M. l’évêque d’Autun étant la dernière, lorsque M. Barnave fait une motion tendant à donner la priorité à cette motion, et à la mettre en délibération. La motion de M. Barnave est accueillie; cependant un de Messieurs les secrétaires donne lecture de tous les arrêtés divers et projets de rédaction. Après quoi l’on revient à celle de M. l’évêque d’Autun. 30 400 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 août 17S9.J M. Mouiller propose par amendement d’ajouter à la lin de la rédaction ces mots: selon leur capacité ; un autre membre, de changer sus - ceptibles en admissibles; un troisième veut qu’on ajoute sans distinction ; un quatrième, de naissance. On commence par aller aux voix sur le mot admissibles; l’amendement passe à la majorité. On vient ensuite au second amendement, selon leur capacité; cet amendement passe encore à la majorité. Un membre s’écrie que la délibération a été enlevée sans discussion. Une partie de l’Assemblée, dont le mot capacité paraissait contrarier fortement le vœu, demande que le décret qui admet l’amendement de M. Mounier soit déclaré nul. M. de I,ally-T©llendal. Je m’oppose à ce que cette question (savoir s’il y a un décret ou non) soit proposée; je m’y oppose en mon nom, au nom de mes commettants, au nom de la liberté. Nous sommes ici pour établir la Constitution, pour affermir la liberté. 11 n’y aura plus l’ombre de liberté si, lorsqu’une Assemblée aussi respectable vient de rendre un décret, on peut revenir contre, sur le mécontentement de la minorité ; nos débats seraient interminables. Cette sortie a fait d’abord une sensation désagréable dans l’Assemblée, qui bientôt a été différemment affectée, lorsqu’on a entendu la lecture du sous-amendement de M. de Tollendal; le voici : au lieu de sans distinction de naissance , il propose de mettre: sans autre distinction que celle de leurs talents et de leurs vertus. Ce sous-amendement passe à la presque unanimité, après quoi l'on va enfin aux voix sur la rédaction de M. l’évêque d’Autun. Elle est admise à l’unanimité et avec les amendements, en ces termes : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les ci-tovens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. » La séance est levée à quatre heures et demie. M. de Clermont-Tonnerre en annonce la continuation pour sept heures du soir. Séance du soir. M. le Président annonce plusieurs adresses. Un de MM. les secrétaires rend compte de celle de Giô-sur-Seine, en date du 16 du courant, qui porte adhésion aux arrêtés de l’Assemblée nationale, et félicitation sur ses principes ; De celle de Briare, du même jour, portant félicitation et expressions les plus vives de l’allégresse publique, et communication des mesures de prudence prises par la ville pour l’exécution du décret de sûreté et de tranquillité du royaume; De celle de Milhau-en-Rouergue, en date du 8 août, contenue dans un procès-verbal d’assemblée de la municipalité et des habitants de cette ville" La délibération desdits habitants tend à assurer la paix publique, la perception des deniers royaux, l’exécution des lois, l’obéissance aux tribunaux existants, et à former une association pour le bien public avec les villes de Villefrancbe et de Rhodez, et toutes les autres communautés qui voudront y adhérer. L’Assemblée ordonne l’impression de la délibération de la commune de Milhau, et vote des' témoignages de satisfaction à lui donner en son nom par M. le président de l’Assemblée nationale. Extrait des registres des délibérations de la ville de Milhau en Rouergue ( 1). « Cejourd’hui huit août mil sept cent quatre vingt-neuf, les officiers municipaux et la commission extraordinaire de la ville de Milhau, assemblés dans l’hôtel de ville , M. de Bonald, maire, a dit: « La ville de Milhau a la première réclamé les droits ne sa province ; et dans un moment où l’extrême agitation des esprits semble faire oublier l’autorité des lois, relâcher les liens de la société et en altérer jusqu’aux principes, elle sera la première encore à réclamer les droits de l’homme et du citoyen, le respect des lois et de l’humanité. Lors des terreurs qui ont affligé cette contrée, elle a vu, avec autant d’intérêt" que de sensibilité, les différentes communautés s’unir pour le salut commun, les citoyens abandonner leurs foyers pour voler à la défense de leurs frères, partout les sentiments les plus affectueux d’accord et de fraternité ; elle a même vu cesser dans son sein les divisions qui depuis longtemps en troublaient l’harmonie: tous les ordres, tous les citoyens se sont rapprochés et réunis. Empressée de faire jouir ses frères des avantages inappréciables de la paix et de la tranquillité, certaine de retrouver dans toutes les communautés les mêmes dispositions à l’union et à la concorde dont elles viennent de donner un si touchant exemple, elle ose, au nom de la patrie, les appeler à une confédération plus noble et plus digne d’elles, à une confédération d’honneur, de vertu, de respect pour les lois. * Ce n’est plus l’étranger qu’il faut repousser ; ce sont nos frères, c’est nous-mêmes qu’il faut préserver des effets d’une fermentation dangereuse, qui écarterait loin de nous le calme et le bonheur, s’opposerait au succès des vues paternelles du souverain et de nos représentants, et nous rendrait indignes de la Constitution qu’ils nous préparent. « Que d’autres provinces l’emportent sur lanôlre par les progrès des arts et du commerce, par la fertilité de leur sol ou le nombre de leurs habitants ; assez riches, assez forts quand nous serons unis et vertueux, nous ferons envier aux autres contrées Je calme dont nous jouirons ; nous saurons, au milieu des circonstances les plus orageuses, conserver les vertus de nos ancêtres, le respect pour les lois et l’amour du souverain. «Sur quoi les officiers municipaux et la commission extraordinaire de la ville de Milhau, et tous ses habitants réunis dans les mêmes sentiments, considérant: « Que la nation nous appelle à la liberté et non à la licence ; que la liberté, ou le droit de faire (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur-