BAILLIAGE DE LANGRES. Nota, te cahier commun, des trois ordres du bailliage de tangres que nous donnons ci-dessous est emprunté à un imprimé de la bibliothèque impériale. (Paris, Esprit , 1789, un vol. in-8°). Ce cahier est regardé comme apocryphe par diverses personnes ; aussi ne le publions-nous que sous toutes réserves et comme document à consulter : il doit, en tous cas, réproduire l’ensemble des plaintes du bailliage. Les cahiers des trois ordres n’existent pas dans les archives de la ville de Langres : nous les faisons rechercher encore dans tout le département de la Haute-Marne, afin de les publier en supplément, si nous parvenons à les découvrir.' CAHIER Commun des trois ordres du bailliage . de Langres. Ce sont les repïésentations et doléances qu’ont l’honneur d’adresser à Sa Majesté les gens des trois ordres de son bailliage de Langres. Sire, au moment où nous sommes rassemblés par les ordres de Votre Majesté, pour lui adresser nos représentations, et pour députer aux Etats généraux, le premier sentiment que nous éprouvons est la reconnaissance dont nous pénètre le bienfait signalé que vous accordez à vos sujets. Nous sentons, Sire, et plus vivement que nous ne pouvons le témoigner, toute l’étendue du bien que va répandre dans toutes les parties de ce royaume la régénération des Etats généraux nous sentons tout le courage qu’il a fallu à un prince né sur le trône, élevé dans l’attrait du pouvoir absolu, continuellement imbu depuis l’instant de sa naissance des maximes de l’autorité arbitraire, pour former la généreuse résolution de rendre à son peuple l’exercice de tous ses droits; nous sentons combien de préjugés il a eu à vaincre , combien d’illusions à écarter, combien d’obstacles de tout genre à surmonter autour de lui, au dedans de lui, pour reconnaître son véritable intérêt souvent opposé à celui de ses ministres et essentiellement uni à celui de son peuple, et pour briser toutes les barrières qui depuis près de deux siècles séparaient nos monarques de leur nation. Nos cœurs répondent, Sire, à ce bienfait si grand, si inespéré par leur respect, leur fidélité , leur soumission et leur amour. Nous désirons que ces doléances, que nous vous adressons, soient l’expression de ces sentiments : elles serviront d’instruction aux députés que nous envoyons aux Etats généraux, mais elles ne limiteront pas leur pouvoir ; nous leur donnons tout celui qui leur est nécessaire pour servir utilement Votre Majesté. Qu'ils proposent, qu’ils adoptent tout ce qui sera utile, qu’ils s’éclairent de toutes les lumières, qu’ils s’animent de toutes les vertus de cette auguste assemblée, que le bien générai soit leur unique objet, qu’ils n’hésitent jamais à le préférer à notre intérêt particulier, que le patriotisme soit constamment leur mobile et leur règle, voilà la mission que nons leur donnons. Nous n’apportons point à Votre Majesté des représentations différentes pour les trois ordres qui composent ce bailliage; comme le même sentiment nous animait tous, il nous a inspiré à tous les mêmes vues. Le zèle du bien public est le centre commun qui a tout réuni parmi nous, et auquel se sont rapportées toutes nos affections toutes nos idées, toutes nos demandes : et ce sentiment nous inspire encore dans ce moment un vœu que nous exprimons à Votre Majesté, dans toute la sensibilité de nos cœurs : c’est que l’auguste assemblée qui va se former sous vos yeux vous fasse goûter la môme satisfaction; que tous les préjugés et tous les intérêts de personnes, de corps, d’ordres, déposés à l’entrée des Etats généraux, il ne paraisse dans ce sanctuaire de la patrie que des cœurs purs, enflammés de l’amour du bien, réunis dans les mêmes sentiments, et tendant par un effort commun à la destruction des abus et à la libération de la dette nationale, au soulagement du peuple, à la protection de la sûreté et de la liberté publique, au maintien de votre autorité, à la prospérité et â la gloire de votre règne. ÉTATS GÉNÉRAUX. Entre les objets qui , au moment de la régénération des Etats généraux, fixent les regards de la nation, le premier, Sire, et le plus important de tous après les Etats généraux eux-mêmes , c’est la nécessité de donner de sages lois, qui soient à perpétuité les règles de ces grandes assemblées, etqui établissent invariablement leur convocation, leur formation, leur composition, leur renouvellement, la forme, les objets, l’exécution de leurs délibérations. En proposant humblement à Votre Majesté nos vues sur cet important objet, notre intention n’est point de lui présenter un plan général de cette grande législation, et d’embrasser tout l’ensemble de ce vaste système. C’est du sein de cette auguste assemblée, et du milieu des lumières qui en rejailliront que doit sortir cette loi solennelle sur laquelle Votre Majesté fondera l’immuable édifice de la constitution française. Nous sentons, nous reconnaissons que l’entreprise de présenter une constitution nouvelle à un grand empire, est trop vaste et trop compliquée pour nos forces. Distinguer les droits respectifs des ordres qui composent la nation, et les conserver en les concilliant, réunir leurs intérêts trop longtemps opposés , et diriger vers le bien commun et l’intérêt personnel et l’intérêt de corps, marquer le point précis où la liberté civile s’arrête devant l’autorité des lois, balancer tous les pouvoirs, les modérer les uns par les autres, tracer autour de chacun d’eux une limite, et la munir de barrières impénétrables à toutes les invasions ; discerner ce qui doit appartenir à la partie de la puissance publique, qui dicte les lois, et à celle qui les exécute, environner l’une de formes solennelles dont la lenteur impose la nécessité de la réflexion et de la maturité, imprimer à l’autre une force et une activité proportionnée 429 [États gén, 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.l ài* étendue de l’empire, et cependant repousser loin de la première l’intrigue qui viendrait troubler ses délibérations et écarter de la seconde les abus que des agents s’efforceraient d’y introduire, voilà, Sire, une légère idée des principaux objets qui doivent entrer dans la composition d’une constitution nationale, et nous convenons que cet ensemble de principes et de vues est trop étendu pour nos faibles lumières. C’est aux hautes méditations, aux profondes discussions des députés que la nation aura honoré de son choix, qu’il est réservé de préparer c one importante législation. Nous osons même former encore un vœu, et le présenter à Votre Majesté et à cette grande assemblée, c’est que ces règlements, qui vont être le fruit de la sagesse et des lumières réunies de Votre Majesté et de toute la nation, ne reçoivent pas dans cette première assemblée une sanction perpétuelle , qu’ils ne soient encore publiés que comme la règle d’une seconde assemblée, qui les soumettra à un autre examen, et ainsi successivement, pendant un intervalle de temps et un nombre de tenues d’Etats déterminés; leurs dispositions seront toujours de nouveau revues, pesées et discutées; enfin, après avoir subi toutes les épreuves des réflexions de la nation entière, des lumières d’un très-grand nombre de ses représentants, de l’expérience de plusieurs années, ils seront proclamés hautement la loi fondamentale du royaume , le pacte solennel du Roi et de son peuple, le garant sacré de l’autorité de l’un et de la liberté de l’autre. Nous voudrions pouvoir ajouter qu’ils acquerront le caractère d'une immutabilité absolue, mais une considération nous arrête : les empires sont sujets à des révolutions et à des variations, qui sont quelquefois l’effet du seul laps du temps, et qui exigent des changements jusque dans leur constitution. Nous nous contenterons donc de proposer que cette loi si solennellement consentie par tous les ordres de la nation, ne puisse éprouver aucune altération, aucune diminution , aucune addition, même les plus légères, même du consentement du souverain, que sur une pluralité de suffrages déterminée et tellement prépondérante, que le changement ne puisr ; jamais se faire que commandé par une nécessité absolue. Si le sentiment de notre insuffisance nous défend de discuter l’ensemble de cette vaste et importante législation, qu’il soit cependant permis à notre zèle de présenter à Votre Majesté quelques réflexions générales sur ce grand objet. En rendant, Sire, à votre nation, le droit antique et précieux de ses assemblées, l’intention de Votre Majesté n’a pas été de lui procurer un bien léger et transitoire, qui bientôt après se perde et s’abîme dans la multitude des abus qui le recouvriraient ; c’est à une plus haute gloire que Votre Majesté prétend , des vues plus élevées l’inspirent. Régénérateur de votre nation , vous avez annoncé le noble projet de la réintégrer dans tous ses droits, et vous lui avez fait espérer que les Etats généraux que vous venez de convoquer seront le principe et l’origine d’une suite régulière et assurée de semblables assemblées. Ah F si cette scène auguste, qui va s’ouvrir devant vos yeux devait, comme tant d’autres de ce genre, rester isolée dans notre histoire, et ne laisser après elle que le regret de ne la point voir répétée, loin d’être un bienfait envers la nation, les Etats généraux seraient pour elle un fléau et un malheur de plus; les efforts qu’elle va faire en ce moment pour combler le vide effrayant que les ministres Ont causé dans les finances, ne serviraient qu’à préparer aux ministres qui les remplaceront les moyens de creuser un nouvel abîme plus profond encore peut-être. Ce n’est pas un remède momentané qu’il faut apporter à un mal qui menace sans cesse. Les Etats généraux qui s’assemblent répareront le désordre actuel ; mais ils ont à remplir un plus grand devoir, que leur impose l’attente de la nation et le service de Votre Majesté ; c’est d’opposer aux désordres futurs un obstacle insurmontable et perpétuel. Cet obstacle ne peut être que l’assurance du retour périodique des Etats généraux, mais une assurance qui ne puisse être frustrée ni par aucun motif, ni dans aucun temps, une assurance qui soit jj. jamais à l’abri et des insinuations subtiles des ministres et des refus absolus de vos successeurs; il n’est, Sire, qu’un seul moyen de les rendre éternellement invariables et d’assurer aux Etats généraux leur retour périodique, qui ne dépend ni des volontés ni des intérêts de l’autorité et de* ses dépositaires : c’est que l’assemblée nationale, en étendant ses dons aussi loin que l’exigent et les besoin» et les malheurs actuels de l’Etat, en limite la durée et la mesure sur l’intervalle qui devra s’écouler jusqu’à rassemblée suivante, en n’exceptant de cette règle que les fonds qu’elle aura assignés à l’acquittement de la dette nationale ; ainsi d’époque en époque le besoin de subvenir aux dépenses de l’Etat ramènera constamment celui de rassembler la nation. Que Votre Majesté, Sire, parcoure l’histoire de sa monarchie, elle y verra démontrée à chaque époque la nécessité de cette précaution et là justice de nos alarmes. Nous craignons ce que nous présentent toutes les tenues des Etats généraux, la promesse de les rassembler périodiquement si souvent donnée et jamais exécutée; nous craignons ce qu’ont vu constamment nos pères, ce dont nous-mêmes n’avons cessé d’être témoins, les changements de principes et de volonté à chaque nouveau règne, à chaque nouvelle administration; nous craignons l’abus du pouvoir, l’esprit de domination que nous avons tant de fois éprouvé dans les dépositaires de l'autorité ; nous craignons tous ceux qui ont intérêt au désordre, et tous ceux qui les causent, et tous ceux qui en profitent, et les prétextes qu’ils allèguent, et les obstacles qu’ils élèvent contre la convocation des Etats , dès qu’ils ne sont plus nécessaires au besoin du fisc; nous nous craignons nous-mêmes, Sire; nous redoutons cet amour de nos rois qui nous emporte si facilement, cet enthousiasme dont les plus grands de nos souverains nous ont constamment aveuglés, qui nous a fait négliger tous nos droits, oublier nos Etats généraux, sacrifier notre liberté et nous livrer avec un abandon total à leurs vertus, sans prévoir que nous ne retrouverions pas les mêmes affections dans leurs successeurs. Préservez-nous, Sire, de retomber encore dans ce malheur; cimentez en ce moment la réunion éternelle des rois et de leur peuple; régnez désormais selon notre noble projet, par les assemblées constantes , suivies et régulières de votre nation ; régnez comme Charlemagne, mais ajoutez à votre gloire ce qui a manqué à la sienne: forcez vos successeurs à maintenir l’heureuse constitution que vous allez nous rendre. Nous n’entreprendrons point, sire, de déterminer les intervalles qu’il conviendrait d’assigner au retour périodique des assemblées nationales; cette fixation tient trop intimement au plan gé- 430 [Etats gén. 1189, Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Latigres.J néral qui sera adopté et à la constitution qui sera formée dans les Etats généraux ; mais nous pensons que Votre Majesté ne doit pas craindre de rendre ces assemblées trop fréquentes. Si les Etats généraux ne se renouvelaient qu’à des époques éloignées, il serait à craindre que, dans des temps que l’exemple du passé nous force de prévoir, les ministres ne conçussent l’espérance de s’affranchir du joug de ces assemblées, et ne préparassent de loin des obstacles à leur convocation ; lors même qu’ils n’oseraient le tenter, le peuple n’hésiterait pas à les en soupçonner. Quel bien pourrait-on espérer d’Etats généraux où l’on verrait d’un côté la crainte, de l’autre la méfiance ? Les différents pouvoir s’en se rapprochant, au lieu de se réunir, ne feraient que se heurter ; mais que les Etats généraux soient rendus très-fréquents, ils entrent dans l’ordre commun et habituel de l’administration ; l’époque de leur retour, assurée parce qu’elle est prochaine, osl attendue avec tranquillité ; on ne conçoit pas même l’idée d’empêcher leur convocation, parce ue l’on sait qu’on n’a ni les moyens de former es difficultés, ni le temps nécessaire pour les préparer, il ne reste plus aux dépositaires de l’autorité qu’un moyen pour ne pas les craindre, et ce moyen est celui qui, en leur acquérant la confiance des peuples, assure le bien général et la réunion de toutes les volontés dans l’intérêt public. Que Votre Majesté ne soit point arrêtée par la crainte minutieuse des frais qu’entraînent ces assemblées; plus rapprochées elles seront moins longues et moins dispendieuses; intéressées à se reproduire plus fréquemment, elles chercheront elie-mêmes les moyens de diminuer leurs dépenses;. et quelque étendus que puissent être les frais qu’elles occasionneront, jamais ils n’approcheront des abus qu’elles retrancheront et surtout de ceux que préviendra leur retour assuré et prochain. Cette dépense, Sire, est dans l’ordre d’une salutaire économie. Quelles mains assez hardies oseront attenter à votre trésor, quand tous les yeux de la nation veilleront presque continuellement à sa défense 1 lîn autre motif réclame encore le retour fréquent des Etats généraux: cen’estquedu consentement de la nation que peuvent être établis les impôts. Votre Majesté a publié hautement ce grand, cet antique principe, les transports de votre peuple l’ont accueilli, et par cet heureux concours il est redevenu la loi sacrée et inviolable de votre royaume ; il n’a plus besoin de la sanction des Etats généraux, Une s’agit que d’en faire le fondement de la sage institution qui vient désormais nous régir. Mais, Sire, de ce grand principe il résulte une considération majeure: il est dans la région supérieure de l’administration des dépenses que commande le besoin du moment; différées, elles deviendraient inutiles ; accélérées, elles préviennent les plus grands maux. La nécessité de repousser une invasion soudaine, de parer ou de frapper un coup au loin, dans nos colonies, exige une activité continuellement prête à être mise en mouvement, et déjà plusieurs fois, dans le cours de son règne, Votre Majesté a vu la terreur qu’imprimait le développement • de ses forces suffire pour écarter la guerre loin de ses Etats et pour maintenir la paix de l’Europe. Nous voulons, Sire, conserver ce précieux avantage de notre constitution actuelle et soutenir cette opinion de la puissance française, qui fait notre sûreté comme notre gloire. Mais comment pourront s’effectuer ces dépenses menaçantes qui, par leur nature, doivent être considérables et promptes, si elles ne peuvent être ordonnées que par des assemblées placées à des distances éloignées ; ces longs intervalles laisserout-ils le royaume sans défense ? Pour remédier à cet inconvénient, on a imaginé un pouvoir provisoire d’accorder les impôts qui ne subsisteraient que dans les intervalles des Etats généraux et qui seraient confiés soit à des corps permanents, soit à une commission intermédiaire des Etats eux-mêmes. En confiant à un corps ce grand pouvoir d’accorder provisoirement les impôts, on lui donne l’intérêt de perpétuer ce pouvoir et' de le rendre définitif; on lui donne en même temps un moyen puissant d’agrandir toutes ses prérogatives. En élevant cette puissance nouvelle au sem de l’Etat, peut-on prévoir ses progrès et calculer jusqu’où s’étendront ses formidables accroissements ? On ne tardera pas à voir ce corps tantôt cherchant à plaire à l’autorité par ses complaisanees, tantôt s’efforçant d’embarrasser l’administration de ses difficultés, mettre un prix aux unes, exiger pour les antres des sacrifices, faire alternativement à chaque don et à chaque refus valider de nouvelles prétentions, s’élever successivement de la concession de quelques droits à la réclamation de plusieurs autres, se faire de chaque usurpation un nouveau degré, augmenter sans cesse sa force de toute la masse du pouvoir qu’il aura déjà reçue, et se placer enfin audacieusement entre le Roi et la nation, terrible à l’un et oppressif de l’autre. Sire, l’histoire des nations ne présente aucun pouvoir exorbitant, même provisoire, qui ne se soit éternisé et rendu redoutable à ceux-mêmes qui l’avaient établi. Quand il serait possible de concevoir une commision intermédiaire des Etats généraux composée d’hommes impassibles, qui ne pussent être ni séduits par l’espérance, ni ébranlés par la crainte, cette commission présenterait encore de grands dangers. Perdant l’espoir de corrompre ou d’intimider la vertu de ceux qui composeraient cette commission, les ministres auraient encore la ressource de l’égarer; ils pourraient toujours les induire en erreur, leur présenter des besoins de l’ordre politique ou supposés ou exagérés, des besoins qu’ils seraient les maîtres de faire paraître ou disparaître à leur gré, et dont il serait impossible de vérifier la réalité et l’étendue. Auprès dé ce premier danger, les membres de la commission intermédiaire en redouteraient sans eesse un autre, celui d’être dans la suite désavoués par les Etats. Ils auraient continuellement à craindre ou de manquer aux besoins publics par leurs refus, ou de voir leur consentement satisfaire des intérêts particuliers, et dans tous les cas de devenir les objets du blâme et de l’animadversion de leurs concitoyens. Voilà entre quels risques seraient placés des citoyens vertueux, religieusement et invariablement attachés à leurs devoirs. Mais sortons d’une hypothèse imaginaire. Ceux qui composeront cette commission seront toujours des hommes ; ils seront donc toujours imbus de préjugés, mus par des passions, guidés par des intérêts. Ainsi, tout, dans celte commission, présente des dangers. Sa composition : si on la rend nombreuse, on ouvre une entrée plus large aux intrigues; si elle l’est peu, on facilite la corruption. Ses fonctions : la bornera-t-on au pouvoir d’accorder provisoirement des impôts ? mais, dans ce cas, quelle consistance, quelle force contre l’influence ministérielle pourra avoir cette commission, qui, dans le cours donné de plusieurs années, s’assemblera si rare- [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage do Laugces.J 43 ment, peut-être même jamais, dont les membres j resteront toujours inconnus les uns aux autres, i sans relation entre eux, et par conséquent sans j concert? L’investira-t-on encore d’autres pou-j voirs ? alors quelle grande puissance on établit dans l’Etat, et quelle tentation on donne à ceux qui en sont revêtus d’en abuser! Quelle que soit celte commission projetée, elle marchera toujours entre deux dangers également à craindre : celui de la condescendance et celui de l’opposition. Poussés par de grands intérêts, armés de grands moyens, les ministres auront toujours la facilité' de la séduire, ou de l’intimider ; ou, s'ils ne peuvent y réussir, elle se tournera contre eux, se rendra la rivale du pouvoir exécutif, l’embarrassera dans sa marche, qui doit toujours être ferme et rapide, et diffamera l’administration dans l’esprit des peuples. Ainsi, soit qu’elle ambitionne les faveurs que distribue l’autorité, soit qu’elle aspire à la considération que le public décerne à la résistance, une commission intermédiaire sera toujours dangereuse. Et peut-être, après avoir été un moyen d'intrigue à la cour, un sujet de division dans le royaume, peut-être, dans des temps éloignés, finirait-elle par prendre la place des Etats généraux eux-mêmes, et par s’emparer des pouvoirs qui lui auront été confiés transitoirement. Ce danger, pour être plus éloigné, n’est pas moins redoutable que tous les autres ; il menace de loin sans doute, mais il n’en menace que plus sûrement. Il est impossible d’imaginer que, dans le cours des siècles que la Providence accordera à cette monarchie, il ne se trouve des circonstances favorables à l’usurpation, et des esprits ardents à les saisir, et habiles à en profiter. Ce n’est que par elle-même que la nation doit exercer le droit de consentir les impôts, ce droit si précieux, si cher, qui est le garant de tous ses autres droits. Tout dépositaire serait exposé à de trop fortes tentations d’en abuser. Elle seule est inaccessible à la séduction, à la corruption, à la crainte, à la jalousie d’autorité, au désir d’une vaine réputation. Elle seule a un intérêt perpétuellement subsistant à ce que tous les pouvoirs restent à leur place, sans rien acquérir et sans rien perdre, et dans une activité constante, qui ne dégénère jamais en usurpation. 11 est donc indispensable, Sire, qu'elle s’assemble aussi souvent ne pourront l’exiger et les dépenses ordinaires de l’Etat, et ces dépenses soudaines auxquelles il est également nécessaire qu’elle pourvoie. Plus ses assemblées seront rapprochées, plus elles répareront et préviendront d’abus, plus elles tiendront les esprits dans le calme et consolideront la constitution du royaume. Nous oserons même présenter à Votre Majesté une autre idée. Des Etats généraux constamment assemblés et qui auraient une consistance permanente, mais dont les membres se renouvelleraient fréquemment, seraient à nosyeux le moyen le plus efficace de pourvoir avec abondance à tous les besoins, et la base la plus solide de notre constitution. Maintenues dans un équilibre constant, l’autorité souveraine et la liberté publique ne seraient exposées à ces chocs, à ees ébranlements qui ne sont pas sans quelque danger pour l’une et pour l’autre, et que les renouvellements d’assemblées peuvent si facilement amener. La tranquillité naîtrait de l’ordre continu, et la stabilité, la puissance, la splendeur, le bonheur de l’Etat en seraient les suites heureuses. Dans le moment où Votre Majesté rendait à ses peuples leurs Etats généraux, suspendus depuis si longtemps, uu cri général s’est élovô dans toutes les parties du royaume, et il s’est formé un concert et un vœu commun pour solliciter en même temps des Etats particuliers pour chaque province. Et votre Majesté, animée de l’amour de ses peuples, toujours mue par le désir de faire leur bonheur, a déjà commencé à accueilir leurs supplications. Ce projet d’établir universellement des Etats provinciaux, lesquels seraient les éléments des Etats généraux, a véritablement quelque chose d’imposant. Il offre le spectacle d’une grande nation représentée dans son tout et dans chacune de ses parties. Il développe une hiérarchie de pouvoirs nationaux. Il donne un moyen facile d’assembler les Etats généraux aussi souvent, aussi rapidement que l’exigeront les besoins de chaque moment. Nous concevons tous ces avantages : nous sentons tout le respect qui est dû au vœu général de tant de provinces. Qu’il nous soit cependant permis, Sire, de proposer quelques doutes sur ce projet d’associer des Etats provinciaux aux Etats généraux. Les observations que nous allons soumettre aux lumières supérieures de Votre Majesté et de l’assemblée nationale, ne seront point inutiles, si, ên présentant les inconvénients qui peuvent résulter de ce plan, elles engagent à en chercher le remède et à prendre des précautions qui maintiennent l’ordre et l’harmonie de cette constitution. Des Etats provinciaux d’une part, des Etats généraux de rautre, surtout placés à des époques rapprochées, formeront deux représentations différentes de la nation. Est-on assuré que cés assemblées se concerteront et se correspondront constamment ? 11 est nécessaire de prévoir leurs divisions et d’examiner quel en sera l’effet. Les assemblées des provinces auront toujours une plus grande part à la confiance publique, chacune dans son district, et par conséquent une plus grande force. Elles réuniront davantage la confiance des peuples de leur ressort, parce qu’elles seront formées par eux, tandis que les membres des Etats généraux ne seront élus que par les Etats provinciaux ; parce qu’elles seront toujours placées au milieu d’eux ; parce qu’elles s’occuperont plus immédiatement de leurs intérêts particuliers; et que, par là, elles auront avec eux des rapports plus intimes ; enfin, parce qu’une de leurs fonctions sera de les protéger auprès des Elats généraux, d’exposer leur position et leurs besoins, de solliciter en leur faveur des diminutions de charges. Ainsi, dans le conflit entre ces assemblées, celles-ci auront pour elles, avec l’opinion du peuple* toute la puissance de la nation, et l’assemblée nationale eii sera entièrement destituée : toute la force sera attribuée au-particulier et refusée au public , ce qui est contraire au principe fondamental de toute constitution. La force de tous doit constamment seconder la volonté de tous, et réprimer avec énergie* les volontés privées qui osent s’élever contre elle. Cette double représentation, sous l’extérieur séduisant qu’elle présente, cache le risque de faire dégénérer notre constitution en une république fédérative, avec le simulacre de réunion dhm congrès. Nous n'ignorons pas, Sire, que ce danger a déjà été aperçu. Une grande province a émis le vœu patriotique de remettre aux Etats généraux son droit, qui est le prix même de sa réunion à la couronne, d’accorder ou de refuser les impôts. Elle s’est réservé le seul pouvoir d’exécuter les décisions de l’assemblée générale, en imposant, en répartissantles sommes qu’elle aura accordées. {États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.J Nous applaudissons sincèrement à ce noble sacrifice. Puisse-t-il trouver partout des imitateurs! Puisse la délibération du Dauphiné devenir le point de ralliement de toutes les provinces ! Puissent, d'après ce grand exemple, toutes les prétentions, tous les droits particuliers, tomber devant l’intérêt public , et sur ce monceau de prérogatives, d’immunités, de privilèges abattus s’élever l’auguste, le salutaire édifice de la puissance nationale l Mais, Sire, ce ne sera pas encore assez. Non, il ne suffira pas que toutes les provinces, sentant l’avantage de réunir leurs droits pour les fortifier, reconnaissant la justice de se soumettre toutes aux résolutions auxquelles elles auront toutes concouru, viennent unanimement apporter à la nation leurs privilèges, les remettre de concert entre ses mains, en abdiquer l’exercice isolé, pour en jouir dans elle et avec elle, les déposer tous en une seule masse pour en faire le bien universel, et former de leur réunion le droit commun et inviolable de toute la France. 11 faut encore que ce droit général soit rendu éternel ; qu’en le mettant à l’abri des attaques ministérielles, on le garantisse aussi des caprices des peuples eux-mêmes ; qu’en transférant aux Etals généraux leur pouvoir d’accorder des impôts, les provinces s’interdisent non-seulement le droit, mais même la possibilité absolue de le reprendre ; qu’elles prennent contre leur changement de volonté des mesures efficaces et perpétuelles qui laissent à jamais ceux qui composeront leurs assemblées, destitués de tout moyen de faire revivre un pouvoir incompatible avec la constitution nationale. Que serait-ce, en effet, qu’un sacrifice ue l’on serait maître de rétracter? Quelle soli-ité aurait un tout qui ne subsisterait que selon la volonté de ses parties? Que deviendrait une constitution que chaque province du royaume pourrait ébranler et changer à son gré ? Pour donner à la loi cette stabilité qui fait un de ses principaux caractères, il ne suffit pas qu’elle ordonne, il faut encore qu’elle oblige : il faut que ceux qui lui sont soumis ne puissent dans aucun temps, sous aucun prétexte, par aucun moyen, se soustraire à son joug tutélaire. Tel est donc le grand problème politique que présente l’idée de former la constitution française d’Etats provinciaux, élémentaires des Etats généraux et qui leur soient subordonnés. Il faut, pour sa solution, trouver une sanction suffisante, qui cimente et assure à jamais cette subordination. Il faut conférer aux Etats généraux une puissance coactive, qui ôte aux Etats provinciaux la possibilité de ressaisir le droit d’octroyer les impôts, et qui les force à répartir ceux que les assemblées générales auront accordés. On proposera peut-être de remettre cette coaction entre les mains du souverain, et de charger le pouvoir militaire de l’éxécution des délibérations de l’assemblée nationale. Mais, Sire, si c’étaient les ministres eux-mêmes (et ce ne sont pas ici de vaines terreurs), si c’étaient les ministres qui suscitassent ces divisions entre les diverses assemblées; qui, espérant trouver plus de facilité auprès des Etats provinciaux, les engageassent à réclamer leurs antiques privilèges; qui, pour renverser une constitution fatale à leur despotisme, opposassent entre elles les diverses parties qui la composant : si c’étaient jamais les ministres qui fussent les auteurs, les instigateurs de ces réclamations des Etats provinciaux, que deviendrait la puissance des Etats généraux? Il est nécessaire a la puissance nationale de n’avoir pas besoin d’un secours étranger, et de trouver dans elle-même des forces suffisantes pour contraindre la soumission. Elle sera toujours trop faible, quand il lui faudra un appui extérieur ; elle sera bientôt abattue, quand elle empruntera celui des ministres. Tels sont, Sire, nos sentiments sur ce système d’Etats provinciaux, qui paraît acquérir la plus grande faveur. Nous y voyons une grande utilité, s’ils restent toujours subordonnés aux Etats de la nation ; nous y découvrons un grand danger, s’ils peuvent jamais devenir leurs rivaux. Qu’ils soient restreints, comme l’a désiré le Dauphiné, à l’imposition et à la répartition des sommes accordées par les assemblées nationales, nous applaudirons à leur établissement, nous joindrons notre voix à toutes les voix qui les sollicitent, nous nous féliciterons de les obtenir et de concourir encore par nos suffrages libres à cette partie du bien public. Mais nous devons le représenter à Votre majesté, nous n’apercevons aucun moyen pour fonder solidement, pour cimenter à perpétuité cette subordination qui seule peut entretenir l’harmonie. Nous craignons les retours de volonté, les intrigues des intéressés au changement de constitution, les prétentions de l’amour-propre, les vues dangereuses de l’intérêt particulier, les faux calculs de l’intérêt présent. Nous désirons ardemment que les lumières supérieures de l’assemblée qui va se tenir lui découvrent le remède à cette insubordination, d’autant plus nécessaire à prévoir, qu’elle est facile à susciter. Mais si elle ne peut dans sa sagesse trouver les moyens de conférer aux Etats généraux une force coactive inhérente à eux-mêmes, supérieure à toute résistance, et perpétuellement subsistante, nous pensons, Sire, et nous ne craignons pas de représenter aux provinces mêmes qui sollicitent des Etats particuliers, que leur demande est contraire, non-seulement au bien général du royaume, mais encore à leur propre avantage; que la prudence exige qu’elles n’ambitionnent pas une force qui d’abord leur serait inutile, puisqu’elles trouveront dans les Etats généraux toute la représentation dont elles ont besoin; qui ensuite leur deviendrait dangereuse, par les abus auxquels on pourrait si facilement quelque jour les entraîner ; que la vraie force de chaque province, la seule qui puisse la protéger efficacement, c’est sa réunion avec toutes les autres : qu’en se réservant les moyens de s’isoler, elles préparent de loin ceux de les opprimer ; que si jamais les Etats généraux, ce grand rempart de la liberté publique, pouvaient être abattus par la division de leurs parties, les Etats provinciaux, attaqués avec une bien plus grande puissance, seraient bientôt successivement ou dissipés ou asservis ; qu’il est donc de l’intérêt essentiel de toutes les provinces d’enchaîner leur existence et leurs privilèges à l’existence et au droit commun de la nation par des liens tellement indissolubles que rien ne puisse les en détacher, et qu’elles-mêmes n’aient jamais le fatal pouvoir de s’en séparer. Alors, Sire, et dans le cas où il ne serait pas possible d’établir, d’une manière invariable, cette subordination des Etats provinciaux aux Etats généraux, qui seule peut assurer leur concert mutuel, nous pensons que de simples assemblées provinciales rempliraient utilement et sans danger l’objet de l’imposition et de la répartition des impôts : formées par les Etats généraux eux-mêmes, elles se trouveraient dans leur dépendance. Ne tirant point, comme l’assemblée nationale, leur pouvoir du peuple, elles Sauraient point à déployer contre elle la faveur populaire.. {États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.} 433 Toutes leurs opérations, exécutées avec une entière publicité, et soumises ensuite à l’inspection des Etats généraux, porteraient nécessairement le caractère de la justice. Et la puissance nationale, une dans son principe et dans son exercice, se développerait sans division et sans obstacle. Un des points les plus importants que Votre Majesté ait à régler dans la fondation de la constitution nationale, est la puissance dont doivent être revêtus les Etats généraux : et cette grande question peut être considérée sous deux points de vue. Quelle sera l’étendue des droits que leur remettra Votre Majesté ? Quelle sera le mesure des pouvoirs que leur confiera la nation ? Nous vous supplions, Sire, de nous permettre encore quelques réflexions sur ce double objet si intéressant pour tout votre royaume. Vous avez prononcé, Sire, ce mémorable arrêt, qui vous assure la reconnaissance de tous les âges de votre monarchie : ce n’est que par la concession des Etats généraux que peuvent être désormais établis les impôts. Ils vont se former, investis de toute la plénitude de ce pouvoir que vous leur avez rendu : il ne nous reste, à cet égard, qu’une demande à former, c’est qu’en dépouillant vos ministres de ce redoutable pouvoir d’ordonner les impositions, Votre Majesté leur ôte tout moyen, tout prétexte, tout subterfuge pour éluder cette déclaration solennelle ; qu’elle proscrive, sans espoir de retour, ces extensions multipliées, artificieusement présentées sous le nom d’explications, ou sous l’apparence de remèdes contre les fraudes. La nation seule peut savoir ce u’elle a eu l’intention d’accorder. Ainsi, le droit 'expliquer la nature, la durée, l’étendue de l’impôt, et d’en caractériser les contraventions, est la conséquence nécessaire du droit de l’octroyer. Une autre conséquence du droit, que Votre Majesté a rendu à son peuple, de consentir les impôts, est le droit exclusif d’ouvrir des emprunts publics. 11 y a entre l’impôt et l’emprunt cette correspondance nécessaire, que tout emprunt nécessite un impôt. Le pouvoir de la nation d’accorder les impôts serait illusoire, si l’administration se réservait celui de l’y forcer par des emprunts. Il est donc aussi de votre justice, Sire, d’interdire à vos ministres la possibilité des emprunts ouverts ou palliés, sous quelque prétexte et dans quelque forme que ce puisse être, et de remettre ce pouvoir à la nation, comme une conséquence immédiate de son droit d’établir les impôts. Mais nous devons ajouter que ce qui est à cet égard d’équité rigoureuse, est encore d’une utilité évidente. Que Votre Majesté considère la masse énorme de crédit qu’elle va se procurer, lorsque ses engagements seront ceux de la nation entière, et que leur exécution ne sera plus dépendante des principes, des intérêts, des caprices de toutes les administrations successives ; qu’elle contemple tous les abus qui vont être anéantis par cette seule disposition ; et ces emprunts ignorés, faits ou à des corps, ou dans des pays étrangers, et qu’on ne se donnait pas même la peine de revêtir de la légère forme de l’enregistrement ; et ces ex-tensions d’emprunts au delà du montant fixé par les édits de création, extensions insidieuses et ruineuses, contraires à la bonne foi autant qu’à une saine administration, et destructives de tout crédit, parce qu’elles enlevaient à la fois la confiance et les moyens ; et ces anticipations désastreuses qui détournent de leur source les revenus de l’Etat, qui les dissipent avant même qu’ils soient perçus, qui écrasent le trésor royal de leurs énormes usures, qui retiennent toute l’adminis-lre Série, T. III. tration à la gêne dans leurs funestes entraves, qui soumettent les ministres au joug honteux de la finance et les forcent aux complaisances les plus onéreuses pour les peuples et les plus ruineuses pour le souverain; tous ces abus, tous ces malheurs vont disparaître, Sire; une source intarissable de crédit va couler de votre trésor, et un seul acte de votre justice aura produit tous ces biens. Le parlement de Paris a supplié Votre Majesté de n’envoyer à l’enregistrement aucune loi qui n’ait été sollicitée ou consentie par les Etats généraux; et déjà, une multitude de voix s’est élevée de toutes les parties de ce royaume pour former la même demande. En réunissant nos instances à toutes ces supplications, nous vous présenterons, Sire, une considération qui nous remplit des plus grandes espérances. Votre Majesté, dans sa haute sagesse, à reconnu qu’il était de son véritable intérêt d’abdiquer le pouvoir, si longtemps exercé par ces prédécesseurs, d’établir des impôts sans le consentement de son peuple ; et, dissipant par ses lumières supérieures les nuages qu’élevaient sur le droit national le préjugé des temps, celui de l’éducation, les vains raisonnements des dépositaires de l'autorité, les murmures de tout ce qui environne le trône, elle a découvert ce grand, ce fécond, ce salutaire principe, que le bien public est essentiellement le bien de la royauté, et que l’autorité, en se fondant sur les suffrages du peuple, loin de s’affaiblir, se fortifie et s’affirme. Puisque ce sentiment si touchant, qui place tout votre bonheur dans celui de votre peuple, a eu la force de vous déterminer au sacrifice d’un pouvoir auquel étaient attachées quelques jouissances, nous ne doutons pas qu’il ne vous fasse prononcer cette décision si désirée, qui associera la nation entière à votre pouvoir législatif. Non, Sire, vous n’avez aucun intérêt personnel à retenir l’exercice entier de ce grand droit; vos courtisans mêmes, et vos ministres ne l’ont pas. Vous ne pouvez pas rédiger vos lois seul : le conseil que vous appelez autour de vous pour vous éclairer a lui-même besoin de lumières étrangères. La législation d’un vaste empire présente des combinaisons si multipliées, exige des connaissances si variées sur les besoins et les droits de toutes les parties de l’Etat, qu’elle ne peut être que le résultat d’un concours nombreux d’opinions ; et où Votre Majesté pourrait-elle chercher une plus grande abondance de ces connaissances locales, que dans l’assemblée composée de députés choisis par toutes provinces ? Où trouverait-elle une pareille unité de vues, une égale exemption de préjugés, de prétentions, et surtout d’intérêts ? Car, Sire, c’est principalement dans la législation, que l’intérêt du souverain et celui de son peuple se réunissent et s’incorporent pour n’en faire qu’un seul. Rappelez parmi nous ce temps heureux, le plus beau, le plus brillant de votre monarchie, où Charlemagne fondait ses* lois sur ta constitution dù Roi et le consentement du peuple. Et quelles lois, Sire, que celles qui émanèrent de cet auguste concert! Dix siècles se sont presque écoulés, et elles sont encore l’objet de la vénération, non-seulement de la France, mais dans tous les royaumes qui se sont formés des débris de ce vaste empire. Sire, le vœu de votre cœur est que, semblables à ces immortels Capitulaires, les lois que vous dicterez se concilient non-seulement la soumission, mais encore l’affection de vos peuples. Que vos peuples con= courent à les former, ils les chériront comme leur propre ouvrage; ; ils É?’y soumettront avec joie, 28 - 434 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Bailliage de Langres.] parce qu’ils en connaîtront la sagesse et qu’ils en auront eux-mêmes pesé toutes les dispositions : et Votre Majesté jouira de la consolation touchante d’avoir rendu l’empire de ses lois tout à Ja fois et plus doux et le plus puissant. En même temps que Votre Majesté élèvera, dans son royaume, le glorieux édifice d’une puissance nationale, qu’elle le fondera sur une succession constante et régulière d’assemblées des Etats généraux, qu’elle le cimentera par l’étendue des droits dont elle revêtira ces assemblées , nous croyons* Sire, que la nation entière doit concourir à ce grana ouvrage en conférant, de son côté* à ses députés les pouvoirs les plus étendus. Nous rendrions inutile le bienfait de Votre Majesté, si, par des limitations de pouvoirs, nous affaiblissions nous-mêmes ces Etats protecteurs de nos droits et défenseurs de notre liberté. Ces restrictions purent être salutaires dans les temps malheureux de Charles VI et de Henri III, lorsque le royaume était sans constitution, l’administration sans règle, l’Etat déchiré par les troubles, les esprits agités par la fermentation ; elles étaient une preuve de la faiblesse et du peu de lumières de cette malheureuse nation qui ne connaissait d’autre moyen de se défendre des vexations, de réprimer des dissipations, de repousser des demandes de subsides inutiles, que celui d’ôter à ses mandataires le pouvoir de consentir aux impôts. Mais nous, Sire, appelés par un Roi juste et éclairé pour concerter avec lui une constitution sage, qui, én maintenant les droits de l’autorité, assure Ceux de la liberté ; pour régénérer l’administration des finances, non pas seulement en couvrant le vide actuel , mais en établissant un ordre nouveau qui ne laisse jamais les abus se reproduire, irons-nous élever nous-mêmes des obstacles contre ses vues bienfaisantes, gêner par des limitations ceux à qui nous aurons confié notre bonheur, mettre leur patriotisme dans des entraves, et les réduire à l’impuissance de faire le bien dont nous les aurons chargés ? Nous voudrions, Sire, exprimer aussi fortement que nous le sentons combien seraient dangereuses, et pour la nation entière, et pour toutes ses provinces, combien seraient funestes et à la force et à la liberté nationale ces limitations de pouvoirs, par lesquelles on propose de restreindre l’autorité des députés aux Etats généraux. Nous désirerions que cette voix que nous élevons vers votre trône, eût la force de retentir dans toutes les parties de votre royaume, et de leur persuader qüe leur plus grand intérêt, leur intérêt essentiel, exige qu’elles confèrent à l’assemblée qui doit les représenter, les protéger et les défendre, les pouvoirs les plus illimités, la force la plus énergique, la puissance la plus étendue. Quel serait donc ce motif si puissant qui devrait nous engager à restreindre le pouvoir de iios députés? On craint qu’ils n’en abusent, qu’ils ne se laissent surprendre, tromper, séduire, corrompre, intimider par tous les moyens que l’administration peut sans cesse employer ; et pour prévenir ce danger, on propose de ne leur donner qüe des procurations limitées, et de les circonscrire dans un cercle de pouvoirs qu’ils ne pourront outrepasser, et de laisser aux peuples qui les auront choisis la facul té de ratifier ou de désavouer leurs décisions. Terreur chimérique! ressource illusoire et infiniment plus dangereuse que le mal dont on croyait se préserver 1 � En accordant aux assemblées élémentaires des Etats généraux le droit de limiter le pouvoir de leurs députés, il serait juste et nécessaire de leur laisser ce droit dans toute son étendue. Par quel principe de justice, pour quelle vue d’utilité, leur promettrait-on une limitation, et leur en refuserait-on une autre ? Si c’est un droit inhérent et inaliénable du peuple de se réserver quelques décisions, le même droit lui appartient nécessairement pour se les attribuer toutes. S’il lui est avantageux de n’accorder qu’une portion dé sa confiance, lui seul peut être jugé de la partiq qu’il lui convient de donner et de celle qu’il lui est utile de retenir. Il n’y a point de milieu entre l’obligation précise de conférer des pouvoirs illimités et l’entière liberté de les restreindre arbitrairement. Tantôt la restriction des pouvoirs pourra être une interdiction formelle de s’occuper d’autres objets que de ceux qui seront exprimés, tantôt elle ne portera que des exceptions et permettra toutes délibérations , hormis celles qui seront exclues. Ici on dictera impérieusement aux députés l’opinion qu’ils devront porter, là on sè contentera de leur défendre de donner un tel avis, plus loin on se réservera le droit de sanctionner leurs délibérations, et l’on soumettra les décisions des Etats généraux à l’examen et à la révision des assemblées particulières. Les procurations seront susceptibles de toutes sortes de conditions, dépendantes des intérêts de chaque province, de chaque bailliage ou de leurs spéculations. Le premier effet de cette faculté arbitraire va être une infinie variété de restrictions, une confusion inévitable dans les délibérations des Etats. 11 serait déraisonnable d’imaginer que toutes ces limitations puissent être uniformes. Chaque canton étant libre de modifier à son gré sa procuration, on verra autant de limitations qu’il y aura d’assemblées préliminaires ; les diverses modifications, n’étant le produit d’aucun concert* seront nécessairement différentes, souvent même opposées entre elles. Dans cette confusion de pouvoirs et de principes, avec quelle lenteur ou quelle difficulté se formeront les délibérations des Etats ! Comment pourra-t-on tirer des résultats de toutes ces opinions ? Une partie des députés s’abstiendra de délibérer; d’autres opposeront à leurs avis des restrictions, des conditions toutes diverses et même contradictoires ; et jamais ils ne pourront se rapprocher, parce que le sentiment qu’ils exprimeront ne sera pas le leur et ne dépendra pas d’eux. Et quel sera sur les Etats généraux eux-mêmes l’effet de la limitation la plus absolue, de celle qui interdirait aux députés toute délibération sur quelques objets ? Arrêterait-elle l’activité de l’assemblée entière, si elle n’était prononcée que par quelques assemblées préliminaires ? Combien faüdrait-il de bailliages ou de provinces qui eussent prononcé eette défense, pour réduire rassemblée nationale à l’inaction ? Dans cette malheureuse hypothèse de la limitation arbitraire des pouvoirs, il s’élèvera une multitude de questions toutes nécessaires à prévoir, toutes embarrassantes à résoudre, sur la forme et la validité des délibérations des Etats. Un des principaux avantages des nombreuses assemblées, est la communication des lumières ; les grandes discussions éclairent les esprits, en même temps qu’elles élèvent les âmes; les idées de chacun y deviennent le bien commun de tous. Il n’est aucun homme, quelque supériorité de génie que la nature lui ait attribuée, qui n’ait vu souvent, par des délibérations motivées, ou changer, ou modifier ses opinions. Cet avantage si précieux sera perdu, quand les députés aul Etats ne seront plus que les simples instruments de la [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langra*.] 456 volonté de leurs commettants et les organes de leurs pensées , quand leurs bouches ne s’ouvriront que pour répéter ce qu’on y aura placé. Quelques motifs qu’on leur présente, quelque force qu’eux-mêmes y voient, leur avis formé d’avance demeurera invariable, et on leur aura imposé le devoir d’opiner contre l’évidence, contre leur propre conscience ; il ne leur restera pas même la consolation de pouvoir modifier l’opinion qu’ils auront apportée -, on leur interdira ces heureux tempéraments qui sont si nécessaires dans les grandes délibérations, qui adoucissent les expressions, qui rapprochent les principes, qui concilient les sentiments, qui souvent atteignent la vérité placée entre les partis extrêmes. La nation entière, réduite à ne délibérer que sur les objets qui lui seront proposés, n’aura d’autre faculté que de consentir ou de refuser, d’autre expression que le oui ou le non absolus. Pour empêcher l’abus que ses représentants pourraient faire de leur liberté, on leur ravira celle de profiter de leurs lumières respectives, de se concerter entre eux pour le bien, de proposer, d’adopter les partis les plus modérés, les plus sages, les plus utiles. Vous Majesté désire, et c’est aussi le vœu général de tous les citoyens, que les membres des Etats généraux se considèrent moins comme les députés des districts qui les auront choisis, que comme les représentants de la nation entière ; qu’en entrant dans l’assemblée, ils se dépouillent des préjugés, des prétentions de corps, d’ordres, de provinces, pour se revêtir de cet esprit public qui peut seul opérer le bien ; que, s’élevant au-dessus des intérêts particuliers, ils se portent avec toute l’ardeur du zèle vers l’intérêt général, et qu’ils en fassent le centre commun auquel ils se rallient tous : mais la restriction des pouvoirs arrêtera constamment l’essor de ce zèle patriotique. Circonscrits dans un cercle étroit dépensées et de vues, les députés ne pourront jamais s’élever vers les hautes conceptions ; il leur sera défendu d’outre-passer les limites qui leur auront été tracées, de s’écarter de l’esprit qui aura dicté leurs procurations, de soiitenir d’autres intérêts que ceux qui y seront exprimés. La première, la principale obligation qui leur sera imposée, sera celle qui ne devrait être que secondaire, de défendre les droits ou réels ou prétendus de leurs commettants: ainsi, par principe même de devoir, ils seront tenus de préférer les intérêts particuliers de leur petit canton à l’intérêt général du royaume. Cette seule interversion de vues détruit tout le bien que l’on peut espérer des Etats généraux ; elle isole toutes les parties du royaume, les rend étrangères, même opposées, entre elles. A la suite de J’esprit de division marche toujours celui d’intrigue. Chaque député, occupé de' faire prévaloir les intérêts de son canton sur les autres, y emploiera tous ses moyens; le bien général restera seul négligé. On ne verra point une grande nation; on n’apercevra que des provinces : il n’existera pas une patrie, parce qu’il y en aura cent. Encore un inconvénient bien sensible de la limitation du pouvoir des députés, c’est qu’elle limite le pouvoir même des Etats; elle borne nécessairement les objets dont ils doivent s’occuper. Ils ne pourront plus traiter que ceux qui ont été déterminés dans les assemblées préparatoires : et peut-on imaginer que ces assemblées puissent prévoir tout le bien qui est à faire, tout le mal qui est à prévenir, tous les abus qui sont à réparer ? Lorsqu’une matière nouvelle sera proposée, quelque utile, quelque nécessaire qu’elle puisse être, la délibération sera arrêtée dès le premier pas. Frappés d’immobilité, le membres des Etats verront le bien, le désireront, et s’arrêteront à sa vue dans l’impuissanee de l’opérer: ainsi, sur lés principaux objets de ses délibérations (car ce ne sera jamais sur des points d’une légère importance que tomberont les restrictions), la nation entière se trouvera réduite à l’inaction, et perdra au dedans toute sa force, au dehors toute sa considération. Jetons les yeux sur les peuples qui nous environnent; instruisons-nous de leurs exemples. Qu’ont opéré ces diètes, ces Etats généraux, dont: les membres, restreints dans leur pouvoirs, sont, à chaque nouvelle proposition, obligés de recourir à leurs commettants? Ils ont réduit aune faiblesse, & une inertie presque absolues les Etats les plus vastes, et ceux qui sont les plus opulents. Ah! craignons pour notre patrie le sort de l’Allemagne et de la Hollande ! conservons à la France le plus précieux de ses biens, sa gloire ! Que toujours prépondérante et redoutée, elle continue à imprimer le respect aux nations, et à fonder sa sûreté sur sa force et sur l’opinion de sa puissance ! En proposant de mettre des bornes à la confiance des peuples et aux pouvoirs qu’ils accorderont à leurs représentants, il devient nécessaire d’examiner d’abord dans quelle assemblée plus sage que les Etats généraux seront agitées et dé« terminées cc limitations ; il faudra ensuite chercher dans quelles mains plus sûres que celles des députés on déposera la partie du pouvoir dont on les aura privés ; où, par qui, comment seront traitées les affaires dont on aura interdit la connaissance à l’assemblée nationale. On nous dira, sans doute, que les assemblées particulières des différents bailliages se réserveront à elles-mêmes ces importantes discussions, et que, leur décision étant pour les peuples de chaque district d’un intérêt majeur, iis ne doivent point la confier à d’autres. Mais, plus ces objets sont importants pour les peuples, plus il est essentiel que les peuples se dépouillent du droit de les décider par eux-mêmes, et revêtent leurs représentants aux Etats généraux du pouvoir absolu de les déterminer. D’abord, quel inconvénient pour le bien général, que de voir les objets principaux de l’administration du royaume résolus diversement dans les diverses parties de la monarchie ! N’est-il pas évident qu’il sortira de toutes ces assemblées des décisions différentes, souvent même contraires? il n’y aura ni uniformité, ni concert, ni ordre ; il n’y aura plus de nation. Mais considérons même le bien particulier des peuples de chaque distinct; examinons si leurs intérêts peuvent être soutenus aussi avantageusement par eux-mêmes, dans leurs assemblées , que par leurs représentanlsdans l’assembléenationale. Réuniront-ils parmi eux plus de lumières qu’il ne s'en trouvera entre ces nombreux députés choisis sur tout le royaume? Connaîtront-ils mieux ce qui est véritablement utile ? Auront ils plus de pénétration pour découvrir des vérités souvent obscures et enveloppées à travers les subtilités du sopnisme et les prestiges de l’éloquence; et surtout, ce qui leur sera singulièrement difficile, apercevront-ils plus sûrement les sacrifices que l’intérêt général exige continuelle-, ment des intérêts particuliers? Car le bien de f l’Etat est essentiellement lié à celui de toutes ses parties, et les malheurs communs retombent tau* 436 [États gén. 1789. Cahiers.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.] jours avec force sur les individus. Et quand ils auront vu le bien, auront-ils la même puissance pour l’opérer? Leurs sollicitations auront-elles le même poids , leurs démarches la même force ? Pourront-ils se donner la même énergie pour surmonter les obstacles, pour vaincre les difficultés, pour repousser les intrigues? Nous oserons dire plus ; nous ne craindrons pas de révéler à la nation une grande vérité : c’est qu’elle n’est pas susceptible du pouvoir qu’on veut lui attribuer. La décision des grandes affaires ne peut pas réellement appartenir à la multitude, jamais, dans aucun temps, dans aucun lieu, même dans les gouvernements les plus populaires, ce n’a été véritablement le peuple qui a formé ses lois. Les discussions, même les moins compliquées, sont au-dessus de ses pensées et de ses connaissances. Incapable de juger les choses, il ne connaît que les personnes ; il n’agit que par impulsion ; ses suffrages sont l’effet, non des motifs qu’on lui propose, mais de sa confiance dans ceux qui les présentent : et ce n’est point ici une vaine spéculation ; c’est le tableau fidèle de toutes les assemblées populaires; c’est l’histoire de toutes les démocraties, même les plus célèbres. Ainsi, ce pouvoir qu’on voudrait réserver au peuple, ce ne serait point dans la réalité le peuple qui l’exercerait ; il deviendrait, dans chaque district, la proie de quelques hommes plus puissants que les autres, en richesses, en crédit, en réputation, en intrigues, en éloquence ; et ces hommes heureux en jouiraient sans risque, parce qu’ils ne répondraient d’aucune délibération, et que toutes leurs erreurs et leurs fautes, recouvertes et autorisées par les suffrages populaires, ne leur seraient jamais imputées. Puisque le peuple n’a de motif de décision que sa confiance, pourquoi diviser cette confiance? Pourquoi l’opposer à elle-même? Pourquoi ne pas la concentrer tout entière dans ceux qu’on en a jugés dignes, et qui réunissent tout ce qui doit leur en concilier la plénitude ? Ils ont pour garants de leur loyauté, de leur fidélité, d’abord tous les titres qui les ont fait élire, ensuite l’obligation de les soutenir, et le besoin de conserver l’estime dont ils se voient honorés : et si quelques-uns d’entre eux n’étaient pas assez sensibles à ces nobles motifs, ne seront-ils pas encore soutenus par les regards de tous leurs collègues ? Au milieu de tant d’yeux qui les environnent et les surveillent, ils craindront de devenir prévaricateurs ; ils n’oseront se montrer faibles. Le terme de leur mission, toujours présent à leur esprit, les avertira sans cesse de la manière dont ils doivent la remplir. S’ils n’ont pas à subir le jugement des assemblées populaires, ils redouteront un tribunal plus équitable et plus sévère, celui de l’opinion publique, où ils savent qu’ils seront traduits pour recevoir la louange ou le blâme, la considération ou l’opprobre. Il est impossible d’imaginer des hommes, d’une part assez considérés pour obtenir le suffrage de leurs concitoyens, et de l’autre, assez corrompus pour braver leurs reproches et affronter leurs mépris. Enfin, veut-on encore, malgré tant de puissantes considérations, conserver quelques alarmes ? Au moins est-on assuré que les abus et leurs suites ne peuvent pas être de longue durée : le retour des élections met entre les mains du peuple le moyen fréquent et certain de punir et de réparer les torts de ses représentants. Et c’est là le véritable pouvoir que le peuple a intérêt de gje réserver : c’est celui qu’il exerce réellement et par lui-même, parce qu’il n’exige que la connaissance des personnes. Que les élections soient faites dans les assemblées les plus nombreuses, et les affaires discutées dans les assemblées les plus éclairées. On redoute la puissance ministérielle sur l’assemblée des Etats généraux, et pour s’en garantir on voudrait affaiblir ceux qui doivent y résister. Mais considérons que la limitation des“ procurations, foin d’ôter aux ministres le pouvoir de diriger ou d’asservir les délibérations des Etats, en facilite les moyens. Si les représentants de la nation ne peuvent délibérer que sur les objets qui leur auront été assignés par leurs provinces, ou si, chargés d’opinions toutes formées, ils n’ont pas le pouvoir de les varier et de les modifier, on donne la plus haute influence aux ministres sur l’assemblée. D’un côté, les lettres de convocation, dont ils disposent leur offrent un moyen facile d’éloigner les questions qu’ils redouteraient ; de l’autre, cet art si connu, si souvent pratiqué, de présenter avec adresse les sujets des délibérations capte et surprend plus sûrement les suffrages dans des assemblées où les discussions sont inutiles et les modifications impraticables. Les ministres craindront beaucoup moins les plaintes contre leur administration , quand la réclamation, pour devenir générale, devra être universellement autorisée. Si on soumet les représentants à l’inspection des provinces qui les ont députés, et si on établit une sorte d’appel des Etats généraux aux assemblées particulières des districts, c’est encore une ressource que l’on prépare aux ministres. On leur donne le moyen de revenir contre des délibérations qui leur seraient contraires, on ouvre un vaste champ à leurs intrigues. Et croit-on qu’elles auront moins d’activité, moins d’influence dans les assemblées tumultueuses de la multitude, que dans l’assemblée paisible et régulière des représentants choisis dans toute la nation ? Ainsi, le motif même que l’on allègue pour limiter le pouvoir des députés réclame pour eux les pouvoirs les plus étendus. Ils repousseront, avec bien plus de force les sollicitations, les intrigues, les promesses, les menaces des ministres, lorsque, dépositaires de toute la puissance de la nation, ils auront la liberté de développer hautement tous leurs moyens, de proposer, d’adopter tout ce qui sera utile, de poursuivre tous les abus , de dénoncer toutes les manœuvres ; que lorsque, circonscrits dans le cercle étroit où tous leurs mouvements seront à la gêne, arrêtés à chaque pas qu’ils oseraient tenter par les liens dont on les aura enchaînés, recevant toujours l’impulsion et ne la donnant jamais, placés à la vue du bien qu’ils ne pourront atteindre,, témoins des abus sans pouvoir les réprimer, des intrigues sans oser les combattre, ils se verront forcés à cette timide circonspection, qui craint sans cesse ou de ne pas répondre à la confiance , ou de l’outre-passer. Quelle énergie pourrait-on espérer de ces hommes qui, porteurs passifs d’opinions qu’ils n’auraient pas formées, n’y mettraient aucune affection, et n’en seraient point responsables? On craint l’influence ministérielle sur les députés, et pour les y soustraire on diminue la force dont ils auront besoin pour y résister. Donnons-leur, au contraire, et l’intérêt et le pouvoir de la repousser : c’est le vrai, c’est le seul remède que nous puissions y apporter. Telles sont, Sire, lès vues générales que nous croyons devoir exposer et soumettre à Votre Majesté et à l’assemblée nationale, sur la formation des Etats généraux. Nous ne nous dissi- [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.] 437 muions pas qu’il y en a plusieurs qui contrarient des idées reçues et soutenues avec chaleur par un grand nombre de personnes. Mais le sentiment qui nous engage à vous les représenter, ne craint point la contradiction : nous la désirons, au contraire, nous l'appelons à haute voix, comme le plus sûr, l’unique moyen d’étendre les lumières, fl s’agit, pour la nation et pour toutes les générations qui doivent nous suivre, de l’objet le plus important et qui exige les plus hautes méditations ; nous aurons rempli le vœu de nos cœurs, si nous pouvons ramener à un examen plus approfondi des principes qui nous ont paru trop facilement adoptés ; si nous engageons à chercher des remèdes aux inconvénients qui nous frappent, et que nous croyons n’avoir pas été assez fortement sentis. La vérité est notre seul objet, le bien public notre unique but. Heureux si nous avons pu les atteindre, nous le serons encore, quand nous n’aurions fait que provoquer les discussions qui nous y conduisent ! ETABLISSEMENT DE L’ÉGALITÉ PROPORTIONNELLE DES CONTRIBUTIONS, ET MOYENS DE LA MAINTENIR. Le temps est arrivé, Sire, de poser les bases d’une juste répartition de l’impôt entre tous les citoyens. Celte justice, si longtemps méconnue, a enfin dissipé le nuage dont la couvraient depuis tant de siècle les préjugés, les prétentions, les intérêts. Elle est apparue à nos regards au sein de nos malheurs, comme notre ressource ; et au milieu de la fermentation qui agite et divise tous les esprits, elle les a tous ralliés autour d’elle. Oui, Sire, tous vos sujets, de tout état et de tout rang, rendent maintenant hommage à cette grande vérité, que Légalité proportionnelle doit être la loi des contributions. Ils reconnaissent unanimement que toutes les propriétés doivent concourir également au maintien ae la puissance publique qui les protège et les défend toutes, et que le soulagement des unes opérant nécessairement la surcharge des autres, il est contraire et aux principes de l’équité, et aux sentiments de l’humanité, d’aggraver le fardeau des plus pauvres pour alléger la charge des plus riches. Un cri général s’élève dans toute la monarchie pour réclamer cette précieuse égalité : les princes de votre sang ont porté ce vœu au pied de votre trône, les pairs de votre royaume l’ont répété, il a retenti dans toutes les provinces, où les ordres ont eu la faculté de se réunir : et nous, Sire, aussitôt que nous nous voyons rassemblés par vos ordres, nous nous empressons d’unir en commun nos voix à toutes ces voix qui vous sollicitent, bien assurés d’intéresser votre cœur en implorant à la fois votre justice et votre bienfaisance. Le clergé de ce bailliage, sans remonter aux titres primitifs de ses immunités, fait avec joie le sacrifice de tout ce qui se trouvera incompatible avec le salutaire principe de l’égalité proportionnelle de contribution. Attaché à ses formes anciennes, qui lui procurent les moyens de soulager ses membres les plus pauvres, et qui lui conservent des assemblées précieuses dans un ordre de choses cher et sacré, il est encore prêt à les abandonner, si elles ne peuvent se concilier avec le bien général, ou même si l’opinion qu’elles serviraient à conserver des inégalités de répartition, peut fomenter des jalousies ou devenir une semence de discorde. La noblesse de ce district, pénétrée de la même justice, animée du même patriotisme, reconnaît que l’antique raison de ses privilèges ne subsistant plus, ils ont dû cesser avec elle. Le service militaire étant devenu la charge du peuple, qui entretient les armées par les milices et les soudoie par les subsides, la noblesse veut supporter le fardeau, elle ne réclame que la gloire. Nos vœux sont sincères, Sire : nous désirons véritablement que toutes exemptions pécuniaires soient à jamais abolies, et que la proportion des fortunes soit désormais la seule mesure des impositions. Nous demandons que ce nouvel ordre de choses, qui doit être le salut du peuple et la régénération de la richesse publique, soit rendu stable et inaltérable ; qu’il soit pour toujours à l’abri des séductions du crédit, des illusions de la puissance, des corruptions de la richesse, et qu’il ne puisse être interverti dans aucun temps, par aucun moyen, sous aucun prétexte. Pour assurer la perpétuité de ce principe si universellement avoué, nous pensons qu’il suffit à Votre Majesté de maintenir avec constance deux vues que sa sagesse a déjà manifestées. La première est que le tiers-état jouisse dans toutes les assemblées nationales d'un nombre de suffrages égal à celui des deux autres ordres. Nous avons applaudi à l’arrêt de votre conseil qui a prononcé cette salutaire décision. Les trois ordres de bailliage l’ont reçu comme un bienfait commun. Nous supplions Votre Majesté de le soutenir de toute son autorité. Nous conjurons l’assemblée des Etats de le cimenter de toute la puissance nationale, et de le proposer comme une des bases de la nouvelle constitution qui va nous régir. Mais il ne suffit pas d’accorder dans ce moment au tiers-état ce que réclame pour lui la justice, il faut encore lui donner les moyens de le défendre à perpétuité. L’influence, quelquefois lente et sourde, mais toujours active, de l’opulence et du pouvoir, ramènera tôt ou tard l’inégalité, si son action continue n’est sans cesse arrêtée et repoussée par une résistance égale à sa force. Tel est, Sire, le grand principe conservateur de toute justice dans l’ordre de la représentation. Des intérêts opposés doivent toujours être également représentés. Dès qu’ils sont en conflit, il faut donner à chacun d’eux une force égale à celles des autres, pour qu’il n’en soit point opprimé. L’ordre du tiers-état étant sans cesse menacé par la supériorité des autres ordres, il est donc juste qu’il obtienue une force égale à celle qu’ils peuvent réunir contre lui. Et c’est là, Sire, le point où s’écartent de la vérité ceux qui contestent encore l’équité de votre décision du 27 décembre 1788. Gomme ils voient trois ordres, ils croient découvrir trois intérêts où il n’y en a véritablement que deux : l’ordre du clergé et celui de la noblesse, seuls possesseurs actuels de privilèges, seuls capables par leur prépondance et leur qualité de les ressaisir un jour, ont véritablement un intérêt commun, un seul intérêt, un intérêt opposé à celui du troisième ordre, et par conséquent un intérêt qui ne doit pas obtenir plus de représentation , plus de suffrages , plus de poids que celui du tiers-état. Le second moyen pour établir à perpétuité cette heureuse égalité proportionnelle dans les contri-buiions, c’est la réforme des contributions elles-mêmes. Tant qu’il subsistera quelque arbitraire dans la répartition, il sera toujours à l’avantage de l’homme puissant. Tant que la base de l’imposition ne sera pas évidemment déterminée, et qu’il sera possible de soustraire la connaissance d’une partie du revenu qui doit la supporter, ce 438 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.] sera encore un nouvel avantage accordé aux hommes riches et en crédit. Cet abus, Sire, tient à la nature de la chose; c’est un vice essentiel et irréformable. Toute l’autorité de Votre Majesté, réunie au pouvoir de la nation, n’est pas suffisante pour y remédier ; c’est donc la chose même qu’il faut réformer ; ce sont les impôts vicieux qu’il est nécessaire de supprimer, en les remplaçant par d’autres impôts, non-seulement justes, mais dont la justice soit clairement démontrée. Que Votre Majesté daigne nous permettre quelques réflexions sur l’application de ce principe incontestable, 1° Les impôts établis sur la totalité de la fortune des particuliers seront toujours inégalement répartis. Le riche, dont les possessions sont répandues dans plusieurs pays, peut facilement en dissimuler la consistance et la valeur; et la difficulté de les vérifier devient encore, dans les mains d’essayeurs complaisants, un moyen de faveur. Il est donc important que l’impôt frappe directement chaque partie de la propriété, et qu’il soit établi et perçu dans les lieux mêmes où sont placées les possessions. 2° Les impôts purement personnels, ayant aussi une base toujours incertaine, donnent de même ouverture à la faveur. Toute proportion est rompue entre l’impôt et la fortune, si la personne entre en considération, et les considérations sont toujours favorables à la puissance. Que les faits viennent ici à l’appui des principes. Il semblerait que la capitation devrait peser plus fortement sur la classe la plus considérable, et ce fut sans doute l’intention de son établissement; mais, par la dégénération successive et naturelle des principes, les nobles et les riches la payent maintenant dans une proportion beaucoup plus faible que le pauvre peuple. ‘ 3° Les impôts exprimés par une quotité, tels que les vingtièmes, présentent au premier coup d’œil une apparence de justice. On croirait qu’ils se mesurent exactement sur la valeur des biens, comme le porte leur énoncé. Mais l’examen réfléchi dissipe bientôt cette illusion, et l’expérience, venant à l’appui des réflexions, montre que cette imposition est partout la plus inégalement répartie. Outre que l’impôt de quotité est vicieux dans son principe, parce qu’au moment de sa création on en ignore la valeur, et que l’on ne connaît pas sa proportion avec les besoins de l’Etat, il pèche dans sa distribution par l’incertitude nécessaire de ses bases. Personne n’ayant intérêt à une juste répartition, il reste à tous les contribuables un intérêt commun, c’est celui de se soustraire à l’impôt par des déclarations fausses sur l’étendue et sur la valeur de leurs biens : et c’est encore un avantage assuré au riche, dont les possessions vastes et dispersées en plusieurs lieux peuvent facilement être dissimulées, taudis que le pauvre, réduit à une seule et mince propriété, ne peut en cacher ni l’étendue ni le produit. On a voulu remédier à cet abus par des vérifications : remède funeste et qui a aggravé le mal, parce que les vérifications ne peuvent avoir pour moyen que l’espionnage, pour règle que l’arbitraire. Aussi le soulèvement général et des cours et des peuples a-t-il arrêté la fiscalité dans son cours. Mais qui peut avoir la force de la ramener sur ses pas, et de lui arracher les victimes qu’elle a saisies? Par la plus révoltante des injustices, une portion de votre royaume, Sire, est soumise aux extensions arbitraires de la vérification, tandis que l’autre partie est restée assujettie à la loi aussi inégale, mais moins onéreuse, des déclarations. Le vice étant inhérent à la chose, c’est la chose même qu’il faut supprimer; et Votre Majesté n’en retrancherait les abus que pour en faire de plus odieux encore. 4° De toutes les impositions qui se lèvent dans votre royaume, il n’en est point, Sire, qui se répartissent avec plus d’équité, qui se perçoivent avec moins de difficultés que les impositions locales, levées par les communautés sur elles-mêmes pour leurs besoins particuliers. La somme totale de l’imposition est déterminée : chacune des propriétés qui doivent la supporter est connue; leur valeur ne peut être dissimulée : la répartition se fait publiquement, et la proportion de chaque imposition à chaque propriété est présentée à tous les regards, exposée à toutes les censures. Ce que l’un ne supporte pas étant reporté sur les autres, l’intérêt de tous les propriétaires est que chacun d’eux soit taxé dans sa juste proportion. Toute faveur particulière devient une lésion commune, qui éveille à l’instant la contradiction générale. Ainsi l’intérêt personnel se rend lui-même le défenseur et le garant de la plus entière justice, et il est impossible de cacher ou d’autoriser une vexation. Les principes que nous yenoqs d’exposer à Votre Majesté et qui nous semblent incontestables, nous conduisent naturellement aux conséquences suivantes, pour établir une exacte proportion entre les fortunes et les contributions. En premier lieu, il est nécessaire de déterminer positivement, non pas la quotité de l’impôt relativement aux biens, mais sa quotité absolue : ce qui est juste d’ailleurs, parce que la première proportion de l’imposition doit être avec les besoins de l’Etat. En second lieu, il faut abolir l’impôt personnel, et le reporter sur les propriétés. En troisième lieu, il est essentiel que l’impôt soit réparti, non pas en général sur toutes les propriétés des mêmes personnes, ce qui le ferait dégénérer en imposition personnelle, mais sur chaque portion de ces propriétés, et qu’il soit établi et perçu dans les lieux où elles sont situées. En quatrième lieu enfin, il est de nécessité absolue que non-seulement J.a masse générale de l’imposition soit déterminée, mais encore que la portion contributive de chaque paroisse soit positivement fixée, à la vue de tous les intéressés, et en appelant hautement leurs contradictions. Alors, Sire, et seulement alors, Votre Majesté aura une répartition juste et exacte des impositions dans chaque paroisse de son royaume. Aucune propriété ne pourra être soustraite, aucune valeur ne pourra être dissimulée; et de ce premier ordre particulier et de détail naîtra bientôt l’ordre général du royaume. La juste proportion établie dans les paroisses, il ne sera pas difficile d’étendre le bienfait successivement et par degrés à toutes les parties de l’empire. Il suffira de comparer entre elles, d’abord les paroisses du même canton, ensuite les différents cantons de la province, enfin toutes les provinces du royaume. Il est bien satisfaisant pour nous, Sire, de n’avoir à vous proposer, pour assurer le bien, que vos propres vues. Cet ordre d’impositions que nous présentions, est celui que Votre Majesté elle-même avait préféré : c’est cette subvention territoriale, dont, sur le vœu de ses notables, elle avait ordonné l’établissement. Vous vous êtes arrêté, Sire, à la voix qui vous a redemandé les Etats généraux, et écoutant votre justice plus [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. JBailliage. de Langes.] 4â9 encore que votre sagesse, vous avez fait passer les droits de la nation avant ses besoins. Le temps est arrivé où les uns et les autres doivent être satisfaits. A la tête de votre nation, reprenez vos grandes vues : anéantissez ces funestes impôts qui, trop longtemps, ont favorise l’inégalité, et fait gémir, sous le poids de leur disproportion, la partie la plus pauvre de vos sujets. Elevez sur leurs débris un ordre général et uniforme, qui assure, pour toujours, à la nation, l’universalité de l’imposition et la justice de la répartition, et à Votre Majesté la reconnaissance -de toutes les générations. ÉCONOMIES ET RÉFORMES. Par quelle fatalité est-il donc arrivé, Sir ;, que ce soit sous celui de nos monarques qui a porté sur le trône le caractère le plus simple, les goûts les plus opposés à la dissipation, les vertus les plus propres à arrêter les prodigalités, à repousser les profusions, à réprimer les déprédations, que se soit manifesté dans les finances un désordre dont Phistoire d’aucun peuple ne présente d’exemple? C’est que ces perfides conseillers qui environnent les trônes, connaissent le plus funeste secret de rendre inutiles les plus belles, les plus précieuses vertus de leurs souverains. Hélas! ils ont même trouvé l’art abominahle de faire servir jusque ces vertus à leurs manoeuvres criminelles. Ils séduisent la bonté par les tableaux touchants du besoin et de malheurs imaginaires ; ils surprennent la justice par des allégations spécieuse de services, ou de réclamations insidieuses d’indemnités ; ils égarent la sagesse par des vues artificieuses et des projets d’utilité apparente. Ces motifs imposants servent à la fois et de prétexte et de voile à leurs dissipations ; ils dissimulent le vide que causent et qu’augmentent sans cesse leurs indiscrètes profusions, jusqu a ce qqe eux-mêmes, effrayés, n’envisageant dans l’avenir ni moyens de les continuer, ni ressources pour les réparer, finissent par découvrir aux regards du monarque étonné le gouffre qu’ils ont creusé sous ses pas, et où. son royaume va s’engloutir. Il est bien douloureux pour Votre Majesté d’avoir appris par une aussi funeste expérience quelle peut être la redoutable influence d’un seul administrateur sur le destin d’un grand empire. Votre sagesse a enfin saisi le véritable moyen de réparer ce malheur, et d’en prévenir pour jamais le retour. Vous appelez auprès de vous la nation, vous lui confiez la surveillance et la garde de votre trésor, et vous garantissez ainsi ce dépôt précieux des tentatives toujours renaissantes de l’avidité. En réparant le déficit des finances, . assemblée qui va se tenir sous vos yeux, regardera comme un de ses principaux devoirs de prendre des mesures efficaces pour l’empêcher à jamais de se reproduire, et nous osons lui présenter, ainsi qu’à Votre Majesté, quelques vues d’ordre et d’économie, qui nous paraissent propres à atteindre ce but si désirable. Le premier moyen que nous regardons comme nécessaire pour établir dans toutes les parties un ordre fixe et invariable, est que cet ordre soit réglé par les Etats généraux eux-mêmes ; qu’ils ne se contentent pas de déterminer en général la masse des impôts qu’ils accorderont, mais qu’ils en fixent l’emploi, qu’ils arrêtent la dépense de chaque partie de l’administration, qu’ils assignent les fonds qui y correspondront, et que cet ordre établi par eux ne puisse être dérangé par aucun administrateur, et sous aucun prétexte, à peine d’en répondre personnellement. L’impôt ne peut être accordé que pour des besoins ; il ne doit être employé qu’aux objets pour lesquels il est accordé. Ainsi, le droit de connaître les besoins, et de diriger l’emploi des fonds, est. une suite nécessaire du droit d’octroyer les impôts. Que servirait à la nation de ressaisir cet heureux pouvoir d’ouvrir les sources de la richesse publique, si elle n’y joignait pas celui de les diriger, de les distribuer dans des canaux salutaires, et si une puissance étrangère conservait le droit de venir les égarer, les dissiper et les perdre? Une des causes principales du désordre est l’incertitude des dépenses de chaque département, et la facilité de les augmenter arbitrairement. Que la dépense la plus légère ne puisse être ajoutée à celles qui auront été déterminées. Dans les principes de l’économie, la dépense légère est plus dangereuse que celle qui est considérable, parce qu’on la redoute moins, qu’on la répète plus facilement, et qu’elle entraîne plus sûrement à sa suite la redoutable conséquence de l’exemple. Pour que les Etats généraux puissent tenter cette salutaire entreprise, de rétablir l’ordre dans toutes les parties de la finance, il est nécessaire qu’ils connaissent avec précision et certitude, et l’ensemble et les détails de cette vaste administration. La préalable et indispensable de toutes leurs délibérations est donc que Votre Majesté veuille bien leur faire remettre d’abord des états sûrs et détaillés de tous les objets sur lesquels ils auront à statuer, et ensuite toutes les pièces justificatives qui assureront la vérité de ces états. C’est la base fondamentale de tous leurs travaux : il est essentiel qu’ils connaissent les recettes, pour les simplifier; les dépenses, pour les modérer : et comment pourraient-ils jamais parvenir à combler ce vide des finances qui les effraye d’avance, s’ils ne commencent par en mesurer toutes les dimensions ? Le moment est enfin arrivé où il est nécessaire que cette grande question, qui, depuis deux ahs, occupe et agite la nation, sur la cause, l’origine, les progrès, l’étendue du déficit, soit publiquement et irréfragablement décidée. Il faut que la nation sache par elle-même quelles sont, dans l’état actuel, les dépenses perpétuelles, quelles sont celles qui ont un terme, et les époques auxquelles elles doivent expirer ; et pour qu’elle mesure ses efforts sur les besoins, il est nécessaire qu’elle découvre avec certitude toute l’étendue de ses besoins. Ordonnez donc, Sire, que dès l’ouverture de l’Assemblée nationale, tous les renseignements utiles lui soient donnés, que le compte le plus exact, que les états les plus détaillés de toutes les parties de la finance, soient communiqués à ses membres, que tous les bureaux leur soient ouverts, que tous les éclaircissements leur soient présentés, et qu’ils puissent enfin poser sur une base certaine le salutaire édifice de la réforme. En déterminant l’étendue des fonds qu’ils assigneront à chaque partie de l’administration, les Etats généraux porteront leurs premiers regards sur la dette publique. Vos provinces, Sire, même celles qui ont le moins départ aux rentes constituées sur l’Etat, ont un grand intérêt à en assurer l’exact acquittement, le maintien de l’honneur national. Ah ! que ce ne soit point nous qui imprimions une tache à la gloire du nom français! Craignons d’affaiblir nous-mêmes la confiance des nations : n’étouffons point de nos propres mains ce foyer de crédit si salutaire dans les temps difficiles. Nous consentons à tous les sacrifices, excepté à celui de notre honneur ; et nous [États gén. 4789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.] sommes capables de supporter tout, hors la honte d’avoir violé nos engagements. , Les départements de la guerre, de la marine et des affaires étrangères, sont encore des objets majeurs qui fixeront l’attention de l’assemblée nationale. Notre premier vœu, à cet égard, est qu’il ne soit fait aucun retranchement qui porte sur la force de cet empire. Environnés de nations puissantes et constamment armées, nous voulons l’ctre toujours nous-mêmes; nous voulons que la France présente de tous côtés un front menaçant, qui imprime la terreur à ses voisins, et qui repousse jusqu’à l’idée de l’attaquer. Elle serait bien contraire aux lois d’une sage économie, cette parcimonie qui tendrait à laisser l’Etat sans une défense suffisante ; elle produirait bientôt l’effet le plus contraire à ses vues : en donnant à nos rivaux les moyens de nous combattre avec avantage, elle leur en inspirerait la pensée, et nous précipiterait dans des guerres infiniment plus onéreuses que les frais médiocres qu’on aurait cru épargner. Que ces dépenses tutélaires s’étendent donc aussi loin que les besoins de l’Etat, mais qu’elles s’arrêtent à ce terme. Conservons à la patrie sa force, en réformant les abus qui l’énervent. Que chaque partie de ces grandes administrations, discutée et réglée, soit munie de fonds suffisants et même abondants po7 r le service public ; mais que tout ce qui n’est point nécessaire soit supprimé ; que tout ce qui est indispensable soit opéré avec le moins de frais qu’il sera possible. En examinant les dépenses personnelles à Votre Majesté, la nation, Sire, aura à remplir le devoir bien doux, pour elle, de porter au pied de votre trône l’expression de sa reconnaissance pour les retranchements considérables que vous avez déjà ordonnés : vous avez réalisé ce sentiment si touchant, dont l’expression a retenti dans les cœurs de tous vos sujets, que les sacrifices personnels seraient ceux qui vous coûteraient le moins. Nous sommes, Sire, bien éloignés de vous demander des sacrifices de ce genre; nous désirons au contraire que tout ce qui peut concourir à votre félicité se réunisse autour de vous ; nous désirons augmenter, assurer, perpétuer le bonheur de ces jours que vous consacrez sans cesse à opérer le nôtre ; nous serions même affligés que Votre Majesté voulût diminuer la pompe et la dignité dont elle doit être environnée. La splendeur de votre trône appartient à la majesté de la nation, et l’éclat de Votre couronne fait une partie de notre gloire. Mais, Sire, quelle grandeur ou quelle satisfaction personnelle peut apporter à Votre Majesté cette foule d’officiers subalternes que traîne à sa suite votre cour, qui se sont multipliés successivement sous toutes sortes de prétextes et de dénominations, sans autre règle que la faveur et la cupidité qui les établissaient, que peut-être jamais vos regards n’ont rencontrés, et qui surchargent l’Etat du triple fardeau de leurs rétributions, de leurs privilèges et de leur inutilité? Que toute cette classe ignorée et superflue soit réduite au service réel ; que la réforme embrasse cette multitude de surnuméraires et d’adjoints de tous les ordres, qui doublent les abus, et qui accablent le trésor royal, moins encore des appointements qu’ils finissent par obtenir, que des grâces qu’ils savent se procurer; qu’ils soient aussi anéantis ces usages vicieux, destructifs de toute économie, que l’on s’est habitué à regarder comme des droits de places, qui n’ont de mesure que les besoins ou les désirs de ceux qui les font valoir, qui se propagent des ordonnateurs principaux aux subalternes, toujours sans aucune règle, qui réunissent encore le danger de l’exemple à celui de la dissipation, qui sont même peu honorables à ceux qui en jouissent, par les murmures qu’ils occasionnent, et les soupçons qu’ils font naître : qu’il soit à jamais interdit à tout ordonnateur d’employer à son usage, ou de faire servir à l’usage de qui que ce soit la chose qu’il administre; que les Etats généraux prononcent définitivement la vente ou la démolition de toutes celles des maisons qui ne sont, pour Votre Majesté, d’aucun agrément, et qui augmentent la liste des dépenses, soit par leur inutile entretien, soit par les appointements toujours considérables de ceux qui en ont la garde ; qu’ils ordonnent la suppression de ces vastes capitaineries éloignés qui ne vous apportent aucune jouissance, et qui sont une charge affligeante pour la noblesse, et onéreuse pour le peuple ; enfin, que toutes les dépenses qui ne contribuent ni à la satisfaction personnelle de Votre Majesté, ni à la magnificence dont elle doit être entourée, disparaissent à jamais. Profitez, Sire, pour ces utiles économies, ae l’assemblée nationale. Telle est la protection accordée aux différents abus, tel est l’appui que se donnent les uns aux autres les hommes puissants, intéressés à les soutenir, que leur réformation totale est au-dessus d’un seul administrateur ; il aurait rarement le courage de la tenter, jamais la force de l’effectuer. Les Etats généraux, Sire, u’ auront encore à présenter à Votre Majesté que leur reconnaissance sur les réformes qu’elle a effectuées dans les pensions; et leur hommage sera d’autant plus vrai qu’ils sentiront aisément que, de tous les retranchements, ce sont ceux qui ont coûté le plus à votre cœur. Ils vous supplieront, Sire, de maintenir l’ordre et la règle que vous avez établis dans cette branche de votre administration, de réduire successivement, et de tenir toujours, du moins dans le temps de paix, le montant total des pensions au taux que vous avez fixé, et, pour mettre un obstacle éternel au retour de l’indiscrète profusion qui avait porté la masse des pensions à un point si effrayant, d’assurer l’exécution de deux dispositions que votre sagesse a. déjà adoptées, et qui ne sont pas encore entièrement effectuées. La première, portée dans un règlement de votre conseil, du 22 décembre 1776, fixe une époque annuelle, à laquelle est renvoyée la détermination de toutes les pensions. Par cette seule disposition sont observées deux proportions essentielles, celle de la totalité des grâces avec les fonds qui y sont affectés, et celle des diverses pensions, entre elles, relativement aux mérites qui les font accorder. Le second point que Votre Majesté avait daigné annoncer à ses notables assemblés en 1787, est que, non-seulement toutes les pensions, mais aussi toutes grâces pécuniaires, gratifications, soit actuelles, soit annuelles, indemnités et autres, sous quelque dénomination qu’elles puissent se produire, soient rendues publiques par la voie de l’impression. Cette publicité rendra plus honorables encore les bienfaits de Votre Majesté; elle en assurera la juste application : si elle ne peut être une barrière suffisante contre l’avidité qui importune, au moins elle sera un frein à la complaisance qui accorde. L’antique patrimoine de nos rois, leur domaine qui, dans les temps anciens, suffisait à entretenir la splendeur du trône, mais que, de nos jours, les vices d’administration, et surtout les aliénations successives ont si considérablement réduit, sera aussi un des objets de l’inspection des Etats (États gên. 17S9. Cahiers.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Bailliage de Langres.J 441 généraux. Nous verrons enfin discuter et juger par la nation assemblée cette grande question de f’inaliénabilité des domaines, qui, depuis si longtemps, occupe et partage les esprits. Mais, quelle que soit la décision qu’elle prononce, nous pensons que son exécution doit être précédée de deux réformes importantes : la première, que l’administration totale des domaines qui comprennent les forêts de Votre Majesté, revue dans tous ses détails par les Etats généraux, soit améliorée, ou par un système de régie plus parfait, ou par une surveillance soutenue, confiée aux diverses assemblées des provinces. Dans toutes les hypothèses,' il est nécessaire de rendre aux domaines leur valeur, soit pour en jouir pleinement, soit pour les aliéner avantageusement. La seconde réforme intéressante est que toutes les aliénations de domaine, sous quelque dénomination qu’elles existent, donations, ventes, échanges, qui ne sont pas encore consommées, soient soumises à l’inspection des Etats généraux; et que toutes celles qui seront trouvées onéreuses à l’Etat soient rejetées, et ne puissent jamais être terminées. Quelle main ennemie du bonheur public a constamment répandu un nuage sur la comptabilité des finances, a ralenti sa marche, au point qu’en 1787, le dernier compte du trésor royal, rendu en votre chambre des comptes, était celui de 1773; a su soustraire à l’inspection de cette cour plusieurs parties importantes, et notamment la régie générale? Pouvons-nous, en voyant les effets, méconnaître la cause? C’est dans les ténèbres dont ils s’enveloppent, que les administrateurs infidèles peuvent avec facilité égarer leur vertueux monarque, l’induire à des dépenses excessives, et creuser, sans qu’il le voie, l’abîme de la mine publique. L’obscurité des comptes est un des plus faciles moyens de dissipation; l’ordre dans la comptabilité, un des principes les plus assurés d’économie. Qu’il ressorte donc de cette grande assemblée cet ordre si précieux! Qu’elle en prescrive les règles; qu’elle en détermine les formes; qu’elle en trace les modèles invariables, et que, déchirant le voile dangereux dont la comptabilité a été si longtemps couverte, elle produise enfin au grand jour toutes les opérations de la finance! Le premier tribunal qui doit connaître et juger la comptabilité, est celui des Etats généraux eux-mêmes. Du droit de diriger l’emploi des revenus publics, résulte nécessairement celui de le vérifier. En vain, la nation aurait-elle consenti la masse des recettes, et prescrit la mesure de chacune des dépenses, si elle n’avait pas le pouvoir de connaître et d’assurer l’exécution de toutes ses volontés. Une des principales fonctions de chaque assemblée nationale sera donc de discuter et de juger tous les comptes des finances. 11 est encore un tribunal élevé au-dessus de tous les autres, supérieur même à celui des Etats généraux, plus incorruptible qu’eux, c’est l’opinion publique, par laquelle les Etats généraux eux-mêmes doivent s’attendre à être jugés. C’est surtout à ce juge suprême que doivent être présentés les comptes de l’administration. Il est facile d’induire en erreur le monarque le plus vertueux, le plus attentif; il n’est pas même impossible d’égarer le jugement des assemblées les plus nombreuses et les plus éclairées : mais où pourrait se cacher un secret devant les yeux perçants de la multitude entière? L’ordonnateur ne peut agir seul et sans être observé. 11 n’y a pas un article de la recette, pas un objet de j la dépense qui n’ait des témoins, pas un abus qui n’ait ses complices. La seule crainte de la publicité écartera jusqu’à l’idée de la prévarication, excitera l’attention, maintiendra l’exactitude, soutiendra la faiblesse, aucun administrateur n’espérera échapper aux regards publics; aucun n’osera les braver. Ce que nous demandons à Votre Majesté, c’est qu’elle veuille bien maintenir ce que sa sagesse a déjà prescrit, et faire en sorte que, chaque année, non-seulement le compte général de ses finances, mais les comptes particuliers de chaque département soient rendus publics par la voie de l’impression, soient exposés aux regards et à la censure de la nation entière. Peut-être cette loi générale devra-t-elle subir une exception. L’administration d’un grand empire, et surtout les relations nécessaires avec les royaumes qui l’environnent, peuvent exiger un ordre de dépenses dont il serait dangereux de dévoiler les détails. L’assemblée nationale ne manquera sûrement pas de prendre en considération ce genre de dépenses, d’en balancer l’utilité et les dangers, et d’en concerter avec Votre Majesté la mesure, qui, par la nature de l’objet, ne doit jamais être très-étendue. Mais, Sire, de quels énormes abus cette nécessité, ou réelle ou prétendue, n’est-elle pas devenue le prétexte ? Les Etats généraux seront effrayés d’apprendre ce qui fut dévoilé aux notables, que les acquits de comptant montèrent, en 1772, à 62 millions, en 1773 à près de 82, et que, pour l’année 1785, on les évaluait à 128 ! Quelle proportion ces sommes immenses peuvent-elles avoir avec les dépenses dont le secret est de quelque utilité ? Seraient-elles donc l’expression des dissipations faites dans ces années ? Nous ne l’imaginons pas, Sire ; nous croyons impossible qu’on ait eu l’audace de porter à ce point la déprédation, et de l’avouer. Mais voici en quoi consiste le vice, plus dangereux peut-être que des prévarications manifestes : on enveloppe dans la masse des acquits du comptant des dépenses utiles et nécessaires ; et d’abord, on les étend à son gré ; on y associe ensuite tout ce que la faiblesse cède, tout ce qu’obtient l’importunité, tout ce qu’exige la faveur, tout ce que la cupidité arrache ; et sous le voile de l’acquit du comptant, sous l’apparence du nom imposant de Votre Majesté, on soustrait, et aux tribunaux chargés de la Vérification, et au public, la connaissance de toutes les prodigalités, de toutes les profusions. Faites disparaître, Sire, cet inutile, ce scandaleux, ce funeste mystère; poursuivez l’esprit de dissipation dans ses ténébreuses retraites, et que, dans la comptabilité, soit aux chambres des comptes, soit auprès des Etats généraux, soit devant le public, toutes les dépenses rangées dans la classe à la-quelles elles appartiennent, soient toujours et universellement connues, et facilement aperçues. Elles seront toujours réglées avec justice et économie, quand elles le seront avec clarté et publicité. PROCÉDURE CRIMINELLE. Nous sommes assurés, Sire, d’être favorablement écoutés de Votre Majesté, en lui proposant de perfectionner l’administration de la justice et de réformer les abus qui l’altèrent. Nous ne croyons pas cependant devoir vous dénoncer la multitude d’abus de tout genre, qu’y ont introduits l’intérêt, l’amour-propre, les passions, souvent même la négligence et le seul laps de temps. Nous regardons comme indigne de l’attention de Votre Majesté, et d’une assemblée qui va s’occuper de tant de grands objets, une infinité de points qui ne sont pas très-importants, et nous nous contenterons de porter vos regards sur 442 [États gén. 1789. Cahiers.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.l un petit nombre d’abus essentiels, et dont la réformation préparera et assurera tous les autres. La première, la plus importante de toutes les réformes que sollicitent, depuis si longtemps, les vœux multipliés de vos sujets, que la justice de Votre Majesté s’est occupée plusieurs fois de leur procurer, et qu’ils attendent avec impatience de rassemblée de leurs représentants, est celle de la procédure, et surtout de la procédure criminelle-S’il était possible de confier l’administration de la justice à des êtres supérieurs aux passions humaines, il serait inutile de la soumettre à des formes. Mais il n’y a que la loi qui soit impassible : ses organes ne peuvent être que des hommes. Il a donc été nécessaire que la loi prît des précautions contre les fausses interprétations, contre les applications injustes, contre les abus enfin de tout genre que l’on pourrait faire d’elle-même. Forcée de se revêtir de l’auguste et redoutable pouvoir de juger leurs semblables, des êtres exposés à l’erreur, soumis au préjugé, guidé par l’intérêt, animés par la passion, elle leur a dicté des formes impérieuses qui les contraignissent de s’éclairer, qui les dirigeassent dans le droit sentier de l’équité, qui les y continssent, et les empêchassent de s’en écarter. Quelle malheureuse cause a donc mis un obstacle aux vues salutaires de la loi ? Par quels funestes principes la procédure destinée à être la sauvegarde de la justice, s’est-elle tournée contre la'juStice? Pourquoi est-elle devenue l’instrument des passions qu’elle devait enchaîner ? Pourquoi la voyons-nous si souvent servir à opprimer l’innocence et le bon droit qu’elle était chargée de protéger? On dira à Votre Majesté que des subalternes pervers en ont abusé, et que c’est le sort de tontes les institutions humaines. Mais, lorsque l’abus est facile, lorsqu’il est universel, lorsqu’il est même réduit en art, lorsque enfin toute la force publique n’a pas le pouvoir de l’empêcher, nous le prononcerons hardiment, Sire, le vice est dans la chose même : c’est de la loi que naissent les abus, et les hommes coupables, qui les font servir à leur intérêt, ne font que saisir ce qu’elle leur a présenté. Il est donc nécessaire d’examiner la procédure en elle-même, pour y découvrir les abus qu’elle a fait naître ; il faut même remonter plus haut, et pour empêcher de pareils abus de se reproduire, il faut chercher le principe qui les a introduits. Ce principe, Sire, nous devons le dire hautement à Votre Majesté et à la nation, parce que, dans ce moment de régénération universelle de l’Etat, il n’est aucune vérité que l’on doive retenir captive, c’est que l’établissement et la forme de la procédure, soit civile, soit criminelle, ont toujours été entièrement et exclusivement confiés à des magistrats. Nous respectons sincèrement la magistrature; nous honorons, nous chérissons ses vertueux membres, qui se dévouent pour nous à des travaux assidus et pénibles, nous admirons leur zèle, nous estimons leurs talents. Si nous reprochons des vices sans nombre à notre procédure, nous sommes bien éloignés d’inculper les magistrats célèbres auxquels nos rois ont confié, en divers temps, la rédaction. de leurs ordonnances. Le tort de cette législation fut bien plutôt celui de leur temps, trop peu éclairé encore pour la perfectionner; mais avouons-le aussi, il fut un peu celui de leur état. Une des vertus du magistrat est rattachement aux anciennes règles, et l’un des plus signalés bienfaits des compagnies qui composent ïq magistrature est de maintenir la stabilité des maximes et des formes antiques. Qui pourrait avoir l’injustice de faire un reproche à la mémoire de ces vertueux personnages, attachés aux principes anciens par leur éducation, par l’exemple de leurs pères, par le leur propre, et par la constance religieuse avec laquelle ils les avaient suivis, de ne pas en avoir aperçu les inconvénients? Pouvaient-ils soupçonner que des formes, qui, dans leurs mains, étaient l’instrument de la justice, deviendraient dans des mains moins pures les ressources de la chicane et les armes de l’iniquité ? Ils ne devancèrent pas leur siècle, il leur était même plus difficile qu’à d’autres de le suivre. Nous sommes donc bien éloignés de demander que, dans la réformation de la procédure, Votre Majesté ne consulte point ses magistrats. Nous appelons, au contraire, le secours de leur expérience, nous invoquons les hautes connaissances que leur ont acquises leurs longs travaux. Ce que nous désirons, Sire, c’est d’abord, qu’aucune classe particulière n’ait le droit exclusif d’être consulté sur ce qui garantit la propriété, la liberté, la sûreté, l’honneur de tous les citoyens ; c’est, ensuite, que les lois qui doivent déterminer à l’avenir les formes de l’une et l’autre procédure, soient, d’après les lumières réunies de tous les individus, de toutes les classes, de tous les ordres, préparées par l’assemblée nationale, et présentées par elle à Votre Majesté. Nous réclamons pour la nation elle-même cette partie si intéressante pour elle de la législation. C’est l’intérêt de tous : tous doivent concourir à le régler. Les formes sont le rempart des peuples contre leurs juges; c’est au peuple à l’élever, non pas les juges. Où Votre Majesté trouverait-elle plus de désir du bien, plus d intérêt à ce qu’il soit opéré plus d’affranchissement de préjugés, plus d’attachement aux principes, plus d’unité de vues, nous le dirons même, plus de lumières sur cette importante réforme que dans ses Etats généraux? On cherche à opposer le vœu de la magistrature à celui de la nation, mafs ici ils vont se confondre. Nous espérons que parmi les citoyens de toutes les classes que la voix publique va rassembler, il se trouvera des magistrats, et ceux-là seront certainement aussi bien dignes de la confiance de Votre Majesté, puisqu’ils lui seront désignés par celle de votre peu-ple.Cestlà, Sire, c’estau sein d’uneassemblée nombreuse, composée d’hommes choisis dans toutes les classes, dans tous les états, dans toutes les professions, qui apporteront chacun de leur côté leurs opinions, celles de leurs provinces, celles de leurs corps, que seront discutés avec le plus de profondeur, et balancés avec le plus d’impartialité les inconvénients et les avantages de notre procédure : c’est la réunion de toutes ces lumières parties de différents points, et concentrées dans un même foyer, qui éclairera le plus sûrement votre justice, et qui lui découvrira plus nettement et les maux et les remèdes. On dira à Votre Majesté qu’une assemblée aussi nombreuse, dont les séances seront limitées et remplies par d’autres objets, n’aura ni le temps ni les moyens de conduire à sa perfection un si grand ouvrage ; mais au moins elle peut le commencer. Une commission, composée de membres des trois ordres, peut préparer les matériaux, les disposer, les mettre en ordre, en sorte que les Etats généraux qui suivront n’aient plus qu’à élever l’édilice. En parcourant les inconvénients de notre procédure, il est nécessaire d’éviter deux écueils également dangereux : l’esprit de servilité, et celui d’innovation : l’un, attaché avec opiniâtreté aux choses reçues; l’autre, les poursuivant toutes avec une égale obstination. Noüs devons l’avouer, [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.] 443 Sire, entre les plaintes qui se sont élevées de toutes parts contre les abus de la procédure, il y en a d’exagérées. L’enthousiasme des idées étrangères a emporté beaucoup trop loin quelques esprits, a présenté comme des inconvénients des dispositions utiles, a proposé des réformes plus dangereuses que ce qu’on voulait supprimer. Votre Majesté, dans sa sagesse, rejettera ces systèmes enfantés par l’esprit d’imitation; mais votre âme simple et droite repoussera, avec autant de force, ce vain amour-propre qui, toujours satisfait de soi-même, prétend ne rien recevoir d’autrui. Que tout ce qui est bon et juste, dans la législation de tous les pays, devienne votre conquête; naturalisez parmi nous toutes les formes étrangères qui protègent l'innocence, mais que votre humanité craigne de s’égarer, en introduisant avec elles celles qui favorisent le crime. L’objet de la procédure est de connaître le coupable ; elle manque également son but, lorsqu’elle ôte à l’innocent sa défense, et lorsqu’elle fournit des ressources au criminel. Sans doute, de ces deux vices, l’un est plus déplorable que l’autre ; mais la justice et le salut public exigent qu’on les évite tous les deux; et la gloire de Votre Majesté sera d’avoir, pour la première fois, posé la limite précise qui sépare l’excès de la sévérité de celui de l’indulgence. Dans l’examen des vices principaux de la procédure, nous nous attacherons uniquement à la procédure criminelle. Ce n’est pas que celle qui dirige l’ordre civil ne renferme aussi un grand nombre d’inconvénients ; mais la justice criminelle est celle qui, dans ce moment, attire tous les vœux. Son objet plus intéressant, ses vices plus dangereux et'plqs manifestes frappent plus vivement les regards ; sa réformation est parvenue à son point de maturité : sollicitée généralement depuis longtemps, préparée par un grand nombre d’écrits, elle n’âttena, pour s’opérer, que l’ordre de Votre Majesté. Le premier vice de la jurisprudence criminelle, qui lui est commun avec la jurisprudence civile, et qui arrête la procédure avant même qu’elle ne soit commencée, c’est la difficulté de régler la juridiction des tribunaux. La compétence est une source intarissable de difficultés. On est étonné de l’immensité de questions qu’elle présente; l’énumération seule de ses parties est incroyable : cas royaux, cas ordinaires, délits communs, délits privilégiés, juges d’église, juges des seigneurs, prévôts royaux, juges des bailliages, des présidiaux, prévôts dès maréchaux, juges du lieu du délit, du domicile, de la capture, préventions, concurrences, revendications, attributions, conflits de juridiction, etc. En contemplant cette multiplicité de reports et d’attributions, on ne peut s’empêcher d’être frappé d’une idée : c’est que les rédacteurs des ordonnances se sont beaucoup trop occupés de satisfaire les différents tribunaux, de conserver leurs droits , de ménager leurs prétentions ; et cependant la procédure reste arrêtée dès le premier pas, ou se ralentit dans sa marche, et les traces du crime se perdent, et le malheureux accusé, qui souvent est innocent, gémit dans un cachot, tandis qu’on se dispute la triste prérogative de prononcer sur son sort. Simplifiez, Sire, cette législation si compliquée jusqu’à votre règne ; que, d’après vos heureuses lois, toutes les parties de l’administration de la justice, désormais unies et correspondantes entre elles, cessent de s’embarrasser, de se nuire réciproquement ; qu’on ne voie plus les procès entre fes parties, éternellement précédés de procès entre leurs juges ; et que ces juges, tranquilles sur leurs droits, sûrs de ne pouvoir ni les perdre ni les étendre, n’aient plus à s’occuper que de leurs devoirs. L’ordonnance de 1670 confie toute l’instruction du procès criminel à un seul juge. Une seule main va-tracer ce tableau redoutable qui exposera aux yeux du tribunal tous les faits de la procédure, qui montrera leur enchaînement, qui développera le degré de leur probabilité. Quel redoutable pouvoir la loi remet à un seul homme ! Et ce qui le rend plus effrayant encore, c’est que pour qu’iJ soit dangereux il n’est pas nécessaire que cet homme soit corrompu : qu’il soit léger, ignorant, peu éclairé, prévenu, les mêmes vices se trouveront dans sa procédure, les mêmes malheurs la suivront. Elle a donc supposé, dans tous ceux qui seront à jamais revêtus du caractère de juges, une réunion imaginable de lumières et de vertus, cette loi qui remet absolument le sort du citoyen dans la main d’un seul juge ! Car, il est impossible de se le dissimuler, le tribunal ne prononcera que sur les faits qui lui seront exposés. C’est dans l’ombre du secret que s’exerce cette importante fonction ; celui qui la remplit n’a autour de lui personne qui le ramène lorsqu’il s’égare, qui l’avertisse de ce qu’il néglige, qui lui rappelle ce qu’il oublie, dont les avis l’éclairent, dont les doutes écartent ses préventions, dont la surveillance arrête la tentation d’une malhonnêteté ; il opère seul, et chacune de ses erreurs est d’une conséquence immense ; lui seul encore choisit les témoins qu’il doit entendre : ces témoins, presque toujours simples, peu instruits, ignorant la force des termes qu’ils em-loient, timides, embarrassés de la double crainte e dire trop ou de ne pas dire assez, s’expriment imparfaitement, laissent rédiger leur déposition au gré du juge ou du greffier, et la signent aveuglément sans la comprendre, ou sans oser la contredire. C’est un fait, Sire, qui ne sera pas désavoué à Votre Majesté, que l’officier d’instruction est très-souvent le maître des dépositions; et ce sont ces dépositions, ainsi recueillies, qui vont dicter la sentence, et décider la vie ou la mort d’un citoyen. Après le récolement qui, étant fait par le môme juge, de la même manière, sans plus de précautions, devient une simple formalité, le témoin ne peut plus se rétracter ; la peine qu’il encourrait arrête son repentir, lui fait meme craindre de donner des explications ; il se voit placé dans la cruelle alternative de perdre l’accusé, ou de se perdre lui-mème : ainsi, toutes les erreurs, toutes les négligences, toutes les prévarications que le juge, livré à lui-même, a pu commettre dans l’information, deviennent irréformables. Et si c’est encore un même juge qui est chargé du rapport, car l’ordonnance ne le défend pas, si lui-même rend compte de son propre ouvrage, voudra-t-il, pourra-t-il en faire connaître les vices? Et ne conduira-t-il pas le tribunal dans toutes les voies où il s’est lui-même égaré ? Un principe , aussi cruel qu’absurde, de notre jurisprudence, c’est que la prison n’est pas une peine. Il en résulte qu’on l’inflige indistinctement pour un trop grand nombre de délits. L’ordonnance de 1670 autorise à décerner prise de corps contre les domiciliés, même pour les crimes qui doivent être punis de peines infamantes ; comme si on avait besoin de la présence d’un accusé pour lui faire subir de pareilles peines. Que l’on assure à la justice ses victimes, et que l’on prévienne la fuite de ceux qui auraient intérêt de se soustraire à ses châtiments, c’est une rigueur né- /{j [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.] ccssaire, un malheur inévitable de l’ordre social. Mais l’humanité se soulève contre cette affreuse pensée, que ce n’est pas une punition de priver un citoyen du plus précieux de ses biens, de le plonger ignominieusement dans le séjour du crime, de l’arracher à tout ce qu’il a de cher, de le précipiter peut-être dans sa ruine, et d’enlever, non-seulement à lui, mais à sa malheureuse famille, tous les moyens de subsistance. La justice réclame aussi contre tout emprisonnement qu’elle n’exige pas. Si l’accusé est innocent, et il doit être réputé tel jusqu’à ce que le crime soit prouvé, on lui inflige un malheur qu’il n’a pas mérité : s’il est coupable, on lui fait subir une double punition, celle que prononce la loi, et son inutile détention : et c’est encore à tous les juges que la loi confie ce terrible pouvoir. Le bailli de la plus simple seigneurie a le droit d’attenter juridiquement à la liberté des citoyens. Votre Majesté peut juger tous les abus qui doivent résulter d’une pareille autorité, remise à tant de mains, dont un grand nombre mérite si peu de confiance. G’est dans le séjour de la douleur et de l’opprobre que le malheureux, objet des informations qui se poursuivent, ignorant souvent le crime dont il est accusé, et presque toujours les preuves et les indices que ron est occupé à accumuler contre lui, agité, tout à la fois, des angoisses de l’impatience et de celles de la terreur, attend en silence le moment redoutable qui doit lui présenter ses ennemis et lui découvrir leurs attaques. Peut-être le secret des premiers moments de procédure est-il nécessaire vis-à-vis de l’accusé : car, dans une matière aussi importante, il faut craindre de se laisser entraîner même par le sentiment si juste et si naturel de la pitié. Ne perdons jamais de vue que l’objet direct et principal de la procédure est de manifester le coupable. La connaissance des coups qu’on doit lui porter lui donnerait le moyen de préparer artificieusement ses défenses. On ne doit laisser à l’accusé dans le combat d’autre arme que la vérité : la vérité est une et ne se contredit jamais ; mais le crime à qui on ôte le temps et les moyens de concerter ses fraudes, se trahit toujours et souvent même par les efforts qu’il fait pour se cacher. Ainsi, le mystère qui enveloppe les informations, présente un avantage : il laisse à l’innocent toute sa défense, et il l’enlève au coupable. Mais ce secret, si utile en lui-même, devient affreux dans notre procédure, et par l’abus que l’on en fait, et par l’étendue illimitée qu’on lui donne. La loi qui ferme la bouche à l’accusé, et lui laisse ignorer ce qui se trame contre lui, ouvre en même temps le champ à l’accusateur. Jouissant de toute sa liberté, il peut s’aider de tous les conseils, préparer à son aise tous ses moyens, combiner ses mesures, dresser, diriger toutes ses batteries. Affranchi de toute contradiction, il ne trouve aucun obstacle aux manœuvres les plus criminelles : il capte, il pratique, il suborne, il corrompt des témoins, et il ne rencontre personne qui ait la charge de l’arrêter. C’est le juge, à la vérité, qui choisit les témoins, mais le plus souvent il ne peut les nommer que sur l’indication de l’accusateur ; et cet accusateur a le droit de les faire entendre en tout temps et on tout état de cause. A cette cruelle jurisprudence opposons l’autorité et les principes d’un des plus célèbres magistrats qui aient honoré la nation. « La loi qui présume toujours l’inno-« cence, et qui craint de découvrir le crime, ne « doit pas souffrir que l'accusateur puisse tout « dans le temps que l’accusé ne peut rien, et que « la voix du premier se fasse entendre, lorsque « le second est obligé de garder un triste et ri-« goureux silence. Si la balance de la justice ne « doit pas pencher plutôt du côté de l’accusé que « du côté de l’accusateur, elle doit au moins être « égale entre l’un et l’autre, et le moindre privi-« lége que doit espérer un accusé qui peut être « innocent, est l’indifférence, ou, si l’on peut « s’exprimer ainsi, l’équilibre de la justice. Pour « mieux juger de la vérité, il faut envisager du « même coup d’œil, et dans un même point de « vue, l’accusation et la défense, réunir toutes « les circonstances, rassembler tous les différents « faits, ne point diviser ce qui est indivisible de « sa nature, de peur que, voulant juger, dans un « temps, du crime, dans un autre, de l’innocence, « on ne puisse juger sainement ni de l’un ni de « l’autre. Les preuves de l’accusé peuvent périr « dans le temps que l’on s’applique uniquement « à examiner celles de l’accusateur ; et quand « l’accusé aurait le bonheur de conserver sa « preuve dans toute son intégrité, il est toujours « à craindre qu’une première impression trop « vive et trop profonde ne ferme l’esprit des juges « à la lumière de la vérité, et que la lenteur du « contre-poison ne le rende même inutile. » Ces principes que développait devant le premier tribunal du royaume l’illustre d’Aguesseau, alors dépositaire du ministère public, nous les revendiquons, Sire, auprès de Votre Majesté, et nous ne doutons pas que la nation assemblée ne se joigne à notre réclamation. Faites disparaître cette juridiction révoltante, aussi injuste que cruelle, entre l’accusateur et l’accusé; faites marcher du même pas la défense et l’attaque ; que l’accusé ignore, s’il. est nécessaire, les charges qu’on multiplie contre lui ; mais que, pendant tout le temps où il ne peut se défeudre, la justice elle-même se charge de sa défense : en le poursuivant de son glaive, qu’elle le couvre de son égide contre tous lea coups qui ne sont pas portés par elle. La loi a pourvu à ce qu’il eût un ennemi ; elle a élevé contre lui le ministère public : pourquoi ne lui susciterait-elle pas un défenseur? Pourquoi, dans chaque procès criminel, ne chargerait-elle pas un magistrat de veiller pour l’accusé sur toute la procédure, de la suivre dans toutes ses parties, d’assister le juge qui fait les informations, d’entendre avec lui les témoins, de discuter leurs dépositions, de placer à chaque pas des observations qui arrêtent la prévention, dissipent le préjugé, déconcertent les manœuvres ? Ce salutaire établissement honorerait notre législation, en assurant à perpétuité les droits de la justice et de l’humanité. Le moment arrive enfin où le malheureux accusé est amené devant son juge. Le voile qui couvrait la procédure tombe, et lui laisse découvrir toute l’étendue de son danger. Sans doute, dans ce moment, toutes les ressources lui seront procurées pour sa défense, tous les moyens lui seront facilités; il lui sera libre de présenter toutes ses apologies, d’exposer les faits de sa justification, d’en développer les preuves, d’appeler à son aide toutes les lumières ! Non, ce serait encore en vain que, dans cette dangereuse position, il espérerait quelque appui. La loi, toujours armée de rigueur, repousse loin de lui tous les secours : seul, sans aucune assistance, il faut qu’il détruise, sur un premier aperçu, et sans délai, une accusation formée dans le secret, préparée par de longues réflexions, concertée avec art, et à laquelle on a eu le temps de donner de la consistance et toute l’apparence de la vérité. [États gén. 1789. Cahiers.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES.! (Bailliage de Langres.j 445 Mais si c’est un homme simple, ignorant, qui pense peu, qui s’exprime mal (et combien y en a-t-il de ce genre dans la classe de ceux qui sont pour l’ordinaire accusés !) si c’est un homme faible, timide, effrayé de la présence du juge qui doit décider son sort, et de l’aspect du danger qui vient de lui être subitement présenté (et qui ne serait pas intimidé dans une aussi terrible circonstance !), il faudra encore que ses omissions et ses erreurs soient irréparables ; sa défense même sera tournée contre lui ; l’effet du trouble qu’on aura excité dans son âme deviendra une nouvelle preuve de eon crime. Dans ce moment, le premier et le plus essentiel de sa défense, on lui enlève le droit naturel de prouver les faits qui le justifient : c’est lorsque la prévention qu’il est coupable est déjà formée et peut être irrémédiable, que le juge peut examiner s’il est innocent ; c’est lorsque ses preuves pourront avoir dépéri, qu’on sera libre de les vérifier. Et encore ce n’est pas l’accusé qui est le maître de choisir les faits justificatifs dont on doit faire la preuve : c’est le juge déjà imbu de préjugés, qui ale droit deles admettre, de les choisir; et même il faut que leur preuve soumette l’accusé à de nouvelles entraves ; il faut que sur-le-champ il devine et nomme les témoins pour déposer sur ces faits : ce moment passé, il lui est interdit d’en déclarer d’autres; toute ignorance, tout oubli est fatal. Quels motifs ont pu dicter d’aussi injustes dispositions ? Du moment où l’accusé a connaissance des charges contenues dans l’information, le secret de la procédure est inutile, et dès lors il est dangereux; il autorise les prévarications, les négligences des juges ; il favorise les calomnies des accusateurs ; il contribue à égarer, à intimider l’accusé. Pourquoi, après l’interrogatoire et la confrontation, refuse-t-on de lui donner communication des charges ? Craint-on qu’un examen réfléchi ne lui fournisse des réponses plus solides que celles qu’a pu lui suggérer ce premier aperçu? Pourquoi rejette-t-on la preuve de son innocence à la fin de tout le procès? Pourquoi le laisse-t-on à l’arbitrage du juge? Il semble qu’on redoute de la trouver. Le vœu de votre cœur, Sire, serait de ne rencontrer que dès innocents : donnez donc à ceux qui le sont tous les moyens d’établir leur justification. Il en est un surtout que sollicitent depuis longtemps les désirs de la nation : qu’au moins lorsqu’il est instruit des charges, et qu’il a produit ses premières réponses, l’accusé puisse appeler un conseil qui éclaire son ignorance, qui soutienne sa faiblesse, ui rassure sa timidité : ne le laissez pas seul ans ce combat si disproportionné. La loi ne lui ôte pas ce secours, lorsqu’il ne s’agit que d’un intérêt pécuniaire ; par quel renversement d’idées lui est-il ravi, lorsqu’il défend sa liberté, son honneur et sa vie? L’ordonnance de 1539 accordait aux accusés cet appui : c’est donc encore rappeler nos antiques principes que de rétablir cette utile législation. Nous apprenons, par le procès-verbal de l’ordonnance, que le principal motif qui fit supprimer en 1670 le conseil des accusés, fut qu’il pourrait procurer l’impunité par les difficultés et les longueurs qu’il ferait naître : mais, comme l’observait dès lors un grand magistrat, si le conseil peut sauver un coupable, le défaut de conseil peut faire périr des innocents. Ceux qui entreprennent de justifier l’ordonnance oseraient-ils comparer ces deux inconvénients? Oseraient-ils prétendre que l’un n’est pas et plus funeste dans ses conséquences, et plus souvent dangereux que l’autre ? Rien de plus ordinaire que de voir succomber des innocents qu’un conseil éclairé aurait sauvés : les fastes de la justice en présentent plusieurs exemples récents, et ils ne nous les font pas tous connaître ; mais il serait rare qu’un jurisconsulte appelé par un coupable voulût le sauver, plus rare encore qu’il pût y parvenir : les juges auraient, pour se garantir de ses séductions, les faits de l’information, les premiers aveux de l’accusé, les contradictions dans lesquelles l’erreur se laisse toujours entraîner, la défiance que des variations leur inspireraient. La voix de la raison, l’intérêt de la justice, le vœu des peuples, tout, Sire, sollicite le rétablissement de cet ordre ancien qui accordait aux accusés un conseil au moins après la confrontation ; tout se réunit pour vous demander l’anéantissement de ce fatal secret qui, dès qu’il n’existe plus pour l’accusé, ne présente que des inconvénients. La loi ordonne que l’accusé s’oblige, sous la foi du serment, à dire la vérité. Qu’a-t-elle pu espérer en mettant la nature et l’intérêt personnel en opposition avec la religion, en plaçant celui qu’elle poursuit dans la nécessité de se perdre ou de se parjurer? Que Votre Majesté daigne consulter tous ceux qui ont acquis' quelque expérience dans l’administration de la justice criminelle; il n’en est aucun qui ne lui réponde que le serment de l’accusé ne produit jamais la vérité, et qu’il n’opère qu’un crime de plus. L’âme religieuse de Votre Majesté sera touchée de cette grande considération, et elle s’empressera de supprimer une formalité si odieuse, dès qu’elle est inutile. L’humanité doit à Votre Majesté l’hommage de sa reconnaissance pour avoir aboli l’affreux usage de la question préparatoire; elle attend cl? vos lumières, de votre bienfaisance, de votre justice, la consommation de cet ouvrage et l’extinction absolue de la question préalable. Cette épreuve, inutile pour l’accusé assez ferme pour la soutenir , dangereuse à l’égard du faible, ne produit qu’un effet certain , celui d’infliger un supplice prématuré et souvent injuste : elle est équivoque pour les juges , par les contradictions et les variations continuelles dont les aveux qu’elle extorque sont embarrassés : elle devient quelquefois funeste aux innocents, par les fausses déclarations qu’elle leur arrache , et qu’ils n’ont pas ensuite la force de rétracter. La loi présume que l’accusé est innocent jusqu’à ce qu’il soit condamné : pourquoi donc le traite-t-elle en coupable, en lui faisant subir l’humiliation de comparaître sur la sellette? C’est le ministère public qui inflige cette peine ignominieuse et prématurée , quoiqu’il soit nécessairement partie, et qu’il ne. puisse être juge. Pourquoi ajouter à la honte, à l’effroi qui s’emparent d’un accusé, lorsqu’il comparait devant ses juges? Il est de la justice de supprimer cette flétrissure déplacée et môme dangereuse , puisqu’elle peut ôter à un malheureux la tranquillité d’esprit si nécessaire à sa défense. Quelle raison, quel motif d’utilité, quel droit a pu introduire l’usage établi maintenant dans les cours souveraines, usage qu’aucune loi n’autorise, qui est contraire à l’esprit de toutes les lois, de ne point motiver les arrêts de condamnation , et de donner pour seul motif de leur jugement l’expression vague des cas résultants du procès? C’est donc en vain que, pour détourner des crimes, la loi ordonne la publication des arrêts qui les punissent : cette publicité devient inutile, dès qu’on dissimule au peuple quels sont les crimes que frappe la justice. Nous ne pouvons imaginer que cette absurde clause soit réclamée par des 446 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES magistrats comme un droit. Les juges n’ont point de droits sur les justiciables ; ils n’ont envers eux que des devoirs. L’effet de ce droit prétendu qui couvre d’un voile les oracles de la justice, serait de soustraire les juges à la loi, et de leur faciliter les moyens de distribuer les peines à leur gré. L’honneur du magistrat consiste au contraire à rendre hautement compte de tous ses motifs, à se montrer tout entier, à prouver par l’éclat de sa conduite qu’il n’a aucun sentiment à cacher. Tout mystère fait naître un soupçon : il importe aux ministres de la justice d’en prévenir la plus légère apparence. La confiscation des biens, qui suit toujours la condamnation, est un monument de l’ancienne barbarie, un reste de l’avarice féodale, une peine inutile qui ne sert pas de frein à celui qui s’expose à la mort, un châtiment injuste qui enveloppe les enfants dans la punition de leur père, leur arrache leur subsistance et les réduit à la mendicité, premier pas vers le crime, où les leçons et les exemples de leur père ne les portaient peut-être que trop. La législation criminelle doit embrasser deux parties, la forme de la procédure et la distribution des peines. Nous venons de présentera Votre Majesté un grand nombre de vices de la première : la seconde est absolument oubliée dans la loi de 1670. Nous avons une ordonnance criminelle, et nous ne possédons point un Gode pénal. Cette partie de notre législation n’est composée que d’un amas confus d’ordonnances dictées eri divers siècles, selon les besoins et les idées de chaque moment : est-il étonnant qu’on y aperçoive tant de complications, de variations, d’incohérence, de contradictions? L’opprobre etla mort sont prodigués sans discernement. On ne découvre aucune ligne de démarcation entre les crimes-, nul rapport, nulle proportion entre les délits et les peines; et pour n’en citer qu’un exemple, la loi égale, dans plusieurs cas, le supplice du vol à celui du meurtre : ainsi, elle-même, rend le voleur assassin, en lui donnant l’intérêt de supprimer le principal témoin de son crime. Il était réservé à Votre Majesté, à un roi toujours mu par les principes de la justice, d’élever le glorieux édifice de la législation pénale, de saisir, de rapprocher toutes ces parties dispersées dans la suites des siècles, répandues dans une multitude d’ordonnances diverses, de les discerner, de les comparer, de les réunir pour en former un tout solide, un ensemble sage, humain, modéré, équitable. La nation l’attend de votre justice, et son espoir ne sera point trompé par un monarque dont le seul désir est le bonheur de son peuple. L'ordonnance criminelle qui est uniquement dirigée contre le coupable, qui environne l’innocence de tant de pièges, qui l’embarrasse de tant d’entraves, l’abandonne encore et la néglige lors même qu’elle est reconnue. Après l’avoir retenue longtemps dans la captivité, dans la terreur et dans l’opprobre et souvent après l’avoir plongée dans l’indigence, elle ne lui accorde aucune réparation pour l’injure ; elle ne lui assigne aucune indemnité pour le tort, excepté dans le cas très-rare où une partie civile peut en être chargée. Il semble que nos tribunaux lui fassent grâce en la laissant échapper à leurs mains cruelles ; ils ne lui accordent pas même la faible consolation de publier sa justification, et de la réhabiliter solennellement dans l’opinion publique. Cependant, Sire, nous devons le dire à Votre Majesté, c’est ici une des dettes de votre justice : le sentiment PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.] naturel de l’équité demande que tout tort soit réparé, et s’il a été fait par la partie publique, il est juste que ce soit la puissance publique qui supporte la réparation. Quelle idée de justice a pu établir que de deux hommes également innocents, l’un attaqué par une partie civile, l’autre poursuivi par le ministère public, le premier obtiendra des dédommagements auxquels ne pourra prétendre le second? Loin de réclamer aucun prévilége sur l’observation des devoirs de justice, l’autorité doit s’imposer plus strictement encore l'obligation de les remplir; elle doit le premier exemple. En acquittant cette dette de votre couronne, vous satisferez, Sire, le vœu de votre cœur ; vous porterez la consolation dans ces âmes malheureuses que le maintien de l’ordre public vous force d’affliger ; et cette main bienfaisante, qui aura repoussé loin de la loi toutes les rigueurs qu’ils est possible de prévenir, sera encore celle qui réparera ses torts inévitables. Enfin, l’ordonnance s’acharne contre les accusés, même après le jugement rendu contre eux; elle les poursuit jusque dans l’asile de votre justice et de votre clémence. Eu vain nos principes monarchiques assurent-ils à Votre Majesté le double droit de revoir les arrêts, et de remettre les peines; il faut encore que la loi vienne arracher aux malheureux cette ressource, et rendre inutiles ces droits si précieux à Votre Majesté et à ses peuples. Elle ordonne que les jugements seront exécutés le même jour qü’ils auront été prononcés. Ainsi, par une contradiction formelle, les principes autorisent le recours au souverain, et la loi l’empêche. Le ju�e même, que la sévérité de son ministère force a Une condamnation que son cœur désavoue, qui, dans un fait que la loi ordonne de punir, voit des circonstances qui sollicitent l’indulgence, n’a pas le pouvoir de suspendre ses coups, et ne peut que par une contravention arrêter la main qu’il a armée. Supprimez, Sire, cette disposition cruelle, aussi contraire aux droits de Votre Majesté qü’âu bonheur de ses sujets : mettez entre la condamnation et la peine 1’intervajle nécessaire pour déployer votre justice ou votre clémence. On s’efforcera d’intéresser votre humanité par la crainte de prolonger les supplices, en les faisant connaître d’avance. Mais, c’est un fait connu, que presque toujours les accusés sont instruits de leur jugement. Et quel est, d’ailleurs, le coupable qui, après avoir entendu son arrêt, désire d’en accélérer l’exécution, et ne fait pas tous ses efforts pour la retarder? Combien l’idée de pouvoir obtenir sa grâce n’animera-t-elle pas encore ce sentiment? et nous ne parlons que du coupable. Mais l’innocent, dont la loi doit principalement s’occuper, l’innocent qui a droit d’espérer que la révision de son procès manifestera sa justification, l’innoceht ne bénira-t-il pas cent fois l’heureux délai qui lui assure une ressource ? Tels sont les vices principaux de la législation criminelle que nous croyons devoir dénoncer à Votre Majesté. Nous eussions pu, sans doute, en relever beaucoup d’autres; mais nous croyons avoir suffisamment montré la nécessité de la réforme. Voilà, Sire, un ouvrage digne de votre haute sagesse ; voilà une gloire faite pour votre cœur sensible et juste. Une heureuse réunion de circonstances concourt à vous la faire acquérir : les connaissances du siècle, auquel la Providence vous a accordé, les vœux et les lumières de la nation que vous rassemblez auprès de vous, vos vertus personnelles, tout vous annonce à la France [États gén. im Cahiers.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {Bailliage de Langres.] 447 comme son législateur. Placez-vous, dans ce rang auguste au milieu des rois, vos ancêtres : brillez dans les fastes de votre monarchie de cet éclat que ne peuvent ternir les revers, que les révolutions des opinions ne peuvent altérer. Tous les siècles chériront en vous leur bienfaiteur, et votre mémoire adorée sera l’objet des bénédictions de toutes les générations. RÉFORMATION DES TRIBUNAUX INFÉRIEURS. Un autre abus de l’administration de la justice, qui cause de très-grands maux, et auquel Votre Majesté peut remédier promptement, est la multiplicité de tribunaux et d’officiers connus Sous différents noms, chargés de différentes fonctions, revêtus de différents pouvoirs, qui remplissent vos provinces. Il n’est pas rare de voir dans une ville, même peu considérable, un bailliage, plusieurs justices seigneuriales, une élection, une juridiction de grenier à sel, une autre de traites, encore une autre de la marque des fers, des juges-consuls, une maîtrise d’eaux et forêts, et chacun de ces tribunaux marche environné d’une multitude d’officiers subalternes. Et quelle est donc la malheureuse cause qui a eDgendré parmi nous Cette bigarrure de tribunaux si inutile, et par là même si dangereuse? Nous devons le révéler à Votre Majesté, l’esprit fiscal • ce malheureux esprit, qui corrompt tout ce qu’il approché, a atteint l’administration de la justice. Le besoin d’argent, devenant la règle de la création de ces tribunaux, l’avidité en a été la mesure. En multipliant à un tel excès les tribunaux, a-t-on pu espérer qu’ils se rempliraient, ou comment a-t-ou cru qu’ils se composeraient? Aussi, ne voit-on souvent, dans les uns, qu’un vide effrayant, et dans les autres qu’une composition plus effrayante encore. Quelle expérience, en effet, quelles lumières, quelles connaissances peut-on attendre d’hommes presque toujours oisifs, dévoués par leur état à manquer d’occupations, et qui ont rempli tous les devoirs de leurs charges quand ils ont consacré à leurs fonctions quelques heures dans une semaine? Ce sont les affaires qui forment, qui instruisent le magistrat, et il restera dans une ignorance humiliante pour lui et funeste au public, tant qu’il ne trouvera pas dans le noble exercice de ses devoirs un motif et un moyen continuel d’instruction. Aussitôt qu’un cultivateur commence à augmenter sa fortune par son industrie, l’ambition de posséder une charge le saisit, ou s’empare de son fils : il abandonne ses utiles travaux au moment où il serait en état de leur donner plus d’activité; et ses champs, que son aisance lui donnait les moyens de fertiliser, laissés à des laboureurs pauvres, restent condamnés à une culture médiocre. A la vanité de se voir décoré d’une charge, se joint l’intérêt de jouir des droits qui en dépendent. A ces nombreux offices sont attachés des privilèges, des exemptions qui soulagent les citoyens les plus aisés pour faire retomber sur le pauvre peuple le fardeau qu’ils devraient supporter. Tristes effets de celte multiplicité de tribunaux ! S’ils restent déserts, c’est au détriment de la justice qu’ils le doivent; s’ils se remplissent, c’est aux dépens des campagnes et de leur culture. Et cette désolante quantité d’officiers subalternes, que chacun de ces tribunaux traîne à sa suite, devient pour les malheureuses campagnes un fléau plus accablant encore : ils commencent par les dépeupler, ils finissent par les opprimer. Le jeune habitant de la campagne, qui croit se sentir quelque protection, entraîné par des idées de fortuné, court à la ville acquérir une demi-connaisSance d’affaires, bien plus dangereuse que la simplicité et l’heureuse ignorance auxquelles son état primitif l’avait destiné. De là, cette multitude de praticiens, qui, par passion, par ignorance, et surtout par intérêt, entraînent le pauvre peuple dans des procès éternels et le précipitent dans sà ruine. De là, ce nombre effréné d’huissiers, qui accablent encore de leurs vexations ce malheureux peuple, et dont les prévarications multipliées et variées presque à l’infini sont mises à l’abri de toute punition par la foi qui est due à leurs actes. Ce ne sont, Sire, ni des maux imaginaires que nous vous dénonçons, ni des plaintes exagérées que nous vous apportons. Votre Majesté sentira facilement que ces abus sont les conséquences naturelles de la multiplicité immodérée des tribunaux et de leurs officiers. Dans l’ordre supérieur nous ne connaissons que deux cours, auxquelles se relèvent tous les appels : vos parlements pour la justice ordinaire, et vos cours des aides pour les impôts ; et même, dans plusieurs provinces, une seule cour réunit les deux qualités, et remplit avec distinction l’une et l’autre fonctions. Dans l’ordre subalterne où les abus sont plus dangereux, parce qu’ils se glissent plus facilement, parce qü’ils sont plus éloignés des regards, parce qu’ils sont plus nombreux et plus de détail, parce qu’ils pèsent plus immédiatement sur la classe indigente, la même règle serait encore plus utile. Dans les villes principales , un tribunal jugerait les matières ordinaires, et un autre prononcerait sur les impôts. Dans les villes moins considérables, un seul tribunal suffirait aux deux objets : il en existe des exemples, et l’une et l’autre justice n’en est pas moins bien administrée. Prononcez, Sire, cette réformation si intéressante pour vos provinces. Les tribunaux, moins multipliés, seront mieux composés ; revêtus d’une juridiction plus étendue , ils deviendront plus instruits : ils imprimeront le respect et non plus la crainte. Ils établiront sur leurs subalternes, devenus moins nombreux , une surveillance exacte qüi les contiendra dans le devoir. Ce premier abus réformé, tous les autres abus, qui nuisent à l’administration de la justice , seront bientôt supprimés. Ces tribunaux eux-mêmes dissiperont les uns par leur équité, déféreront les autres à votre autorité : et bientôt la justice, reprenant dans tout le royaume son cours naturel, acquittera la dette et le vœu de Votre Majesté. LETTRES DE CACHET. Nous dénonçons à Votre Majesté, Sire, l’abüs d’autorité le plus redouté, et en même temps, le plus commun et le plus multiplié : ce sont ces lettres closes, ces ordres particuliers qui dépouillent un citoyen de sa liberté, sur la volonté d’un seul homme. Cet homme, Sire , n’est ni ne peut être Votre Majesté. Non, ce n’est point à leur souverain qu’imputent leur misère les malheureuses victimes au pouvoir arbitraire. Les gémissements douloureux qui sortent de leurs cachots, loin de vous accuser, vous implorent, ils réclament votre équité contre les actes dé violence qui vous ont été ou cachés ou dissimulés. C’est loin de vos regards que se fabriquent ces ordres absolus qui portent votre nom ; et lorsqu’ils vous sont présentés, fis vous parviên- 448 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Laugres.J nent revêtus de motifs spécieux, et environnés d’un détail de faits placés à une telle distance qu’il vous est impossible de les vérifier. Et ce qui est plus déplorable encore, c’est que ces coups d'autorité n’ont pas même toujours été l’ouvrage propre des ministres. Livrés eux-mêmes à des occupations trop multipliées, entraînés par un courant d’affaires qui absorbe tous leurs moments, trop souvent ils ont prêté une oreille facile à des délations qui empruntaient le caractère de la vérité ; trop souvent, ils ont confié à des subalternes, toujours plus susceptibles de corruption, le soin redoutable des informations. Cette négligence, moins coupable peut-être que l’abus personnel de l’autorité, est plus dangereuse encore en ce qu’elle abandonne la liberté des citoyens à plus de haines, de passions et d’intérêts. Votre Majesté serait effrayée du tableau qu’on pourrait lui présenter de tous les innocents plongés dans le séjour du crime à la voix de l’homme puissant ou favorisé, de tous les malheureux dont la punition, peut-être imméritée, a été aggravée, prolongée avec une dureté qui n’étant soumise à aucune règle, n’avait souvent de mesure que l’inimitié, de tous toux enfin (on se refuse à le croire), qui ont langui ou qui sont morts dans une longue captivité, uniquement parce qu’ils avaient été oubliés ! Ah ! si la bonté, si la sagesse, si toute la pénétration d’un monarque ne peuvent le garantir de voir son auguste nom devenir le signal, le prétexte de tant d’injustices, combien doit peser à son cœur ce droit si terrible pour lui-même qui l’expose à d’inévitables surprises ! Puisqu’il n’a pas la force d’empêcher les abus de ce fatal pouvoir, il ne lui reste plus qu’un ressource : c’est d’avoir le coulage de l’abdiquer. Mais, Sire, ce ne sont pas seulement des abus que nous reprochons aux emprisonnements arbitraires, c’est leur injustice radicale. En entrant dans la société, l’homme sacrifie une partie de sa liberté naturelle, et par un juste retour la société lui garantit la conservation de ce qui lui en reste. C’est un pacte entre l’Etat et le citoyen, et la loi est placée entre l’un et l’autre pour le faire observer. La protection des lois est le prix de la soumission aux lois; ce n’est que par l’autorité de la loi, d’après les dispositions de la loi, selon les formes de la loi, que le citoyen peut être privé de la liberté que la loi lui assure, et de même que le sujet pèche envers la société lorsqu’il abuse de sa liberté en enfreignant la loi, de même la société se rend coupable envers le sujet lorsqu’elle le dépouille de sa liberté au mépris de la loi. Que sur ces principes si clairs et qui sont la base de tout état social, Votre Majesté daigne juger ce que sont, aux yeux de l’équité naturelle, ces ordres absolus, qui, émanant d’un seul homme, ne sont ni soumis à des règles, ni dirigés par des formes. En unissant nos voix au cri général qui s’élève de toutes les parties de ce royaume contre ces proscriptions illégales, nous devons, Sire, prévenir Votre Majesté des obstacles qu’elle trouvera à leur suppression. Au moment où, se livrant à la bonté, à la droiture de son cœur, elle se préparera à prononcer l’arrêt de leur anéantissement, elle entendra répéter autour d’elle que cet exercice absolu de l’autorité sert à soutenir l’ordre public; que, s’il fut primitivement un abus, cet abus est devenu utile à l’honneur et à la sûreté des familles, au maintien de la police et à l’administration même de la justice criminelle : et ce qui rend ces étranges assertions plus imposantes, c’est qu’elles renferment quelque vérité. Que Votre Majesté, Sire, ne soit point arrêtée par cet aveu; qu’il n’ébranle pas la généreuse résolution de rendre à votre peuple sa liberté : il doit, au con-tra’>e, vous montrer le danger des abus. En s’invétérant, non-seulement ils se multiplient, ils s’accroissent, ils se fortilient, mais même ils se mêlent aux choses les plus utiles, et s’incorporent à l’ordre public, et c’est là le plus haut période de leur danger : ils ne sont jamais plus funestes que lorsqu’on en retire quelque avantage ; le bien passager qu’ils opèrent devient à la fois et le prétexte de tous les maux, et l’obstacle à toute réformation. Votre pénétration, Sire, vous garantira de cette illusion; elle saura distinguer ce que sollicite l’ordre public et ce que réclame la liberté civile; et elle vous indiquera les moyens de concüi r ces deux grands intérêts. En supprimant ces ordres absolus, attentatoires à la liberté des citoyens, vous les remplacerez par des formes légales et tutélaires. Ainsi vous compléterez votre bienfait; car nous devons vous le déclarer, Sire, il restera imparfait, si, rendant à vos peuples toute la liberté que les lois leur promettent, vous abandonnez la tranquillité publique en proie aux ravages de la licence. Les partisans intéressés du pouvoir arbitraire, si habiles à profiter de tous les avantages qu’on leur laisse, sauront tirer parti des désordres qui éclateront de toutes parts; ils les exagéreront encore, et peut-être dans des jours malheureux leurs murmures et leurs réclamations auraient la force de ramener le déplorable abus des emprisonnements arbitraires. Imposez, Sire, un silence éternel à ces dangereuses déclamations : anéantissez pour jamais tous les prétextes qu’on pourrait employer pour redemander ce redoutable fléau, et que votre sagesse consomme l’ouvrage de votre justice. Nous osons, Sire, vous proposer deux moyens de prévenir les inconvénients qu’entraînera la suppression des lettres de cachet, et de remplir le vide qu’elles laisseront dans l’administration de la justice et de la police. J�e premier est de confier cette justice sommaire, qui assure la tranquillité publique, à un tribunal régulier et légal. Le second est d’assigner à ce tribunal ses fonctions précises, de circonscrire ses pouvoirs, en sorte qu’il ne puisse en abuser, ni prolonger injustement une -détention. Le premier de ces moyens rendra légal un pouvoir jusqu’à présent contraire à la loi. Un tribunal sollicité par la nation, établi par Votre Majesté, aura tous les caractères qui concilient la confiance et le respect ;et ses arrêts, formés avec maturité, dictés à la pluralité des suffrages, ne porteront plus l’empreinte redoutée d’ordres arbitraires et de volonté privée. Votre Majesté assurera à ce tribunal cette confiance si nécessaire pour l’exercice de ses fonctions, si elle veut bien consentir à nommer ses membres sur la voix publique, et permettre qu’à chaque vacance les trois ordres de ses Etats assemblés lui présentent un certain nombre de sujets, entre lesquels elle déterminera son choix. Il serait à désirer, sans doute, qu’un tribunal qui statue sur la liberté des citoyens, même provisoirement, pût être nombreux: une plus grande quantité de suffrages répand plus de lumières, engendre plus de réflexions, et assure plus de justice. Mais Votre Majesté voudra bien considérer qu’il est de l’essence d’un tel tribunal d’être le dépositaire de la confiance publique ; les secrets les plus intimes des familles lui seront [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.] 419 confiés. On arrêterait cette confiance si précieuse, en la répandant sur trop de personnes ; beaucoup de familles aimeraient mieux dévorer en silence leur malheur, et s’exposer à de plus grands malheurs encore, que d’aller dévoiler leur honte à un grand nombre de citoyens. D’après cette considération, nous pensons que Votre Majesté jugera convenable de rendre peu nombreux le tribunal qu’elle substituera à ses ministres dans l’exercice de cette justice sommaire. Il nous paraît aussi singulièrement important que les membres de ce tribunal ne soient pas tirés d’un même corps, et attachés à une seule compagnie, mais que Votre Majesté ordonne de les choisir indistinctement dans tous les ordres, dans toutes les classes de ses sujets. Les matières qui seront soumises à leur juridiction n’exigent pas une connaissance profonde de la législation; l’honneur, la probité, voilà les titres qui doivent déterminer les choix. Et combien ne deviendrait pas redoutable à la liberté publique un corps revêtu du pouvoir exclusif de composer le tribunal qui disposera provisoirement de la liberté des citoyens, surtout si c’était une de ces compagnies dont la fonction est de les juger définitivement ! La réunion de ce double pouvoir d’emprisonner sommairement, et déjuger souverainement, exposerait à des abus plus grands peut-être, mais cer-iai nementplus irrémédiables que ceux qui existent aujourd’hui. Il sera utile, au contraire, que le nouveau tribunal jalousé par vos cours de justice soit sans cesse surveillé parleur rivalité. Mais, Sire, en vain Votre Majesté remettrait à un tribunal régulier l’exercice de cette justice trop longtemps confiée à des particuliers ; en vain, elle composerait ce tribunal de membres vertueux, exempts à la fois et des passions personnelles et de préjugés de corps, de personnes que la voix publique y aurait appelées, et que la confiance de la nation aurait désignées à la vôtre : l’erreur si naturelle à l’humanité, une sorte de négligence qui gagne insensiblement les corps même les mieux composés, l’attrait du pouvoir, l’amour môme du biem une multitude d’autres causes qu’il est impossible de prévoir, ramèneront tôt ou tard des abus, à moins que Votre Majesté ne s’empresse de les prévenir, en assujettissant strictement ce tribunal à des formes, et en lui décrivant un cercle de fonctions dont il ne puisse s’écarter. Dans toutes les circonstances où le nouveau tribunal aura à prononcer provisoirement l’emprisonnement de quelque citoyen, trois précautions paraissent nécessaires pour empêcher cette détention d’être injustement infligée ou prolongée au delà du terme de l’équité. La première, que jamais aucun emprisonnement, demandé par des particuliers, ne soit prononcé que sur une requête de plaintes qui contienne tous les faits et toutes les preuves, etquinesoit signée des parties intéressées. bette première formalité arrêtera une multitude de demandes ; elle donnera au moins les moyens de réparer les surprises, en présentant une partie civile responsable de l’événement, et qui pourra être condamnée à des dommages-intérêts. La seconde, qu’immédiatement après la détention, et au plus tard dans les vingt-quatre heures, le détenu soit interrogé ; et nous ne parlons point ici de cet interrogatoire frivole qu’il est d’usage de faire subir aux prisonniers d’Etat, sur leur nom, leurs qualités, et quelques autres circonstances indifférentes aux causes de leur détention. Nous vous demandons un interrogatoire dirigé sur la plainte, où tous les faits qui ont mo-1" SÉRIE, T. III. tivé la détention soient présentés à l’accusé, afin qu’il les avoue ou les dénie; où toutes les preuves qui ont été proposées soient remises sous ses yeux, en sorte qu'il ait la faculté d’y répondre. Nous désirons que les questions et les réponses recueillies en bonne forme soient reportées au tribunal qui, sur leur inspection, révoquera ou confirmera l’arrêt de l’einprisonne-ment. Enfin, la troisième précaution est que le détenu, instruit, par son interrogatoire, des faits et des motifs qui lui sont objectés, puisse toujours appeler de la sentence du tribunal a Votre Majesté et à son conseil. La facilité de ce recours maintiendra une vigilance scrupuleuse ; il préviendra les surprises, ou, en tout cas, les réparera. Autant est dangereux dans les ministres le droit arbitraire de dépouiller les citoyens de leur liberté, autant réunit d’avantages le pouvoir de modérer la rigueur des emprisonnements : il serait précieux quand il ne ferait que préparer à Votre Majesté les moyens d’exercer le plus bel attribut de la royauté, celui qui vous est le plus cher, le droit de faire grâce. Les occasions où il peut être utile de s’assurer, sans les formes compliquées de la justice ordinaire, de la personne d’un citoyen, peuvent se rapporter à trois points principaux : l'honneur et la sûreté des familles, le maintien de la police, et l’administration de la justice criminelle. Les familles peuvent avoir un juste intérêt à réclamer cette justice sommaire dans deux circonstances. L’autorité paternelle, la première, la plus juste, la plus utile de toutes, celle qui fut elle principe et le modèle de toutes les autres, et que les lois des peuples les plus sages avaient encore considérablement exaltée, l’autorité paternelle est resserrée par notre législation et par nos mœurs dans des limites trop étroites; elle expire avec l’enfance et la première éducation ; l’entrée dans le inonde (et nos usages ont beaucoup avancé cette époque) est le moment où commence la liberté : ainsi, cet âge si emporté n’est soumis à aucun frein. A la facilité, à la légèreté, à l’indocilité de la jeunesse, aux passions qui l’entraînent, aux conseils qui la séduisent, aux exemples pervers qui l’égarent, la tendresse paternelle 11’a d’autres barrières à opposer que les exhortations et les remontrances. 11 est important, Sire, pour le maintien des mœurs, pour la sûreté de la société, pour l’intérêt même de la jeunesse, de conserverie moyen de la ramener de ses premiers égarements par d’utiles corrections; et en prévenant de plus grands désordres, de s’épargner la douleur d’avoir un jour à la punir plus sévèrement. En fortifiant l’autorité des parents trop affaiblie parmi nous, le nouveau tribunal aura quelquefois à tempérer leur trop grande rigueur; car souvent la tendresse paternelle rebutée s’irrite; elle n’est pas toujours et juste et modérée. et alors elle-même a besoin a’étre ramenée. Il sera aussi nécessaire de régler cette justice correctionnelle, de déterminer l’âge quiy sera soumis, de diriger les punitions de manière qu’elles n’aggravent pas les défauts qu’elles doivent réformer, de ne plus reléguer la facilité du caractère à côté du vice, ni renfermer l’indocilité au milieu des mauvais conseils. Cette police, qui doit être maintenue, a besoin, en même temps,, d’être régénérée et soumise à des principes sages et constants qui ne peuvent être mieux établis que par un tribunal régulier, intègre, éclairé et expérimenté. La seconde circonstance où il est important d’ouvrir aux familles le recours au tribunal chargé 29 480 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.J d’opérer la tranquillité publique par la détention ceux qui la toùblent, est celle où les familles /es-mêmes dénoncent des crimes soumis à des peines afflictives et qui seraient inconnus sans elles; il semblerait, Sire, que la justice que vous; exercez dans vos cours dût suffire à l’ordre public, et qu’il ne dût y avoir aucune tête assez élevée pour pouvoir se soustraire à lîautorité souveraine que vous communiquez aux dépositaires de vos lois; mais la justice ne peut atteindre que les crimes qui lui sont prouvés. Nos moeurs donnent, aux familles un intérêt puissant à étouffer la connaissance ou la preuve des crimes de leurs membres, et la richesse et le crédit en fournissent toujours les moyens. Et même, dans les régions où le préjugé moins rigoureux ne fait pas rejaillir sur les familles la flétrissure attachée aux criminels,' on ne voit punir dans Les hommes riches ou puissants que les crimes très-éclatants qu’il est impossible de dissimuler. Un sentiment de pitié et une honte qui ne tient pas entièrement au préjugé., renferment daris l’intérieur des familles la connaissance des délits qui s’y commettent et font soustraire la preuve des fautes. La richesse paye des dépositions et achète le silence; la puissance séduit, corrompt, et le crime le plus constant s’atténue et disparaît dans les informations. Votre. Majesté, dans la plénitude de son autorité, n’a pas le remède à cet abus; votre justice sdra toujours incomplète, tant que la classe des citoyens qui a tant de moyens pour soustraire les criminels au châtiment, y conservera de l’intérêt. Ce n’est donc pas pour le bien particulier des familles, c’est pour celui de la sûreté entière que nous vous supplions, Sire, d’ôter aux familles ce funeste intérêt; de les intéresser même à la dénonciation des délits en ordonnant une punition qui soit sans bonté : il se formera un contrat autorisé entre elles et la société ; et la dénonciation qu’elles feront d’un criminel les sauvera de l’opprobre d’une exécution publique. Nous sentons, Sire, que ce pouvoir donné au nouveau tribunal peut faire redouter des abus. On pourra craindre qu’ils ne deviennent le prétexte de quelques oppressions ; mais nous croyons que Votre Majesté a dans sa sagesse des moyens faciles de dissiper jusqu’aux moindres alarmes, elle pourrait ordonner : Que jamais, et dans aucun cas, le tribunal établi par elle ne connût des affaires dont se seraient saisis les tribunaux ordinaires; Que, s’agissant d’une peine qui peut devenir définitive, il fût astreint à procéder, non plus sommairement et dans ses formes ordinaires, mais dans: les formes régulières des autres tribunaux. Qu’il fût accordé à l’accusé un conseil à son qhoix, au moment où la plainte lui serait communiquée, pour le diriger dans ses défenses; et qnfin, ce qui garantirait la justice de l’arrêt et rassurerait plus efficacement que toute autre précaution contre les vexations, qu’immédiatement après le jugement qui aurait infligé une détention à temps ou à perpétuité, selon la nature au délit et pendant l’espace d’un mois, indépendamment de l’appel à votre conseil dont nous avons parlé, le condamné fût libre de réclamer la justice ordinaire, et de.demandèr son renvoi devant les cours; pour y être jugé de nouveau, et que son conseil pût encore éclairer cette détermina� tion. Nous. pensons qu’il doit être fixé un terme à. cette, réclamation, pour qu’elle se fasse pendant que les preuves subsistent encore dans toute leur force. 11 serait contre la justice qu’un criminel pût, après la mort des témoins qui l’ont fait condamner, revenir contre son jugement, accuser à la fois ses juges et ses parents, attirer le blâme sur les uns, et réclamer contre les autres des dommages et intérêts. Moyennant ces salutaires précautions, tous les droits sont à couvert, tous les intérêts en sûreté. Nous dirons même plus : il n’y a pas une partie à qui ce nouvel ordre de choses ne procure ces avantages. Le criminel est puni plus doucement qu’il n’aurait mérité de l’être, et il reste libre de provoquer un nouveau jugement, s’il se croit lésé ; la famille goûte la satisfaction de n’être plus exposée aux attaques d’un sujet vicieux ou à la honte de son supplice; la société est délivrée d’un membre dangereux qu’elle aurait conservé et qui serait devenu d’autant plus redoutable qu’il serait resté plus longtemps méconnu; votre justice a sa victime qui lui aurait été soustraite, et votre humanité jouit d’avoir épargné un châtiment cruel. Le maintien de la police dans les grandes villes, et surtout dans la capitale, est un second objet qui demande une justice expéditive. Soumettre cette police aux formes lentes de la justice ordinaire, ce serait l’anéantir; chaque moment apporte une affaire nouvelle, chaque fait exige une décision tranchante. Dans l’état actuel, la police de Paris se fait presque entièrement par des ordres absolus. On a trouvé plus facile de présenter à chaque occasion l’appareil redouté de l’autorité suprême, que de former une législation qui aurait gêné le pouvoir arbitraire, et qui aurait aussi éprouvé de fortes contradictions. Ainsi, le nom auguste de Votre Majesté est sans cesse employé pour les objets les plus minutieux; il sanctionne des ordres rigoureux dont jamais la connaissance ne vous parvient, qui sont ignorés du ministre qui les expédie, et que quelquefois même le lieutenant de police, qui les distribue, est forcé de donner sur des rapports qu’il ne peut vérifier par lui-même. Votre Majesté sent déjà combien d’inconvénients ont dû nécessairement résulter d’une forme aussi vicieuse, et sa justice alarmée va s’empresser de l’anéantir. Mais, pour supprimer l’abus serait-il nécessaire de détruire la police qui l’occasionne? Serions-nous dans l’affreuse alternative de gémir sous l’oppression des lettres de cachet, ou de trembler sans cesse devant le vice, libre désormais de tout frein ? Sire, nous demandons à votre sagesse des remèdes communs à tous ces maux : nous redoutons l’autorité arbitraire, mais nous respectons, nous chérissons l’autorité salutaire qui nous protège par des formes légales ; nous sommes jaloux de notre : liberté, mais nous détestons la licence aussi ennemie de la vraie liberté que peut l’être le despotisme . Que d’autres nations se glorifient d’une administration qui n’impose aucun frein, qu’elles vantent, comme des preuves de leur extrême liberté, les désordres et les attentats qui violent journellement la tranquillité et la sûreté publiques. Nous voulons être soumis à ce joug tutélaire qui ne pèse que sur les méchants, et pour être tous véritablement et entièrement libres, nous désirons que personne ne soit libre de troubler l’ordre public. Garantissez-nous, Sire, de l’excès de la liberté, de; la liberté du vice.: continuez de lui opposer la barrière d’une police exacte, mais, en même temps, .repoussez loin de cette police tous les abus, en la soumettant à des formes assez sûres pour qu’elle ne devienne point oppressive, assez expéditives pour qu'elle .conserve son activité. /États f"»n. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, (Bailliage de Langres.] A§{ Nous pensons que le tribunal, dont iious avons préparé l’établissement à Votre Majesté, est propre à remplir à la. fois toutes ces vues. Le lieutenant général de police pourra s’y adresser dans tous les cas où il recourrait à vos ministres : il y viendra siéger, et il opinera dans toutes les affaires qu’il y aura apportées. Les membres du tribunal seront guidés par ses réflexions, l’éclaireront lui-même de1, leurs lumières. La détention ou le bannissement, qui sont les peines ordinaires de la police, seront toujours précédés de formes simples, mais suffisantes, et suivis d’un recours facile à votre conseil : ainsi la marche rapide et expéditive lui sera conservée, et tous ses abus seront ou prévenus, ou subitement réparés-, et ce que nous vous proposons pour la police de la capitale , peut être facilement appliqué aux grandes villes de vos provinces. Enfin, ces formes sommaires pour la détention des citoyens sont encore nécessaires parmi nous pour l’administration de la justice criminelle; et ce qui prouve incontestablementt cette vérité , c’est que les dépositaires des lois eux-mêmes , et spécialement les magistrats chargés duministère public, sollicitent souvent des ordres absolus pour l’emprisonnement des accusés. Etranges imperfections de notre législation! En même temps qu’elle est si terrible aux prévenus, si injuste même contre eux, elle leur donne le moyen certain et facile de se mettre à l’abri des poursuites ! Ce n’est qu’à travers la lenteur et la publicité presque inévitables des formes de l’information et du décret, que l’on peut régulièrement s’assurer de la personne d’un accusé; et cet accusé, presque toujours averti par les mouvements qui se font, par des avis particuliers, par sa conscience, a le temps de se soustraire aux recherches, et de mettre entre lui et la justice un intervalle qu’elle ne peut franchir. Cet inconvénient est, sans doute, un de ceux que votre justice s’occupera de réformer. Il peut l’être sûrement, puisqu’il n’existe pas dans d’autres nations jalouses à l’excès de leur liberté. Mais la réforme des lois est lente, et le mal exige un remède continu. Ce remède ne peut plus être celui qu’on a jusqu’à présent employé, le recours à l’autorité absolue : le pouvoir arbitraire serait trop redoutable, surtout combiné avec le pouvoir judiciaire. L’oppression ne sera jamais plus funeste, plus irrémédiable que lorsqu’elle saura se revêtir de formes. 11 est donc nécessaire provisoirement, et en attendant que notre législation criminelle rectifiée puisse sé suffire à elle-même, de suppléer à ce qui lui manque d’une manière régulière, c’est-à-dire par la voie d’un tribunal; mais il est également nécessaire de prévenir les abus que ce tribunal lui-même pourrait commettre. Outre les précautions générales que nous avons déjà proposées, nous pensons que, dans le cas, on pourrait imposer deux formalités qui atteindront avec sûreté le but désiré. La première, que le tribunal ne pût prononcer la détention d’un citoyen pour l’administration de la justice criminelle, que sur la demande par écrit, motivée et signée d'un des magistrats revêtus du ministère ublic. La seconde, que peu de temps après la étention opérée, immédiatement, après le décret prononcé contre le détenu, et au plus tard un mois après l’emprisonnement, il fût remis à ses juges naturels, et transporté dans les prisons ordinaires. Si lé décret n’était pas prononcé dans le mois après la détention, le prisonnier recouvrerait la liberté : par là sera prévenu tout abus, toute collusion entre les tribunaux, et vous assurerez tout à la fois à la justice son exercice. aux citoyens leur liberté. 11 est un ordre de malfaiteurs tellement redoutable à la société, que toute nation policée doit les rejeter : leur punition intéresse l’humanité entière, et les souverains sont convenus de leur refuser tout asile. Cette justice qui appartient au droit général des nations, doit, par toutes sortes de raisons, être maintenue; mais son exercice ne peut pas être confié aux tribunaux ordinaires qui ignorent les traités sur lesquels elle est établie; elle exige, d’ailleurs, des formes sommaires qui ne laissent point aux coupables le temps de se soustraire aux poursuites; mais enfin toute détention exige des formes , et l’abus est trop voisin du pouvoir, pour qu’il ne soit point nécessaire de placer, entre l’un et l’autre, des formalités qui préviennent la surprise et arrêtent la vexation. Votre Majesté y pourvoira efficacement, en ordonnant que le tribunal ne puisse prononcer un emprisonnement pour ce motif, que sur la demande motivée et signée du ministre de la puissance qui réclamera, et qu’im-médiatement après sa détention, le coupable soit transféré sur la frontière, et remis aux mains qui doivent en disposer. Nous avons cru, Sire, devoir étendre et développer cet arlicle de nos doléances. Il s’agissait de concilier deux intérêts qu’une politique, aussi fausse que dangereuse, s’est trop longtemps efforcée de mettre en opposition, l’autorité légitime et la liberté civile. Loin d’être opposées entre elles, elles se donnent un appui mutuel : la liberté sera continuellement violée, si elle n’est défendue par l’autorité; l’autorité s’égarera et dégénérera en despotisme, dès qu’elle cessera de protéger la liberté : l’autorité, en réprimant les violences qui troublent la liberté, en est le rempart le plus puissant; et la liberté, en attachant les citoyens à l’autorité, devient son plus ferme appui. C’est à vous, Sire, c’est à vos mains puissantes qu’a été confié ce double dépôt. Nos pères l’ont remis à vos ancêtres : ils ont voulu qu’il passât de génération en génération à l’auguste race de Votre Majesté pour leur bonheur, pour le nôtre, pour celui de la postérité qui nous remplacera. Accomplissez leur vœu, qui est en même temps celui de votre cœur ; que la main bienfaisante gui a déjà rompu les entraves de la servitude, brise le joug plus intolérable encore des lettres de cachet ; repoussez les perfides conseils qui vous présenteraient la diminution de votre autorité dans la destruction de ce funeste abus : ce sont eux, ce sont ces conseillers dange reux qui ont intérêt à la conservation de ces ordres absolus qu’ils distribuent au gré de leurs passions et de leurs intérêts. Mais vous, Sire, vous, si au-dessus de tous ces intérêts particuliers, quelle satisfaction personnelle peut vous procurer Pexercice de ce redoutable pouvoir? Les malheu reuses victimes qu’il va frapper sont si éloignées de vous, que souvent vos regards mêmes ne les ont jamais atteintes 1 Le seul intérêt de votre per sonne, le seul qui puisse vous inspirer des désirs, car la Providence vous a donné tout le reste, c’est que votre autorité soit respectée, bénie, chérie; qu’elle ne soit plus l’objet des murmures, le prétexte des plaintes. En la rendant plus chère, vous la rendrez aussi plus stable : la justice dés rois et l’amour des peuples sont les fondements les plus solides. ARRÊTS DE SURSÉANCB. En même temps que le despotisme ministériel 452 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Lam'res.] violait la liberté des citoyens par les lettres de cachet, il attaquait leurs propriétés par les arrêts de surséance. La postérité aura peine à croire qu’un tel abus ait existé dans un siècle éclairé, et sous des princes amis de la justice. L’autorité est établie parmi les hommes pour faire rendre à chacun ce qui lui est dû. Par quel renversement de principes a-t-elle compté entre ses droits la dispense ou le délai de payer ce que l’on doit ? Nous ne nous étendrons pas pour prouvera Votre Majesté que c’est une injustice et une atteinte formelle à la bonne foi d’altérer le contrat inviolable du débiteur avec son créancier ; que c’est une vraie banqueroute dont le gouvernement devient le fauteur et le complice, et qu’en l’autorisant, ü se rend responsable de toutes les autres banqueroutes qu’elle entraînera. Le sort d’un grand nombre d’honnêtes et d’utiles négociants est donc abandonné aux volontés absolues d’un seul ministre ; car, en vain les distributeurs de ces terribles arrêts prétendraient-ils se couvrir de l’autorité imposante de Votre Majesté et de son conseil des dépêches ; ni vous, Sire, ni votre conseil n’avez le temps et les moyens de vérifier les faits, de discuter les titres. Obligé de vous en rapporter aux lumières d’un seul homme , vous n’avez aucune défense contre ses préventions , contre ses négligences, contre ses complaisances, contre ses erreurs , contre ses prévarications. Votre Majesté ne doit donc pas être étonnée de la scandaleuse multiplicité de ces arrêts distribués sans règle et sans mesure. L’abus est parvenu au point que l’on a vu des hommes accrédités, bravant sous leur protection toutes les poursuites, faire des surséances le moyen de leur subsistance et le soutien de leur luxe. Quels purent donc être les motifs dont on s’autorisa, lorsque , pour la première fois , on osa faire, dans le conseil des rois, l’étonnante proposition des arrêts de surséance? Plus au premier aperçu un vice révolte la raison, plus on est tenté de penser qu'il a fallu, pour l’introduire, présenter l’apparence d’un grand bien, et plus on s’efforce de rechercher quel est cet intérêt public que l’on a cru pouvoir unir à un abus aussi funeste. Et cette recherche, Sire, n’est pas inutile. En supprimant un abus, il importe de connaître toutes ses branches, pour les retrancher ; tous les prétextes dont on l’a coloré, pour les confondre ; tout le bien qu’on a voulu en faire découler, pour le procurer d’une manière légitime. L’usage des arrêts de surséance n’a jamais été ni pu être justifié que par deux motifs, et dans deux circonstances. La première, lorsque c’est par le fait de l’administration, qu’un particulier est réduit à l’impuissance de satisfaire ses créanciers ; la seconde, lorsque l’on craint que la longueur et les frais de la justice ordinaire n’absorbent les fonds de la libération, et n’altèrent le gage des créanciers. Les entreprises et les fournitures qui se font pour le service de Votre Majesté mettent presque toujours ceux qui en sont chargés dans le cas de contracter une double obligation; l’une active envers votre trésor royal qui s’engage à leur fournir des fonds à des époques déterminées, l’autre passive envers les particuliers qu’ils doivent payer à leur tour. Us se trouvent être à la fois créanciers de l’Etat, débiteurs du public. Mais tel a été depuis bien longtemps le vice de l’administration, qu’en contractant des engagements trop multipliés, elle se mettait sans cesse dans l’impossibilité de les remplir. Ainsi , les malheureux fournisseurs, placés entre un débiteur qui ne les payait point, et des créanciers qui les pressaient, restaient exposés à toutes les rigueurs des poursuites et à une ruine inévitable, uniquement pour avoir pris confiance dans les promesses du ministère. Dans cette position, l’autorité a regardé comme un acte de justice de venir au secours de ceux qu’elle avait exposés. Telle est la chaîne fatale des abus : p.arce que l’administration manque à ses engagements, elle fait violer ceux que les particuliers ont pris entre eux, et pour ne pas tromper celui envers qui elle s’est obligée, elle abuse tous ceux qui ont traité avec lui. Nous supprimons. Sire, la multitude de réflexions que fait naître une pareille infraction de tous les droits, une pareille violation de tous les contrats, parce qu’il est une observation qui tranche toutes les autres, et qui les rend désormais superflues. Le nouvel ordre de choses que Votre Majesté va établir, fera disparaître pour jamais ce prétexte aux arrêts de surséance. Lorsque les Etals généraux auront réglé l’administration des finances, déterminé tous les objets de dépense, assigné à chacun les fonds correspondants, et posé des règles invariables qu’aucun ordonnateur n’osera enfreindre, alors, Sire, on ne redoutera plus ce terrible danger de voir le gouvernement manquer à ses engagements ; alors, tranquilles sur ses promesses, le négociant, le banquier se livreront avec sécurité à leurs entreprises; alors, ils n’exigeront plus des conditions aussi onéreuses, parce qu’ils ne feront plus entrer dans leurs spéculations le risque des délais ou des refus de [payement. Et tous ces biens, tous ces avantages vont résulter du seul rétablissement de l’ordre. Le second motif dont on a prétendu colorer ces actes illégaux présente quelque chose de pins spécieux. On ne peut se dissimuler que des arrêts de surséance ont pu, par le temps qu’ils ont accordé, empêcher la ruine de quelques familles et assurer le payement de leurs créanciers. Notre procédure est embarrassée de tant de longueurs, surchargée de tant de frais, qu’il est presque impossible d’obtenir des tribunaux ora inaires la libération d’un citoyen. Un seul créancier de mauvaise foi ou de mauvaise humeur, ou, ce qui est infiniment plus commun et ce qui se rencontre presque toujours, un seul procureur intéressé et exercé dans les ruses odieuses du palais, suffit pour arrêter la bonne volonté du tribunal. Des chicanes toujours renaissantes, qui toutes exigent des jugements particuliers et des écritures multipliées qu’il faut payer à grands frais, absorbent le patrimoine du débiteur, et dissipent le gage d$s créanciers. Ainsi, le recours à la justice, qui devrait, dans tous les cas, être le salut des citoyens, devient une cause infaillible de ruine, malgré les meilleures intentions des juges, et contre l’intérêt même de ceux qui s’adressent à eux. C’est cet abus de la justice, Sire, qui a entraîné l’abus de l’autorité. Habiles à profiter des circonstances pour tout attirer à eux et pour accroître leur pouvoir, les ministres ont imaginé de mettre votre conseil des dépêches à la place des tribunaux, et d’y rendre, sans procédure et sans frais, des arrêts, qui, suspendant les poursuites trop ardentes des créanciers, donnassent aux débiteurs le temps de leur satisfaire. Quelquefois, nous l’avouons, il a pu résulter une libération plus facile, plus prompte, et le salut commun des créanciers et des débiteurs; quelquefois, aussi, cette administration a été soumise [Eialsgén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.] 453 à quelques principes. Pour accorder des arrêts de , surséance, on a demandé le consentement du plus grand nombre des créanciers, on a exigé * rengagement de payer, pendant le temps de Ja surséance, une somme quelconque de dettes. On a vu même, dans certains temps, établir des règles strictes, des communications, des examens sévères, mais qui disparaissaient avec les administrateurs qui les avaient ordonnés. Ainsi, c’est .toujours le pouvoir arbitraire qui distribue ces redoutables arrêts, et l’usage plus utile qui a pu en être fait par quelques ministres, ne lés absout Êas de ce vice radical. Pour le taire sentir à Votre Majesté tel qu’il est, nous la supplions de nous permettre quelques observations. Pour unir une idée de justice à celles des arrêts de surséance, il faudrait que ces arrêts pussent être, non des coups d’autorité frappés à la demande des hommes accrédités, mais des transactions amiables passées entre les diverses parties sur la médiation de la puissance publique; il faudrait que cette puissance, impartiale entre les intéressés, eût pour but l’avamage de tous; qu’elle recherchât l’intérêt des créanciers autant que celui des débiteurs; que sa fonction fût celle d’un ami comnn n,qui vient s’interposer entre les uns et les autres, ou l’action d’un père de famille qui se met à la tête des affaires de son lils, et dont l’intervention inspire la confiance aux créanciers; il faudrait enfin que ses jugements contentassent egalement les parties opposées, c’est-à-dire le débiteur, d’une part, et de l’autre, le plus grand nombre des créanciers, en sorte qu’on n’entendît les plaintes que d’un petit nombre de créanciers déraisonnables, ou de quelque praticien avide. A ces conditions, les arrêts de surséance deviennent utiles et même équitables : ils rendent, non-seulement facile, mais encore, dans beaucoup de cas possibles, d’une part la libération du débiteur, de l’autre, le remboursement du créancier, et conservant ainsi tous les droits, ils les garantissent des ruses de la chicane et des atteintes de la justice. Mais, pour parvenir à ce but si désirable, il est nécessaire que le juge qui prononce l’arrêt de surséance prenne une connaissance complète de toutes les affaires du débiteur, qu’il discute toutes les parties de sçn revenu, qu’il examine, dans le plus grand détail, ses charges et ses engagements, qu’il connaisse le titre, la nature, l’étendue, l’or-Üre de chaque créance, et que, d’après cette étude Approfondie, il s’assure que l’usage du délai qu’il va accorder sera d’opérer la libération. Mais ce travail si long, si minutieux, a-t-on jamais pu imaginer qu’il serait véritablement effectué par un secrétaire d’Etat, déjà surchargé d’un si grand nombre d’affaires? A-t-on même pu croire qu’il serait fait par son premier commis, entraîné aussi par uu courant immense ? Nous le dirons hardiment à Votre Majesté : de tous les hommes, ceux qui sont le moins propres à être chargés de prononcer les arrêts de surséance, ce sont les ministres d’Etat, parce qu’ils doivent être les hommes les plus occupés, parce qu’ils sont placés au centre de la faveur, et sans cesse exposés à la tentation d’accorder des grâces, enfin parce que le nom imposant de Votre Majesté couvre toutes leurs erreurs et les rend irrémédiables. Et pourquoi, si les arrêts de surséance sont justes, sont-ils devenus des grâces? Sire, tous vos sujets ont un droit égal à votre justice; pourquoi faut-il, pour y participer, avoir accès auprès des ministres ? Par quelle loi le citoyen obscur, relégué dans le fond d’une province, doit-il être soumis, pour la liquidation de ses dettes, aux longueurs et aux frais d’une procédure, tandis que l’homme qui peut se procurer quelque crédit auprès des ministres ou de leurs commis, trouve le moyen de s’y soustraire? Ils seraient équitables ces arrêts, s’ils étaient le bien commun de tous les citoyens, et non le privilège particulier de quelques-uns ; s’ils étaient rendus par des tribunaux réguliers, responsables de leurs jugements, et obligés à l’impartialité. Mais lorsque tout particulier n’a pas ou le droit ou les moyens de les demander, lorsqu’ils sont confiés à des hommes puissants, jaloux du pouvoir, intéressés à faire des créatures, lorsqu’ils se fabriquent dans le secret et loin des regards publics, il est comme impossible qu’ils ne soient des objets de faveur; et dès lors iniques dans leur principe, ils le deviennent bientôt davantage par l’usage que l’on en fait. L’abus est trop facile, trop attrayant, trop sollicité, pour qu’il ne s’introduise pas incessamment. Tel est donc le vice majeur des arrêts de surséance. Le principe de tout le mal, l’obstacle à tout remède, c’est que l’administration s’en est emparée, et que ce sont les ministres qui les distribuent. Ceux que les tribunaux ordinaires prononcent sont exempts de tous ces inconvénients. Mais, il faut l’avouer, Sire, il est rare de voir sortir de vos cours de justice de pareils arrêts, et nous sommes bien éloignés d’en faire un reproche à nos magistrats. Si, de tous les genres d’affaires, le plus ruineux est l’ordre des créanciers, ce tort est celui de notre législation, trop favora� ble aux ministres subalternes de Injustice, et qui n’a pas pris assez de précautions contre leur rapacité. D’ailleurs. Sire, il y une immense différence entre les fonctions ordinaires des tribunaux de judicature et les arrêts de surséance. La discussion d’un procès est beaucoup moins compliquée, moins étendue que celle qu'exige l’arrangement des affaires d’un particulier. Il est bien difficile d’espérer que des magistrats, dont tous les moments sont absorbés par leurs importants devoirs, se donnent eux-mêmes les soins de détail, se livrent au travail si long, si minutieux que demande l’examen d’un grand nombre de créances : ils peuvent faire que ce qu’ils font dans le cours de leurs fonctions ordinaires, laisser les parties ou leurs procureurs se concerter ou débattre leurs moyens, et se réserver le jugement de chaque incident à mesure qu’il est instruit; et c’est là précisément ce qui éternise les débats, multiplie les frais; c’est parce que les discussions sont faites, non par le juge lui-même, mais par des procureurs intéressés, qu’elles dégénèrent en des chicanes interminables. Le même vice de législation qui rendrait nécessaires les arrêts de surséance, élève continuellement des obstacles contre le désir qu’auraient les cours de les prononcer. Puisque la fonction de prononcer des arrêts de surséance est dangereuse dans les mains de vos ministres, puisqu’elle est presque toujours impraticable, dans les tribunaux réguliers, nous prendrons la liberté de proposer à Votre Majesté d’adopter un parti moyen : c'est d’établir, pour le enre d’affaires qui se concilient par des arrêts e surséance, comme nous l’avons proposé pour celles que l’on termine par des lettres de cachet, des tribunaux particuliers auxquels Votre Majesté prescrira des règles propres à prévenir les abus. Nous demandons des tribunaux, et non pas un seul tribunal, parce que vos sujets ne pourraient Ate [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.]. que difficilement apporter, de toutes vos provinces dans la eapitale, la discussion longue et épineuse de leurs affaires, et qu’il serait injuste et même impossible de forcer des créanciers à un déplacement aussi onéreux. Nous pensons que Votre Majesté pourrait s’assurer de l’intégrité et de la capacité des membres de ces tribunaux, en confiant aux assemblées qu’elle établira dans ses provinces, le soin de lui présenter les sujets entre lesquels elle fixerait son choix. Ce choix, Sire, est délicat et difficile : il ne suffira pas d’apporter à ces tribunaux, comme à celui qui vous établirez pour remplacer les lettres de cachet, de la probité et quelques lumières. La fonction pénible que vous leur confierez exige, d’abord, un zèle ardent et soutenu pour le bien des parties qui auront recours à eux ; un zèle semblable à celui d’un ami commun qui s’interpose entre se» amis prêts à se diviser, à celui d’un père qui s’efforce d’arracher un fils à sa ruine; un zèle que ne rebutent point la sécheresse, l’aridité, les difficultés des longues et fatigantes discussions, qui en dévore les lenteurs fastidieuses, qui ne s’en rapporte à personne sur l’examen des faits et des pièces. Elle exige, ensuite, non-seulement l’usage et l’habitude des affaires, un esprit rompu au travail, exercé aux calculs, la sagacité de discerner les créances honnêtes et justes de celles qui ne le sont pas, mais encore la connaissance des lois qui règlent l’ordre des créances, et qui forment les titres de tous les intéressés. C’est parmi d’anciens magistrats, des jurisconsultes considérés, des gens d affaires estimés, que se rencontreront les hommes dignes de remplir cette utile et honorable mission ; c’est, à l’estime publique à vous les présenter, Sire ; toute autre voix que la voix publique ne pourrait qu’égarer votre choix. Nous estimons que ces tribunaux ne doivent as être composés d’un grand nombre de mem-res. Dans l’ordre de la justice ordinaire, où les magistrats n’ont à prononcer que sur des discussions toutes faites, il y a de l’avantage à multiplier les juges ; mais ici, les discussions seront faites par les juges eux-mêmes: il serait à craindre que le nombre n’apportât de la confusion. Que le tribunal soit assez nombreux pour que l’erreur qui échapperait à l’un de ses membres puisse être aperçue par les autres. Mais il est important que le nombre soit assez restreint pour que toutes les opérations, tous les calculs, tous le» examens puissent se faire en commun. En organisant les tribunaux qui prononceront sur les arrêts de surséance, il sera encore nécessaire que Votre Majesté leur prescrive des règles qui assurent l’équité de leurs jugements. Toute l’administration des arrêts de surséance a été longtemps restreinte à deux principes. Le premier, d’exiger, avant de les rendre, le consentement de la majeure partie des créanciers; et ce n’était pas le nombre des individus qui déterminait l’arrêt, c’était la masse des créances. On demandait, pour l’ordinaire, le consentement des deux tiers des créanciers : ainsi celui qui présentait une somme de dettes de 300,000 livres, devait, pour obtenir l’arrêt de surséance, se munir de l’agrément de ses créanciers jusqu’à la concurrence de 200,000 livres. Le second principe était de convenir avec le débiteur d’une somme de dettes qu’il s’obligeait à payer pendant le temps delà surséance, sous la condition qu’elle ne serait commuée, sirengagement n’étaitpas rempli. Ces deux principes, sages en eux-mêmes, et propres à concilier tous les intérêts, se sont trouvés insuffisants : ils l’ont été, d’abord, parce que les ministres, qui les avaient ou établis ou adoptés, les enfreignaient à leur gré, ensuite parce que la fraude trouvait facilement les moyens de les éluder. Tantôt les débiteurs, dissimulant une partie de leurs dettes, présentaient un faux état, dans lequel n’étaient compris que ceux de leurs créanciers du consentement desquels ils se croyaient assurés. Tantôt, par une ruse contraire, ils montraient des états exagérés, où ils comprenaient, parmi leurs créanciers, des personnes affidées qui ne manquaient pas de consentir à la surséance, et ils présentaient toujours le consentement des deux tiers de leurs créanciers. Cette f«iude en entraînait une autre : à l’expiration de la surséance, ils rapportaient des quittances de ces créanciers simulés, et obtenaient ainsi un nouvel arrêt. D’autres fois, on a vu des débiteurs puissants abuser de l’impatience qu’avaient leurs créanciers d’être payés, leur faire sentir que l’arrêt les laissait maîtres d’accélérer ou de retarder leurs payements, transiger pour une somme moindre, se faire néanmoins donner une quittance totale qu’ils représentaient ensuite pour obtenir la prolongation : ainsi les arrêts de surséance, dont l’objet devrait être de prévenir les banqueroutes, servaient à favoriser les banqueroutes. L’âme vertueuse et droite de Votre Majesté s’indigne de toute ces fraudes auxquelles on a si longtemps fait servir son autorité ; et nous sommes assurés d’entrer dans les vues de sa justice , en lui présentant les moyens de repousser et d’a-j néantir pour jamais toutes ces ruses. Ces moyens, Sire, consistent à établir les règles auxquelles les tribunaux, que vous chargerez de prononcer les arrêts de surséance, soient tenus strictement de se conformer. Première règle. Tout particulier qui sollicitera un arrêt de surséance, sera tenu de joindre à sa requête un état exact et détaillé de toutes ses dettes, contenant les noms de chaque créancier, le montant et les titres de chaque créance ; et dans le cas où il serait trouvé que l’état présenté contiendrait quelque fraude, la requête serait absolument rejetée. Cet état est essentiel pour que le tribunal puisse prendre connaissance de la situation des affaires du demandeur. 11 sera même nécessaire, pour l’examen, qu’on y joigne les pièces justificatives. La peine de la fraude doit être le refus de l’arrêt, mais il faut que les inexactitudes de la requête proviennent de la mauvaise foi; car, dans la discussion d’affaires étendues et compliquées, il se glisse aisément des erreurs qui ne doivent pas préjudicier quand elles sont involontaires. IIe règle. La requête et l’état y annexé seront communiqués à tous les créanciers, pour qu’ils aient à consentir ou à refuser, à discuter les faits exposés, et à critiquer l’état proposé. D’après ce que nous avons exposé, la fonction du tribunal est de se placer entre le débiteur et les créanciers, d’arrêter les poursuites trop vives des uns pour leur propre intérêt, de procurer à l’autre des facilités de se libérer. Il est donc nécessaire de consulter les créanciers et de leur demander leur consentement. Cette communication est aussi le plus sûr moyen d’empêcher un rand nombre de fraudes, et notamment celles es créances simulées et exagérées. Les intéressés seront toujours ceux qui les découvriront le plus sûrement. (Étals gén. 1789. Cahiers. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.] 455 m® règle. Il ne sera accordé' d’arrêt de surséance que sur le consentement exprès au moins des deux tiers (ou des trois quarts) des créanciers , lesquels seront comptés, non d’après le nombre des individus, mais sur la masse dés créances. iv« règle. L’état des créanciers certifié par le débiteur, sera annexé à l’arrêt, et dans ledit arrêt sera insérée la clause que là surséance n’aura lieu que vis-à-vis des créanciers compris dans l’état, dette précaution obvie à l’infidélité des Etats où on n’a pas compris tous les créanciers. Ve règle. Il sera dressé et joint à l’arrêt un état des créances que le débiteur sera tenu d’acquitter pendant la surséance, et l’arrêt ne sera renouvelé que sur le vu des quittances de ces dettes. Le consentement des créanciers étant fondé sur la condition de payer une portion des dettes, il est juste et nécessaire d’exprimer exactement .quelles seront les dettes acquittées : juste, parce qu’il y a entre elles un ordre d’antériorité; nécessaire, parce qu’on ôte ainsi au débiteur de mauvaise foi le moyen d’en imposer à ses créanciers et de traiter avec eux pour de moindres sommes. vie règle. Les arrêts de surséance ne pourront être donnés pour plus de trois ans. Il est indispensable de poser un terme, que les tribunaux, chargés des arrêts de surséance, ne puissent excéder. Celui de trois années peut être nécessaire dans des affaires très compliquées , pour commencer à effectuer des payements, mais, dans tous les cas, il doit être suffisant. vue règle. Les arrêts de surséance ne seront accordés que sur l’unanimité des suffrages du tribunal, en sorte qu’une seule voix suffira pour les faire refuser : ou au moins ils ne seront prononcés que d’après une majorité très-considérable, comme des deux tiers ou des trois quarts du tribunal. Cette disposition, Sire, nous paraît utile pour les arrêts de surséance. Dans les procès ordinaires elle est impraticable ; l’une des parties a un droit, il faut que ce droit soit décidé : il ne peut l’être que par la pluralité : on lui ferait tort en statuant autrement. Mais un arrêt de surséance est une exception au droit commun. On ne fait donc pas injustice à celui à qui on le refuse ; on le laisse sous la loi commune des citoyens. Le tribunal devant être peu nombreux; l’unanimité ou la très-grande pluralité ne sera pas difficile à concilier et s’obtiendra toujours dans les affaires dont la justice sera mise en évidence. Mais il est important de déconcerter l’intrigue, de réprimer la fraude ; et jamais elles n’oseront se présenter quand elles sauront qu’un seul suffrage ou un petit nombre de suffrages suffit pour arrêter leurs succès. Tels sont, Sire, les moyens que nous osonspré-senter à Votre Majesté pour faire rentrer dans l’ordre de la justice ce qui a été trop longtemps un objet de faveur, et pour rendre salutaire une administration jusqu’à présent oppressive. Substituez à vos secrétaires d’Etat des magistrats ; l’intrigue accoutumée à ramper autour des ministres, n’osera approcher des tribunaux réguliers. Au lieu de quelques principes légers, sans cesse enfreints par l’autorité qui les avait établis, et hautement éludés par la faveur, posez des règles certaines dont Injustice imprime le respect, dont la sagesse réprime la fraude, dont l’exécution soit garantie par la publicité des jugements. Vous verrez, Sire, les arrêts de surséance, maintenant des objets de terreur, inspirer la confiance universelle. Vous verrez les créanciers, loin de les redouter, s’unir à leurs débiteurs pour les solliciter. Vous verrez en résulter le salut commun des uns et des autres, et vous jouirez de la douce satisfaction de recueillir leur reconnaissance et leurs bénédictions. SURVIVANCES. Entre les vices de l’administration que1 nous croyons devoir dénoncer à Votre Majesté, nous comprenons la multiplicité des survivàhcés, tant parce qu’il est fâcheux en lui-même, que parce qu’il est facile de le faire cesâer promptement. Cet abus, Sire, a maintenant atteint son plus haut période, il a envahi presque toutes les grandes places qui environnent et qui décorent Votre trône, il s’est étendu jusqu’aux emplois de raÜU miuistration, qui exigeraient des talents supé-� rieurs. On a vu des survivances accordées sans l’agrément, quelquefois même contre de gré des titulaires ; enfin, l’abus est arrivé au point d’étre réclamé à titre d’exemple ordinaire comme une sorte; de droit. Ce n’est plus pour accorder une survivance qu’il faut des motifs, c’est pour la refuser. Ainsi Votre Majesté s’est dépouillée du pou-- voir de récompenser de grands services par de grandes places, et d’attacher à sa personne' ceux qu’elle distingue par une faveur particulière. Que les services d’un père, que les bontés dont* Votre Majesté l’a honoré, forment des titres à son III s et le conduisent, après lui, à la place qu’il a occupée, rien de plus digne de votre équité et de votre bienfaisance. Mais, pourquoi faut-il que ce qui est le bien commun de toute votre noblesse, devienne le patrimoine dequelques familles ?Dés� tructives de toute émulation, les survivances' ôtént au mérite ses encouragements, au service ses récompenses. Non-seulement elles enlèvent ies places aux sujets utiles, elles en ravissent jusqu’à la perpective. La jeunesse , assurée des emplois avant de les avoir mérités, n’a plus d’intérêt à’ s’en rendre digne ; et que peut-on attendre de ses; efforts, lorsqu’une partie n’a plus' rien à désirer, et l’autre rien à espérer’? On dit à Votre Majesté que ce genre de grâces n’est point onéreux à ses' finances: mais, lorsque le prix le plus glorieux1 des services est dissipé d’avaffce, if faut le remplacer par des grâces pécuniaires. Et combien dé fois,* encore, n’a-t-on pas vu une survivance devenir le titre de nouveaux bienfaits, que l’avidité réclamait comme étant devenus nécessaires? On égare la bonté de Votre Majesté en lui présent tant les survivances comme une nouvelle source de bienfaits. Votre munificence n’en acquiert pas un don de plus à faire : ce sont toujours les mêmes faveurs qu’elle distribue, mais avec cette différence qu’étant anticipées, elles perdent de leur valeur. L’expectative est toujours moins flatteuse que le don. Une jouissance éloignéê a moins deprix qu’une possession actuelle. Ce qiie l’on acquiertt héréditairement excite moins ae éecon naissance-’ que ce que l’on obtient par une faveur personnelle, Ainsi, les survivances, loin d’augmenter le trésor' des grâces, le diminuent : elles sont, dans la distri-. bution des récompenses, ce que sont les anticipations dans l’ordre des finances, un vêr rougeur ui dévore le bien public dans son germe. Que ' otre Majesté, au milieu des sollicitations dont elle sera importunée, oppose à la bonté dé son-cœur cette puissante considération, que le biéti-* fait prématuré qu’on lui demande la priverait du honneur d’en accorder un plus grand. Où plutôt, Sire, prévenez, dès ce moment, toutes les sollicitations indiscrètes, en prononçant, pQtirfavêftuv 456 fÉtals gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Bailliage de Langrcs.] dans l’assemblée de votre nation, la suppression absolue d’un genre de grâces aussi onéreux pour vous, par les entraves qu’il met à votre bienfaisance, que contraire à la bonne administration, et odieux à ceux auxquels il ôte l’espoir de vos bienfaits. En respectant celles qu’il a plu à votre bonté d’accorder, nous osons la supplier de se les interdire dans la suite, absolument et sans réserve. Sans doute, dans certaines circonstances, des exceptions pourraient présenter quel-3ue utilité, mais elles renfermeraient encore plus e danger. La faveur s’en ferait un prétexte, l’intrigue un moyen, l’avidité un titre. Un seul exemple juste ferait naître cent prétentions qui ne le seraient pas, et l’exemple est l’arme la plus forte du courtisan. Vous n’avez, Sire, d’autre remède à l’abus des survivances, que de les proscrire entièrement : il faut ou extirper jusqu’à la racine du mal, ou vous attendre à le voir se reproduire sans cesse. ANOBLISSEMENTS. Nous présentons encore à Votre Majesté nos très-humbles supplications sur un abus aussi opposé à la raison qu’à la bonne administration, aussi contraire aux intérêts du tiers-état, qu’à l’honneur de la noblesse, et dont Votre Majesté peut opérer la suppression par un seul acte de son autorité : o’est la facilité des anoblissements que l’on a attachés à des charges qui sont presque sans fonctions, et à des offices municipaux qui donnent par eux-mêmes une décoration sultisante à ceux qui en sont revêtus. L’idée de noblesse présente à l’esprit ou un héritage précieux transmis avec le sang, ou une récompense glorieuse de travaux utiles à la patrie; c’est une illustration que l’on a reçue de ses aïeux, ou obtenue par ses services. Par quel renversement d’idées est-il donc arrivé que cette prérogative d’honneur, qui suppose le mérite des ancêtres ou le mérite personnel, ait été mise à prix d’argent, et soit devenue en quelque sorte un objet de trafic? C’est encore l’esprit fiscal, dont les funestes inventions dénaturent, pervertissent les plus heureuses institutions, qui a enfanté cette idée bizarre et dangereuse de mettre un prix à ce qu’il y a de plus honorable dans la monarchie. Après avoir tout soumis à son joug accablant, il a imaginé, pour dernière ressource, de vendre l’honneur. Et comment, Sire, les premiers auteurs de cette malheureuse interversion de tous principes, n’ont-ils pas senti le tort qu’ils faisaient à la majesté royale elle-même? Ils ont atténué et terni la plus belle récompense que vous ayez à distribuer. Celui que Votre Majesté a daigné, pour sesservices, élever à la classe la plus distinguée delà nation, jouit bien moins de cette haute décoration, quand il sait qu’elle a un prix pécuniaire, et quand il la voit partagée par des hommes qui n’ont d’autres titres que leur fortune. La plus brillante des distinctions cesse d’être un objet-; dès qu’elle devient soumise à un tarif, et que la richesse acquiert le droit d’v aspirer. Que Votre Majesté daigne considérer encore l’effet de ce malheureux trafic de la noblesse; il enlève au tiers-état ses membres les plus distingués, les détache de leurs utiles professions, les arrache au commerce, aux manufactures, aux i arts dans le temps où l’accroissement de leur fortune et les lumières de leur expérience pourraient multiplier leurs entreprises, étendre leurs relations, et augmenter, avec leur propre richesse, celle de la nation. Votre noblesse, Sire, s’honorera toujours de s’accroître et de se régénérer par des citoyens semblables à ceux qui, les premiers, obtinrent cette déclaration, par des hommes que leur vertus, leurs services dans l’ordre militaire ou civil rendent dignes de cette distinction. Mais la pureté, la délicatesse, l’élévation de ses sentiments souffrent de voir ces honneurs accordés à l’argent, et prostitués à la richesse. Anéantissez, Sire, nous vous en conjurons tous, our l’intérêt du tiers-état, pour celui de la no-lesse, pour l’intérêt général du royaume, pour le vôtre même, anéantissez cette déplorable institution fiscale qui ose inscrire dans ses tarifs la plus brillante des distinctions : faites disparaître. toute proportion, toute relation entre l’honneur et l’argent ; mettez à la noblesse son véritable prix : qu’elle soit toujours le prix du mérite et des services. Nous venons, Sire, d’exposer à Votre Majesté, avec cette confiance que vous avez demandée à votre peuple, et que vos vertus lui inspirent, les principaux objets dont nous pensons que l’assemblée nationale doive s’occuper. Nous pourrions, sans doute, vous adresser encore d’autres représentations, vous dénoncer d’autres abus, vous demander d’autres réformes. Nous ne doutons pas gue, de toutes les autres parties de votre royaume, il ne s’élève un cri général contre 1 énormité des impôts sous lesquels elles succombent. La gabelle, cet impôt que Votre Majesté a si justement qualifié de désastreux, et dont elle a prononcé la proscription, la gabelle subsiste encore et étena son joug de fer sur presque toutes les provinces. Les traites, que Votre Majesté avait ordonné de reporter aux frontières extrêmes du royaume, divisent encore vos provinces et forment, au sein de votre empire, des barrières qui rompent les communications entre vos sujets et repoussent leur commerce ; et cependant, il a été annoncé à la nation que le grand ouvrage, commencé par les ordres du Roi votre aïeul, pour la réformation de cet abus, était maintenant terminé et n’attendait plus, pour être effectué, que les dernières volontés de Votre Majesté. Les droits d’aides, si onéreux en eux-mêmes, le sont encore plus par les frais énormes de leur perception, par la rigueur de leur manutention, par le tort qu’ils font à la culture, par la gêne qu’il3 apportent à la propriété, par les entraves où ils mettent le commerce, par leur variété multipliée qui expose vos malheureux sujets à des contraventions involontaires, par le double attrait qu’ils donnent au pauvre peuple de commettre des fraudes, aux impitoyables agents du fisc de les poursuivre, en un mot, par tous les genres de vexations dont ils sont l’occasion, le prétexte ou la cause. Aucune partie de vos sujets, Sire, n’a plus de droit que nous à se plaindre de ces impôts accablants et de leur inégale répartition. La gabelle pèse plus fortement sur notre malheureuse contrée que sur aucune autre. D’une part, l’éloignement des lieux où se forme cette denrée précieuse la rend plus chère parmi nous que dans les autres parties du royaume; de l’autre, la proximité des pays où elle est à vil prix présente à la classe pauvre de nos citoyens le funeste appât de la fraude et la précipite dans tous les malheurs qui en sont les suites. Placés auprès de deux provinces que le langage barbare de la finance appelle, l’une étrangère, et l’autre réputée étrangère, nous sommes soumis à tous les frais, à toutes les sortes de vexations qu’a introduits le régime des traites. Nous suppor- 457 (Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Langres.J tons les droits d’aides dans toute leur étendue, et ils sont pour nous d’autant plus rigoureux, que, voisins de pays qui n’y sont pas soumis, des perquisitions particulières nous tourmentent et nous accablent. Les absurdes et funestes droits sur les cuirs ont anéanti, dans notre ville, un commerce autrefois florissant. Le génie fiscal, si fécond en ressources, n’a imaginé aucun droit, aucune imposition dont nous ne soyons grevés, et que le malheur de notre position ne rende plus onéreux pour nous que pour vos autres sujets. Nous aurions donc plus de titres que personne pour présenter à Votre Majesté et a l’assemblée qui va s’occuper de réparer tous les maux de . l’Etat les malheurs sous lesquels nous gémissons. Mais une considération nous a arrêtés. La régénération entière d’un grand royaume n’est pas l’ouvrage d’un seul moment ; la réformation ne peut pas s’étendre à la fois sur toutes les parties ; il n’est accordé à une assemblée qu’une mesure de temps et d’occupations. Il y a dans la réforme des abus un ordre à suivre, sans lequel on en fait naître d’autres, et on tombe dans des contradictions inévitables. Nous avons cru, en conséquence, ne devoir proposer à Votre Majesté et à l’assemblée nationale que les déterminations les plus urgentes, les plus faciles pour le rétablissement de l’ordre, et surtout les objets dont la décision préliminaire est essentielle pour parvenir à toutes les autres améliorations et à toutes les autres réformes. Posons les fondements de l’édifice, élevons sa masse imposante, assurons sa solidité, avant de travailler aux détails de l’intérieur. Et l’intérêt particulier que nous pourrions y avoir ne sera jamais pour nous le motif d’intervertir cet ordre salutaire. Un intérêt plus grand, plus cher que le nôtre, nous commande le silence sur tout ce qui nous; est personnel. L’intérêt public, voilà quel est, en ce moment, l’unique objet de nos vœux. Quoi! lorsque, par le plus nome des sacrifices, Votre Majesté consent à rendre à ses peuples des droits dont ses ancêtres ont joui, et dont elle-même a goûté les douceurs, nous irions nous occuper de nos avantages personnels, et nous refuserions de nous unir à notre vertueux souverain pour les immoler avec lui sur l’autel du bien public ? La patrie en péril penche vers sa ruine : et, dans ce danger universel, ce serait notre bien particulier que nous poursuivrions; et tandis qu’il est nécessaire de combler l’abîme prêt à engloutir l’Etat, nous solliciterions des retranchements d’impôts, ou des changements qui entraînent toujours des suspensions et des frais nouveaux? Ah! dans un moment si intéressant, Français, oublions-nous tous, pour ne nous occuper que de la France. Que les divers intérêts de provinces, d’ordres, de classes, d’individus, disparaissent devant l’intérêt public ; ou s’ils sont encore pour nous de quelque considération, songeons qu’ils sont essentiellement liés au salut de la patrie. Oui, et cette réflexion est la dernière que nous offrirons à l’auguste assemblée qui va régler notre sort. Le malheureux égoïsme qui, dans cette crise de l’Etat, chercherait à s’isoler et ; à combattre par son intérêt personnel l’intérêt | général, serait non-seulement un sentiment mal-] honnête et injuste, mais encore un calcul faux, ' et qui deviendrait funeste à lui-même. Les mal-[ heurs publics finissent toujours par retomber avec ! force sur les particuliers, et la ruine commune ] écrasera indubitablement ceux qui l’auront en-I traînée 1 LISTE DES COMPARANTS DE LA NOBLESSE DU BAILLIAGE DE LANGRES (IJ. Cejourd’hui 17 mars 1789, l’ordre de la noblesse assemblé dans la salle du bureau du collège, qui lui a été indiquée pour la tenue de ses séances, en conséquence des lettres du Roi données à Versailles le 24 janvier de la présente année, pour la convocation des Etats généraux du royaume, du règlement y joint, de l’ordonnance de M. le lieutenant général rendue en conséquence, Nous, soussignés, assemblés sous la présidence d’ùge de M. le marquis de Rose-Dammartin, après nous être fait représenter la liste et état de MM. les nobles possédant fiefs, et de ceux reconnus jouissant des privilèges de la noblesse, ladite liste certifiée et à nous remise par le greffier en chef du bailliage, sommes comparus, savoir : MM. les gentilshommes, propriétaires de fiefs, tant en personne, que par procureur, de Vallerot, seigneur en partie d’Aisey et de Richecourt, par M. de Lecey de Recour, leur frère ; le marquis de Bologne, seigneur d’Audilly et Bou-necourt, par M. Girault de Bellefond ; de Ranly, seigneur en partie d’Enfouvelle, par M. Lallemand de Pradines; de La Tour du Pin, seigneur de Fouvent, par M. de Lecey de Chaugey, chevalier de Saint-Louis; Mademoiselle Hurault, dame de Forfetières et Avrecourl, par M. de Champaux de Vaux-Dimes, M. de Froment, en personne , pour la seigneurie de Bize, et pour l’autre partie, Madame veuve Profilet de Dardeney, par M. Le Boulleur ; MM. L’Hivert, seigneur de Brevannes, par M. Auberthot de Fresnoy ; Bichet, seigneur de Chalancey, par M. Leauté de Blonde-Fontaine ; de Montarby, seigneur de Charmoilles, par M. Le Boulleur ; Mademoiselle Andrieux , dame de Chastenay-Vaudi”, par M. Andrieu de Torney ; MM. de Serrey, père, seigneur de Chatellenot, parM. de Champaux de Vaux-Dimes ; de Saint-Julien de Porte, seigneur de Chezeaux, par M. Desbarres; le marquis de Vaubicourt, seigneur de Choiseuil, par M. Gaucher, chevalier de Saint-Louis : de Bouleur, seigneur en partie de Gourton, eu personne ; l’abbé de Boulleur, seigneur en partie dudit Cour-ton, par M. de Froment , chevalier de Saint-Louis ; de Charlary, seigneur du comté de Rouvres, par M. Dennezeiles; de Boullay, seigneur en partie de Torcency, par M. Du Houx ; de Lacoste, seigneur en partie dudit Torcency , par M. de Champeaux ; Madame veuve de Boulet, dame de Crépans, par M. Au-bertot, de Fresnoy ; Mademoiselle Seurot, dame de Cusey, par M. Léauté de Leycourt, chevalier de Saint-Louis ; MM. de Gaucourt , seigneur d’Amphalles, par M. de Piétrequin de Prangey ; les marquis de Rose père et fils, seigneurs de Dom-martin, en personne ; Denis, seigneur d’Ampremont, par M. Perrey, fils ; Le Gros, seigneur d’Epinaut, en personne ; Verron, seigneurs de Farimont, par MM. Léauté de Grissey et Léauté de Vivey ; Auberthot, seigneur de Fresnoy, en personne ; de Lisle, seigneur du fief de Doncourt, par M. Tau-pin, de Rosney ; Girault, seigneur de Genevrières et de Bellefond� en personne; De Piétrequin, seigneur de Gilley, en personne; (1) Nous publions celte liste d’après un manuscrit des Archives de l'Empire.