57 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 octobre 1790.] l’espoir, s’il est adopté, de voir tous les citoyens heureux et tranquilles, me voilà enfin parvenu à la partie dont la tâche est toujours la plus pénible ; car il est douloureux, sans doute, de songer aux punitions que les crimes et les défauts des hommes méritent qu’on leur inflige, pour assurer la tranquillité et le bonheur général, qui ne pourrait qu’être à chaque instant altéré par ceux qui se livrent sans cesse à leurs passions, qui, telles qu’elles soient, sont toujours à charge et dangereuses à la société. 11 faut donc, pour sa sûreté et sa félicité, faire des lois, instituer des peines contre ces membres, dont l’âme avilie n’est capable d’aucun sentiment, et ne sont arrêtés dans leurs projets criminels que par l’aspect des châtiments; il faut donc en faire le choix, nécessité déplorable et malheureuse, sans doute, mais cependant indispensable pour la classe des pauvres, la plupart accoutumée au genre de vie, dont l’oisiveté qui en est le principe et l’attrait, les rendent susceptibles de tous les égarements nuisibles, leur ôtent entièrement le désir et le courage de chercher, s’ils n’y sont contraints, les moyens de subsister d’une manière utile, au lieu d’être à charge à la société. Cette classe d’ailleurs se propage tous les jours, et elle ne s’éteindra jamais, si l’on n’y apporte les remèdes les plus efficaces. Ces considérations doivent faire regarder comme une nécessité absolue d’en rétablir d’autres bien plus avantageux que ceux qui existent, dont l’administration a toujours été mauvaise, ce qui a rendu ces établissements bien plus à charge qu’utiles à l’Etat, en ne remplissant pas l’objet pour lequel ils étaient créés. Les dépôts actuels sont trop peu multipliés; il faut faire faire aux mendiants souvent de longues roules pour ies y conduire. Ces malheureux languissent (l’abord dans différentes prisons, d’où ils ne sortent que lorsque le service de la maréchaussée le permet. Presque toujours un mendiant attend dans une prison qu’il y en ait une grande quantité pour être ensuite entassés dans une charrette et conduits dans ces dépôts, la plupart petits, mal situés, et malproprement tenus, où les pauvres périssent de maladies épidémiques, qui ne peuvent manquer de se manifester dans des lieux aussi malsains, où on les laisse languir sans aucun secours ; de plus, on ne les y occupe presque jamais ; il y a même des dépôts où on ne les fait pas du tout travailler, et jamais on n’y cherche à leur inspirer le goût do travail, par divers encouragements, qu’il eut été possible d’établir parmi eux. Aussi sortent-ils de ces endroits sans être corrigés, et reprennent à l’instant le même genre de vie dont ils n’avaient été privés que par le défaut de quelques précautions qu’ils savent prendre lorsqu'ils craignent d’être arrêtés ; depuis bien des années le service de la maréchaussée est à cet égard bien négligé; aussi le bon ei : et qu’avait dès le commencement produit la crainte des dépôts, a-t-il entièrement cessé, et les pauvres se sont multipliés d’une manière si alarmante, qu’il est d’un très grand intérêt d’y apporter la plus sérieuse attention. Mais auparavant de sévir et de la supprimer, il faut que les véritables pauvres soient assurés de pouvoir trouver des secours suffisants. Dès qu’ils seront établis, alors ceux qui mendieront le seront par goût et par habitude. Dans ce cas, iis ne peuvent être regardés que comme des vagabonds, qui doivent être punis atin de les corriger et de leur faire adopter la vie laborieuse. Pour y parvenir, il est essentiel d’établir dans chaque département une maison de correction, dans laquelle ils seront renfermés, pour les y faire travailler intérieurement ou extérieurement à divers travaux, suivant qu’il sera jugé convenable. Il est à désirer que les maisons qu’on choisira pour cet usage soient grandes et saines ; que chaque vagabond, de quelque sexe qu’il puisse être, y soit tenu séparé. La principale raison de cette précaution est, qu’outre l’avantage de la san té, des gens de cette trempe étant continuellement réunis, ils ne font que s’entretenir dans leurs habitudes, en se racontant sans cesse les douceurs et les plaisirs qu’ils peuvent y avoir éprouvés, s’instruisent réciproquement des moyens de les reprendre et de les continuer à leur sortie. Cette mesure empêchera de se former entre eux des associations, dont les vues seraient presque toujours criminelles ; d’ailleurs la solitude est une vraie punition pour l’homme qui, dans tous les temps, préfère la société. Le but de toute punition est de ramener l’homme à ses devoirs ; celle-ci aura un très bon effet, parce que livré à ses réflexions, pour peu qu’il en fasse, et un homme privé de sa liberté en fait toujours, il peut prendre enfin la sincère résolution de se corriger, et ne plus compromettre un bien qui doit iut être aussi précieux, et dont il sentira beaucoup plus le prix, par la perle momentanée qu’il aura fait. En punissant ainsi les faux mendiants, on par viendra, par ce moyen, à éteindre ce genre de vie, qui ne pourra plus se renouveler par l’intérêt qu’auront les municipalités d’y veiller, et de ne refuser aucun secours de charité aux véritables pauvres, afin de ne pas se mettre dans le cas de mortifications portées par l’article 8 du décret, lorsqu’elles n’auront pas fait droit aux demandes de secours qui leur auront été faites par des citoyens de leurs arrondissements, dont les besoins auront été constatés de toute justice. Il est inutile de faire aucune autre observation sur ies articles qui composent ce titre, leur nécessité sera sûrement assez sentie. Le dernier est relatif aux objets sur lesquels cette dépense doit être rejetée. Gomme les biens domaniaux en ont toujours été jusqu’à présent spécialement chargés, j’ai pensé qu’ils devaient toujours la supporter tant qu’il en existerait, et que les départements devraient, sur la vente qui en sera faite comme biens nationaux, destiner à cet objet un * partie d; s fonds qui en proviendront. Ce sont ces différents objets qui m’ont eugagé à proposer le projet de décret suivant : Projet de décret sur la mendicité. L’Assemblée nationale, occupée de tout ce qui peut assurer la félicité publique dont ies français doivent jouir tous également, a considéré qu’elle ne serait jamais parfaite si la classe malheureuse qui n’a pour son partage que la misère et les maux de tout genre ne trouvait pas des secours publics assurés auxquels les citoyens qui en sont affligés ont le droit de prétendre, surtout lorsqu’ils sontprivés de toutes ressources, soit par l’indigence de leurs parents qui sont alors dans l’impossibilité de remplir envers eux une obligation aussi sacrée, soit par les moyens de se les procurer par le travail qu’ils ne sont pas encore ou ne sont plus en état de faire. L’Assemblée nationale, en remplissant les obligations que lui impose l’humanité souffrante, tjg [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 octobre 1790.] a, en même temps, considéré qu’il n’était pas moins de son devoir dé réprimer l’état de mendicité qui se propage tous les jours par l’attrait qu’offre l’oisiveté d’un tel genre de vie, dont les vicës qiil en sont inséparables, sont les plus contraires à la tranquillité publique et à son bonheur; à quoi l’Assemblée voulant pourvoir, a décrété et décrète : TITRE Ier; De la vraie pauvreté et de son admission aux secours et chantés publiques. Art. 1er. Nul ne peut être considéré comme pauvre et avoir besoin des secours de ses concitoyens dès qu’il est en état de travailler, et que le travail peut le faire subsister. Art. 2. Seront regardés comme véritablement pauvres et ayant droit de participer aux charités publiques : les vieillards que l’âge ou les infirmités mettent hors d’état de travailler; les orphelins dont les parents ont été reconnus dans l’impossibilité de pourvoir à leur subsistance et entretien; les enfants trouvés; les infirmes incurables, que les maladies mettent également hors d’état de travailler; les veuves chargées de famille encore dans le bas âge; les fous et tes imbéciles que leurs familles ne peuvent alimenter. Art. 3. Nul ne pourra être admis à la charité et secours publics, que son état de pauvreté et ses infirmités n’aient été constatés par le curé, ou un ecclésiastique commis par lui, ou par les officiers de la municipalité, assistés d’un médecin ou chirurgien. , Art. 4. Aucun citoyen, dont l’état aura été ainsi constaté, ne sera encore admis définitivement à la charité publique, que huit jours après la publication et affiche de son nom et de l’objet de sa demande; il sera cependant pourvu provisoirement à sa subsistance. Art. 5. Tout citoyen pourra, pendant ce délai, former opposition aux demandes de charité, lesquelles seront jugées par le curé et les officiers de la municipalité. Art. 6. Tout citoyen qui aura formé une opposition sans fondement, sera condamné à une aumône de 10 livres, qui sera versée dans la caisse de charité, où seront également portées les amendes de police et autres. Art. 7. Aucun citoyen ne pourra être admis à la charité publique dans une autre municipalité que dans celle où il est domicilié depuis un an au moins, et faute de ce domicile, il sera renvoyé à la municipalité à laquelle il est né. TITRE II. De la subsistance , entretien et soulagement des pauvres. Art l«r. Chaque municipalité sera ténue ile pourvoir à l’entretien et à ia subsistance de ses pauvres et de ses enfants trouvés, ainsi qu’à donner des secours aux familles nombreuses, dans les temps où le travail manque absolument, et dans les cas où le travail des chefs de famille ne pourra pas suffire. Art. 2. Il sera, dans chaque municipalité, tenu un registre, dont les doubles seront envoyés aux districts et départements, Il contiendra le nom de chaque pauvre, son âge, son état, ses infirmités ; le nombre dé ses enfants, leur âge et leur force. Art. 3. Il seta envoyé aux districts et départements, tous les six mois, un état exact signé du curé et du procureur de la commune, dé l’augmentation ou de la diminution des pauvres, lequel état sera enregistré sur le registre qui concerne chaque municipalité. Art. 4. Les municipalités qui ne seront pas en état de pourvoir à la subsistance et entretien de leurs pauvres, seront tenus d’en faire la déclaration à l’assemblée du district, qüi nommera des commissaires pour constater, par un procès-verbal fait sur les lieux, cette impossibilité, soit en partie, soit entière; et ce procès-verbal sera envoyé à rassemblée de département, pour le constater de nouveau et prendre les moyens d’aider ces municipalités. Art. 5. Après que chaque municipalité aura pris l’état exact de ses pauvres et de ses infirmes» il sera procédé à uhe assemblée municipale, dans laquelle il sera délibéré sur les secofirs de tout genre nécessaires à leur subsistance, à leur soulagement et à leur entretien; et cette délibération, à laquelle sera annexé l’état nominatif deg pauvres, sera publiée et affichée dans l'étendue de chaque municipalité. , Art. 6. Chaque citoyen sera invité, par la délibération de l’article précédent, à venir se fairb inscrire dans la huitaine, â dater du jour de l’affiche et publication, chez le trésorier dé la municipalité, pour la somme, en argent ob denrées qu’il voudra donner, et qu’il s’obligera de payeP dans l’année par quartier. Art. 7. Si, d'après le relevé des dons volontaires, qui sera fait le neuvième jour après la publication de l’invitation «ipré, négociant , fabricant , député de Carcassonne . Les hommes réunis en société reçoivent de la nature et de l’éducation une portion très inégale de talents et de facultés physiques et morales. De cette inégalité résulte nécessairement celle des fortunes dans les associations politiques les plus sagement combinées; la médiocrité peut donc entrer dans leurs calculs, mais la pauvreté ne peut se concilier avec elles, elles doivent la détruire ou plutôt la prévenir. Le défaut de travail la produit presque toujours, ou parce que les maladies, la caducité, l’enfance empêchent de s’y livrer, ou parce que le travail manque souvent à ceux qui le réclament : dans le premier cas, la bienfaisance publique doit faire tout de que n’aura pas fait la bienfaisance particulière pour la subsistance et le soulagement du pauvre ; dans le second, c’est aux administrateurs à Seconder, à diriger l’industrie du peuple, en lui ouvrant de nouveaux débouchés, en formant des ateliers et en calculant le salaire des ouvriers sur le prix des denrées de première nécessité. La mendicité n'est pas tant le crime du mendiant que celui du législateur, qui, par l’étude des rapports et des combinaisons sociales, doit plutôt la prévenir que l’empêcher; elle devient soqvent nécessaire par l’impéritie, l’insouqjance et les erreurs du gouverhemeiit. C’est toujours par la faute du gouvernement que le comuiérpe éprouve ces secousses violentes qui ruineqt lés manufactures et les stagnations fréquentes qui arrêtent le mouvement de nos ateliers. Une fausse politique, des traités désavantageux avec des puissances rivales, les privilèges exclu-