337 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 avril 1790.] Quand je vois le chapitre de Strasbourg réclamer ses immunités, et quand je vois M. l’évêque de Spire particulièrement déclarer que sa principauté n’est pas dépendante de la France, je puis dire que vous êtes Français malgré vous. (Ce discours, prononcé avec fermeté, a rétabli le calme dans la partie droite du président.) Plusieurs membres demandent qu’on aille aux voix : 1. Alexandre de Lameth répète sa motion. (L’Assemblée décide que les offres du chapitre noble de Strasbourg ne doivent pas être acceptées.) M. d'Àugeard, président de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux, est introduit à la barre ; M. le président de l’Assemblée lui fait lecture du décret rendu contre le réquisitoire et l’arrêt de cette chambre. Pendant cette lecture, une très grande partie des membres de la partie droite se tiennent debout, et semblent prendre l’attitude de M. d’Augeard. Le décret lu, l’ordre du jour est demandé par le côté gauche. M. d’Augeard se retire. Le bataillon de Saint-Louis-la-Culture se présente à la barre pour adhérer à l’arrêté du district de Saint-Etienne-du-Mont sur la permanence des districts; il jure de verser jusqu’à la dernière goutte de son sang pour assurer la liberté des délibérations de l’Assemblée et l’exécution de ses décrets. M. Vieillard (de Coutances ) rend compte, au nom du comité des rapports, des troubles qui ont eu lieu à Dieppe et aux environs. « Douze cents mendiants, tous armés et confédérés, se présentent chaque jour dans les fermes; ils ont forcé les municipalités de taxer les grains à bas prix, d’en faire la recherche che? les laboureurs, et en ont ainsi empêché la circulation intérieure; ils ont mis des têtes à prix, et menacent de la fatale lanterne. Lesmarchésne sont presque point approvisionnés. Dieppe et ses environs se voient exposés à toutes les horreurs de la famine ; dans huit jours peut-être ils n’auront plus de grains. Les municipalités ont môme été contraintes, par prudence, de céder à cette irruption momentanée, et de faire des arrêtés pour défendre la circulation. Dans cette situation fâcheuse, la ville de Dieppe s’adresse à l’Assemblée nationale, et votre comité a l’honneur de vous proposer le projet de décret suivant : «L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, déclare attentatoire à la liberté publique et à l’autorité de ses décrets, et, comme telles, annulle toutes délibérations qui, de quelque manière que ce puisse être, ont été prises par plusieurs municipalités, pour obliger les laboureurs à tournir des blés à un prix inférieur au prix courant, et pour interdire la libre circulation des grains dans le royaume ; « Décrète que son président se retirera par devers le roi, pour supplier Sa Majesté de donner des ordres nécessaires : 1° pour qu’il soit promptement et efficacement pourvu à ce que la ville de Dieppe et les municipalités circon voisine s puissent se procurer les subsistances nécessaires; 2° pour que, sur la réquisition desdites municipalités, il leur soit procuré les moyens suffisants pour rétablir la tranquillité dans le pays, et prévenir de nouveaux désordres ; 3° pour que, conformément au décret de l’Assemblée nationale con-lre Série. T. XV. cernant les subsistances, il soit enjoint aux municipalités et aux tribunaux, chacun pour ce qui les concerne, de veiller exactement à leur pleine et entière exécution, et qu’il soit procédé à la recherche et punition de ceux qui, au mépris de ces mêmes décrets, s’opposeraient à la libre circulation des grains dans le royaume. » M. de Robespierre. Si l’Assemblée voulait aller sur-le-champ aux voix et adopter le projet de décret, sans discussion préalable, il me déchargerait d’un fardeau bien pesant ;mais si elle juge la discussion nécessaire avant de se déterminer, je serai forcé de lui faire part de quelques réflexions. Les conséquences du projet de décret me paraissent funestes ; j’ai vu un député de Dieppe qui s’est adressé au ministre pour lui faire part de la situation de cette ville, et la réponse du ministre n’est pas satisfaisante. Ce qui me donne des inquiétudes et des soupçons, c’est que je vois, dans l’adresse de la municipalité de Dieppe, un style qui n’est pas celui de la douleur, et la manière dont est conçue sa demande semble tendre à faire donner au pouvoir exécutif une extension de force qui pourrait être funeste à la liberté publique. Je ne puis, à la vérité, me dissimuler que le pays manque de subsistances ; mais, avant d’employer les moyens violents, ne serait-il pas convenable de s’assurer si les faits contenus dans l’adresse sont parfaitement exacts ? M. Bourdon et autres députés de Gaux observent que la municipalité de Dieppe ne peut mériter aucuns soupçons ; qu’elle a donné constamment, ainsi que les habitants de cette ville, des preuves non équivoques de patriotisme ; ils concluent à l’adoption du projet de décret du comité des rapports. Ge projet est relu, mis aux voix et adopté dans les termes ci-dessous : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, « Déclare attentatoires à la liberté publique et comme telles, annulle toutes délibérations qui, de quelque manière que ce puisse être, ont été prises par plusieurs municipalités pour obliger les laboureurs à fournir des blés à un prix inférieur au prix courant, et pour interdire la circulation des grains dans le royaume ; « Décrète que son président se retirera à l’instant par devers le roi, pour le supplier de donner des ordres nécessaires : « 1° Pour qu’il soit promptement et efficacement pourvu à ce que la ville de Dieppe et autres municipalités du pays de Gaux, puissent se procurer les subsistances nécessaires ; « 2° Pour que, sur la réquisition desdites municipalités, il leur soit procuré les moyens suffisants pour rétablir la tranquillité dans le pays et prévenir de nouveaux désordres ; » 3° Pour que, conformément aux décrets de l’Assemblée nationaleconcernant les subsistances, il soit enjoint aux municipalités et aux tribunaux, chacun pour ce qui les concerne, de veiller exactement à leur pleine et entière exécution, et qu’il soit procédé à la recherche et punition de ceux qui, au mépris de ces mêmes décrets, s’opposeraient à la libre circulation des grains dans le royaume. » Un de MM. les secrétaires lit une lettre du président de l’assemblée des représentants de la commune de Paris, par laquelle ils témoignent leur reconnaissance à l’Assemblée nationale des mesures qu’elle a prises pour faire jouir promp-n 338 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 avril 1790.") tement la capitale de l’organisation à laquelle elle aspire. Cette lettreest ainsi conçue ; « Monsieur le président, nous devrions des remerciements à l’Assemblée nationale, pour chacun de ses décrets, qui sont autant d’hommages rendus à la liberté, et des moyens d’assurer la félicité publique ; mais quand nous participons avec la nation entière aux bienfaits de sa sagesse, nous nous bornons à mêler nos applaudissements à ceux des provinces, et nous craindrions de la distraire par des témoignages particuliers de reconnaissance. Elle vient de rendre, Monsieur le président, nn décret qui ne concerne que la capitale, qui la concerne elle seule ; il a pénétré nos cœurs de la plus vive sensibilité ; nous n’avons pu voir sans une joie attendrissante et sans nous abandonner hautement aux expressions du plus profond sentiment, les mesures que l’Assemblée nationale a prises pour nous fairejouir promptement de l’organisation à laquelle nous aspirons et qui est devenue un besoin pressant pour la capitale. L’assemblée des représentants de la commune me charge de vous exprimer l’étendue de sa reconnaissance, et de vous prier, Monsieur le président, de vouloir bien en présenter l’hommage à l’auguste Assemblée dont vous êtes l’organe. Je suis avec respect, etc.